Conformément au portrait de groupe esquissé plus haut, les édiles de notre première période sont en grande majorité nés en dehors de la commune dont ils assurent la première charge. On ne compte que deux locaux sur les 10 individus ayant commencé leur mandat entre 1853 et 1871. Certes, le lieu de naissance n'est pas la seule variable permettant de faire la différence entre des notables ancrés localement et de nouveaux venus aux liens plus ténus avec le territoire dont ils assurent la première charge. En associant aux individus nés dans la commune dont ils sont maires ceux dont les liens de proximité sont importants, parce que la totalité de leur famille y est installée, par exemple, on peut élargir le cercle des "locaux" ; ainsi, sur cette période, il faudrait peut être ajouter Barthélemy Périer, né à Thiais, certes dans un autre canton, mais qui se marie à Montrouge avec une Lasnier elle-même née à Montrouge. Il investit dans des carrières se situant à proximité de leur domicile, et les terres qu'il possède se situent en grande partie sur ce territoire : en dehors des carrières, il a en effet investi dans des terres agricoles, ensuite vendues par lots : c'est le cas d'un terrain d'un peu plus d'un hectare, situé au Clos de Montrouge, acheté 12 000 francs en juillet 1855, revendus par lots entre 1856 et 1864, et ayant rapporté 210 180 francs du fait des constructions établies sur l'une des parcelles 531 . Leurs six enfants naissent à Montrouge ; mais l'ancrage local change en une génération d'horizon : associé dès 1859 avec d'autres marchands carriers pour la gestion des carrières situées dans l'Oise, le centre familial se déplace progressivement dans cette région avec le mariage du fils aîné, déplacement accentué après le décès prématuré du second fils, resté villa d'Orléans à Montrouge. A la fin des années 1880, il n'y a plus de liens entre cette famille et le territoire de Montrouge. Ce cas, dont l'ancrage local ne dure qu'une petite génération et se fait en partie par les alliances, confirme plus qu'il n'infirme la fragilité de l'ancrage local dans la représentation mayorale.
Tous les autres individus peuvent être considérés comme des personnalités extérieures non seulement à la commune, mais aussi au canton. La moitié de ces maires sont des provinciaux. Dans la majorité des cas, ces provinciaux s'installent pour affaires en banlieue parisienne : c'est le cas de Louis Rolland, qui reprend en 1859 la fabrique de potasse et de cristaux de soude dont sa femme a été dotée à son mariage 532 , et qu'il a géré jusque là pour le compte de sa belle-mère ; il vend l'affaire à son fils lors de son mariage en 1883. Né à Vauchamps dans la Marne 533 , il ne semble pourtant avoir aucune attache provinciale familiale : son père, régisseur de grands domaines agricoles, quitte la Marne pour gérer un autre domaine de la Nièvre 534 . Toutefois, la famille de sa femme est installée à Montrouge depuis au moins le milieu du siècle, puisque son père et son grand père y étaient déjà présents : les liens locaux sont là encore formés par les alliances, sans que cette belle-famille ne semble jouer un rôle politique de premier plan 535 . A l'inverse, l'installation des autres provinciaux n'est pas forcément liée aux alliances. Charles Dépinoy, marchand de vins en gros à Paris 536 , appartient à une famille de négociants du Nord 537 . Sa présence comme maire à Vanves entre 1853 et 1864 peut être liée à l'existence d'un entrepôt à Vanves ou Montrouge. Claude Micard, né en Saône-et-Loire, s'installe comme pharmacien rue du Val à Vanves 538 , commune qu'il ne quittera plus. Jean-Baptiste Jullien, né à Aix en 1802, s'installe en 1864 à Vanves pour prendre le poste de Proviseur du lycée lors de sa transformation en lycée autonome en 1864, mais il conserve une adresse parisienne, rue des Feuillantines, près du lycée Louis-le-Grand qu'il a dirigé entre 1856 et 1864 539 . Cette installation est tardive dans le cycle de vie : il s'est marié à Aix et sa première fille a épousé un professeur à Marseille. Dès son arrivée à Vanves, il est élu conseiller municipal ; il ne devient maire qu'une fois en retraite, en 1873, et reste conseiller municipal jusqu'en 1881 540 . Ses deux filles épousent des collègues professeurs qui deviennent proviseurs : les alliances familiales se font dans le cadre de l'espace professionnel, et non dans celui du voisinage, même s'il entreprend avec son collègue et gendre Charles Cuvillier l'achat d'un immeuble boulevard du lycée à Vanves, afin d'accroître ses revenus par une rente foncière 541 .
Ce processus d'installation dans une commune de banlieue vaut aussi pour les Parisiens. Durant cette première période, un seul maire est né à Paris, Pierre Ferdinand Leplanquais, maire de Vanves le 4 septembre 1870 jusqu'à son décès en fonction en février 1873. Né rue St Merri dans le 3e arrondissement de Paris en 1826 542 , il est fabricant d'instruments de chirurgie lors de son mariage en 1854 543 et demeure alors rue Rambuteau. En 1865, le Didot Bottin le signale comme herniaire bandagiste au 76, rue du Temple 544 . En près de 40 ans, son espace de vie s'est limité à quelques rues du 3e arrondissement ; son mariage s'est effectué dans le voisinage de son parrain, Pierre Hollande, marchand de bois des îles rue du Faubourg Saint Martin 545 . Son installation à Vanves semble être entièrement liée à son activité professionnelle et au développement de sa fabrique d'instruments de chirurgie.
A côté de ce parisien, François Huillier, né en 1803 à Souvigny (Allier) dans une famille de notables de robe installée dans la région, fait figure de parisien d'adoption. Venu à Paris pour faire des études de droit, il obtient le grade de Licence en 1824 et prête le serment d'avocat la même année 546 . En 1826, il entre comme 3e clerc de notaire chez M° Desprez, son futur beau-père, et achète une charge à Paris en 1831 547 , rue du Mail. La résidence de son étude change deux fois : il rejoint l'actuel 8e arrondissement, rue de Provence 548 puis rue Taitbout 549 . En mars 1863, il cède son étude à son fils pour la somme de 559 200 francs 550 . C'est pourtant rue de Provence que François Huillier décède en 1873, alors que son fils installe l'étude d'abord rue de Gramont, avant d'acquérir l'immeuble du 83 bd Haussmann 551 , où il demeure encore jusqu'à la veille de la guerre, avec deux de ses fils. L'installation à Bagneux de François Huillier est donc indépendante à la fois de son activité professionnelle et des alliances familiales, qui se font toutes dans le milieu du notariat parisien 552 (voir Figure 1 p. 251). Il s'agit plutôt d'une forme de villégiature familiale que créé François Huillier au Château des Marronniers à Bagneux ; il ne sera d'ailleurs pas suivi par son fils, qui séjourne d'abord au château de Bellecour à Pithiviers, dans la famille de son épouse 553 , et qui acquiert ensuite le château de Courcelles-le-Roi près de Beaulieu dans le Loiret 554 .
En dehors de ce dernier cas très isolé, l'installation sur le territoire banlieusard semble d'abord lié à l'activité professionnelle des maires et aux alliances matrimoniales créées, bien plus qu'à l'acquisition d'une "maison de campagne" dans une banlieue champêtre, pourtant si prisée. Seul François Huillier semble dans le cas d'une résidence de villégiature à Bagneux ; la double résidence, l'une à Paris, l'autre en banlieue parisienne, n'est guère courante à cette époque, à l'exception peut être de Ferdinand Leplanquais, qui continue d'avoir une résidence à Paris et fait même partie du bureau de bienfaisance du 9e arrondissement tout en étant aussi présent à Vanves. Par ailleurs, cette installation paraît définitive, dans la mesure où la grande majorité de ces édiles sont décédés dans la commune où ils ont exercé leur mandat. Par contre, la transmission de cet attachement local n'est guère pertinent, ces édiles ne donnant que très rarement naissance à des dynasties mayorales. Rares sont les familles qui poursuivent l'implantation locale au-delà de la génération du maire, et ce d'autant plus que l'installation est récente sur le territoire communal : le cas des enfants de Barthélemy Périer est révélateur de la fugacité de cet ancrage, son seul fils survivant quittant la commune pour s'installer dans l'Oise, région de son épouse, où il reprend les carrières exploitées par son père.
AN, MC, étude LXXVI/967, inventaire après décès Périer, analyse des papiers lors de l'inventaire le 13 avril 1874.
AD Hauts-de-Seine, 3E/MON_855, inventaire après décès Rolland. Contrat de mariage analysé dans l'inventaire.
AN, F1CI/173 – 1893. (série "esprit public", département de la Seine), confirmé par l'acte de naissance, AM de Vauchamps (Marne), état civil.
AD Hauts-de-Seine, 3E/MON_855, inventaire après décès Rolland.
Ils n'apparaissent pas dans les listes des conseillers municipaux élus en 1831 et 1835. AN, F1 BII Seine-17, Montrouge. L'espace résidentiel de cette famille Roussel est d'ailleurs très large, puisque l'on retrouve des collatéraux non seulement à Paris (16e arrondissement), mais aussi à Lyon et à Lunéville (Meurthe-et-Moselle), où le plus souvent ils exploitent des fabriques de produits chimiques. C'est l'une des différences essentielle entre les belles-familles de B. Périer et de L. Rolland.
Le Didot Bottin de 1865 signale ainsi une adresse à Paris, 7 r. Corneille, près du jardin du Luxembourg. A cette date, Charles Dépinoy a démissionné de ses fonctions de maire et ne réside plus à Vanves.
AM Lille, état civil ancien, acte de naissance de Charles Dépinoy, 24 décembre 1808.
Présent en 1865 dans le bottin du commerce, sa pharmacie n'existe pas en 1861. AD Paris, Bottins du commerce, Vanves.
AN, F17 21019, dossier Jullien.
AN F1 CI/172, dénomination d'une rue Jullien à Vanves, juin-juillet 1886.
AN, F17 21019, dossier Jullien. Lettre de Jullien au Ministre de l'Instruction Publique, 30 juin 1871, demandant le paiement pressant de sa pension de retraite [qui a été accordée en octobre 1870], et qui signale qu'il "possède en commun avec M. Cuvillier [son] gendre, professeur au Lycée de Vanves, de[s] maisons contiguës à l'établissement, [qu'il] a vu ruinées de fond en comble avec leur mobilier dans le dernier siège de Paris par l'Armée de Versailles. [Il] avait placé là le fruit de [ses] longs labeurs et de [ses] économies".
AD Paris, 5mi/293, reconstitution de l'état civil, ancien 7e, 9 juin 1826 ; D6J 2887, baptême paroisse Saint Merri, 14 juin 1826.
AD Paris, 5mi1/2255, Mariage de F. Leplanquais et Clotilde Dugelay, 17 août 1854, 8e arr. ancien, reconstitué en 1872 d'après le mariage religieux en paroisse de Ste Marguerite. (quartier Saint-Antoine)
BN, Didot Bottin, 1865.
AD Paris, D6J 2887, baptême paroisse Saint Merri, 14 juin 1826.
Son arrivée à Paris est très certainement liée aux relations étroites entre sa famille et la famille Crosse, dont un François Crosse est Procureur du Roi à Souvigny en 1797, et dont deux membres sont témoins à son mariage : son beau-frère, Jacques–Antoine Crosse, contrôleur des contributions directes à Moulins, et Pierre Crosse, avoué à Paris, qui représente ses parents. AD Paris, reconstitution de l'état civil ancien, acte de mariage du 16 janvier 1833, mairie de l'ancien 11e arrondissement.
AN, BB10 846, 1831. La charge est cédée pour 210 000 Francs. Merci à Jean-Claude Yon de m'avoir signalé cette source portant sur les cessions des études de notaire, qu'il a exploité dans son mémoire de maîtrise, Les notaires parisiens sous le Second Empire, Paris-I, 1988 (A. Daumard). Adresse rue du Mail : LH 1323059 Paul Augustin Huillier (fils), acte de naissance, 28 octobre 1836.
LH 1323056, août 1864, François Huillier, notaire, domicilié 43 r de Provence.
Didot Bottin, 1865, Huillier notaire, 29 r. Taitbout.
AN, BB10 1525 (Seine-1863), cession Huillier.
AD Hauts-de-Seine, Bagneux, acte de naissance de Paul Huillier (petit-fils), mai 1870. résidence du père 16, r de Gramont ; LH 1323059 Paul Huillier, adresse notée sur le dossier d'officier de la Légion d'honneur, 20 novembre 1894. BN, Bottin mondain, 1908, 1912, 1913. On retrouve la trace des deux petits-fils Huillier bd Haussmann jusque dans les années 1930.
François Huillier, avec son mariage, entre dans une famille de notaires royaux : non seulement son beau-père est notaire, Président de la Chambre des notaires de Paris, mais il est lui-même fils d'Armand Desprez, notaire à Senlis, et gendre de Louis Laisné, notaire royal à Arpajon. AD Paris, divers actes d'état civil. LH 144716, Louis Claude Laisné.
Ce château appartient à la famille de sa femme, les Lejeune de Bellecour. BN, Annuaire des châteaux et des villégiatures, 1888-1937 (absorbé par le Bottin mondain). 1888.
BN, Annuaire des châteaux, op. cit., 1888. Paul Huillier, notaire, Château de Courcelles le Roy près Beaulieu, Châtillon-sur-Loire. Et 83, bd Haussmann.