III- "Une révolution des mairies" ? (1884-fin des 1890's)

La question de la légitimité des élites municipales élues, qui prennent en charge l'administration de la commune pour 4 ans, et qui progressivement organisent leur pouvoir autour d'une réelle équipe fondée sur des critères complexes, se transforme alors. Pour le chercheur aujourd'hui, il paraît central de s'interroger sur la politisation réelle ou supposée des élites à partir de cette date. La dichotomie classiquement admise entre une légitimité notabilitaire liée à la nomination par le pouvoir central des maires et une légitimité démocratique à partir de 1884 peut-elle être conservée ? Cette vision prévaut largement dans les ouvrages généraux consacrés à la période, qui par ailleurs ne font que des allusions à l'échelle locale du politique, mais aussi dans l'analyse que donne Marcel Roncayolo sur cette politisation supposée des élus dès lors que le suffrage universel devient une réalité à tous les niveaux de la municipalité. Or, il semble y avoir quelques incohérences à suggérer la présence d'une politisation précoce des électeurs par le biais des élections locales, montrée par Maurice Agulhon par exemple dans La République au village, et le décalage dans le temps de cette politisation à la tête de l'exécutif municipal, daté par Marcel Roncayolo de 1882… Ce paradoxe permet de soulever une hypothèse de recherche : la légitimité démocratique, dont il est indéniable qu'elle fait avec les lois de 1882-1884 un pas important à l'échelle locale, change-t-elle brusquement les habitudes des électeurs ? Cela supposerait que les électeurs aient eu une conscience politique déjà existante et largement éduquée, et qu'il suffisait que le texte de la loi s'adapte à des pratiques déjà ancrées dans la population. Si tel est le cas, cette loi de 1882-1884 n'est donc pas si novatrice : elle correspondrait à un état de fait déjà établi. Or, la permanence des équipes municipales et plus encore de l'élite de ces équipes est flagrante à cette date. Ne peut-on pas penser que la politisation des citoyens trouve, au contraire, au fur et à mesure de la montée en puissance des comités électoraux, de l'application des lois républicaines autour de la liberté de la presse et de réunion (1881), du droit syndical (1884), des libertés communales (1884 encore), des moyens progressivement intériorisés et que, dès lors, cette politisation soit plus récente et ne prenne corps que quelques années plus tard ? L'analyse des élus qui sera faite en dernière partie permettra de faire émerger une autre typologie des élites que la simple opposition entre élites notables héritées de la Monarchie de Juillet jusqu'en 1884, opposées aux nouvelles élites, issues des "nouvelles couches" si chères aux radicaux, à partir de 1884 : la rupture n'est peut être pas aussi flagrante d'une part, et surtout est elle certainement plus proche du début du siècle que des années 1880.