Douze individus accèdent au pouvoir mayoral entre 1900 et 1914 ; seuls deux d'entre eux ont déjà exercé cette fonction durant la période précédente. Ces douze maires, nés entre 1833 et 1873, ont exercé leurs fonctions de 1888 à 1935 ; un seul d'entre eux sera remplacé au sortir de la première guerre mondiale 704 . Ils restent en fonction pendant en moyenne deux mandats et demi : cette longévité au pouvoir est la plus importante de tout le groupe, mais elle cache une diversité importante. Une partie de ces maires semblent être des élus de transition, chargé de terminer une mandature après le décès ou la démission du maire précédent – c'est le cas pour trois d'entre eux, en 1899 et 1911 à Malakoff, en 1911 encore à Montrouge 705 . A l'inverse, certains restent en poste pour des durées n'ayant jamais eu lieu depuis 1860, dépassant largement la décennie. Edouard Fourquemin à Malakoff, Louis Lejeune à Montrouge restent au pouvoir des élections de 1912 jusqu'à celles de 1925, premier grand changement électoral en banlieue parisienne 706 ; Edmond Champeaud reste maire de Montrouge de 1888 à 1911, - soit pendant 23 ans - fonction qu'il cumule rapidement avec celles de conseiller général de la Seine ; enfin, Théodore Tissier, élu en 1899, sera constamment réélu pendant 36 ans, défait par la victoire du PCF à Bagneux lors des élections municipales de 1935 707 .
Cela dit, ces maires arrivés au pouvoir avec le siècle incarnent-ils tous un renouveau qui mettrait au premier plan non plus des notables mais des "professionnels de la politique 708 " ? Cette hypothèse rejoint celle proposée par Christian Topalov sur les réformateurs, et insistant sur le tournant du siècle comme un moment particulier où, en France, les hommes des mouvements réformateurs ont su obtenir l'écoute du monde politique, ce qui pourrait en partie expliquer la volonté de réformes sociales que connaît le pays à partir de la fin des années 1890 709 . Ainsi, certains lieux de rencontre des édiles réformatrices, certaines écoles formant de nouveaux praticiens de l'urbain et de nombreuses associations ont-ils été des espaces privilégiés de réflexion, des "laboratoires" des idées réformistes. Or, parmi ces idées, le municipalisme ou l'action locale ont joué un rôle important, en France comme en Europe. C'est pourquoi il paraît intéressant de voir si, en banlieue parisienne, cette représentation d'une génération réformatrice correspond à une réalité – et donc de poser le regard sur ce moment particulier du tournant du siècle.
Entre les élections de 1900 et la veille de la guerre, deux périodes assez distinctes semblent de dessiner. Dans un premier temps, au tournant du siècle, sont élus – parfois après une réelle campagne politique – de nouvelles équipes municipales, ayant à leur tête un "leader" plus jeune ; cette génération semble mériter un regard particulier sur elle, essentiellement du fait du fort renouvellement des édiles ainsi que des manières d'appréhender la compétition électorale locale. A partir des années 1910, le renouvellement se fait moins fort : certes, de nouveaux maires peuvent arriver au pouvoir, mais, par leurs caractéristiques socioprofessionnelles, ces maires d'avant guerre semblent réinventer de nouvelles formes de notabilité, laissant la prime de la modernité du recrutement à ce "moment" des années 1900-1910.
Les dernières élections municipales générales ont eu lieu en 1912. Le renouvellement des conseils, prévu en 1916, a été reporté à la fin des hostilités, en 1918.
Le maire est alors souvent le premier adjoint du maire précédente, et il achève le mandat jusqu'aux élections municipales suivantes.
Sur les élections de 1925 et 1935 et la construction du "mythe" de la banlieue rouge, voir Fourcaut, A. Bobigny, banlieue rouge, op. cit. ; Fourcaut, A., Banlieue rouge 1920-1960 : Années Thorez, Années Gabin. Archétype du populaire, banc d'essai des modernités, Ed. Autrement, 1992.
Fourcaut, A. la vie politique à Bagneux, Maîtrise citée, 1971.
Offerlé, M. dir. La profession politique, op. cit.
Topalov, C. dir. Laboratoires de la réforme, op. cit.