2. Vers de nouvelles formes de notabilité ?

Puisque le patrimoine et l'héritage ne font plus seuls les maires, il faut chercher ailleurs les élément permettant de définir une nouvelle forme de notabilité.

a. le mandat "à vie"

Sur l'ensemble de la période, la durée moyenne du mandat exercé par un même individu a tendance à augmenter, doublant entre 1860 et 1914. Cette augmentation s'accélère nettement après 1884.

Figure 5. Durée moyenne du mandat en fonction des périodes.
Figure 5. Durée moyenne du mandat en fonction des périodes.

Cette augmentation de la durée moyenne du mandat appelle deux remarques. La première est liée à une comparaison avec les statistiques établies sur cette durée moyenne par l'enquête sur les maires en France. La seconde est de chercher des interprétations possibles des mandats dépassant la douzaine d'années (ce qui concerne trois individus), voire plus de 20 ans de présence continue à la tête de la commune. Qui sont ces individus à la longévité impressionnante : des notables solidement insérés dans le territoire ou au contraire de jeunes issus de la "bourgeoisie moderne" du négoce et de l'industrie ?

La comparaison concernant les durées moyennes de mandat entre la génération d'avant-guerre et le sondage établi pour l'étude nationale publiée par Maurice Agulhon révèle d'importantes différences, alors que sur de nombreuses autres critères (âge des maires à la première nomination, lieu de naissance des maires), des traits communs se retrouvent, simplement nuancés à la marge.

graphique 29. comparaison des durées moyennes de mandat
graphique 29. comparaison des durées moyennes de mandat Afin de permettre cette comparaison, j'ai calculé la durée moyenne du mandat pour les maires en place aux mêmes dates que celles proposées dans le sondage effectué par l'équipe réunie autour de M. Agulhon. Cf. Agulhon, M. et al., Les maires en France, op. cit., tableau 12, p. 71, durée des mandats. .

La stabilité qui se dégage de l'enquête nationale n'existe pas sur notre terrain de banlieue. A contrario du sondage national, la longévité des maires en poste en banlieue sud-ouest dépasse à peine une mandature avant la rupture amenée par la loi de 1884. Une explication possible de cette divergence réside dans le poids relativement fort des petites communes au sein de l'échantillon national, conformément au nombre très important en France de ces petites communes rurales de moins de 2000 habitants, et qui ne sont pas concernées par la réforme de 1884 748 . Cela suppose une possible corrélation entre la fonction édilitaire exercée dans une commune rurale, dont le titulaire est souvent issu du monde des notables traditionnels, et la longévité en poste. Il existerait alors une sorte d'adéquation entre longévité et type de notabilité dont peut se prévaloir le maire. Par ailleurs, l'augmentation continue de la durée moyenne du mandat à partir de 1884 va à l'encontre de l'idée d'un renouvellement apporté par l'élection. Les électeurs semblent faire nettement plus confiance aux équipes sortantes qu'à l'attrait de la nouveauté et à l'éventuelle modernité des programmes électoraux.

Si l'on regarde de près ces maires à la longévité en poste dépassant largement la moyenne, force est de constater que l'on est loin des notables d'ancien régime. Les maires ayant exercé un mandant de plus de 10 ans sont présents à toutes les périodes, mais ils sont de plus en plus nombreux et leur longévité en poste tend à s'accroître au fil du temps. Avant la loi de 1882, un mandat long dure un peu plus de 11 ans, pour quasiment 18 ans pour la période suivante. Les maires négociants et industriels sont les plus nombreux, avant comme après 1882 : la corrélation entre notabilité de type ancien et longévité ne fonctionne donc pas entièrement. Un seul individu entre dans cette catégorie des notables de type ancien. Nommé maire provisoire à Bagneux en septembre 1870, il sera confirmé par l'élection en août 1871 et 1876 et restera maire jusqu'en 1881. A cette époque, la commune de Bagneux, qui compte moins de 3000 habitants, fait figure de petite commune rurale, alors que les autres communes, plus proches de Paris, sont déjà de réelles communes urbaines.

A partir du moment où l'élection du maire se généralise, ceux qui restent le plus longtemps en poste n'appartiennent pas à la notabilité ancienne. La répartition de leurs professions correspond dans l'ensemble à celle du groupe. De plus, ces maires sont plutôt jeunes à leur arrivée en poste : la longévité est peut être plus le fait de cette jeunesse au premier mandat que de l'appartenance aux notables de type anciens. Edmond Champeaud, entrepreneur en charpente, devient maire en 1888. Il a 40 ans, a visiblement fait fortune grâce à des contrats de travaux publics, mais n'est pas un héritier. Il reste en poste jusqu'en 1911, soit pendant 23 ans. Avant de briguer la mairie de Montrouge, il vends son fonds de commerce et semble se consacrer à la politique locale : il fait partie des quelques rares "cumulards", d'abord conseiller d'arrondissement, puis Conseiller Général. Théodore Tissier, maire élu sur une liste républicaine à Bagneux en 1899 en s'affirmant à la tête des combats pour la laïcisation de l'Etat, reste en poste pendant 36 ans. Elu très jeune, à 33 ans, il n'abandonne pas sa carrière professionnelle de haut fonctionnaire, bien au contraire, et délègue même une partie de sa charge de maire lorsqu'il est appelé à des postes ministériels 749 . A l'inverse du précédent, il ne cumule pas les mandats électifs ; par contre, il joue un rôle central dans l'organisation des syndicats intercommunaux de gestion du gaz 750 d'abord, ensuite de l'eau et de l'électricité, tout comme au sein du Congrès des maires de France 751 . Enfin, Edouard Fourquemin et Louis Lejeune, élus en 1912 respectivement à Malakoff et à Montrouge, restent en poste pendant 13 ans, remplacés tous deux par des municipalités ouvrières.

Notes
747.

Afin de permettre cette comparaison, j'ai calculé la durée moyenne du mandat pour les maires en place aux mêmes dates que celles proposées dans le sondage effectué par l'équipe réunie autour de M. Agulhon. Cf. Agulhon, M. et al., Les maires en France, op. cit., tableau 12, p. 71, durée des mandats.

748.

En effet, les conseils municipaux des communes de moins de 2000 habitants élisent déjà leur maire en leur sein.

749.

C'est en particulier le cas en 1921, lorsqu'il accepte le poste de sous secrétaire d'Etat à la Présidence du Conseil. Correspondance privée dans le dossier Conseil d'Etat.

750.

SIGEIF, procès verbaux des séances de la Conférence Intercommunale pour le gaz dans les commune de la Banlieue de Paris. Voir partie 2, chapitre 4.

751.

AN, F7 12525, Congrès divers, Rapport du Ministère de l'Intérieur, Police. Le fonctionnaire de police note sa présence à la table d'honneur lors du banquet du Congrès le 6 novembre 1913 à Paris à la Mutualité, en tant que Président d'honneur de la Fédération nationale des secrétaires et employés de mairie, qu'il a contribué à créer. Par ailleurs, on retrouve sa présence dans l'Association des Maires de la Seine dans l'entre-deux-guerres. Je n'ai pas retrouvé d'archives concernant cette association, ni de listes précises d'adhérents avant 1914.