En 1860, le paysage urbain de la nouvelle banlieue de Paris semble être encore marqué par la ruralité. Tout d'abord, la banlieue sud-ouest conserve une part importante d'activités agricoles, occupant parfois près des trois quarts du sol non bâti des communes. L'Atlas départemental de la Seine édité en 1870 témoigne encore de cette permanence de la ruralité dans ce paysage (voir plan 3 page 349 ). La ruralité tient aussi au caractère récréatif de cet espace. Les lieux de villégiatures de personnalités sont rappelés avec emphase. A Vanves, guides et plaquettes rappellent la mémoire de l'ancien Château des Princes de Condé, devenu depuis le Consulat la "maison des champs du Prytanée militaire 760 ", avant de devenir un lycée réputé doté d'un immense domaine disposant de jardins, parcs et équipements sportifs modernes 761 .
Bagneux s'enorgueillit d'être le lieu de l'ancienne résidence du Cardinal de Richelieu 762 . Le duc de La Vallière possédait une maison de campagne dans la Plaine de Montrouge, ainsi que les "jésuites de Paris, installés depuis 1668 763 ". En dehors de ces résidences, les guides touristiques qui commencent à naître à la fin du XIXe siècle vantent les parcs, bois et campagnes qui accueillent les parisiens les dimanches et jours de fête autour de guinguettes à la mode. Rabelais déjà exilait son héros Gargantua dans les campagnes proches de Paris, dont Montrouge et Vanves, afin d'y pratiquer le sport nécessaire à parfaire son éducation 764 . Lieu de détente et de villégiature des Grands, puis progressivement des petites gens, la banlieue de Paris assume une vocation rurale et bucolique en opposition avec un monde urbain proche et dense 765 .
Malgré cette permanence, les communes de Vanves et Montrouge ne sont pas pour autant des communes uniquement rurales. La complexité de leur paysage frappe très rapidement : aux permanences d'un espace non bâti représentant parfois une part assez importante de la commune 766 , ces communes associent des cœurs urbains parfois densément peuplés. Dès l'annexion de 1860, Vanves compte 6016 habitants alors que la population de Montrouge ne s'élève qu'à 3534 habitants 767 . Ces communes atteignent 10 000 habitants respectivement en 1881 et en 1886 et dépassent les 20 000 habitants au début du XXe siècle 768 . La comparaison des densités de population, telles qu'elles peuvent être évaluées, confirme le statut mixte de ces communes en 1861 : avec 12,56 et 15,71 hab./ha, elles sont des bourgs plus que d'importantes communes urbaines, et les densités sont loin d'être comparables avec celles observées à Paris de l'autre côté des fortifications. Ainsi, la présence continue d'une activité agricole encore importante ou d'entreprises d'exploitations du sous-sol rattachent ces communes aux bourgs ruraux du début du XIXe siècle. Les termes de "village", "bourg", "hameaux" et "lieu-dit" restent fréquents dans les délibérations des conseils municipaux jusqu'aux premières années du siècle suivant.
Communes urbaines par leur nombre d'habitants, rurales par de nombreux aspects du paysage et des activités, le territoire étudié appartient au monde de la mixité. Deux domaines semblent particulièrement marqué par la permanence d'une gestion édilitaire traditionnelle : d'une part, les pratiques sociales, d'autre part, la gestion de la voirie.
Etat des Communes à la fin du XIX e siècle, Vanves. Paris, Impr. Ecole d'Alembert, 1901, p. 14. L'acquisition a été autorisée par le Ministre de l'Intérieur en 1799.
En 1876, la création d'une piscine pour les entraînements de natation achève un programme de construction d'édifices sportifs engagé par Napoléon III. A Le Bas, "des piscines et des villes aux XIXe et XXe siècles", Histoire Urbaine, n° 1, juin 2000, p. 148.
Etat des Communes à la fin du XIX e siècle, Bagneux. Impr. Ecole d'Alembert, 1901, p. 11.
Etat des Communes à la fin du XIX e siècle, Montrouge. Impr. Ecole d'Alembert, 1905, p. 11.
Febvre, L. Le problème de l'incroyance au XVI e siècle. La religion de Rabelais, Paris, 1942.
de la Bedollière Emile, Histoire des environs du nouveau Paris, G. Barba imprimeur, illustrations de G. Doré, 1861.
En 1901, la commune de Vanves conserve 140 ha de propriétés non bâties pour un territoire de 243 ha, celle de Malakoff près de 200 ha non bâtis pour une superficie totale de 240 ha. La superficie non bâtie de Montrouge n'est pas indiquée avec précision. Bagneux, commune indéniablement la plus rurale, les superficies non bâties occupent plus de 90 % du territoire. Etat des communes de la Seine à la fin du XIX e siècle, un volume par commune, Impr. Ecole d'Alembert, 1901-1905.
Le seuil pour appartenir aux communes urbaines est fixé depuis 1848 à 2000 habitants aggloméré au chef lieu de la commune. Au sens statistique du terme, Vanves et Montrouge sont donc sans hésitation des communes "urbaines".
Pour pouvoir comparer, il faut additionner la population de Vanves et celle de Malakoff, distraite de Vanves pour constituer une commune de plein exercice en février 1883. Cet ensemble dépasse les 20 000 habitants au recensement de 1896.