2. la "fausse" concurrence de pratiques sociales modernes.

Les débuts de la IIIe République sont l'occasion de nombreux débats sur la question sociale et sur la gestion des secours à apporter aux plus démunis. Cette question n'est pas nouvelle, mais le second XIXe siècle se préoccupe clairement de la pérennisation de la bienfaisance, puis du passage des logiques assistantielles à celles de l'assurance. L'essor du mutualisme dans les communes de banlieue parisienne, largement concomitant de celui de l'implantation républicaine, peut laisser penser que de nouvelles pratiques sociales, tournées vers une prise en charge plus systématique des "indigents 824 ", prennent la place des anciennes pratiques, autant orientées par un désir salvateur pour l'âme des donateurs que par une empathie à l'égard des plus démunis ou par une prise de conscience de la "question sociale 825 ".

Or, si la IIIe République permet indéniablement une transformation de l'action sociale locale, cette transformation est peut être plus tardive et plus ambivalente que ce que l'on peut penser. Ainsi, la communalisation des bureaux de bienfaisance, marquée par la montée des fonds d'origine publique, apparaît comme une phase de transition forte permettant de passer d'une action sociale essentiellement privée à une action sociale prise en charge par l'Etat. Toutefois, ce dernier semble singulièrement absent de la gestion quotidienne de l'assistance, et ce jusqu'au début du XXe siècle, malgré l'existence d'un embryon de politique nationale de l'assistance 826 . Ce n'est que très progressivement que la gestion publique, toujours fondée sur l'assistance, prendra le relais des politiques communales, sans toutefois totalement éliminer des formes anciennes d'assistance, comme le mutualisme. La municipalité et les élus jouent dans cette évolution un rôle central, qui les détourne progressivement de principes conservateurs, et qui, associé à un militantisme républicain de plus en plus fort, vont transformer les pratiques sociales beaucoup plus que l'impulsion encore timide de l'Etat.

Notes
824.

Bec, Colette, Assistance et République, op. cit. p. 10. Gueslin, André. Gens pauvres, pauvres gens, op. cit. voir aussi Kott, S., L'Etat social allemand : représentations et pratiques, Paris, Belin, 1995.

825.

Donzelot, Jacques. L'invention du social, op. cit.

826.

Il est difficile de parler avant l'entre-deux-guerres, et même avant 1945, de Welfare State en France, même si certains auteurs estiment que l'Etat providence est bien antérieur au Plan Beveridge. La loi de 1898 sur les accidents du travail semble être l'amorce du passage de la logique d'assistance à celle d'assurance ; toutefois, la France est encore loin d'avoir, à la veille de la guerre, une politique sociale de l'ampleur de celle de l'Allemagne. Sur ces questions, Ewald F., Histoire de l'Etat providence, Grasset, 1996 [1986]; S. Kott, l'Etat social allemand, Belin, 1995 ; C. Bec, Assistance et République, op. cit. Dans les actes du colloque publiés sous le titre Du social dans la Ville, André Gueslin souligne aussi cette logique communale de l'assistance. Marec, Y., Gueslin, A., Le social dans la ville, op. cit. voir aussi De Luca, V. Aux origines de l'Etat providence. Les inspecteurs de l'Assistance publique et l'aide à l'enfance (1820-1930), Ined, 2002.