II- L'irruption de la "question urbaine", des années 1890 à 1914.

La gestion quotidienne par les notables municipaux des communes de la banlieue sud-ouest confirme la permanence des structures de pouvoir et de décision, tout comme la pérennité des manières de voir la ville. En effet, le discours comme l'action des notables se concentrent essentiellement sur le centre ville. Le faubourg parisien est à la fois négligé mais aussi sublimé : ce qui doit être mis en valeur, ce sont les atouts (industriels mais surtout touristiques) de ces petits villages bucoliques, proches de Paris mais aux paysages si éloignés de la turpitude parisienne. Même le lotissement de la Nouvelle Californie, si durement jugé au début du siècle par l'Archevêque de Paris, reste encore le symbole des lieux de fêtes permettant à la population parisienne de sortir guincher au-delà des fortifications. Certes, cette vision de la ville est totalement étrangère à ceux qui y vivent : le Parisien profite d'espaces moins bâtis pour se divertir, éventuellement frissonne à l'idée de côtoyer le temps d'un dimanche ces habitants des faubourgs.

L'activité des conseils municipaux est tournée vers une double série de citoyens : d'une part les citoyens du centre ville, d'autre part la population plus ouvrière des lotissements et de la périphérie. Les centres-villes accueillent une population installée souvent depuis une ou deux générations, espace socialement disparate, mais où dominent les notables enrichis par la migration. Le centre ville fait aussi la part belle aux professions intellectuelles : la présence d'un lycée à la renommée importante à Vanves attire de fait l'installation de nombreux cadres de l'enseignement. A côté de ces étrangers venus chercher dans les communes de banlieue l'attrait de la campagne, acquérant parfois de véritables maisons de maîtres, se développe un type de constructions unifamiliales s'adressant à des employés aisés 951 .

Les transformations sociologiques analysées plus haut influent à la fois sur les personnalités des élites municipales, mais aussi sur les attentes des nouveaux habitants des communes. Ces derniers, plus urbains (la migration suit le schéma développé par Gérard Jacquemet pour la période précédente ou par Alain Faure, passant de la ville centre en situation de locataire à l'achat d'un terrain en banlieue), ont une autre vision de la ville. On passe alors d'un mode de gestion locale marqué par la permanence du monde rural à un mode plus urbain : la question urbaine fait alors une irruption qualitative et quantitative dans l'espace de pouvoir que sont devenus ces communes de banlieue.

Ce monde urbain entraîne les conseils municipaux dans une intervention plus drastique en terme de politique urbaine. Le constat des dysfonctionnements du monde urbain banlieusard les amènent à envisager les réparations de cette ville souvent non achevée. Enfin, la voirie et les dessertes urbaines, déjà centrales pendant la première période, vont devenir des enjeux cruciaux du développement de la banlieue parisienne. L'extension des réseaux de tramway devient ainsi la préoccupation majeure des conseils municipaux durant les premières années du XXe siècle.

Notes
951.

Gournay, Isabelle, "Levitt France et la banlieue à l'américaine : premier bilan", Histoire Urbaine, 5, juin 2002, pp. 167-188. Selon elle, la maison individuelle américaine prendrait aussi ses sources dans les constructions de lotissements des années 20 et 30 en grande banlieue, analysées par Annie Fourcaut dans La Banlieue en morceaux. Mais il est très probable que ce modèle de pavillons, ni lotissement populaire ni lotissement aristocratique, soit beaucoup plus ancien dans ses formes urbaines. Cf. entre autres AM Vanves, projet de maisons semi-détachées par J. Dupont, architecte, la construction moderne, 1898.