3. Lutter contre l'insalubrité

La lutte contre l'insalubrité constitue le troisième élément phare de cette phase de "réparation" de la ville. La dénonciation de l'insalubrité est ancienne, et l'instauration du Conseil Supérieur de Salubrité Publique après la loi de 1850 impose théoriquement aux communes de se préoccuper d'édicter des règles sanitaires propres aux habitations, ainsi que d'en assurer le contrôle 1008 . Roger-Henri Guerrand a montré les limites de cette loi, dont l'échec est essentiellement lié à l'inapplication de l'obligation de créer des conseils locaux chargés du contrôle : si dès 1848 un Conseil d'hygiène publique et de salubrité du département de la Seine est créé à Paris et étendu en 1851 au département de la Seine 1009 , l'action dans les autres départements est loin d'être généralisée. Le contrôle et la verbalisation de l'insalubrité restent limités avant le milieu du Second Empire, et de manière diversifiée entre le département de la Seine et la Province 1010 .

Patrick Zylbermann et Lion Murard ont continué dans cette voie en parlant d'échec d'une réelle politique de santé publique dans les premières années de la République 1011 . Les rapports des conseils d'hygiène départementaux au Comité consultatif, devenu en 1906 Conseil Supérieur d'hygiène publique en France, sont inexistants ou vides : pas d'épidémie à constater, rien à signaler dans l'insalubrité des cours et des immeubles. Or ces conclusions optimistes voire lénifiantes sont en totale contradiction avec les enquêtes sociales menées dès les années 1840 et qui se multiplient dans les années 1870 : Armand de Melun, Martin Nadaud signalent le nombre effroyable de maisons sans fenêtres, l'absence de lieux d'aisance, les cours où "pourrissent de concert, ordures ménagères, fumiers animal et humain qui engraissent des porcs au groin rose. 1012 " Cette "orthodoxie du néant" est d'abord prudemment dénoncée par de nombreux médecins, suivis ensuite par des techniciens de l'assainissement et des professionnels des matériels urbains, canalisations, égouts, compteurs d'eau 1013 . Le Musée Social devient rapidement le lieu de rencontre et de diffusion des idées hygiénistes au sein des élites républicaines, reliées par de nombreuses associations 1014 .

La faiblesse et l'échec des politiques nationales, depuis la loi de 1850 jusqu'au retard pris dans l'adoption d'une loi de santé publique 1015 , qui attend 1902 pour imposer aux communes l'adoption d'un règlement sanitaire dont les effets restent limités, ne doivent pas cacher les préoccupations mise en avant par certaines municipalités de la banlieue parisienne. De nombreuses initiatives prises par les municipalités républicaines, radicales mais aussi socialistes 1016 dès la fin des années 1880 sont dans la lignée de cette logique associant œuvre médicale, foi dans le progrès des sciences et philanthropie.

Notes
1008.

Guerrand, Roger-Henri. Propriétaires et locataires. Les origines du logement social en France, 1850-1914. Quintette, 1987 (1966), p. 65 et suiv.

1009.

Guerrand, ibid., p. 100;

1010.

Guerrand, ibid., p. 197.

1011.

Murard, Lion, Zylbermann, Patrick. L'hygiène dans la République. La santé publique en France, ou l'utopie contrariée, 1870-1918. Fayard, 1996.

1012.

Murard et Zymbermann, op. cit., p. 19, à propos des cours intérieures à Marvejols.

1013.

Claude, V. "technique sanitaire et réforme urbaine : l'Association générale des hygiénistes et techniciens municipaux", in Topalov, C. (dir.), Laboratoires du nouveau siècle, op. cit. pp. 269-298.

1014.

Topalov, Christian (dir.) Laboratoires de la réforme.,op. cit.

1015.

Claude, V., op. cit. La loi de 1902 est très en retard par rapports aux voisins européens, Allemands, Anglais et Belges.

1016.

Brunet, J.-P., Un demi-siècle d'action sociale à Saint-Denis, op. cit.