Le poste des dépenses de voirie, qui regroupe de nombreux éléments 1061 , représente dans la plupart des cas un peu plus d'un quart des dépenses de fonctionnement 1062 . Deux autres postes représentent à peu près les mêmes ordres de grandeur : les dépenses d'administration générale, dont les salaires constituent une dépense essentielle, et les dépenses d'instruction publique qui continuent de représenter près d'un quart des dépenses de fonctionnement, y compris après l'instauration de l'obligation scolaire et la prise en charge par l'Etat du traitement du personnel enseignant 1063 (Voir graphique 36 ).
Le premier élément essentiel réside dans la relative stabilité des rapports entre les différents postes des dépenses communales. Peu de ruptures sont à noter entre le début de la période et la fin de la période, c'est à dire entre les budgets de 1869 et ceux de 1911. Les augmentations sont surtout sensibles pour les dépenses de police et encore pour les dépenses d'assistance, liées en partie aux lois sociales du tournant du siècle 1064 .
Cette relative stabilité dans les grands équilibres budgétaires ne permet pourtant pas de conclure à une quelconque immobilité. Elle confirme plutôt la relative timidité des effets de déconcentration des pouvoirs qu'aurait pu induire le vote de la loi municipale de 1884. Malgré des changements juridiques notables, la gestion locale reste largement marquée par des permanences : les priorités d'action accordées aux maires par la loi sont entièrement lisibles par l'importance de la répartition entre les postes budgétaires. Voirie, administration générale et instruction publique forment partout plus de 65 % des dépenses communales.
Toutefois, cette ventilation en grands postes ne permet pas de lire l'importante augmentation en volume des budgets. Ainsi, les dépenses de fonctionnement sont multipliées par 4,5 en moyenne entre 1869 et 1911, mais par plus de 6,5 à Montrouge, passant de 45 054 à 307 788 F. Même en corrigeant ces données par le chiffre de population, l'augmentation continue d'être importante, le volume des dépenses de fonctionnement pas habitants connaissant une multiplication comprise entre 1,5 et 2 1066 .
Le gommage des évolutions, lié à un regroupement par poste qui efface les diversités, oblige à observer les détails des dépenses de voirie (voir graphique 37 pour l'exemple de Montrouge). Dès lors, on s'aperçoit de l'existence de différences notables, non seulement en fonction du temps, mais aussi entre les communes. L'impression de régularité et de relative uniformité est alors remplacé par une grande diversité de situations qui oblige au recours à des sources qualitatives.
Cette répartition des dépenses de voirie fait clairement apparaître deux périodes distinctes : d'une part, au début de la période, éclairage et entretien des chemins vicinaux sont les deux premiers postes de dépenses de voirie. A l'inverse, au début du siècle, l'enlèvement des boues est passé en première position, suivi par les dépenses d'éclairage, puis par l'abonnement aux eaux et l'entretien de la voirie urbaine. Le bouleversement de l'ordre des dépenses confirme l'irruption d'une "question urbaine" dans les années 1890. La baisse du poste consacré à l'entretien des chemins vicinaux, important au tournant du siècle, confirme cette rupture. Le fait qu'à Bagneux, ce poste continue malgré tout d'être important, signale une fois encore la diversité des espaces banlieusards : les municipalités adaptent leurs dépenses aux besoins de leurs administrés, en fonction de la densification de leur réseau viaire et de leur habitat. La commune de Bagneux reste encore, au début du siècle, un petit bourg à l'écart du processus d'urbanisation rapide qui touche les trois autres communes.
Routes et chemins sont donc devenues des voies urbaines dont la municipalité prend en charge l'entretien et le nettoyage ; les communes ont vu leur population augmenter, et le bâti se densifier, imposant de fait un ramassage des ordures ménagères par les services municipaux. Dans les trois communes les plus urbanisées, Montrouge, Malakoff et Vanves, les dépenses d'enlèvement des boues se situent entre 30 et plus de 50 % de l'ensemble des dépenses de voirie. Ce poste continue d'augmenter son poids relatif jusqu'à la veille de la guerre. Le tournant du siècle est bien une période de passage au monde urbain en banlieue parisienne, ayant des implications en terme de politique locale : les nouveaux habitants qui viennent s'installer en banlieue demandent aux municipalités de prévoir une gestion de l'espace public conforme aux pratiques urbaines en vigueur dans l'espace urbain qu'ils ont jusqu'ici occupé. La proximité avec Paris et avec sa gestion moderne de l'espace public renforce certainement la demande des habitants, obligeant les équipes municipales, si elles veulent être réélues, à prendre en compte cette urbanité. Les questions d'hygiène et de salubrité deviennent des enjeux essentiels de la politique urbaine locale.
Ce passage à une politique de gestion de l'espace urbain semble encore incomplet. Certes, l'augmentation des postes consacrés directement à l'entretien ou à l'installation d'éléments de confort urbain moderne montre que la ville de banlieue s'équipe davantage en services publics au tournant du siècle. L'augmentation des dépenses d'éclairage, que celui-ci soit effectué par un raccordement au réseau souterrain ou par un équipement en lanternes autonome, donne à ces communes un caractère plus urbain qu'une décennie auparavant. La part du budget consacrée au nettoyage des rues correspond aux implications de plus en plus importantes des questions d'hygiène et de salubrité dans la gestion des villes. Cependant, l'irrégularité de l'ensemble des autres postes, en particulier celui concernant les alignements, montre les limites d'une telle gestion. Le confort urbain et l'entretien des rues sont des priorités, au détriment d'une politique de travaux et de construction de la ville. Les projets d'ensemble, l'aménagement de la ville ne sont pas encore perçus comme essentiel pour construire l'unité de l'espace urbain. Au contraire, ce sont des travaux ponctuels qui sont décidés : l'investissement urbain n'est pas encore une réalité, et les édiles continuent de réparer l'espace banlieusard, éventuellement de le conforter dans son urbanité, mais n'envisagent pas leur commune dans son ensemble, soit qu'ils ne le veuillent pas, soit qu'ils ne le puissent pas du fait de la faiblesse des budgets d'investissement.
La croissance de l'urbanisation et sa densification entraîne à la fois une augmentation sensible de la densité du bâti, mais aussi une densification du réseau de voies. Les communications avec les villes voisines et surtout avec Paris deviennent des priorités revendiquées par les municipalités, qui proposent des projets plus cohérents d'aménagement routier, dépassant la politique de "reprise" du tissus viaire existant signalé dans la période précédente. (b) De même, la voirie urbaine tend à devenir le statut général des voies de la commune, au détriment des voies rurales mais aussi des voies privées, supposant une prise en compte différente du réseau. Sans pour autant disparaître, les voies privées deviennent aussi l'objet d'attentions de la part des municipalités qui tentent de conformer les propriétaires à des usages communs de la voirie. (c).
Faute d'une normalisation, les dépenses de voirie ont été reconstituée en 8 éléments. Voir annexe méthodologique, ainsi que le projet de budget reconstitué créé par Jean-Paul Brunet pour Saint-Denis, op. cit., p. 358.
Le vocabulaire distinguant "dépenses de fonctionnement" et "dépenses d'investissement" est un vocabulaire récent, mis en place au moment de la décentralisation dans les années 1982-1983, et généralisé aujourd'hui avec la normalisation de la comptabilité communale aux norme M40.
Prost Antoine, L'enseignement en France, 1800-1967, Paris, A. Colin, 1968.
Murard, Zylberman, op. cit.. Cohen, W. Urban government, op. cit.
D'après les budgets des communes : AD Hauts-de-Seine, série DO5. AM Vanves, budgets (série L).
AD Hauts-de-Seine, DO5.
AD Hauts-de-Seine, DO5, Montrouge.