La réforme municipale de 1867 est en partie issue de travaux plus larges portant sur la décentralisation, dont le Programme de Nancy de 1865 a été un point d'aboutissement 1131 . La genèse de ce texte, entre un premier projet déposé en février 1865 devant le Corps législatif et l'adoption définitive de la loi en juillet 1867 1132 , montre toute la vigueur et les ambivalences des débats opposant partisans des libertés locales et tenants d'un jacobinisme étatique. L'extension des pouvoirs conférés aux maires, et, corollaire que les réformateurs jugent indispensables mais qu'ils n'obtiendront pas, leur élection, est défendue (pour des raisons différentes) aussi bien par les légitimistes 1133 que par les républicains 1134 : leur alliance oblige un texte de compromis qui engage les prérogatives locales sur la voie d'un plus grand élargissement des compétences.
La loi de 1867 ne prétend pas faire acte de réforme globale : ces termes ne sont d'ailleurs jamais utilisés, ni dans le rapport de la commission, ni dans le texte de la loi. Son objet est
‘"d'étendre les attributions, ou plutôt, la liberté d'action des conseils municipaux en maintenant toutefois l'action du pouvoir central, dont l'unité ne doit recevoir aucune atteinte, et en réservant, dans les limites tracées par l'intérêt des communes elles-mêmes, les garanties de la tutelle administrative qui surveille plus qu'elle n'agit 1135 "’Le principal changement de cette loi réside donc dans la définition de l'action de la Préfecture comme d'une simple surveillance a posteriori, remplaçant dans certains domaines l'obligation du contrôle. Au quotidien, les décisions communales, lorsqu'elles n'engagent pas de manière importante les ressources, ne subissent qu'un contrôle après coup, et, en cas d'absence de notification contraire au vote du conseil, la décision délibérée est adoptée : changement de taille, certes limité dans ses objets, mais qui est la base même des arguments des tenants de la décentralisation.
Bien sûr, il ne s'agit pas de passer dans un strict régime de simple contrôle de la légalité 1136 : le Préfet reste l'autorité de tutelle supérieure, et ses services n'ont jamais l'obligation de motiver en droit les décisions. Au final, l'esprit de la loi comptera au moins autant que la lettre.
La loi de 1867 "agrandi[t ainsi] la catégorie des actes communaux exécutoires, sauf avis contraire du préfet 1137 ". Le régime municipal précédent ne prévoyait que 4 actions exécutoires dès lors que la délibération n'a pas été contredite par l'autorité supérieure. Le conseil municipal dispose ainsi d'une possibilité plus large de gestion directe du patrimoine communal, incluant les réparations, l'entretien, l'assurance des immeubles, leur affectation à un service communal, la location éventuelle, voire de l'acquisition de certains immeubles, dans des proportions de dépenses limitées 1138 . Du côté des recettes, les municipalités obtiennent le droit de fixer le tarif de certaines taxes locales, telles que les droits de place lors des foires et marchés, la location de la voirie communale ou la concession des cimetières 1139 . Il peut s'agir d'une part importante du budget communal, représentant jusqu'à trois quart des taxes communales locales 1140 . De même, le législateur autorise l'utilisation "libre et entière 1141 " de l'excédent de recettes ordinaires, une fois pourvu à l'ensemble des dépenses obligatoires et honorées les dépenses facultatives votées par les conseils.
L'autorisation de fixer le montant des tarifs et la plus grande liberté dans l'utilisation des excédents reflètent un degré d'autonomie important par rapport au contrôle quasi exclusif voulu par la loi de 1837. Cela n'exclut pas la permanence du contrôle administratif. L'Etat reste maître du tarif des taxes locales les plus importantes 1143 , et, dans le cas du département de la Seine, c'est le Préfet qui fixe la répartition du contingent communal de l'octroi. Cette somme peut représenter plus de 90 % de la totalité des ressources communales 1144 . Enfin, en imposant une liste importante de dépenses obligatoires 1145 , parmi lesquelles figurent l'entretien de la voirie et les dépenses de secours, tant civils que relevant de l'assistance, l'Etat limite de fait l'utilisation des excédents de recettes. Une fois ces dépenses payées, on peut se douter qu'il ne reste plus grand chose en caisse 1146 , ce qui limite largement les possibilités d'actions indépendantes du pouvoir central et oblige de manière systématique à recourir aux fonds de secours des préfectures ou aux emprunts particulièrement surveillés par l'autorité supérieure pour pouvoir envisager l'amélioration de l'éclairage, des conditions de nettoiement de la voirie, ou le traitement d'une institutrice supplémentaire nécessaire à la création d'une classe enfantine 1147 .
Toutefois, pour faire face aux besoins d'investissement, les conseils obtiennent le droit de voter, dans des conditions strictement encadrées par le pouvoir administratif à l'intérieur d'un contingent déterminé chaque année par le Conseil Général, des contributions extraordinaires "pour les affecter à des dépenses extraordinaires d'utilité communale 1148 ". Ce recours au vote de centimes extraordinaires est une liberté nouvelle, relative car elle augmente la pression fiscale et parce que son objet reste restreint à la fois par la loi et par le contrôle du département.
Basdevant-Gaudemet B, La commission de décentralisation de 1870. Contribution à l'étude de la décentralisation en France, Puf, 1973.
Taulier, A. Code des attributions des conseils municipaux. Grenoble, Prudhomme, imprimeur-libraire ; Paris, A. Durand, libraire, 1868, 148 p, introduction.
référence aux textes du Comte de Chambord, et tout particulièrement son manifeste de juillet 1871 dans lequel il indique son choix des libertés locales..
Programme de Belleville, imprimé par l'Avenir national, 1869, cité par R. Rémond, la vie politique en France depuis 1789, Colin, 1965.
Taulier, A, Code des attributions, op. cit., 1868p. 4. (c'est moi qui souligne.)
Rappelons que l'attribution préfectorale ramenée à un simple contrôle de légalité des décisions municipales, souveraines, ne date que des lois de décentralisation de 1982-1983.
Ibidem, p. 4.
Le niveau de dépense qui ne doit pas excéder une part des revenus ordinaires de la commune, 1/10e pour les acquisitions dont le prix est cumulé avec toutes les autres dépenses votées dans le même exercice, 1/5e des dépenses ordinaires de la commune et doit rester dans la limite de 50 000 F pour les grosses réparations et l'entretien.
Taulier, op. cit., pp. 5-6.
Les taxes que peuvent fixer librement les communes étudiées représentent en 1869 représentent en moyenne 12,5 % des recettes ordinaires, mais avec un écart type de 7,85. Certains écarts sont facilement explicables : ainsi, la faiblesse des droits de voirie à Bagneux résulte de l'étroitesse du réseau de voies communales, concentrées dans le bourg autour de l'église.
Taulier, code des attributions, 1868, op. cit., p. 8, article 2.
AD Hauts-de-Seine, série DO5, budgets communaux.
Portes et fenêtres, contribution personnelle, contribution foncière et mobilière.
A Vanves, si les taxes locales votées directement par le conseil représentent plus d'un tiers des taxes communales, leur part sur les ressources ordinaires est très faible : moins de 6 % des ressources de la commune est plus ou moins contrôlé par le conseil, le reste étant soumis à l'appréciation – à l'arbitraire ? – du préfet. AD Hauts de Seine, série DO5, budget de 1869, tableau en annexe.
Voir tableau en annexe.
Cette vérification est quasi impossible sur les budgets communaux, qui, pour des raisons de comparaison entre les années, ont été remaniées selon un modèle commun qui permet une lecture comparative sur toute la période. Il n'y a pas de réel modèle de comptabilité communale, comme le prouve les budgets forts dissemblables, pourtant aux mêmes dates, entre les communes choisies. Pour ces questions, voir Brunet, J.-P., Une banlieue ouvrière : Saint-Denis, 1890-1939, Problèmes d'implantation du socialisme et du communisme, Thèse 1982, 3 vol., 1647 p., Introduction méthodologique sur analyse des budgets anciens, et Pinol, J.-L., "Villes "riches", villes "pauvres". Les finances municipales de l'entre-deux-guerres", Vingtième Siècle, Revue d'histoire, 64, octobre–décembre 1999, pp. 67-82.
D'une manière générale en comptabilité publique, les fonds destinés à des dépenses ordinaires de fonctionnement ne peuvent être distraites de cet objet et utilisées pour des dépenses extraordinaires. La création d'une école ou des travaux importants de voirie ne peuvent être engagés que sur le budget extraordinaire (de dépenses d'investissement dirait-on aujourd'hui).
Taulier, A. code des attributions, op. cit., 1868p. 4, article 3.