Le cadre parisien

La complexité du cadre légal est accentué d'une part, par l'annexion de 1860, d'autre part, parce que le département de la Seine, qui comprend Paris, est sur bien des points en dehors du droit commun. La loi du 16 juin 1859, promulguée le 3 novembre, augmente la population de Paris intra muros de près de 400 000 individus, portant sa population à plus d'1,5 millions d'habitants 1154 . L'ensemble des villages entourant Paris sont annexés à la ville, qui passe de 12 à 20 arrondissements 1155 . Certaines entités administratives changent ainsi totalement de nom, comme Montrouge intégré dans sa plus grande partie le XIVe arrondissement. Les dispositions légales transitoires et celles qui régissent ensuite la banlieue sont complexes, centrées sur les problèmes des impôts ou du paiement des taxes d'octroi 1156 . Ainsi, les commerçants qui pouvaient entreposer leurs marchandises dans la petite banlieue, comprise entre octroi et fortifications, jusqu'en 1859, sans payer de taxes, ne peuvent ensuite plus le faire. Le règlement de la Ville de Paris interdit ce type d'entrepôts sur cet espace intégré à la commune (c'est le cas des combustibles, des boissons et des denrées qui sont interdites d'entrepôt à domicile dans Paris et qui doivent être déposées dans un entrepôt municipal), ou les taxe de manière rédhibitoire. De plus, la nouvelle délimitation de Paris a pour conséquence la tenue de nouvelles élections municipales et la nomination de nouveaux maires. Alexandre Dareau, propriétaire, maire de Montrouge sous la Monarchie de Juillet, renversé par 1848 et rétabli par le pouvoir impérial en 1852, est confirmé dans ses fonctions pour le nouveau XIVe arrondissement ; le pouvoir impérial choisi son premier adjoint, Barthélemy Périer, marchand de bois 1157 , pour le remplacer sur la partie extra muros de Montrouge.

Les dispositions fiscales transitoires concernant les nouvelles limites administratives de la capitale ne posent pas de problèmes insurmontables. Par contre, le cadre légal de l'administration préfectorale de la Seine, bien antérieur à l'annexion, est source de conflits importants non seulement entre Préfecture et communes, mais aussi entre la Ville de Paris et les communes suburbaine. L'annexion de 1860, jugée pour beaucoup comme arbitraire, réduisant la prospérité des communes les plus touchées, comme c'est le cas de Montrouge 1158 , confirme l'hostilité de la banlieue face au pouvoir, réel ou supposé de la capitale. L'imbrication, dans le département de la Seine, de plusieurs niveaux de compétences, l'iniquité de la représentation des communes suburbaines au Conseil Général 1159 , renforcent les ressentiments des municipalités de banlieues contre Paris.

Cette difficulté des relations entre autorités supérieures et pouvoir municipal est accentué par l'existence dans le département de deux Préfet, celui de la Seine, chargé de toutes les questions administratives, et un Préfet de police, responsable de l'ordre public, des commissariats et de la nomination des agents de police, y compris sur les territoires suburbains comme Montrouge, retirant de fait une partie des pouvoirs de police aux maires des communes de banlieue. Les relations sont certes plus quotidiennes avec la Préfecture de la Seine qu'avec le Préfet de Police.

La confusion entre Paris et le pouvoir préfectoral de la Seine renforce encore les antagonismes entre la ville centre et ses banlieue. En ce sens, s'interroger sur les conflits, mais aussi sur les moyens modernes de régulation de ces conflits, c'est réfléchir à la permanence du paradigme "centre-périphérie" dans l'histoire de la France urbaine contemporaine.

Notes
1154.

Chiffres tirés de Jules Le Berquier, Administration de la commune de Paris et du département de la Seine, ou traité pratique des lois et règlements qui régissent à Paris et dans le département de la Seine l'administration municipale et l'administration générale, la police, le commerce, l'industrie et la propriété foncière, précédé d'une étude historique sur les institutions municipales de la ville de Paris. Paris, Paul Dupont, 1866, 3ème éd. avec supplément, 688 p. (BN, fonds Le Senne), p. 19.

1155.

Cf. J. Gaillard, Paris, la ville, (Champion 1977), réédition Paris, l'Harmattan 1994. ; Florence Bourillon, F., "Rénovation "haussmannienne" et ségrégation urbaine" in Fourcaut A. (dir.), La ville divisée : Les ségrégations urbaines en question, France, XVIIIe - XXe siècles, Créaphis, 1996, pp. 91-104.

1156.

Le Berquier, J., Administration de Paris, op. cit., p. 58-72.

1157.

Etat des communes à la fin du XIX e siècle, Montrouge, Impr. de l'école d'Alembert, 1905.Liste des maires ; AD Hauts de Seine, registres de l'état civil de Montrouge, 1857, "état nominatif des membres composant le conseil municipal de Montrouge".

1158.

AD Hauts-de-Seine, délibérations, Montrouge, janvier 1860.

1159.

Tous les conseillers municipaux de Paris sont membres de droit du Conseil Général, alors que les communes de la Seine banlieue se contentent, au début de notre période, d'un Conseiller général par canton. Il est révélateur qu'avant 1900, seuls deux Conseillers généraux représentant la banlieue aient occupé le fauteuil de Président du Conseil Général.