Enjeux et problèmes

Si la ville semble être le lieu des tensions sociales et politiques 1160 , peu de chercheurs se sont penchés sur les relations à l'autonomie administrative des villes. Or, dans la revendication d'une autonomie de gestion locale des villes, y compris des villes de banlieue, il paraît pertinent d'y déceler non seulement une volonté d'opposition sociale consciente, mais aussi une volonté politique à plus large échelle. John Merriman propose, pour une période antérieure à la nôtre, une manière de comprendre les bouffées de revendications d'autonomie face au pouvoir central, incarné le plus souvent dans le pouvoir du Préfet. Bouffées, car pour lui il s'agit essentiellement de manifestations sporadiques marquées par la conscience plus ou moins forte de la dépendance au centre de certaines municipalités. Toutefois, en recherchant essentiellement dans des explications d'ordre sociales ou culturelles les possibles raisons de ces manifestations d'autonomie, on assimile la genèse de la revendication d'une autonomie politique du local à une forme primaire de l'expression politique, la révolte. Or, dans le combat qui opposent bourgeois et nobles à Poitiers, catholiques (ouvriers) et protestants (bourgeois) à Nîmes, il est possible de lire autre chose qu'une simple manifestation épisodique et violente d'une lutte des classes qui tairait son nom.

La fin du XIXe siècle, surtout dans la région parisienne, éloigne pour u temps la revendication populaire politisée et les manifestations violentes du langage politique et social 1161 . La peur de la répression liée à l'épisode de la Commune marque profondément à la fois les acteurs politiques et la population. Cette répression sanglante va ainsi brider pendant longtemps les revendications plus policées d'autonomie politique des communes de la banlieue, rejetant l'idée de décentralisation du côté de l'interdit politique. Les municipalités de la Seine banlieue, muselées et strictement encadrées, ne peuvent revendiquer l'autonomie de leurs compétences communales et une libéralisation de la pression administrative exercée par la Préfecture, car ces revendications sont prises entre deux écueils : l'accusation de monarchisme (le thème des franchises et des libertés municipales ne sont-elles pas reprises par les mouvements monarchistes dès 1871 1162 ?) et celle de "socialisme révolutionnaire", devenu suspect aux yeux du pouvoir central.

La quinzaine d'années qui suit la répression de la Commune est donc cruciale pour comprendre l'impossible revendication d'autonomie communale. Dès lors, c'est autour d'autres lieux de pouvoir, avec d'autres formes de régulation que ces revendications d'autonomie verront le jour. Le discours politique policé des communes de banlieue confirme l'importance à la fois des ressentiment contre Paris et la Préfecture, et le tournant du siècle sera l'occasion d'inventer, grâce à l'intercommunalité, un moyen légal de s'opposer aux volontés hégémoniques – ou supposées telles – de la capitale.

Notes
1160.

Pinol, Jean-Luc, le monde des villes au XIX e siècle. Paris, Hachette, p. 204 et suiv.

1161.

A contrario, les luttes syndicales et les grèves, circonscrites à des revendications dans le monde du travail – même si cette séparation semble en partie rhétorique – vont rapidement prendre de l'ampleur. La chute de la Commune décapite le mouvement révolutionnaire socialiste pour une dizaine d'année, et renvoie certainement progressistes et socialistes français dans une lutte légale à l'intérieur des champs balisés de la politique institutionnelle. Pour les grèves et manifestations, Cf. Perrot, M., Jeunesse de la grève: France, 1871-1890, Seuil, 1984 [1971], et, sur les manifestations de rue, Tartakowski, D. Le pouvoir est dans la rue : crises politiques et manifestations en France, Aubier, 1998.

1162.

Manifeste du Comte de Chambord, 5 juillet 1871.