Placée ainsi à l'épreuve des faits, la gestion des conflits ne semble guère être favorable aux communes lorsque celles-ci restent dans le strict cadre local. Les élus des conseils municipaux le voient bien, estimant le pouvoir administratif de la Préfecture comme arbitraire, et soulignant la différence de traitement qui a lieu dès lors qu'un élu local est aussi représentant au Conseil général. Le morcellement du nombre de communes sur le département de la Seine, le nombre restreint des représentants des communes de banlieue au Conseil général confirment le faible poids des avis et propositions de la banlieue face aux intérêts de la ville-centre. Cette spécificité hors du commun du département de la Seine renforce logiquement la légitimité d'utiliser d'autres moyens de régulation des conflits que ceux dépendant du Conseil général ou de la cour d'arbitrage de la Préfecture 1281 . Les élus municipaux dénoncent ainsi non seulement l'arbitraire préfectoral mais aussi la prétention parisienne à dominer le Conseil général, et demandent systématiquement que ce dernier revienne dans le droit commun.
De fait, le Conseil général de la Seine ne semble pas être le lieu idoine pour régler les conflits de compétences et d'action surgissant entre autorités administratives comme, éventuellement, entre communes. Le rapport de force continue d'être souvent favorable à la Ville de Paris, malgré l'action de plus en plus en forte des Conseillers généraux élus pour la banlieue. Dans ce contexte, les communes de la banlieue de Paris vont, à l'initiative conjointe des Conseillers généraux du canton de Sceaux et des maires de communes de Bagneux et de Vanves, lancer un nouvel objet juridique, prévu par la loi, pour être le lieu de régulation des conflits touchant à la distribution du gaz en faveur des communes de banlieue.
La création d'un syndicat intercommunal, regroupant des communes membres dont la particularité sera d'être "de banlieue 1282 ", apparaît comme un outil juridique, c'est-à-dire technique, en réponse à une situation monopolistique concernant la distribution du gaz particulièrement désastreuse pour la banlieue parisienne. L'opportunité sera donnée par l'expiration du Traité du gaz liant la Ville de Paris et la Compagnie parisienne du gaz en 1905. Les élus parisiens lancent depuis le milieu des années 1870 une fronde contre ce monopole et demandent régulièrement l'abaissement du prix du gaz. L'élection en 1904 d'une majorité républicaine radicale à Paris 1283 permet la dénonciation du Traité et l'application d'un nouveau système d'approvisionnement du gaz édifié par les élus de la Ville de Paris pour la commune. Dès lors, les élus de banlieue vont se saisir de cette opportunité pour faire valoir leurs droits en matière d'éclairage urbain.
Cette initiative banlieusarde a très certainement un caractère exemplaire. Non qu'elle soit la première du genre : les syndicats de communes sont autorisés sous cette appellation par une loi de 1890, qui reprend des possibilités d'association pour des objets municipaux rendus déjà possibles par une loi de 1837. Au tournant du siècle, alors que l'idée de mise en place de régies municipales fait son chemin, la concession de service public s'élargit et devient un règle de jurisprudence dans le droit administratif. Or, pour encadrer ces concessions de services publics, la loi prévoit l'existence d'un interlocuteur représentant la commune : le syndicat de communes se substitue aux délégués d'une seule commune. En France, les syndicats intercommunaux ne sont pas nombreux avant 1914. Certains toutefois existent depuis longtemps, comme celui créé à Saint-Amand-les-Eaux pour gérer l'exploitation des sources et la distribution de l'eau potable entre quelques communes. En région parisienne, la loi de 1905 obligeant les communes à prendre en charge les enterrements, un syndicat intercommunal des pompes funèbres est créé, à l'instigation de la Préfecture. Son histoire reste encore à faire 1284 .
C'est ainsi qu'au tournant du siècle est mobilisé un outil juridique novateur, l'association communale, pour assurer la gestion de la concession d'un service public industriel, en faveur de communes de banlieue qui jusqu'ici étaient autant d'individualités isolées face au monopole des compagnies gazières. Cette initiative est essentielle car elle traduit largement une idée de résistance à la puissance du "centre", que celui-ci soit incarné par les service de la Préfecture de la Seine, par les services techniques et élus de la Ville de Paris ou par la domination économique des sociétés gazières.
Les édiles banlieusards ne s'y trompent pas : "eau et gaz à tous les étages", ce slogan apposé sur de petites plaques bleues sur les immeubles parisiens est synonyme de confort urbain. Au tournant du siècle, on est loin d'un éclairage public gazier limité aux seuls lieux luxueux fréquentées par une clientèle bourgeoise, comme le sont les premiers espaces publics éclairés par la flamme du gaz de houille. Paris a d'abord éclairé le quartier des théâtres, Londres celui des sorties mondaines. La lumière, qu'elle soit produite par la combustion du charbon ou par l'électricité, est devenue une norme urbaine de confort et non plus un luxe. Permettre la généralisation de la diffusion y compris dans les communes de banlieue, sous-équipées jusqu'ici, confirmerait l'entrée dans la modernité de ces petites communes. Or, pour discuter d'égal à égal avec les sociétés gazières, il faut soit être de la taille de la Ville de Paris, et proposer un marché de plus d'un million de consommateurs potentiels, soit être condamné à l'obscurité. Pour s'en échapper, l'union des communes a ainsi permis de créer un marché économiquement viable pour une société industrielle capitaliste.
Avant de décrire et d'analyser la manière dont s'est créée cette première association de communes à l'initiative venant d'en bas, il convient de revenir sur le constat du sous-équipement chronique de la banlieue parisienne en regard de la modernité urbaine de l'époque, et en réponse encore une fois à Paris qui apparaît comme un modèle et comme la cause des dysfonctionnements banlieusards.
Le Conseil de Préfecture est ainsi amené à juger une partie des litiges de droit administratif mettant en cause les communes.
Le syndicat intercommunal sera aussi interdépartemental, puisque des communes de Seine-et-Oise se joindront aux premières communes adhérentes, situées dans la Seine banlieue.
Combeau Yvan, Paris et les élections municipales sous la Troisième République. la scène capitale dans la vie politique française, Paris, L'Harmattan, 1998
Quelques thèses sur le sujet ont été soutenues et publiées avant 1945. (voir Bibliographie, ouvrages imprimés à caractère de sources), dont une thèse de sciences politiques et économiques sous la direction de W. Oualid : G. Bouly, les associations de communes pour la distribution du gaz, de l'eau et de l'électricité dans le département de la Seine. 1927, 175 p. R de Grandmaison, les associations de communes, Paris, 1921 (thèse de droit). Peu de chose sont parues en dehors de textes juridiques sur l'intercommunalité.