La diffusion de l'éclairage – quelque en soit le mode de fonctionnement – apparaît comme un critère d'urbanité essentiel. L'éclairage public des rues est le premier a être mis en place, de manière assez précoce. Les techniques d'éclairage sont anciennes, et, en dehors des rues principales qui adoptent le gaz pour des réverbères indépendants les uns des autres, ce sont le plus souvent des lampes à huile qui continuent d'exister. La généralisation de l'éclairage urbain au gaz dans les grandes villes française date du milieu du XIXe siècle, et Paris (avec Marseille) reste un précurseur avec l'éclairage du Passage des Panoramas en 1816, et des grands boulevards en 1837. Rapidement, ce sont les rues principales les voies d'accès très fréquentées et les lieux des sorties qui sont éclairés. Cet éclairage public met en avant les lieux centraux imposés par la bourgeoise. Malgré ces progrès, la voirie secondaire parisienne reste longtemps plongée dans la nuit 1285 .
A côté des rues et voies publiques, les intérieurs, y compris dans la bourgeoisie, continuent d'être des lieux et recoins sombres. La généralisation de l'électricité y sera bien plus tardive que dans l'espace public, condamnant les salons au gaz et les pavillons de banlieue le plus souvent à la lampe à pétrole, quand il ne s'agit pas de la lampe à huile 1286 . Les logements bourgeois parisiens adoptent l'éclairage au gaz, mais de manière très progressive : 1500 abonnés au gaz en 1828, 95 000 en 1872, 320 000 à la fin du siècle 1287 . La lampe à huile continue d'être le lot commun de la majorité des habitants.
Dans ce contexte de généralisation de l'éclairage, qui touche en premier lieu les espaces publics (et toutes les formes d'espaces publics : bals, cafés et cabarets sont aussi les fers de lance de cette modernité), le combat entre gaz et électricité va rapidement être un élément fondamental. Entre Haussmann qui ne prévoit que l'utilisation du gaz dans ses projets de rénovation urbaine, et un architecte novateur comme Horeau qui en 1868 déjà prévoit "l'avenir de l'électricité 1288 ", se lit une forme d'opposition entre anciens et modernes. Il est intéressant de souligner qu'au tournant du siècle, la banlieue parisienne va prendre le parti du "tout-au-gaz", alors même que la distribution de l'électricité commence à se généraliser dans de nombreuses villes : forme de dépendance, forme de "ringardise" ou tout simplement décalage dans le temps entre Paris et sa banlieue se trouvent confirmés par ces choix, peut être pas totalement voulus, en tout cas imposés largement par les entreprises privées.
Au final, production et distribution du gaz de houille connaissent dans l'environnement urbain une longue période de quasi monopole. Soutenue au départ par de grands intérêts financiers, la distribution gazière continue son œuvre et généralise la distribution d'un modèle de confort urbain à la veille de la guerre alors même que le prix du gaz tend à se renchérir du fait des débuts de contraction du marché de la houille et que l'électricité apparaît comme un modèle de progrès.
Comment se diffuse cet éclairage en banlieue parisienne ? Ce n'est pas tant la généralisation d'un modèle urbain (qui sera plus largement analysé en partie 3) que l'utilisation d'un outil juridique nouveau et novateur qui est important. A une époque où produire et distribuer le gaz ne posent plus de réels problèmes techniques, les communes de la banlieue de Paris décident de s'organiser et de se coaliser pour s'opposer à deux pouvoirs qu'elles jugent arbitraires : celui des compagnies gazières, et tout particulièrement de la Compagnie parisienne du Gaz, qui détient depuis 1855 le monopole de la distribution à Paris, et celui de la Ville de Paris qui tente d'imposer sa volonté de devenir affermeur du gaz non seulement à son profit, mais aussi envers la banlieue.
Delattre Simone, Les douze heures noires. La nuit à Paris au XIXe siècle, Paris, A. Michel, 2000.
Martin-Fugier, A."les rites de la vie privée bourgeoisie", in Ariès, dir. Histoire de la vie privée, tome 4, p. 191, 1999 (1987).
Martin-Fugier, A. op. cit.. Williot, Jean-Pierre, la Compagnie parisienne du gaz de Paris, 1855-1905. Ed. rive droite, 1998. Besnard, H. L'industrie du Gaz à Paris depuis ses origines, Paris, Domat-Montchrestien, 1942, p. 87.
Horeau, Hector, "Assainissement, Embellissements de Paris ou Edilité urbaine mise à la portée de tout le monde", La Gazette des architectes, 1868, cité par Françoise Choay, "pensées sur la ville, arts de la ville", in Agulhon, dir., la ville de l'âge industriel, op. cit., p. 193.