En 1855 est signé l'acte de naissance de la Compagnie parisienne du gaz, issue de la fusion des six compagnies existant jusqu'ici 1289 , avec pour objet de prendre seule en charge la production et la distribution de gaz à la Ville de Paris. Le monopole gazier était né dans la capitale, très largement soutenu par l'Etat. Toutefois, la présence des banques d'affaires, et tout particulièrement des frères Pereire 1290 , dans le montage financier de la compagnie témoigne de l'investissement coûteux que représente cette industrie, mais aussi du fait qu'elle soit déjà rentable. Il ne s'agit pas d'un risque industriel majeur pris par les actionnaires. Paradoxalement, cette situation de monopole affecte aussi l'ensemble du réseau, la distribution et la production du gaz hors des limites administratives de Paris, en petite banlieue comme dans les communes situées au-delà des fortifications. L'une des clauses du traité de monopole prévoit en effet la suppression des usines à gaz situées intra-muros 1291 et leur remplacement progressif par de nouvelles unités, aux capacités accrues de production, à la condition de les installer hors-les-murs : Paris refuse d'accueillir encore en plein centre ville ces usines malodorantes et extrêmement dangereuses 1292 . Les compagnies n'avaient pas attendu le Traité pour déjà délocaliser hors des barrières de l'octroi : en 1835, la Compagnie française a construit une usine à Vaugirard ; en 1837, la Compagnie d'éclairage par le gaz installe à Ivry, route de Choisy près de la barrière d'Ivry, une usine moderne 1293 . L'intérêt est simple, puisque les compagnies ne paient ainsi aucun droit d'octroi sur la houille utilisée pour fabriquer le gaz.
C'est ainsi qu'à la fermeture des usines historiques, nées à la fin du XVIIIe siècle intra-muros, se substituent un nouvel élément du paysage urbain en dehors de Paris : l'usine à gaz. Ivry, Vaugirard, les Ternes dans les années 1830, puis de plus en plus loin, Maisons-Alfort en 1862, Clichy en 1880 et dans la Plaine Saint Denis en 1889 se dotent de telles installations 1294 . Pour rentabiliser la création du réseau de canalisation maîtresses menant à Paris, la Compagnie du gaz propose aux communes situées à proximité des usines de profiter du réseau gazier : ainsi s'explique l'extension, limitée et très lente, du réseau au-delà des fortification à partir des années 1860.
Par ailleurs, une autre raison de l'existence d'un embryon d'éclairage au gaz dans les rues de banlieue avant 1880 tient dans l'obligation faite à la Compagnie parisienne, par le Traité de 1855, de racheter l'ensemble des avoirs et de continuer les traités déjà signés avec les petites compagnies de gaz fusionnées. Certaines d'entre elles, les plus petites, se sont positionnées sur des marchés peu importants en volume mais potentiellement intéressants, et surtout vierges de toute concurrence : celui des communes suburbaines. C'est ainsi que la commune de Vanves a signé en 1847 un traité du gaz avec "Messieurs Larrien, Brunton, Pilté et Compagnie 1295 ", absorbée par la Compagnie parisienne et dont les clauses passent automatiquement dans le giron de cette dernière en 1855. En 1864, la municipalité accepte de signer un avenant au Traité avec la Compagnie parisienne parce que cette dernière "offre sur le prix du gaz employé des avantages réels sur le premier traité 1296 ". Montrouge est liée dès le début à la Compagnie parisienne. Elle dispose très tôt d'un éclairage au gaz dans la rue principale : il en est fait mention dès 1829 1297 , ce qui est extrêmement précoce si l'on n'oublie pas que la première expérience profitable d'éclairage à Paris a eu lieu en 1816, passage des Panoramas, et que les Boulevards parisiens n'ont été éclairés au gaz qu'en 1837 1298 … Mais cette rue se situe dans la partie annexée de la commune. L'arrivé du gaz dans la partie hors les murs prendra plus de temps, puisqu'il est question d'un simple éclairage au gaz de la rue principale et du centre ville au milieu des années 1860. L'extension du réseau connaît bien un ralentissement important à cette période.
Les raisons de cet arrêt des investissements d'équipement gazier hors les murs sont connues : l'annexion des communes de petite banlieue, comprises entre l'ancienne enceinte des Fermiers généraux et les fortifications, s'accompagne d'un avenant au Traité de concession très avantageux pour la Ville : la Compagnie est alors obligée d'équiper à niveau égal, à ses frais, les communes annexées. L'essentiel de l'investissement sera supporté par la Compagnie, moyennant l'apport d'un marché captif extrêmement important. Le rattrapage en équipement de la petite banlieue se fait indéniablement au détriment des communes suburbaines. De plus, la faiblesse de la consommation publique en banlieue, alors qu'une partie seulement de la voirie est empierrée et que dominent des situations de voies privées, explique la réticence de la Compagnie a équiper les rues, sans être certaine d'un retour rapide sur investissements 1299 . La consommation privée augmente certes à un rythme rapide à Paris, mais peu de ménages sont encore disposés à équiper leurs habitations, alors que même intra muros, on compte au début des années 1870 à peine deux à trois logements équipés par le biais des colonnes montantes, installées essentiellement dans les nouveaux immeubles prévoyant le "gaz à tous les étages" 1300 .
Williot, J.-P. la Compagnie parisienne du gaz, 1855-1905. Ed. Rive Droite, 1998. Williot, "réseaux urbains, monopole industriel et demande sociale – l'énergie gazière à Paris au XIXe siècle" thèse, 1995, (Caron) Paris IV. Williot, Jean-Pierre. la Compagnie parisienne d'éclairage et de chauffage par le gaz. Maîtrise, Université Paris IV, (F. Caron), 1983. Barjot, dir. Histoire de l'énergie, XIX e -XXe siècle. Beltran Alain, La fée et la servante : la société française face à l'électricité, XIXe–XXe siècles. Paris, Belin, 1991.
Williot, op. cit.. Les frères Pereire apportent 15 millions de francs à la constitution de la nouvelle société. On retrouve systématiquement les banques d'affaires dans la création des sociétés gazières, comme le Crédit Commercial et Industriel et la Banque de Paris et des Pays-Bas qui sont présentes dans la création de la société ECFM en 1903. voir infra.
Les premières usines à gaz se situaient en plein cœur de Paris : l'usine de la Cie royale, créée en 1819 avec les subsides personnels de la Liste Civile du Roi, se trouvait rue de la Tour d'Auvergne. Besnard, H. l'industrie du gaz à Paris depuis ses origines. Domat-Montchrestien, 1942, p. 18-20.
Besnard, l'industrie du gaz, op. cit.. p. 67, Traité de 1865.
Besnard, op. cit., pp. 21-22.
Besnard, op. cit., p. 80.
Il s'agit de la Compagnie française. Aude-Fromage, P., ECFM; Société d'éclairage, chauffage et force motrice, 1906-1945, Maîtrise, Paris-10, 1985 (Lévy-Leboyer).
AM Vanves, délibérations, 1863-1873, séance du 10 février 1864.
Etat des communes à la fin du XIX e siècle, Montrouge, 1905, p. 24.
Lavedan, P., Histoire de l'urbanisme à Paris, coll. Nouvelle Histoire de Paris, Paris, 1993; Yves Lequin, "les citadins et leur vie quotidienne", in Agulhon, dir., La ville à l'âge industriel, le cycle haussmannien, Le Seuil, 1998, p. 330 (1983).
C'est le cas à Bagneux en 1898. réponse du Directeur de la Cie parisienne du gaz à une demande d'abaissement de tarif, impossible du fait de la faiblesse du nombre des abonnés (à peine 15 % de la population), AM Bagneux, délibérations, mai 1898.
Besnard, op. cit., p. 84. (11400 abonnés pour 4556 colonnes montantes) ; en 1875, le nombre d'abonnés sur colonnes montantes ne correspond qu'à 1/5 du total des abonnés.