3. le champ du politique

Après le discours savant sur la ville, produisant de fait des modèles sociaux et architecturaux spécifiques, le discours technique essentiellement issu de l'administration préfectorale et de ses ingénieurs, la ville imaginée par les élites locales s'inspire aussi, de manière plus tardive, des messages politiques.

Certes, les partis politiques construisent eux-mêmes leurs programmes à partir de la pensée savante et technique ; ils reprennent largement, par exemple, le discours hygiéniste, et lui permettent de quitter le cercle du savoir pour entrer dans celui des réalisations, grâce en général aux réseaux humains formés par ces hommes de la réforme et dont beaucoup participent aussi au monde politique. Le recrutement extrêmement varié 1424 du Musée social confirme cette interrelation entre les différents champs.

De fait, il m'a semblé inutile de rechercher toutes les traces des éléments du discours politique national à travers la production des municipalités et des élites locales. L'absence d'archives privées tout comme de personnalités ayant un rôle d'envergure national confirme ce choix. Par contre, il s'agit de sélectionner, dans le discours politique, les éléments traitant de la ville, du modèle urbain et/ou du rôle des maires, et de voir ensuite la manière dont les maires de banlieue intègrent ou non des éléments du discours politiques, cette intégration étant de fait un bon indice de politisation du recrutement édilitaire, dont on a précédemment vu la difficulté de le mesurer. Vu l'immensité de la tâche, deux moments m'ont semblé particulièrement révélateurs d'une éventuelle politisation : d'une part, autour du combat pour la laïcité, qui se joue au niveau communal sur l'école, élément de la centralité urbaine, et sur l'église – dont le rôle comme élément phare d'un centre ville doit être analysé ; d'autre part, le discours politique sur l'enfance, discours qui permet d'opposer un discours de droite qui serait plutôt favorable à l'attention portée à une vision charitable de l'action sociale communale, et un discours plus progressiste, de gauche, qui met en avant des réalisations communales pour le plus grand nombre, sous entendu les plus démunis, et met en place les premiers éléments de l'aide sociale à l'enfance. (ss partie 2). Ce choix est restrictif, mais, au vu des délibérations des conseils municipaux, il paraît refléter deux des grands thèmes de la politique nationale du tournant du siècle, s'incarnant dans le combat laïc et républicain plus ancien pour le premier 1425 , et témoins des débuts du droit social en France de l'autre 1426 .

Notes
1424.

Horne J. "L'antichambre de la Chambre : le Musée social et ses réseaux réformateurs, 1894-1914", in Topalov, C. (dir.), Laboratoires du nouveau siècle, op. cit., pp. 121-140 Horne J., A Social Laboratory for Modern France : The Musée Social and the rise of the Welfare State, Durham, Duke University Press, 2002.

1425.

Berstein, S., Rudelle, O. (dir.) Le modèle républicain. Puf, 1992. Berstein, S., Winock, M. (dir.), l'invention de la démocratie, Seuil, 2002.

1426.

De Luca Virginie, Aux origines de l'Etat providence. Les inspecteurs de l'Assistance publique et l'aide à l'enfance (1820-1930), Ined, 2002 ; Luc J.-N., l'invention du jeune enfant au XIXe siècle : de la salle d'asile à l'école maternelle. Belin, 1997, 511 p. ; Rollet-Echalier, Catherine, Les enfants au XIX e siècle, Hachette, 2001, 264 p.