La demande d'équipement en transport en commun permet de comprendre la manière dont les édiles et, en partie, les habitants, se représentent la position géographique de leur commune 1607 . Toutefois, les projets ne sont que rarement de l'initiative communale. L'absence de vision globale d'aménagement urbain à l'échelle régionale confirme les faibles possibilités d'action des communes sur ce point. Les maires ne sont que le relais local des conseillers généraux et surtout des services techniques de la Préfecture, et ils n'ont de voix consultative que lorsque leur territoire est en jeu : la coopération entre les communes de banlieue, initiée pour la gestion du gaz dès 1901, fait réellement figure de nouvelle manière de concevoir l'action locale, plus moderne et plus globale que ce que révèlent les débats des conseils municipaux 1608 .
Pourtant, il existe quelques délibérations proposant des projets dépassant l'intérêt des seuls habitants de la commune et envisageant –par le discours du moins-, l'aménagement à une échelle plus large. Le faible nombre de ces projets et la personnalité des rapporteurs confirment toutefois que l'action municipale ne dépasse que très rarement l'échelle communale ; mais leur simple existence peut être aussi l'expression d'une nouvelle manière de concevoir une partie de l'aménagement de la région parisienne, vision plus globale et dépassant l'esprit de clocher encore par ailleurs nettement présent.
Camille Maugarny, militant socialiste et conseiller municipal de Bagneux, propose ainsi en 1913 un étonnant rapport sur l'absence de voies de communication d'intérêt local traversant la commune, et invite le conseil à se prononcer sur un projet ambitieux aux vertus économiques intéressantes. Il s'agit de créer de toute pièce une nouvelle route départementale, droite et directe, reliant Paris à Sceaux en passant par Montrouge et le centre de Bagneux. Le tracé exact importe peu 1609 , à l'inverse des arguments avancés pour estimer qu'il est de l'intérêt du "développement de l'ensemble de la commune, de sa prospérité" de créer une telle voie. Celle-ci devrait ainsi doubler la nationale 20 en traversant "la plaine de Bagneux", dépourvue jusqu'ici d'un "chemin en état de viabilité", permettant une nouvelle liaison nord-sud. Cette nouvelle voie, en coupant "[les] chemins ruraux, permettrait de les mettre par fraction en état de viabilité et encouragerait l'initiative privée [de construction] […]. La commune, par cette grande voie centrale attirerait sur son sol un plus grand nombre d'habitants aisés 1610 ". Le point de départ, au carrefour entre la route stratégique et la rue de Paris, serait d'autant plus intéressant que, selon le rapporteur, il est question "d'y prolonger la ligne 4 du métropolitain 1611 ". L'objectif est clair : il s'agit de dynamiser la construction de lotissements privés en bordure de cette nouvelle route, d'attirer davantage de commerces et d'industries sur le territoire. Selon le rapporteur, la commune a en effet souffert de son enclavement et des amputations successives de son territoire, en 1840 pour construire le fort de Montrouge, en 1884 pour créer le Cimetière Parisien qui ferment au Nord l'accès à Paris. C'est la liaison avec Paris qui est une fois encore envisagée, parce qu'elle correspond aux besoins de habitants et au schéma de développement de cette banlieue.
En complément des nombreuses délibérations demandant le prolongement des tramways jusqu'à la Porte sud du Cimetière et jusqu'au centre du bourg, l'équipe municipale propose un projet routier nettement plus ambitieux. Il s'agit de remédier à l'absence de développement d'une commune où "entrepreneurs et commerçants végètent lamentablement dans une localité où leurs activités ne peut s'exercer, […] dans une localité sans commerce, sans moyen de transport économique". Créer une nouvelle voie dans la plaine de Bagneux encouragerait ainsi "les propriétaire à s'y raccorder en ouvrant des rues d'une largeur plus grande que celle qu'ils ont donné aux impasses établies" ; en lui "imposant une largeur de 18 mètres, on la destine à recevoir une circulation importante et à être probablement munie à l'avenir d'une ligne de tramways". Le projet semble donc cohérent et dépasser le regard uniquement balnéolain. Pourtant, ce projet a un coût estimé à 1 million 200 000 francs ; la part revenant à la commune de Bagneux s'élève à plus de 830 000 francs. Les finances communales ne peuvent supporter une telle charge, et le rapporteur estime qu'il est "du devoir de l'administration départementale de régulariser le développement de la Banlieue parisienne et qu'il faut l'inviter à titre un parti avantageux de notre vaste plaine située à proximité de Paris".
Ce projet de grande ampleur semble être d'initiative communale, ce qui est une nouveauté dans la manière de concevoir l'aménagement des dessertes routière d'une commune ; bien qu'ambitieux dans son coût et moderne dans son appréhension de l'espace d'une manière globale, il reste conforme à une vision radiale de la banlieue parisienne et ne transforme pas le regard porté par les édiles sur le rapport à la capitale. Le développement économique viendra en effet des opportunités foncières nées d'une infrastructure de qualité, permettant des liaisons rapides avec la ville centre : c'est à ce prix que les entreprises seront créées sur les territoires des communes de banlieue, le plus souvent par départ du centre de Paris où la pression foncière devient trop importante pour permettre un agrandissement significatif des ateliers 1612 . A travers ce projet, on peut voir la permanence du modèle de développement économique des faubourgs, qui a largement entraîné la prospérité des arrondissements de la petite banlieue de Paris. En ce sens, il ne propose pas un autre modèle de développement et considère que l'attrait des communes de banlieue vient des possibilités de lotissement et donc de la spéculation foncière possible pour les investisseurs 1613 . L'espace urbain banlieusard ne semble alors définitivement devoir son salut qu'aux lotissements bon marché…
De fait, ce projet – encore une fois, le seul de cette envergure défendu en conseil municipal – montre plus la permanence dans l'action locale qu'un réel changement. L'innovation et la modernité viennent davantage de l'initiative communale, et du rôle de régulateur et d'équité financière demandé à l'administration préfectorale. Pour le reste, il continue de prévoir le développement d'une commune de banlieue dans sa dépendance à Paris, et de concevoir la richesse communale par l'augmentation de la population –c'est-à-dire sous la forme du lotissement. Enfin, ce projet, malgré son ampleur, reste local et ne prévoit qu'aux marges un développement concerté des communes avoisinantes. Construire la ville reste une affaire d'agent voyer et d'architectes, plus que d'urbanistes peu présents dans les délimitations de ce projet. Il confirme le rôle central accordé au tracé viaire au détriment du bâti dans la perception de l'espace urbain au-delà des fortifications.
Certaines délibérations semblent s'appuyer sur des pétitions d'habitants, dont la trace n'a pu être retrouvée
Il est clair que les élus sont corsetés dans leurs décisions par la faible étendue de leurs compétences juridiques et par l'omniprésence des services techniques de la Préfecture de la Seine. L'importance des débats traitant de questions régionales au Conseil général de la Seine, où une grande partie des élus sont ou ont été des élus locaux, tempère cette impression de manque de démocratie dans la gestion locale.
La voie ne sera pas créée telle quelle avant 1914 [Archives CCIP] mais connaîtra un début de création sous le nom de départementale 77, avec des variantes par rapport au premier projet.
AM Bagneux, délibérations, séance extraordinaire du 29 avril 1913, rapport de C. Maugarny sur le projet d'une route départementale de Paris à Sceaux. 8 feuillets d'une écriture serrée. Toutes les citations utilisées sur ce projet viennent de ce long rapport.
Camille Maugarny indique cette possibilité, tout en estimant que le projet n'est pas abouti. Il n'avait pas tort, puisque ce projet parcourt tout le XXe siècle, l'aboutissement du prolongement de la ligne 4 au-delà de la porte d'Orléans étant prévu pour… 2007 à la mairie de Montrouge !
Faure, dir. Les premiers banlieusards, op. cit.
Un conseiller municipal rappelle à Camille Maugarny son appartenance au socialisme, et estime qu'en défendant un tel projet qui donnera une forte plus-value aux terrains et dont le profit immédiat ira aux propriétaires, il se met "en contradiction avec ses principes".