Conclusion du chapitre 5

La ville de banlieue est ainsi lue par les édiles en fonction d'un modèle parisien d'urbanité. La distance est alors grande entre le morcellement de l'espace urbain banlieusard et celui, policé, du centre de Paris. Car le modèle de référence n'est pas à rechercher dans les quartiers excentriques de Paris, ces quartiers ouvriers de la "petite banlieue" dont on a vu la proximité avec les communes hors les murs : le modèle de construction de la ville est bien celui de la ville haussmannienne, des quartiers centraux et non de la périphérie.

Cette prégnance d'un seul modèle urbain montre aussi la faible pénétration des modèles étrangers, et particulièrement européens, dans la gestion de la ville. Aucune délibération ne fait référence à la gestion moderne de la ville ou des banlieues dans les grandes capitales voisines, Londres, Berlin, Bruxelles, alors que, par ailleurs, on sait l'importance des voyages d'étude et des interrelations entre maires de villes de plus grande importance, en particulier au sein de l'Union Internationale des Villes. Les communes de banlieue pensent leur aménagement à l'aune d'un modèle parisien, et leurs édiles sont en retrait dans les réflexions sur la réforme urbaine qui se développent au même moment.

Dès lors, est-il possible de parler des communes de la banlieue parisienne comme des laboratoires locaux de la réforme, d'en faire un échelon où s'expérimentent les pratiques réformatrices engagées chez les intellectuels dès les années 1880 ? Avant 1914, les édiles banlieusards semblent certes touchés par les thématiques de la réforme, mais plus par leurs avatars normatifs ou discursif que l'on retrouve dans le vocabulaire des agents techniques de la Préfecture de la Seine que par des idées novatrices venues, par exemple, des cités-jardins d'E. Howard. La réforme urbaine s'installe certes en banlieue, mais elle n'est encore que balbutiements, et les pratiques urbaines sont marquées par une forme de conservatisme sans invention, que l'on retrouve avec la primauté du modèle de pavés et de réverbères parisiens systématiquement installés dans les rues nouvellement équipées du confort moderne. Finalement, faute d'une personnalité telle qu'Henri Sellier, la banlieue d'avant 1914 reste encore marquée par ces formes de conservatismes. Pourtant, dans la manière d'imaginer la ville qu'ils sont en train de construire, et non plus simplement de repriser, les édiles banlieusards témoignent d'une conscience de l'importance des réformes.