Imaginer la banlieue comme un espace festif peut paraître comme une provocation ; or, les archives municipales l'attestent, le local est bien l'espace de la célébration du vivre ensemble, selon des modalités qu'il faut certainement décrypter. Les fêtes locales font partie de ces éléments du patrimoine culturel; soit largement oublié ou au contraire réactualisés aujourd'hui dans une mise en scène d'un attachement au terroir ou au territoire, afin de créer du lien social 1621 . Comment saisir non seulement l'importance de ces fêtes locales, leur diversité, les types de divertissements qui y sont proposés, et leur impact réel sur la communauté ? Les sources faisant référence à ces fêtes sont de plusieurs ordre : d'une part les délibérations des conseils qui, tous les ans, propose un vote sur les comptes de la fête patronale, sans en donner le détail ; de temps à autre, le budget total des dépenses est indiqué. Ce type de document renseigne toutefois sur la fréquence des fêtes locales, et, plus rarement, sur le programme des festivités. Dans un tel cas, on peut largement essayer d'interpréter, en fonction de la durée prévue, des animations installées, la force des liens sociaux locaux. La deuxième source, en dehors des délibérations, réside dans d'éventuels placards annonçant les festivités : j'en ai retrouvé quelques uns au hasard des archives. En troisième lieu, la "littérature grise" autour des thématiques folkloriques, que l'on retrouve dans les années 1950 et 1960 et qui, dans la lignée de l'ethnologie, nous renseigne sur ces "traditions" de l'ancienne banlieue. Enfin, les fêtes ne peuvent avoir lieu sans moyens associatifs : ces dernières sont décrites à plusieurs reprises, et on les retrouve présentes dans les budgets de subventions des communes.
Le phénomène festif est ainsi une permanence en banlieue sud-ouest ; ce n'est pas une surprise d'y retrouver des fêtes patronales ou communales ; le passage d'un terme à l'autre n'est guère explicite, il n'est pas certain que les deux adjectifs soient différents dans l'esprit des édiles, mais on remarque l'occurrence de plus en plus importante de "fête communale" à partir des années 1880. D'autre part, l'instauration du 14 juillet comme fête nationale en 1880 1622 semble confirmer une périodisation dans laquelle l'espace festif tend à se diversifier. La concurrence est visible avec les festivités parisiennes, très présentes dans le cas du feu d'artifice tiré le 14 juillet, mais aussi avec les Expositions universelles au fort impact sur la population de la proche banlieue, spectateurs assidus de ces manifestations. Enfin, la banlieue est aussi un espace champêtre qui attire les Parisiens dans des guinguettes, manèges et parcs d'attractions, très présents à Malakoff dès le milieu des années 1850. Dès lors, deux types de fêtes se concurrencent ou se côtoient, sans qu'il soit certain que ce soit les mêmes personnes qui assistent aux deux : d'une part, les fêtes "villageoises", qui tendent à recréer un sentiment d'appartenance communal basé sur la tradition et le patrimoine ; d'autre part, des fêtes que j'appelle, faute de mieux, "urbaines", adressées à un autre public, plus large, inséré dans une civilisation des loisirs naissante 1623 .
Philippe Vigier insistait déjà, dans l'article paru dans les Mélanges Mandrou, sur le risque de céder à la facilité de regarder l'histoire des bourgs de banlieue comme autant d'éléments de reconstruction patrimoniale entrepris dans la période récente ; on ne peut juger de l'importance de ce patrimoine à l'aune d'un siècle qui cherche à reconstruire le lien social dans une banlieue "déshumanisée". Il faut donc être prudent sur cette mise en valeur actuelle du patrimoine, en particulier culturel, dont il n'est pas certain qu'il ait été autant célébré à la fin du XIXe siècle. Vigier P., "Pour une histoire de la banlieue : quelques jalons et suggestions concernant l'Ouest parisien au siècle dernier" in Histoire sociale, sensibilités collectives et mentalités. Mélanges Robert Mandrou, Puf, 1985, pp. 383-384.
Sanson Rosemonde, Le 14 Juillet : fête et conscience nationale, 1789-1975, Paris, Flammarion, 1976.
Corbin, A. l'avènement des loisirs : 1850-1960. Aubier, 1995. Le tableau de Renoir, le bal du Moulin de la Galette, illustre parfaitement ce type de fêtes champêtres pour monde urbain.