2. Hypothèses et protocole d’enquête

La restitution des données empiriques est orientée par l’hypothèse d’une perte de centralité de l’Etat sur la période d’analyse retenue. Sur la période analysée (1958-2004), le centre de gravité du réseau d’action publique qui gère les politiques d’implantation universitaire transiterait du centre vers la périphérie du système politico-administratif français. Les évolutions de la gestion de l’enseignement supérieur et celles qui marquent le fonctionnement du système politico-administratif local seraient convergentes pour renforcer la place et l’influence des acteurs locaux et déconcentrés dans la conduite des politiques d’implantation universitaire. Dans les années 1960, si les fonctionnaires et les élus locaux ajustent la règle centrale aux spécificités territoriales dans des relations croisées, le maire de grande ville, lui, dispose d’un accès direct au centre ministériel 105 . L’enseignement supérieur, dans cette période, est géré de façon centralisée par le ministère de l’Education nationale 106 . Elus et universitaires lyonnais auraient, dans les années 1960, le regard prioritairement tourné vers le centre. A l’inverse, dans la période contemporaine, des mouvements indépendants mais convergents dans le domaine de l’enseignement supérieur et dans celui de la gestion publique territoriale conjugueraient leurs effets pour renforcer l’influence des acteurs locaux et déconcentrés dans la gestion des politiques étudiées. Les études sur la décentralisation mettent en effet l’accent sur le renforcement des collectivités territoriales et l’influence croissante des élus locaux dans la gestion publique territoriale 107 . Dans le domaine de l’enseignement supérieur, la mise en place des contrats quadriennaux entre les établissements et la tutelle ministérielle renforce le niveau universitaire 108 . Les évolutions constatées dans la gestion publique territoriale et celles qui affectent l’enseignement supérieur conflueraient ici pour consacrer la place plus grande de la périphérie dans la conduite des politiques d’implantation universitaire.

La forme du réseau consacrerait tout d’abord la place croissante des acteurs locaux (intérêts privés et/ou élus locaux) dans les politiques d’implantation universitaire. Le réseau d’action publique qui gère ces dossiers dans les années 1990 serait donc plus ouvert aux élus locaux et/ou aux intérêts privés que dans les années 1960.

Ces évolutions dans la forme des réseaux se déclineraient dans le contenu de l’action publique produite. L’ouverture croissante des scènes décisionnelles aux intérêts locaux se traduirait par un recul de l’influence centrale sur la conduite des politiques d’implantation universitaire. Sur la période d’analyse retenue, le centre perdrait le pouvoir de fixer les objectifs des politiques d’implantation universitaire. Les acteurs locaux et déconcentrés n’ajusteraient plus simplement la norme définie centralement aux spécificités locales mais seraient impliqués dès la définition des objectifs de la politique. L’ouverture croissante des scènes décisionnelles et la plus grande place des acteurs locaux dans la négociation des politiques d’implantation universitaire aboutiraient, de plus, à un renouvellement des modalités de construction du compromis entre les acteurs. La forme du réseau, la définition des objectifs de la politique et les voies de l’établissement d’un accord entre les acteurs seraient donc, sur la période d’analyse retenue (1958-2004), affectées d’évolutions majeures.

La mise à l’épreuve de ces hypothèses réclame la mise en place d’un dispositif méthodologique approprié au cadre problématique adopté. Elaborés largement au cours de la réalisation du travail de terrain, les choix problématiques ont informé petit à petit la construction du dispositif méthodologique. L’enquête a tout autant informé la construction de la problématique qu’elle n’a été contrainte par cette dernière.

Le projet comparatif et le domaine d’études arrêtés, nous nous sommes mis à la recherche de deux projets d’implantation universitaire. Le choix s’est porté sur le projet de délocalisation des facultés puis des universités lyonnaises à Lacroix Laval et la réhabilitation de la Manufacture des Tabacs. Il tient en partie au hasard puisque nous nous sommes basés, pour mesurer leur importance, sur le nombre d’articles consacrés aux deux projets dans le dossier de presse « vie universitaire » constitué par les archivistes de la Ville de Lyon. Outre qu’ils illustrent de manière emblématique les changements dans la localisation des bâtiments universitaires (Lacroix Laval est un projet de campus alors que la Manufacture des Tabacs marque le retour de l’université en centre-ville), ils présentent des caractéristiques communes. Les deux projets sont marqués par une identité de contexte démographique tout d’abord : ils sont en effet réalisés dans des périodes de croissance importante des effectifs étudiants qui rendent le développement des capacités d’accueil particulièrement urgent. Ils concernent ensuite essentiellement des projets d’implantation d’unités de lettres, de droit et de sciences humaines 109 . Ils sont marqués cependant par une différence majeure : si la réhabilitation de la Manufacture des Tabacs s’est bien réalisée, l’implantation d’une université à Lacroix Laval a échoué. C’est finalement à Bron-Parilly qu’un campus est construit à la fin des années 1960. On pourrait ainsi reprocher de comparer un « échec » et une « réussite ». Le choix de Bron-Parilly comme terrain d’investigation privilégié eu égard à la rapidité de la décision (le projet émerge en février 1969 et la décision est prise en avril 1969) aurait altéré la comparabilité des deux dossiers. Nous avons donc choisi de nous intéresser également au projet de Bron-Parilly dès lors qu’il intervient dans la conduite du dossier de Lacroix Laval.

Le choix de ces deux terrains est marqué par une option microscopique dans la focale d’analyse utilisée. Nous aurions pu nous intéresser plus généralement au dispositif dans lequel ces deux projets sont insérés (le Vème plan pour Lacroix Laval, Université 2000 et Université du 3ème millénaire pour la Manufacture des Tabacs). Le choix opéré est cependant revendiqué et assumé. Il nous a en effet paru plus pertinent d’enquêter à partir de deux projets singuliers pour éclairer les logiques des dispositifs plus larges dans lesquels ils sont insérés. L’option méthodologique retenue nous paraît plus appropriée à la délimitation du réseau d’acteurs qui intervient dans les politiques d’implantation universitaire. Elle a pourtant des implications sur l’angle d’observation retenu : ainsi, si le projet de la Manufacture des Tabacs est une occasion d’observer la négociation du contrat de plan Etat-région 2000-2006 dans lequel il est inclus, nous le faisons essentiellement du point de vue du site lyonnais. Comme pour le projet de Bron-Parilly, les projets grenoblois, bressans ou valentinois (le contrat de plan étant régional, l’ensemble des sites universitaires de la région Rhône-Alpes est concerné par la signature du même document) ne sont évoqués que dans la mesure où ils influent sur la situation lyonnaise. L’option microscopique a également des conséquences sur la restitution des données empiriques. Nous avons choisi d’accorder une place majeure au matériau empirique et à sa richesse. C’est en partant des terrains d’enquête que nous éclairerons les évolutions contemporaines de l’action publique. C’est donc une démarche inductive qui est ici promue.

Dans nos investigations, nous avons cherché à diversifier les sources utilisées. Ce travail s’appuie principalement sur des sources de première main. L’essentiel du matériau empirique est constitué d’archives relatives aux projets et d’entretiens menés avec les acteurs des réseaux d’action publique étudiés. Des articles de presse et des sources documentaires (rapports parlementaires essentiellement) ont également été dépouillés. Les textes de droit encadrant les dispositifs étudiés complètent nos sources. 

Ce travail doctoral s’appuie d’abord sur des archives locales et nationales relatives à la gestion des deux dossiers étudiés. C’est nous qui avons reconstitué l’échantillon d’archives à dépouiller. Les sources écrites utilisées ne sont donc pas une série archivée dans une institution. Pour constituer notre échantillon, nous avons procédé de manière inductive en repérant de façon très large les cartons qui pouvaient nous intéresser et en ne nous limitant pas aux cartons strictement archivés sous le descriptif « Lacroix Laval » ou « Manufacture des Tabacs ». L’option nous semble fructueuse : elle nous a permis de mettre en lien les deux dossiers avec des problèmes qui leur étaient connexes et qui intervenaient dans leur gestion. Nous avons choisi de pratiquer un repérage très extensif, la méthode reste cependant empirique et comporte une part incompressible de hasard dans le choix des cartons demandés. Le dépouillement exhaustif des archives n’a pu s’opérer que dans les limites de leur disponibilité : pour le projet de Lacroix Laval, l’ensemble des archives relatives au sujet et versées au service des archives départementales du Rhône et à la section contemporaine des archives nationales a été dépouillé. Si nous avons pu accéder à certains documents disponibles à la faculté de droit qui était la plus impliquée dans le projet de Lacroix Laval, les sources ici repérées ne sont constitués que de cartes et de plans du projet. Pour la Manufacture des Tabacs, la consultation était soumise à autorisation, le délai de trente ans n’étant pas, loin s’en faut, écoulé. Quand les documents avaient été versés dans un service d’archives publiques, nous avons eu l’autorisation de les consulter (archives du Grand Lyon, archives de la région Rhône-Alpes). C’est dans ce cas que nous avons rencontré le moins de difficultés. Lorsqu’elles étaient encore à l’intérieur des services, la consultation était soumise à la bonne volonté des responsables. S’ils se sont prêtés volontiers à la mise à disposition des documents, des incertitudes pèsent cependant sur l’exhaustivité des documents mis à notre disposition. Les archives du Conseil général du Rhône, de l’université Jean Moulin Lyon III, de la Ville de Lyon, du servie de l’ingénieur régional conseiller technique du rectorat d’académie ont ainsi pu être dépouillées. Les services centraux du ministère de l’Education nationale font toutefois exception. Un premier repérage au service des archives du ministère a été en effet infructueux. Aucun versement n’avait été réalisé par les services gérant l’enseignement supérieur. A l’occasion d’un entretien réalisé au sein des services centraux, nous avons demandé si des sources écrites étaient disponibles. Malgré la disponibilité des fonctionnaires du ministère, elles n’ont pu être repérées. L’archiviste du ministère nous a assuré qu’à la suite du déménagement des services gérant ces politiques pendant la période étudiée elles devaient avoir été détruites. L’absence d’archives nationales sur le sujet reste un manque indiscutable que les entretiens ne sont pas parvenus à combler totalement, le matériau archivistique étant souvent irremplaçable quant à la précision des informations que l’on peut y recueillir. Globalement, les archives dépouillées pour le projet de la Manufacture des Tabacs nous semble d’ailleurs moins précises et moins exhaustives que celles dépouillées pour le dossier de Lacroix Laval. Tout porte donc à croire que les échecs laissent beaucoup plus de traces écrites que les réussites.

Le recueil des données empiriques s’appuie également sur la réalisation d’entretiens semi-directifs 110 . Ils ont été réalisés sur le lieu de travail des personnes rencontrées, dans des lieux publics, plus rarement à leur domicile. Un entretien a été réalisé par téléphone. Leur durée est très variable : elle va de quinze minutes à trois heures. Après accord de l’interviewé, ils ont été enregistrés. En cas de refus, nous avons pris des notes et dressé un compte-rendu. Quarante entretiens ont été réalisés. Le déséquilibre dans la répartition des entretiens effectués pour le projet de la Manufacture des Tabacs et ceux effectués pour Lacroix Laval est très marqué : seulement cinq entretiens abordent le projet des années 1960 (certains interviewés étant des acteurs des deux périodes, ils ont été interrogés sur les deux dossiers). Le reste des entretiens concernent l’opération de la Manufacture des Tabacs. Le déséquilibre tient notamment à l’ancienneté des faits. De nombreux acteurs du dossier de Lacroix Laval sont en effet décédés. Nous nous sommes heurtés également à la difficulté de les localiser trente ans après. Certains acteurs majeurs de ce dossier n’ont de plus jamais répondu à nos sollicitations et à nos relances pourtant multiples. Disposant d’informations précises à la suite du dépouillement des archives, nous avons pu mesurer les limites de la réalisation des entretiens de nombreuses années après les faits. Le projet de Lacroix Laval croisant de plus la période troublée de mai 1968, certains acteurs étaient peu disposés à évoquer avec nous ce moment de l’histoire universitaire lyonnaise, contestant le maintien, pourtant avéré par les archives, du projet de Lacroix Laval après mai 1968. L’analyse du projet étudié pour les années 1960 est donc essentiellement constitué à partir des archives dépouillées ce qui introduit un certain nombre de biais incompressibles dans l’analyse. Aussi précis soient-ils, les documents archivés ne permettent que rarement de saisir les lieux de rencontre et de négociation informels entre les acteurs.

Pour le dossier de la Manufacture des Tabacs, trente-sept entretiens ont été effectués. La liste des personnes à interroger a été, là encore, élaborée selon une méthode inductive. Les entretiens ont commencé une fois le dépouillement des archives des articles de presse opéré. Dans le recensement des acteurs à interroger, nous nous sommes donc d’abord basés sur les sources écrites auxquelles nous avions eu accès. Nous avons alors contacté les acteurs qui apparaissaient comme des membres incontournables du réseau qui gère les politiques étudiés. Nous avons cherché à compléter ce premier repérage en incluant des questions relatives aux contacts entretenus par les interviewés dans la gestion du dossier. Cette méthode inductive dans la définition de la liste des personnes à interroger contribue à privilégier les membres du réseau d’action publique sur les témoins de la négociation de ces politiques. Ce sont les acteurs qui ont été effectivement repérés comme participant aux réunions de négociation et de suivi des politiques d’implantation universitaire qui ont été interrogés. Les interviewés sont donc essentiellement des élus disposant d’un mandat exécutif (maire, président de conseil régional, adjoint ou vice-président chargé de l’enseignement supérieur) ou leur entourage le plus proche (secrétaire général, directeur de cabinet, directeur général des services), des responsables de directions au sein du ministère de l’Education nationale (direction de l’enseignement supérieur, direction de la programmation et du développement), des présidents d’université. L’échantillon est également constitué des personnels des services participant à la gestion des politiques d’implantation universitaire (membres des services « enseignement supérieur » au sein des collectivités territoriales, de la préfecture de région, du ministère de l’Education nationale, membres des services techniques ou administratifs des universités). Nous nous sommes heurtés dans l’établissement de nos contacts à un nombre relativement important d’absence de réponse malgré des relances répétées voire à des refus d’entretien. Aucun président de l’université Lyon I n’a répondu à nos demandes successives. Des élus départementaux (vice-président chargé de l’enseignement supérieur), régionaux (membres de la commission enseignement supérieur) et municipaux (adjoint au maire chargé de l’enseignement supérieur) n’ont pas donné suite à nos sollicitations. Ces absences de réponse contribuent à altérer la pluralité des points de vue énoncés dans les entretiens. C’est toutefois par cette méthode inductive que nous avons pu reconstituer les frontières du réseau d’action publique analysé. Nous l’avons dit, le projet de la Manufacture des Tabacs a été inclus dans le schéma U2000 et dans le plan U3M ainsi que dans les contrats de plan Etat-région 1994-1999 et 2000-2006. A l’exception des acteurs qui sont essentiellement intervenus dans le lancement de ce projet, les interviewés ont eu tendance à évoquer d’autres dossiers. Cette disposition est d’autant plus sensible que les interviewés avaient un lien ténu avec la gestion du projet. Elle renseigne aussi sur la connaissance de l’interviewé de la conduite du dossier et sur sa centralité dans le réseau d’action publique. Elle permet aussi de mettre en perspective notre étude de cas.

Le déséquilibre important dans le nombre d’entretiens réalisés entre les deux projets altère forcément la comparabilité des sources recueillies pour appréhender les deux dossiers. Si elle est en partie compensée par la richesse plus grande des archives dépouillées sur le projet de Lacroix Laval, elle induit cependant une hétérogénéité dans les sources utilisées.

La revue de presse effectuée est constituée par des articles tirés de journaux locaux (Résonance, Echo-Liberté et Le Progrès pour les années 1960 ; Le Progrès pour les années 1990) et nationaux (Le Monde, Libération, Le Figaro). Cette revue de presse nous a permis de recueillir des éléments factuels et de faire un premier point sur les institutions impliquées dans les projets et les prises de position des différents acteurs sur les deux dossiers 111 . Les articles dépouillés concernent la vie politique nationale et locale, la négociation et le suivi des dispositifs contractuels dans lesquels sont insérés les deux projets (contrats de plan, Université 2000 et Université du 3ème millénaire pour la Manufacture des Tabacs, Vème plan pour Lacroix Laval) et la vie universitaire locale. La revue de presse s’est effectuée à partir des dossiers disponibles sur les sujets traités dans les services des archives fréquentés. Elle s’est opérée également à l’aide du CD-Rom répertoriant l’ensemble des articles du journal Le Monde.

Les textes juridiques complètent nos sources. La méthode employée a été là encore inductive. L’inventaire des textes pouvant s’appliquer a été réalisé à partir des acteurs intervenant et des procédures observées. Il a tout d’abord porté sur les textes contemporains. Nous avons tenté de dresser un inventaire des textes encadrant les relations entre les institutions impliquées dans la gestion du dossier (contrat de plan Etat-région, lois de décentralisation). Le recensement des textes juridiques a été opéré en utilisant le CD-rom répertoriant les textes parus au Journal Officiel de la République Française (JORF) de 1947 à nos jours.

La sélection des informations recherchées dans les sources a été orientée par l’élaboration progressive de la problématique. L’utilisation des réseaux d’action publique implique ainsi de délimiter strictement les frontières des configurations d’acteurs qui interviennent dans la gestion de ces dossiers. Dans le dépouillement des archives, nous avons toujours noté le nom des personnes participant aux réunions portant sur la conduite des projets. Nous avons également relevé strictement le nom des acteurs impliqués dans les échanges épistolaires et l’ensemble des noms apparaissant sur les notes de services. Fidèle à la définition interpersonnelle du réseau adoptée, nous avons cherché à repérer des personnes plutôt que des institutions. L’option microscopique retenue a conduit à nous intéresser à l’intégralité des documents que nous avons pu repérer, de la note manuscrite d’une conversation téléphonique au compte-rendu très formel de réunion. Les contacts et les échanges entre les acteurs qui interviennent dans la gestion des dossiers analysés ont été systématiquement notés quelque soit l’importance des informations contenues dans le document.

Dans les entretiens, nous avons inclus des questions relatives aux contacts entretenus par les personnes interviewées. Là encore, nous avons tenté de repérer des personnes plutôt que des institutions. C’est donc à partir des entretiens et des archives qui ont été dépouillées que les frontières des réseaux étudiés ont pu être délimitées. La circonscription de la liste des acteurs impliqués s’appuie donc sur des sources de première main. L’inclusion des deux projets dans des dispositifs bien plus larges comme les contrats de plan ou, dans les années 1960, le Vème plan a rendu la délimitation du réseau relativement complexe. Les réseaux étudiés ne sont en effet pas composés uniquement d’acteurs lyonnais ou régionaux mais incluent également des acteurs centraux et déconcentrés. Nous avons tenté dans les entretiens et les archives dépouillées de cerner le plus exactement possible le degré de connaissance des dossiers par l’ensemble des acteurs repérés comme membres du réseau. La pertinence de la circonscription des frontières du réseau a pour principale limite les sources utilisées. Leur multiplication (archives, entretiens, articles de presse) n’est pas une garantie absolue contre l’absence de biais toujours possibles dans l’analyse.

Le choix d’investiguer le rôle d’orientation du droit et des cadres cognitifs et normatifs sur la détermination de la stratégie des acteurs a eu également des implications sur la réalisation du travail empirique. Tant dans le dépouillement des archives que dans la réalisation des entretiens, ces informations ont été prioritairement recherchées. Dans le dépouillement des archives, une attention accrue a été portée à tout ce qui concernait la production, la diffusion et l’institutionnalisation des cadres cognitifs et normatifs. Nous avons ensuite noté tout ce qui relevait des usages du droit opérés par les acteurs. Dans la réalisation des entretiens avec les acteurs de la gestion du dossier de la Manufacture des Tabacs, nous avons inclus des questions relatives à la définition des blocs de compétences réglant les domaines d’intervention de l’Etat et des collectivités territoriales. C’est par là que nous avons tenté de cerner les usages du droit opérés par les acteurs du réseau d’action publique. La grille d’entretien inclut également des questions relatives à la légitimation de l’intervention des collectivités territoriales. Ce faisant nous avons cherché à comprendre quelles étaient les représentations utilisées par les acteurs pour expliquer l’intervention sans compétence propre des autorités locales. Ces questions nous ont aussi permis de mesurer le degré de diffusion des cadres cognitifs et normatifs mobilisés par les acteurs. Nous avons ensuite cherché à mesurer l’influence de ces constructions intellectuelles sur l’action publique en confrontant les orientations définies dans les cadres cognitifs et normatifs aux mesures effectivement adoptées dans la conduite de l’action publique.

L’organisation de notre plan reflète le projet comparatiste qui est à la base de notre projet de recherche et nos hypothèses. La réponse à la question de départ (qui gouverne les politiques d’implantation universitaire de 1958 à 2004 ?) s’organise en trois temps distincts. De 1958 à 2004, les acteurs locaux et déconcentrés verraient leur place confortée dans la négociation et la mise en œuvre des politiques d’implantation universitaire. La première partie tente de circonscrire clairement les frontières des réseaux d’action publique qui interviennent dans les politiques d’implantation universitaire. Elle teste l’hypothèse d’une ouverture des scènes décisionnelles aux intérêts locaux (élus locaux et/ou intérêts privés) dans la période contemporaine.

Les deux autres parties tentent de cerner les effets de l’ouverture des scènes décisionnelles sur la conduite des politiques d’implantation universitaire.

La deuxième partie tente d’envisager, tout d’abord, quelle est l’influence de chaque membre du réseau sur la conduite de ces politiques dans les années 1960 puis dans les années 1990. Elle permet ainsi de questionner les effets de l’inclusion de nouveaux acteurs au sein du réseau d’action publique sur la détermination des objectifs de la politique.

Une fois identifiées les configurations d’acteurs qui interviennent dans les deux périodes, une fois circonscrite l’influence dont chaque membre dispose sur la conduite de ces politiques, la troisième partie s’intéresse aux conditions qui permettent aux membres du réseau de maintenir leur collaboration. Elle cherche à questionner l’évolution des mécanismes d’ajustements mutuels entre les membres des deux réseaux d’action publique analysés.

Notes
105.

Jean-Claude Thoenig, « La relation entre le centre et la périphérie… », art. cit. ; Michel Crozier et Jean-Claude Thoenig, « La régulation des systèmes organisés complexes... », art. cit.

106.

Christine Musselin, La longue marche des universités, op. cit.

107.

Voir par exemple Catherine Grémion et Pierre Muller, « De nouvelles élites locales ? », Esprit, n°164, septembre 1990, pp. 38-47 ; Dominique Lorrain, « La montée en puissance des villes », Economie et humanisme, n°305, janvier 1989, pp. 6-21 ; François Dupuy et Jean-Claude Thoenig, « La loi du 2 mars 1982 sur la décentralisation. De l’analyse des textes à l’observation des premiers pas », Revue française de science politique, vol. 33, n°6, décembre 1983, pp. 962-986 ; Vivien Schmidt, « Débloquer la société par décret », Pouvoirs locaux, n°6, octobre 1990, pp. 113-118.

108.

Christine Musselin, « Etat, Université, la fin du modèle centralisé ? », Esprit, n°234, juillet 1997, pp.18-29.

109.

Même si pour le projet de Lacroix Laval, l’implantation d’unités scientifiques est un temps envisagée, le cœur du projet reste l’implantation d’unités de lettres, sciences humaines et droit.

110.

Les entretiens sont retranscris en annexes.

111.

La liste des articles utilisés est répertoriée dans nos sources.