1ère partie : Les évolutions contrastées de l’accès aux scènes décisionnelles

Les analyses contemporaines mettent souvent l’accent sur l’ouverture croissante des scènes décisionnelles et sur la pluralité d’acteurs qui interviennent dans l’action publique. La plus grande complexité des sociétés contemporaines nécessiterait l’implication d’acteurs pluriels, publics et privés, auparavant exclus des scènes décisionnelles 112 . D’autres analyses, à l’inverse, insistent sur la nécessité de pratiquer le décentrement historique du regard et mettent en doute la nouveauté des évolutions constatées 113 . Les tendances contemporaines à l’association des acteurs privés seraient, dans certains domaines, repérables en d’autres temps 114 . Le questionnement sur le changement dans la conduite de l’action publique implique donc d’abord de tracer précisément les contours des réseaux impliqués dans le pilotage des deux projets étudiés.

Pour questionner et circonscrire les frontières des réseaux étudiés, nous faisons l’hypothèse d’une ouverture croissante des scènes décisionnelles dans la période contemporaine. Renforcées par la décentralisation, les collectivités territoriales auraient une place accrue dans la négociation et la mise en œuvre des politiques d’implantation universitaire. Leur implication croissante aurait des effets en retour sur les acteurs étatiques. Elle ne se traduirait pourtant pas forcément par un jeu à somme nulle 115  : la montée en puissance des collectivités territoriales n’aboutit pas forcément à un recul symétrique et indifférencié des services de l’Etat. Parfois une ressource, parfois une contrainte, la participation des acteurs étatiques serait marquée par des tendances ambivalentes.

Fidèle à la définition des réseaux d’action publique adoptée en introduction, nous tentons ici d’identifier des acteurs plutôt que des institutions. Nous faisons l’hypothèse que les tendances à la centralisation du système français repérées par les sociologues des organisations dans les années 1970 116 seraient confirmées par la décentralisation 117 . La nécessité d’entrer en négociation avec d’autres partenaires aboutirait à une marginalisation des assemblées délibérantes. L’entrée en négociation aurait ici des effets sur le fonctionnement des universités. Déjà renforcés par la contractualisation 118 , les présidents d’université verraient leur leadership naissant confirmé par la mise en contractualisation de l’immobilier universitaire.

Pour mettre à l’épreuve ces hypothèses, nous envisageons, dans un premier chapitre, les évolutions de la participation des membres des collectivités locales aux réseaux qui gèrent les politiques d’implantation universitaire avant d’appréhender dans un second chapitre les effets de ces évolutions sur l’inclusion des acteurs étatiques dans la gestion de ces programmes.

Notes
112.

Dans son introduction, Jan Kooiman insiste ainsi dès 1993 sur la nouveauté des tendances de coopération entre les acteurs publics et les acteurs privés et sur les nouvelles formes de leur coopération qui ne seraient ni la hiérarchie ni le marché. Voir sur ce point Jan Kooiman, « Introduction » dans Jan Kooiman (dir.), Modern Governance. New Government – Society Interactions, Londres, Sage, 1993, pp. 1-6. Dans la même perspective voir aussi Gerry Stoker, « Cinq propositions pour une théorie de la gouvernance », Revue internationale des sciences sociales, n°155, mars 1998, pp. 19-30.

113.

Jean-Pierre Gaudin, « La gouvernance moderne hier et aujourd’hui : quelques éclairages à partir des politiques publiques françaises », Revue internationale des sciences sociales, n°155, mars 1998, pp. 52-57.

114.

Voir pour le cas de l’urbanisme Jean-Pierre Gaudin, L’avenir en plan. Technique et politique dans la prévision urbaine 1900-1930, Seyssel, Champ Vallon, 1985, 215 p.

115.

Christian Lequesne montre bien que la montée en puissance de l’Union européenne ne se solde pas par un recul mécanique et symétrique de l’Etat. Sur ce point voir Christian Lequesne, Paris-Bruxelles. Comment se fait la politique européenne de la France, Paris, Presses de la FNSP, 1993, pp. 267-268.

116.

Pierre Grémion, Le pouvoir périphérique…, op. cit. ; Jean-Claude Thoenig, « La relation entre le centre et la périphérie… », art. cit.

117.

De nombreuses études concluent au maintien de la centralisation du pouvoir des élus locaux. Voir notamment Jacques Rondin, Le sacre des notables. La France en décentralisation, Paris, Fayard, 1985, 335 p. ; Yves Mény, « La politique de décentralisation : réforme de société ou réforme pour les élites ?», Revue française d’administration publique, n°26, avril-juin 1983, pp. 297-306.

118.

Christine Musselin, « Etat, Université, la fin du modèle centralisé ? », art. cit.