1. Un investissement notabiliaire épisodique

Paradoxalement, c’est par une association réussie d’un élu local aux projets portés par les fonctionnaires déconcentrés que débute l’histoire du projet de Lacroix Laval. Dès 1958, le directeur départemental du ministère de la Construction sollicite le maire de Marcy l’Etoile pour inscrire le domaine de Lacroix Laval au Groupement d’urbanisme de la région lyonnaise (GURL) et permettre sa réservation pour les besoins du service public. Le maire de la commune réunit son Conseil municipal et délibère dans le sens souhaité par le fonctionnaire déconcentré 119 . Il faut attendre 1968 pour retrouver trace d’une association réussie d’un élu local à la promotion d’un projet universitaire. Les tentatives d’implication du personnel politique local opérées par les fonctionnaires déconcentrés et les universitaires échouent pendant longtemps. Le préfet du Rhône, le premier, ne parvient pas à associer les notables locaux au projet. Alors qu’il tente à plusieurs reprises d’obtenir le concours financier du Conseil général du Rhône, il se heurte systématiquement au refus des élus départementaux d’intervenir 120 . Le recteur, s’il ne sollicite pas directement l’intervention des élus pour le projet de Lacroix Laval, ne semble pas disposer d’une oreille municipale plus attentive aux problèmes universitaires 121 . Les universitaires lyonnais dans leur tentative d’association du maire de Lyon échouent eux-aussi 122 . Avant 1968, Louis Pradel ne se rallie en effet pas au projet de Lacroix Laval. Il promeut une implantation des universités dans le 7ème arrondissement lyonnais 123 .

Ce n’est qu’après 1968 que nous avons retrouvé des traces dans les sources dépouillées d’une participation des élus locaux au réseau qui gère les politiques d’implantation universitaire. Louis Pradel est ainsi associé aux réunions conduites sous l’égide du préfet. Après avoir refusé l’intégration d’université à la Part-Dieu faute d’espace disponible, le maire de Lyon propose de construire des locaux universitaires à Bron-Parilly à l’est de l’agglomération lyonnaise :

‘« [Louis Pradel] fait par contre une autre suggestion : un vaste terrain nu serait disponible à Bron, sur le domaine du Vinatier, le long de la nationale 6. Ce terrain appartenant au département, il faudra bien entendu saisir le Conseil général. » 124

Le personnel politique local ne se mobilise donc que très tardivement sur le dossier des implantations universitaires. Alors que le projet de Lacroix Laval suscite la mobilisation des fonctionnaires déconcentrés impliqués dans sa gestion, il faut attendre 1968 avant de trouver trace d’une intervention politique. Le fait que le projet de Lacroix Laval concerne, jusqu’en 1968, majoritairement des unités de lettres et de sciences humaines ne semble pas étranger au désintérêt politique local. La mobilisation des élus pour Lacroix Laval se fait en effet plus forte quand est élaboré un projet d’implantation d’une université scientifique sur le domaine. En 1972, ce sont en effet des unités de sciences et de pharmacie qui doivent majoritairement trouver des locaux à Lacroix Laval. Le refus du projet par le ministère de l’Education nationale 125 suscite immédiatement les réactions du personnel politique local 126 . Le Conseil municipal de Lyon émet un vœu en faveur de la constitution d’une université à Lacroix Laval le 13 décembre 1972. Le lendemain, le bureau fédéral du parti communiste se prononce pour « l’imposition de la construction de Lyon III à Charbonnières [sur le domaine de Lacroix Laval] dont le rôle serait déterminant dans les disciplines biologiques, pharmaceutiques, agronomiques et vétérinaires » 127 . Le maire de Vénissieux annonce son souhait d’accueillir une université Lyon IV tournée vers les sciences et le développement technologique dans sa commune :

‘« Notre fédération [communiste du Rhône] se prononce pour la construction de l’université Lyon III à Charbonnières ; pour l’acquisition par l’Education nationale de terrains sur la ZAC [Zone d’Aménagement Concerté] de Vénissieux-Corbas et pour l’implantation d’une quatrième université à vocation scientifique et technologique de haut niveau. Au nom du Conseil municipal de Vénissieux, j’ai indiqué notre souhait d’accueillir l’université Lyon IV à Vénissieux-Corbas et de contribuer ainsi au développement industriel universitaire et humain du sud-est lyonnais » 128 . ’

Louis Pradel, sortant de sa réserve, se déclare dans la presse disposé à équiper les terrains de Lacroix Laval 129 . Le soutien du personnel politique local au projet ne suffit cependant pas à réviser la position ministérielle.

Il est remarquable que le personnel politique local soit plus sensible aux appels des unités de sciences : son investissement prend une toute autre mesure dès lors que ce ne sont plus des unités de droit et de sciences économiques ou de lettres et de sciences humaines qui sont concernées. A l’instar des scientifiques, les médecins trouvent eux-aussi des relais plus importants au sein des assemblées locales. Les terrains de La Buire sur lesquels s’implantent des unités de médecine sont repérés par les autorités municipales 130 . Les universitaires de la faculté des lettres et de droit se plaignent d’ailleurs périodiquement dans la presse de l’indifférence des élus locaux et de la différence de traitement entre scientifiques et médecins d’un côté et littéraires et juristes de l’autre :

‘« A-t-on jamais vu un élu du Rhône ou de la Communauté urbaine s’intéresser aux projets en cours à Lyon II qui, après tout, ne comprend que des juristes ou des littéraires, c’est-à-dire des gens sans importance, sans poids matériel ? Cela les enseignants et les étudiants abandonnés par leurs collègues plus heureux de Lyon I (…) tous le sentent et le ressentent tragiquement. » 131

Si l’absence de relais des littéraires peut apparaître à l’analyste relativement prévisible, le manque de soutien apporté aux juristes est plus surprenant. Issus d’une faculté « professionnelle » 132 , appartenant au corps des juristes, bénéficiant historiquement d’un prestige social plus grand que leurs collègues littéraires, ils semblent à priori disposer de plus de ressources pour faire prendre en compte leurs intérêts par les autorités politiques locales. Il n’en est rien. Dans les années 1960-1970 et à moins qu’ils ne concernent des projets scientifiques, les programmes d’implantation universitaire ne suscitent pas la mobilisation du personnel politique lyonnais. La participation du maire de Lyon aux projets étudiés est fluctuante. Il n’est qu’un acteur épisodique du réseau d’action publique qui gère les politiques d’implantation universitaire dans les années 1960.

Notes
119.

Archives départementales du Rhône, série 2690W, carton n°34, compte-rendu d’une conversation téléphonique du directeur départemental du ministère de la Construction au service de l’urbanisme du ministère de Construction, 17 septembre 1958.

120.

Archives départementales du Rhône, série 2690W, carton n°34, lettre du directeur départemental du ministère de la Construction au recteur de l’académie de Lyon du 27 septembre 1958. 

121.

Ainsi alors qu’il demande au maire de Lyon une subvention pour l’aménagement de la bibliothèque universitaire (Archives de la Ville de Lyon, série 0094 WP 07510 (1946-1969), lettre du recteur André Allix au maire de la Ville de Lyon du 1er juillet 1959), il se voit opposer un refus (Archives de la Ville de Lyon, série 0094 WP 07510 (1946-1969), lettre du maire de Lyon au recteur d’académie du 16 juillet 1959).

122.

Entretien avec Michel Laferrère, assesseur du doyen de la faculté de lettres de 1962 à 1967, 21 janvier 2003.

123.

Entretien avec Charles Delfante, directeur de l’atelier d’urbanisme de la Ville de Lyon, 27 juillet 2004.

124.

Archives nationales section contemporaine, série 1977 0533, carton n°2, réunion du 6 février 1969 à la préfecture du Rhône.

125.

Archives nationales section contemporaine, série 1980 0500, carton n°1, note sur l’université Lyon II adressée au ministre de l’Education nationale non signée, juin 1972. Les raisons de l’échec de ce projet sont analysées plus loin.

126.

« Le ministre de l’Education nationale : le projet d’université à Lacroix Laval présente un triple inconvénient. Il est préférable de s’orienter vers l’est », Echo Liberté, 15 novembre 1972.

127.

« L’université de Lacroix Laval : le dossier va certainement être réexaminé par le ministère de tutelle », Echo liberté, 14 décembre 1972.

128.

« Lacroix Laval : le conseiller technique de Monsieur Fontanet a rencontré les universités lyonnaises », Le Progrès, 19 décembre 1972.

129.

« Le ministère de l’Education nationale décidé à revoir le problème de Lacroix-Laval », Le Progrès, 25 janvier 1973.

130.

Entretien avec Charles Delfante, responsable de l’atelier d’urbanisme de Lyon, 27 juillet 2004.

131.

André Latreille, professeur à la faculté des lettres et des sciences humaines, « Une laissée pour compte : l’université Lyon II », Echo liberté, 25 février 1971.

132.

On distingue traditionnellement les facultés « professionnelles » (droit et médecine) des facultés académiques (lettres et sciences). Les premières sont directement reliées à un corps professionnel prestigieux (les médecins et les juristes) quand les secondes au XIX siècle sont essentiellement tournées vers la formation des professeurs et la collation des grades.