2. L’entrée de l’université en politique

La situation qui prévaut dans la période contemporaine est radicalement différente. La campagne électorale des municipales de 1989 consacre l’université comme un enjeu politique local majeur. Ce n’est pourtant pas elle qui initie l’intervention des collectivités territoriales rhône-alpines dans le soutien aux universités. La région Rhône-Alpes, présidée par Charles Millon, s’investit déjà dans ce domaine en soutenant financièrement les étudiants qui partent à l’étranger. L’institution régionale s’est de plus engagée dans le financement de quelques opérations immobilières inscrites au contrat de plan 1989-1993. C’est pourtant l’élection municipale de mars 1989 qui marque un tournant dans les relations entre l’université et le personnel politique local. Dès le lancement de sa campagne, Michel Noir met en avant la nécessaire promotion de l’université lyonnaise :

‘« Il y avait donc une réunion où il y avait Noir, Dubernard et Oudot. J’avais été mettre mon nez et je me rappelle avoir entendu des discours et être ressorti en me disant qu’il fallait que ce soit eux qui passent. Enfin pour l’université. » 133

Le soir même de son élection, Michel Noir insiste sur l’atout que constitue le potentiel universitaire lyonnais dans la compétition européenne des villes :

‘« Lyon a tout pour réussir, sixième campus en Europe avec plus de 75 000 étudiants, l’une des sept ou huit grandes métropoles européennes économiques et scientifiques avec ses 450 centres de recherche, Lyon est appelé à jouer les premiers rôles en Coupe d’Europe des villes championnes des années 1990. » 134

Quatre mois après son élection triomphale à l’hôtel de Ville, Michel Noir concrétise l’investissement municipal dans le soutien des politiques d’implantation universitaire en lançant le projet de la Manufacture des Tabacs 135 . Il propose le rachat des locaux industriels à leur propriétaire, la SEITA. L’initiative du projet est donc locale. Le constat tranche avec le retrait des élus locaux constaté dans les années 1960. Associé au projet, le ministère de l’Education nationale semble cependant réticent à sa concrétisation. Les locaux suscitent déjà l’intérêt du ministère de l’Intérieur qui cherche à y implanter l’école de police :

‘« Après être monté sur les toits de ce bâtiment extraordinaire, on prend contact avec le ministère de l’Education nationale. La réponse c’est : « de quoi vous mêlez-vous ? ». Allègre dans sa délicatesse habituelle nous dit : « de quoi vous vous mêlez ? ». Dans le même temps, il disait : « on va lancer un plan Université 2000, on vous mettra à contribution et ce n’est pas à vous de décider si ce sera la Manufacture des Tabacs ou autre chose. Et en  intra-gouvernemental, il nous dit que le ministère de l’Intérieur souhaiterait de toute façon y faire une école de police. Donc le paradoxe, c’est qu’il faut déjà se battre contre l’Etat. » 136

A l’initiative des élus locaux, une solution alternative pour l’implantation de l’école de police est trouvée : c’est au Fort Montluc que les policiers s’implantent 137 . Le ministère de l’Education nationale donne finalement son accord au lancement du projet et accepte de mobiliser les fonds ministériels pour la réhabilitation du bâtiment 138 . La Communauté urbaine de Lyon se porte donc acquéreur du bâtiment pour 35 millions de francs en mars 1990 139 . En raison du coût prévu du projet, les élus de la Communauté urbaine de Lyon doivent cependant rapidement associer les autres collectivités territoriales à leur projet. La recherche des associés s’opère dans un contexte favorable. En trois ans, de 1988 à 1991, l’ensemble des institutions territoriales connaît un renouvellement de leurs exécutifs. Ce sont en effet des exécutifs jeunes et proches de l’université qui remplacent les héritiers du pradélisme peu enclins à son soutien. Charles Millon prend ainsi la direction de la région Rhône-Alpes après le décès de son président Charles Béraudier. Le maire de Belley a une biographie qui croise de près l’université. Il a en effet été assistant à l’université et son épouse est la fille d’un professeur de la faculté catholique de Lyon. Au Conseil général du Rhône, c’est un ancien universitaire, Michel Mercier qui, au début des années 1990, remplace le président du Conseil général Palluy. Michel Noir est paradoxalement celui qui dispose du moins de lien avec l’université en 1989. La suite de son parcours atteste cependant de sa sensibilité pour les questions éducatives et pour l’enseignement supérieur 140 . L’initiative noiriste s’opère donc dans un contexte qui est favorable à l’obtention de soutien auprès des institutions régionales et départementales. Pourtant, le financement des politiques d’implantation universitaire n’est pas hermétique aux concurrences politiques et institutionnelles qui opposent les élus locaux. Les exécutifs territoriaux, s’ils acceptent tendanciellement de s’associer, sont aussi des rivaux qui se tiennent parfois en retrait du réseau d’action publique. La participation des élus des collectivités territoriales fluctue donc selon les périodes envisagées.

Notes
133.

Entretien avec Michel Cusin, président de Lyon II de 1986 à 1991, 10 avril 2003.

134.

Les propos sont de Michel Noir. « Patrons lyonnais : tous « noiristes » », Libération, 25 et 26 mars 1989.

135.

Archives du Grand Lyon, série 1297W, carton n°1, note de Michel Rivoire à l’attention de Jean-Michel Dubernard du 27 juillet 1989.

136.

Entretien avec Michel Noir, maire de Lyon et président du Grand Lyon de 1989 à 1995, 29 novembre 2002.

137.

« La Manu en question », Lyon Figaro, 7 février 1991.

138.

Archives du Grand Lyon, carton n°1, lettre du ministre de l’Education nationale aux présidents de la Communauté urbaine de Lyon et du Conseil général du Rhône du 19 février 1990.

139.

Ibid.

140.

Michel Noir, après son retrait de la vie politique, se consacre notamment au développement d’une société de production de logiciels informatiques consacrés au développement des capacités cognitives. Il est par ailleurs aujourd’hui docteur de l’université Lyon I.