1. L’importance de la place des exécutifs territoriaux

Les politiques d’implantation universitaire illustrent bien le fonctionnement élitiste et centralisé des collectivités territoriales, souvent décrit dans les analyses tant avant 176 qu’après la décentralisation 177 . Le réseau d’action publique qui gère les politiques d’implantation universitaire dans l’agglomération lyonnaise, s’il est composé d’élus et de fonctionnaires, est surtout marqué par la proximité que ces membres entretiennent avec le pouvoir exécutif.

Dès lors que leur institution est impliquée dans le financement des opérations, les exécutifs des collectivités locales sont systématiquement membres du réseau d’action publique qui gère les politiques d’implantation universitaire. Ils sont toujours assistés dans le suivi des dossiers des administratifs qui leur sont proches (en général le directeur général des services) et de leur directeur de cabinet. L’engagement personnel de l’élu et le degré de centralisation varient cependant selon les institutions considérées.

C’est le Conseil général du Rhône qui apparaît comme l’institution la plus centralisée. Associés très tôt au projet par Michel Noir, Michel Mercier et Pierre Jamet sont les interlocuteurs incontournables de l’institution départementale. Leur présence à la tête du département depuis le début des années 1990 fait d’eux les membres les plus anciens du réseau. Pierre Jamet, cumulant les fonctions de directeur de cabinet de Michel Mercier et de directeur général de services du département, est présent dans la quasi-totalité des réunions où le Conseil général du Rhône est représenté. En interne, il apparaît, avec le président, comme l’acteur central du département. La préparation de la convention financière liant le Conseil général à la Communauté urbaine atteste de cette position. Si les services du Conseil général (service action culturelle, tourisme, vie associative ; cellule juridique pour la rédaction de la convention ; services financiers pour l’établissement du calendrier de paiement) communiquent et se coordonnent dans la préparation du document 178 , Pierre Jamet est constamment informé de l’état d’avancement du dossier 179 . C’est à lui que revient la décision finale 180 . Proche des administratifs par sa position de directeur général de services, proche du pouvoir politique en tant que directeur de cabinet de Michel Mercier, il est, avec le président Mercier, l’acteur central du Conseil général. A l’inverse, Michel Thiers, le vice-président chargé de l’enseignement supérieur n’apparaît pas comme un membre permanent du réseau. Sa participation aux réunions est épisodique. Malgré une position de premier vice-président de l’assemblée départementale, il n’est pas mentionné dans les entretiens par les autres acteurs comme un contact permanent et influent.

A la région Rhône-Alpes, Alain Mérieux, vice-président chargé de l’enseignement supérieur est par contre un interlocuteur privilégie des universités et du recteur d’académie :

‘« Les liens étaient très forts et cela passait notamment par quelqu’un de très important, Alain Mérieux. C’était le vice-président chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche qui d’ailleurs participait à certaines de nos réunions. On l’invitait. Souvent, la seule personnalité que l’on avait c’était Mérieux. On l’invitait. Souvent on travaillait puis on mangeait et on se remettait à travailler. On le considérait comme un universitaire, Alain Mérieux.»  181

Avec Charles Millon, il est en charge de la gestion du dossier universitaire à la région Rhône-Alpes. Ces élus sont assistés du directeur général des services et directeur de cabinet Georges Consolo qui est également présent dans les réunions de négociation du schéma Université 2000. Le changement d’exécutif en 1999 ne change rien : la nouvelle présidente, Anne-Marie Comparini, et le vice-président chargé de l’enseignement supérieur, Charles Personnaz, sont toujours en charge du dossier.

L’implication des acteurs de la Communauté urbaine de Lyon est variable selon les périodes. Quand le Grand Lyon a le leadership politique de la réhabilitation de la Manufacture des Tabacs et la maîtrise d’ouvrage, l’implication est particulièrement importante. Jean-Michel Dubernard mais aussi Michel Noir suivent le projet de près. Ils sont assistés dans les premiers temps du secrétaire général du Grand Lyon, Pierre Ducret, et du directeur de cabinet du président (Jean Garagnon puis Guy Barriolade). Les acteurs de la Communauté urbaine sous le mandat de Raymond Barre sont ensuite plus impliqués dans le suivi du dossier Ecole normale lettres et sciences humaines. Raymond Barre, Anne-Marie Comparini adjointe chargée de l’enseignement supérieur et Guy Barriolade gardent cependant à la fois accès à l’information et aux autres acteurs du suivi du dossier de la Manufacture des Tabacs.

C’est souvent au titre des fonctions qu’ils occupent à la Communauté urbaine que les acteurs de la municipalité lyonnaise sont impliqués dans le réseau d’action publique. Par le cumul systématique des mandats de maire de Lyon et de président de la Communauté urbaine ou de vice-président et d’adjoint au maire chargé de l’enseignement supérieur, l’exécutif lyonnais est associé aux décisions. Le directeur de cabinet du maire de Lyon pâtit de cette moins grande implication de la Ville de Lyon : s’il est parfois associé aux réunions, sa présence reste épisodique. L’essentiel de l’implication des élus lyonnais passe ainsi par la Communauté urbaine au point parfois que les acteurs confondent les deux institutions dans leur discours :

‘« Il faut savoir que nous sommes à la fois Ville et COURLY. Puisque je suis également conseiller communautaire délégué à l’enseignement et à la recherche. » 182

Ce cumul entre les fonctions assurées à la Ville de Lyon et à la Communauté urbaine tend à augmenter le caractère restrictif de l’accès au réseau. La permanence de certains administratifs au sommet des collectivités territoriales 183 , voire leur circulation entre ces institutions 184 , renforce également l’élitisme du réseau. Les aléas des carrières politiques favorisent également la stabilité des acteurs impliqués 185 . Ces élus et administratifs impliqués dans les négociations sont en contact avec la plupart des autres membres du réseau : ils disposent d’un accès aux services du SGAR, aux services de la préfecture, au recteur d’académie et à ses services, aux présidents d’université. Bien qu’ils le recherchent moins fréquemment, ils ont également accès au centre dans la conduite des négociations 186 .

L’implication des exécutifs n’emprunte donc pas toujours les mêmes voies. Dans certaines institutions et conformément aux remarques opérées par Olivier Borraz dans son étude sur Besançon 187 , ce sont les adjoints ou les vice-présidents qui tendent à monopoliser les relations avec le secteur dont ils ont la charge (comme dans le cas d’Alain Mérieux pour la région Rhône-Alpes ou de Jean-Michel Dubernard pour la Communauté urbaine et la Ville de Lyon au début du mandat de Michel Noir). Dans d’autres (comme le Conseil général du Rhône) des pratiques de centralisation très fortes autour du couple chef de l’exécutif/directeur général des services se maintiennent et aboutissent à la marginalisation de l’adjoint. La situation particulière du Conseil général du Rhône semble devoir trouver un début d’explication dans le profil du président et de son plus proche collaborateur : tous les deux universitaires, ils portent un intérêt évident aux politiques d’implantation universitaire. La proximité de l’exécutif avec le domaine semble ici expliquer la variation dans la répartition des tâches entre l’adjoint (ou le vice-président selon les collectivités locales) et le maire (ou le président). Les membres les plus impliqués sont en effet souvent universitaires (c’est le cas de Jean-Michel Dubernard, de Michel Mercier et de Pierre Jamet) ou proche de ce milieu (c’est le cas d’Alain Mérieux). Plutôt que le déterminisme, c’est la variabilité des situations qui est ici repérable dans la division des tâches entre titulaire d’un exécutif de collectivité territoriale et adjoint ou vice-président 188 .

L’institutionnalisation progressive des services « enseignement supérieur » n’altère pas le fonctionnement élitiste du réseau d’action publique. L’investissement des collectivités territoriales se confirmant, des services sont créés. A la région Rhône-Alpes, l’enseignement supérieur est d’abord géré par la direction du développement économique, de la recherche et de l’enseignement supérieur créée en 1989. Un service strictement intitulé « enseignement supérieur » est créé en janvier 2000. Il ne regroupe que quelques personnes sous la responsabilité d’une chef de service. Une attachée territoriale principale est spécialement chargée des constructions universitaires. Au Conseil général, l’investissement dans l’immobilier universitaire est d’abord suivi par le service action culturelle, tourisme, vie associative avant d’être rattaché à la direction des affaires scolaires et de l’enseignement supérieur où un fonctionnaire est directement en charge de ces dossiers. A la Ville de Lyon, l’enseignement supérieur n’apparaît dans les organigrammes des services qu’après l’arrivée de Michel Noir par la création d’une délégation à l’enseignement supérieur qui ne compte qu’une chargée de mission. Le Grand Lyon ne dispose pas de service « enseignement supérieur ». Engagé depuis le mandat de Raymond Barre dans un plan « technopole », le Grand Lyon dispose de services structurés en fonction des sites d’implantation (La Doua, Porte des Alpes, Gerland…) ce qui est source de problèmes pour les autres collectivités dans l’identification de l’interlocuteur pertinent :

‘« Que ce soit au département ou à la Ville, nous avons un interlocuteur. Pour la Communauté urbaine, cela dépend de la nature du projet parce qu’ils ont élaboré une politique de pôles technologiques qui fait qu’on n’a pas les mêmes interlocuteurs selon les sites. Sur le projet de la Manufacture des Tabacs, je n’ai pas d’interlocuteur spécifique, c’est une nébuleuse extraordinaire. On a essayé d’inviter Mr Vincent[le directeur de la division logistique et bâtiment du Grand Lyon] qui n’est jamais venu à nos réunions. Claire Wantz n’a pas été habilitée pour traiter du dossier. » 189

La fréquence des contacts, le faible nombre de fonctionnaires composant ces services favorisent l’interconnaissance entre fonctionnaires chargés du suivi des constructions universitaires 190 . Pour autant, la mise en place des services « enseignement supérieur » ne perturbe que modéremment le fonctionnement élitiste des institutions territoriales. Les fonctionnaires de ces services ne sont pas directement associés aux négociations préparatoires. Seuls Jean-Claude Martin et Bernard Dord, respectivement directeur du service « développement économique/enseignement supérieur/recherche » et chargé de mission « enseignement supérieur » à la région Rhône-Alpes au début des années 1990, nous semblent faire exception. Leur présence est notable dans les réunions de préparation d’Université 2000, dans le groupe de suivi de l’opération Manufacture des Tabacs. Leurs interventions pendant les travaux du groupe « enseignement supérieur » mis en place à la région Rhône-Alpes attestent d’une bonne connaissance de l’état d’avancement des négociations. Ces exceptions notées, l’institutionnalisation de la gestion de l’immobilier universitaire au sein de l’organigramme des collectivités territoriales ne nous semble pas aboutir à une augmentation importante de l’ouverture du réseau dans la période des négociations. Pierre Jamet insiste sur le maintien de l’élitisme du réseau :

‘« Il faut être objectif. Dans un premier temps, toutes les négociations, elles se sont faites au niveau du président et de moi. D’abord parce que nous sommes d’anciens universitaires. Ensuite, parce que c’était une volonté politique du nouveau président de s’engager dans ce domaine-là. C’étaient des négociations au plus haut niveau. Par contre, il fallait suivre avec les services. » 191

Si les services des collectivités territoriales ne disposent pas d’un accès aux négociations qui associent les exécutifs et leur entourage le plus proche, ils retrouvent une place plus importante dans le suivi quotidien des opérations programmées.

Les fonctionnaires des services « enseignement supérieur » ne sont pas les seuls impliqués dans le réseau d’action publique. Dès lors que leur collectivité a la maîtrise d’ouvrage, les directeurs des services techniques sont également sollicités. Ainsi les directeurs successifs de la division « logistique et bâtiment » du Grand Lyon (Henry Alexandre puis Claude Vincent) sont présents pour le suivi technique des dossiers. Le directeur des services techniques du Conseil général participe également aux réunions mises en place pour suivre la tranche 1 de la Manufacture des Tabacs. La faiblesse des services techniques de la Ville de Lyon ou leur inexistence pour la région Rhône-Alpes conduisent les membres du réseau à s’appuyer essentiellement sur ces services pour conduire les maîtrises d’ouvrage. Dès lors qu’elle est maître d’ouvrage, la région Rhône-Alpes doit recourir à un conducteur d’opérations privé (la société « SIC développement » généralement). Les membres des services financiers sont, eux aussi, convoqués ponctuellement dès lors qu’il s’agit d’assurer la programmation d’opérations qui sont lourdes sur un plan financier.

Les élus et les fonctionnaires des collectivités territoriales qui sont membres du réseau d’action publique sont donc relativement peu nombreux. A l’exception des fonctionnaires des services directement chargés de l’enseignement supérieur, ils sont très proches du pouvoir exécutif. Les acteurs sus mentionnés ne sont cependant pas les seuls à s’occuper d’enseignement supérieur au sein des collectivités locales. Les membres des commissions, les membres des assemblées interviennent eux aussi dans ces politiques. Il convient donc de cerner précisément leur place.

Notes
176.

Jean-Claude Thoenig, « La relation entre le centre et la périphérie… », art. cit.; Michel Crozier et Jean-Claude Thoenig, « La régulation des systèmes organisés complexes... », art. cit. ; Pierre Grémion, Le pouvoir périphérique…, op. cit.

177.

Jacques Rondin, Le sacre des notables. La France en décentralisation, Paris, Fayard, 1985, 335 p.

178.

Archives de la direction des affaires scolaires et de l’enseignement supérieur du Conseil général du Rhône, carton n°109, sommaire d’un message de Mme Tissier à Mme Mazard du 17 février 1992 ; message de Mme Mazard à Mme Tissier du 3 juin 1992 ; message de Mme Mazard à Mme Tissier du 10 juin 1992 ; réponse de Mme Tissier à Mme Mazard du 10 juin 1992.

179.

Archives de la direction des affaires scolaires et de l’enseignement supérieur du Conseil général du Rhône, carton n°109, note de Mme Tissier à Mr Jamet non datée ; note à Mr Jamet du 6 mai 1992 « Convention bi-partite » ; note à Mr Jamet du 15 mai 1992 « communication téléphonique de Mme Journot de la COURLY ».

180.

Si les services du Conseil général communiquent bien entre eux, ils ne prennent pas de décision dans la rédaction des documents réglant les rapports avec les autres institutions territoriales. Ainsi, alors que les services de la COURLY les pressent de fixer l’échéancier de paiement, ils laissent la décision au directeur général des services. « Je crois qu’il faut poser la question à Pierre Jamet et s’il est injoignable laisser la porte ouverte à une inscription en DM2 ». Archives de la direction des affaires scolaires et de l’enseignement supérieur du Conseil général du Rhône, carton n°109, réponse de Mme Tissier à Mme Mazard du 10 juin 1992.

181.

Entretien avec Daniel Bancel, recteur de l’académie de Lyon de 1991 à 2000, 4 mars 2003.

182.

« Reconversion à la Manufacture », Lyon Figaro, 10 octobre 1989.

183.

Pierre Jamet est ainsi directeur général des services et directeur de cabinet du président du conseil général depuis l’élection de Michel Mercier en 1991. Guy Barriolade est directeur de cabinet de Michel Noir à la Communauté urbaine de 1990 à 1995 puis secrétaire général de l’institution intercommunale jusqu’en 2002.

184.

Jean Garagnon est conseiller spécial de Charles Millon pour les questions éducatives jusqu’en 1989. Il est ensuite directeur de cabinet de Michel Noir au Grand Lyon de 1989 à 1990 puis à nouveau conseiller spécial de Charles Millon. Michel Rivoire est conseiller de Michel Noir à la Communauté urbaine puis conseiller spécial de Charles Millon à la région Rhône-Alpes.

185.

Avant d’être présidente du Conseil régional Rhône-Alpes, Anne-Maire Comparini a été adjointe à la ville de Lyon et vice-présidente de la Communauté urbaine chargée de l’enseignement supérieur sous le mandat de Raymond Barre (1995-2001).

186.

Cette recherche des contacts avec le centre semble surtout effective lors des négociations des enveloppes financières des contrats de plan. Entretien avec Anne-Marie Comparini, présidente du Conseil régional Rhône-Alpes de 1999 à 2004, 29 juillet 2004.

187.

Olivier Borraz, Gouverner une ville : Besançon (1959-1989), Rennes, PUR, 1998, 227 p.

188.

Les remarques opérées par Stéphane Dion sur la richesse des possibilités des relations élus/fonctionnaires municipaux sont ici extensibles aux relations entre la présidence de l’exécutif et ceux qui disposent d’une délégation. (Stéphane Dion, La politisation des mairies, Paris, Economica, 1986, p. 25.)

189.

Entretien avec Martine Tacheau, attachée territoriale principale du service « enseignement supérieur » au Conseil régional Rhône-Alpes, 27 novembre 2001.

190.

La fréquence des échanges téléphoniques entre l’attachée territoriale principale du service « enseignement supérieur » à la région et ses homologues des autres collectivités territoriales ou du rectorat pour organiser des réunions et échanger des informations relevée lors des matinées passées à dépouiller les archives dans son bureau en atteste.

191.

Entretien avec Pierre Jamet, directeur de cabinet de Michel Mercier et directeur général des services du Conseil général du Rhône depuis 1990, 8 janvier 2003.