1. La stabilité de la participation de la « centrale »

La « centrale », tout d’abord, n’est pas affectée par le changement de forme du réseau consécutif à l’entrée des collectivités territoriales dans le cercle de négociation. La comparaison entre les deux projets se heurte cependant aux évolutions de l’organisation des services centraux du ministère de l’Education nationale. L’organisation des services de l’Education nationale connaît en effet des bouleversements importants pendant la période d’analyse retenue qui rendent plus ardue la comparaison. L’enseignement supérieur (et par voie de conséquence les constructions universitaires) est, au gré des découpages ministériels, rattaché directement au ministère de l’Education nationale 208  ou dispose d’une structure ministérielle propre 209 . Ces variations dans la définition des portefeuilles ministériels dès lors qu’elles n’affectent pas le découpage des services centraux ne sont pas un obstacle majeur à la comparaison. A l’inverse, le redécoupage des services centraux directement en charge de l’enseignement supérieur pose des problèmes plus ardus. Si on peut parfois relever des filiations entre des services qui ne font parfois que changer de dénomination, certaines réorganisations correspondent à de véritables créations et à l’introduction de nouvelles logiques. D’autres services à l’inverse disparaissent complètement 210 . Tendanciellement pourtant, ce sont les acteurs des directions chargées des relations pédagogiques avec les universités et ceux des directions ayant en charge les constructions universitaires qui disposent d’un accès aux sphères décisionnelles. Ces acteurs ne voient pas leur participation au réseau qui gère les politiques d’implantation universitaire remise en cause. L’accès du cabinet du ministre au réseau n’est pas non plus affecté par la décentralisation.

La direction de l’enseignement supérieur (DES), la direction de l’équipement scolaire et universitaire (DESUS) et le service du plan scolaire et universitaire sont impliqués dans la gestion du dossier de Lacroix Laval. Dans la période d’analyse retenue, les services centraux ne connaissent pas de bouleversements majeurs dans l’organisation de leur organigramme. La circulation de l’information entre les trois directions impliquées, si elle n’est pas des plus courantes est avérée, par les archives 211 . Dans le suivi des projets, les deux directions et le service du plan sont informés de l’état d’avancement des projets lyonnais par les contacts épistolaires échangés avec le recteur et avec les doyens des facultés puis après mai 1968 avec les universitaires lyonnais. Les services centraux dépêchent également sur place des représentants en mission qui visitent les installations retenues avec le recteur 212 ou qui, quand les problèmes deviennent très urgents, participent aux réunions organisées sous la présidence du préfet 213 . Ce n’est que dans ces cas d’urgence que ces acteurs centraux sortent de leur isolement sectoriel.

Le niveau politique (cabinet et ministre lui même) est lui aussi impliqué dans le suivi du dossier surtout dans la période postérieure à mai 1968 214 . Le ministre de l’Education nationale et les membres de son cabinet apparaissent ainsi comme des interlocuteurs ponctuels du recteur d’académie et des universitaires lyonnais. Dans l’urgence de mai 1968, certaines instructions relatives à la situation immobilière lyonnaise données au recteur émanent d’ailleurs du ministre lui-même 215 . Les universitaires entretiennent également des contacts directs avec les ministres successifs qui apparaissent comme un recours à la situation d’urgence dans laquelle se trouvent les établissements lyonnais 216 .

Dans les années 1990, les niveaux politique et administratif bénéficient toujours d’un accès au réseau. La comparaison est cependant rendue plus ardue par la fréquence des changements dans l’organisation des services centraux. L’organigramme de la « centrale » change en effet quatre fois dans les années 1990 au gré des alternances politiques. Seule la direction de l’enseignement supérieur existe tout au long de la période d’analyse, ses compétences variant cependant.

Au moment du lancement du projet en 1989, les services centraux viennent d’être réorganisés. La direction de la programmation et du développement universitaire (DPDU) voit le jour à cette époque. La structure a en charge à la fois la gestion de la politique contractuelle qui lie les universités et leur tutelle et le suivi de la procédure Université 2000. La DPDU est en lien permanent avec le recteur 217 . En charge de la politique contractuelle des établissements, elle a des contacts privilégiés avec les établissements universitaires. Sur le sujet des implantations universitaires, les relations avec les présidents d’établissements, si elles existent, ne sont pas systématiques 218 . La procédure U2000 est mise en place dans le cadre d’une concertation au sein des services centraux : la DPDU est ainsi en relation constante avec la direction de l’enseignement supérieur pendant la formalisation du schéma Université 2000 :

‘« Alors bien sûr cela se faisait en relation étroite avec la DES et sur l’ensemble du ministère. Mais la DPDU était la direction qui avait la charge de l’ensemble des moyens aux universités, c’est elle qui pilotait la procédure contractuelle. » 219

Les liens avec la DATAR responsable de la conduite des contrats de plan s’opèrent au niveau de cette direction. La DPDU assure ainsi la coordination des services centraux dans la mise en œuvre du plan Université 2000 et centralise les relations avec le recteur et les présidents d’université. Les relations avec les autres acteurs du réseau sont relativement peu fréquentes : les liens avec les services du SGAR sont ainsi rares ; les interventions des élus locaux ne s’opèrent pas à ce niveau.

Au début des années 1990, la DPDU est donc la direction en charge des politiques d’implantation universitaire. Elle est cependant réorganisée en 1993 : les constructions universitaires repassent alors sous la coupe de la direction de l’enseignement supérieur dans le cadre de la sous-direction des constructions. Au moment du lancement du plan Université du 3ème Millénaire par Claude Allègre, les constructions universitaires changent encore de direction. Elles sont intégrées à la direction de la programmation et du développement (DPD) qui dispose, dans une direction largement chargée de l’évaluation statistique, d’une sous-direction chargée des constructions et de l’aménagement régional. Cette sous-direction assure un rôle de suivi des politiques. Ce redécoupage n’aboutit pas la renaissance de la DPDU : les relations contractuelles avec les établissements sont gérées directement par la direction de l’enseignement supérieur. La DPD ne retrouve donc jamais la gestion de la totalité des moyens affectés aux universités qui faisait l’originalité de la DPDU qui gérait à la fois les constructions universitaires et les relations contractuelles avec les établissements 220 . C’est le bureau B2 de la sous-direction des constructions qui est en charge du suivi de l’immobilier universitaire. Ses membres entretiennent des contacts avec la direction de l’enseignement supérieur, avec la DATAR mais surtout avec les services de l’ingénieur régional conseiller technique des rectorats d’académie dans le cadre de la validation technique des dossiers de construction 221 . Les membres du bureau n’ont aucun contact direct avec les collectivités territoriales. Le suivi financier est assuré via les données centralisées au niveau local par les services du SGAR. A ce niveau, les services centraux n’ont donc aucun contact avec des acteurs non étatiques.

Les membres du cabinet du ministre et le ministre lui-même disposent toujours d’un accès aux autres membres du réseau. Ce sont eux qui entretiennent notamment les relations avec les élus locaux. Ils sont également en contact avec le recteur d’académie. Les membres du cabinet du ministre de l’Education nationale se déplacent également sur place contribuant à entretenir des relations directes avec les présidents d’université.

Par delà les changements d’organigramme qui affectent les services centraux du ministère, les relations entretenues par les bureaux en charge du suivi de l’immobilier universitaire sont relativement stables. Elles sont entretenues avant tout avec des acteurs qui appartiennent au ministère de l’Education nationale (recteur, université, autres directions du ministère, ingénieur régional conseiller technique). Si la naissance de la DPDU est une innovation qui permet, à travers la mise en place des contrats quadriennaux, la reconnaissance du niveau université 222 , c’est au contraire une certaine stabilité qui est ici remarquable dans les relations entretenues avec les autres acteurs du réseau dans les dossiers qui traitent de construction universitaire

Sur la période d’analyse retenue, la participation centrale aux réseaux étudiés n’est donc pas affectée par la décentralisation. Epargnés par le transfert de compétence, les services parisiens du ministère de l’Education nationale restent des acteurs incontournables de la conduite de l’action publique. La contractualisation du financement de l’immobilier universitaire ne bouleverse pas non plus les conditions de la participation rectorale aux politiques d’implantation universitaire. Des années 1960 aux années 2000, le recteur d’académie reste un acteur incontournable du réseau qui gère les politiques d’implantation universitaire.

Notes
208.

Dans la décennie 1990, c’est le cas des ministères Jospin (1988- 1992), Lang (1992-1993), Bayrou (1995- 1997), Allègre (1997- 2000), Lang (2000- 2002) et Ferry (2002-2004).

209.

C’est le cas du ministère Fillon (1993- 1995). Pour une vue de l’évolution de l’organisation des services centraux du ministère de l’Education nationale voir Jean-Louis Quermonne, L’appareil administratif de l’Etat, Paris, Seuil, 1991, pp. 69-75.

210.

Il en est ainsi du service du plan scolaire et universitaire dans les années 1960 ou encore de la mission « carte universitaire » dans les années 1990.

211.

Par exemple archives nationales section contemporaine, série 1977 0533, carton n°2, copie de la lettre du directeur de la DES au directeur de la DESUS du 26 novembre 1965 ; lettre du directeur de la DES à Mr le directeur de la DESUS du 5 février 1968 ; service du plan scolaire et universitaire 4 février 1966 note à l’attention du directeur de l’enseignement supérieur ; lettre du 10 janvier 1968 du directeur de la DESUS au chef du service du plan.

212.

Archives nationales section contemporaine, série 1977 0533, carton n°2, compte-rendu de la mission effectuée à Lyon par Mr Bernard, Peiras et Salomon de la DES, 8 et 9 février 1967.

213.

Archives nationales section contemporaine, série 1977 0533, carton n°2, DES compte-rendu de la mission ministérielle des 6 et 7 février 1969.

214.

Archives nationales section contemporaine, série 1977 0533, carton n°2, lettre du 30 janvier 1969 du recteur au cabinet du ministre de l’Education nationale.

215.

Archives nationales section contemporaine, série 1977 0533, carton n°2, dépêches télégraphiques du ministre de l’Education nationale au recteur d’académie des 15 et 16 novembre 1968.

216.

Archives nationales section contemporaine, série 1977 0533, carton n°2, dépêche télégraphique du ministre de l’Education nationale au doyen de la faculté des lettres de Lyon du 15 novembre 1968. Les universitaires lyonnais peuvent également rencontrer directement le ministre de l’Education nationale. Archives départementales du Rhône, série 2690W, carton n°3, séance de travail présidée par Monsieur Olivier Guichard non datée.

217.

Entretien avec Riwana Jaffres, membre de la mission « carte universitaire » de 1991 à 1992 et chef du bureau B2 de la DPD de 1999 à 2002, 28 mai 2003.

218.

Ibid.

219.

Ibid.

220.

Cependant au moment où nous avons rencontré les membres du bureau B2, il était question d’un nouveau redécoupage. La sous-direction chargée des constructions devait repasser sous la direction des enseignements supérieurs. La direction de l’enseignement supérieur adopterait un profil proche de la DPDU originelle.

221.

Entretien avec Eric Affolter et Olivier Duplessis, membres du bureau B2 de la DPD, 3 mars 2003.

222.

Erhard Friedberg et Christine Musselin, L’Etat face aux universités en France et en Allemagne, Paris, Economica, 1993, pp. 75-80