2. La stabilité de la nodalité rectorale

Le recteur d’académie demeure un acteur central des réseaux d’action publique étudiés. Dans les deux périodes, il occupe une position nodale à la limite du monde universitaire et du monde administratif. Ainsi, dans le cas du projet de Lacroix Laval, les recteurs Allix puis Louis sont les seuls membres du réseau qui sont impliqués depuis le lancement du projet. Le recteur d’académie est ainsi en lien avec le directeur départemental du ministère de la Construction en charge du projet lors de la période qui court de la réservation du domaine pour service public à son achat 223 . S’il est bien en relation avec le préfet, les échanges épistolaires dans cette période sont plus rares. Le recteur assure aussi une communication avec les services centraux du ministère tant au niveau administratif (notamment avec la direction des constructions scolaires universitaires et sportives) que politique 224 . Pendant la définition du programme pédagogique pour l’université de Lacroix Laval, le recteur est aussi en lien constant avec les universitaires lyonnais. Il centralise leurs demandes et se fait l’interlocuteur privilégié de la direction de l’enseignement supérieur 225 et du cabinet du ministre. Après mai 1968, il se fait même un relais entre les unités de recherche dans la transmission des projets de regroupement d’unités à Lacroix Laval. Quand les problèmes universitaires deviennent une urgence absolue, il participe aux réunions organisées par le préfet. C’est seulement dans ces occasions que nous avons pu identifier des contacts avec des élus locaux. Aucune contact en lien direct avec la gestion du projet de Lacroix Laval n’a pu être identifié entre le recteur et les élus locaux.

Le recteur apparaît comme le membre le plus permanent du réseau d’action publique qui gère les politiques d’implantation universitaire lyonnaise dans les années 1960. Au niveau local, il est le seul interlocuteur des universitaires lyonnais. Ses services techniques sont cependant faiblement structurés pour l’instruction des problèmes immobiliers :

‘« Au niveau immobilier, à l’époque, le rectorat était constitué de l’ingénieur régional. Il avait une équipe très restreinte de deux à trois ingénieurs pas plus. Parallèlement à cela, il y avait une structure qui s’appelait le contrôle des travaux qui s’occupaient des travaux de l’académie mais au sens large du terme puisque nous étions en charge des problèmes relatifs au rectorat, qui n’était pas construit dans son implantation actuelle. Et à l’époque, on avait assumé également les travaux des universités lyonnaises grosso modo localisées sur Lyon. (…) En résumé, je témoigne que les activités immobilières étaient pratiquement inexistantes au rectorat dans les années 1960-1970. » 226

Michel Laferrère met l’accent sur la faiblesse des services techniques du rectorat dans la gestion du projet de Lacroix Laval :

‘« Le service technique du rectorat a été créé plus tard vers 1963-1964. On a recruté des gens bien sympathiques mais qui n’étaient pas d’une compétence extraordinaire : c’est moi qui les ai initiés à pas mal de choses. (…) Le service technique du rectorat m’a même demandé un programme pédagogique pour le remplacement d’une chaudière ! Bon, je leur ai répondu qu’il ne fallait pas exagérer. » 227

Pendant cette période il est de plus ordonnateur secondaire de tous les projets de construction ce qui lui donne un contrôle sur l’affectation des sommes et le suivi des programmes de construction au moment de l’édification des bâtiments :

‘« Avant l’ensemble législatif de la décentralisation donc 1982, 1983 et 1985 qui ont fait des collectivités ce qu’elles sont aujourd’hui, le recteur avait la responsabilité de la maîtrise d’ouvrage. C’était l’ordonnateur secondaire pour les lycées, les collèges et les établissements d’enseignement supérieur. Il était maître d’ouvrage et n’avait de compte à rendre qu’à Paris, au cabinet du ministre et aux directeurs de l’Equipement. » 228

Dans la période contemporaine, le recteur d’académie est toujours en contact avec l’ensemble des acteurs impliqués dans le réseau. Il dispose ainsi d’un accès aux présidents d’université et aux directeurs des grandes écoles déjà implantées dans l’agglomération lyonnaise 229 . S’il ne participe pas directement aux structures de représentation de l’enseignement supérieur au niveau de l’agglomération (le Pôle Universitaire Lyonnais) et sur le plan régional (la Conférence Universitaire Rhône-Alpes), il dispose d’un accès à ces structures notamment en cas de crise 230 .

Le recteur d’académie est en lien avec la direction en charge de l’immobilier universitaire (la DPDU au moment du lancement de Université 2000 puis la DPD pour U3M), avec le ministre lui-même, voire avec Matignon pour trouver des arbitrages financiers qui soient favorables à son académie lors de la négociation des enveloppes financières 231 . Les services de l’ingénieur régional conseiller technique sous sa responsabilité ont par ailleurs été considérablement renforcés par rapport aux années 1960. Ce sont cinq ingénieurs qui apportent leur compétence technique au recteur d’académie qui dispose ainsi d’une expertise sur le coût des projets et sur l’exécution des opérations 232 .

Le recteur d’académie profite de la décentralisation et de la contractualisation des politiques d’implantation universitaire pour développer ses relations avec les élus locaux et avec leur entourage le plus proche 233 . La très faible fréquence des départs des recteurs renforce leur centralité : l’académie de Lyon du lancement du projet de la Manufacture des Tabacs aux dernières négociation d’U3M ne connaît, ainsi, que deux recteurs d’académie 234 .

Les acteurs centraux et déconcentrés du ministère de l’Education nationale sont donc des membres permanents des réseaux d’action publique étudiés. La position rectorale est même confortée par la mise en contractualisation de l’immobilier universitaire : le recteur d’académie développe ses relations avec les élus locaux et vient concurrencer le préfet et les acteurs des directions départementales de l’Equipement dans un domaine qui leur est traditionnellement réservé. Le recteur profite de la décentralisation et de l’implication des élus locaux pour développer des relations avec eux et conforter son insertion dans les réseaux décisionnels locaux.

Les services centraux et déconcentrés du ministère de l’Education nationale ne sont donc pas affectés par les évolutions de la forme du réseau d’action publique qui gère les politiques d’implantations universitaires. D’autres acteurs étatiques, tant au niveau central que déconcentré, voient par contre leur présence sur les scènes décisionnelles particulièrement affectée par l’investissement des collectivités territoriales dans le financement de l’immobilier universitaire.

Notes
223.

Archives départementales du Rhône, série 2690W, carton n°34, lettre du directeur départemental du ministère de la Construction au recteur d’académie, 27 septembre 1958.

224.

Archives nationales section contemporaine, série 1977 0533, carton n°2, lettre du recteur à Mr Bruyère conseiller technique - cabinet du ministre, 21 octobre 1966.

225.

Archives nationales section contemporaine, série 1977 0533, carton n°2, compte-rendu de la mission effectuée par Messieurs Bernard, Peiras et Salomon de la DES les 8 et 9 février 1967 – Objet examen de la situation de l’enseignement supérieur à Lyon.

226.

Entretien avec Gérard Nioulou, membre des services techniques du rectorat d’académie de 1968 à 1969 et chef des services techniques de Lyon III depuis 1973, 27 novembre 2002.

227.

Entretien avec Michel Laferrère, assesseur du doyen de la faculté des lettres de 1962 à 1967, 21 janvier 2003.

228.

Entretien avec Maurice Niveau, recteur de l’académie de Lyon de 1980 à 1991, 25 mars 2003.

229.

Entretien avec Maurice Niveau, recteur de l’académie de Lyon de 1980 à 1991, 25 mars 2003 ; Entretien avec Daniel Bancel, recteur de l’académie de Lyon de 1991 à 2000, 4 mars 2003.

230.

Entretien avec Daniel Bancel, recteur de l’académie de Lyon de 1991 à 2000, 4 mars 2003.

231.

La position de Daniel Bancel est particulièrement favorable au moment du lancement du plan U3M. Il connaît personnellement Lionel Jospin et Claude Allègre pour avoir été membre du cabinet du ministre de l’Education nationale de 1988 à 1991. Il a été de plus au cours de sa carrière président de l’Université Paul Sabatier à Toulouse, région d’implantation politique de Lionel Jospin. (Le Monde Education,10 mai 2001, p. 35) Au moment du lancement du schéma Université du 3ème millénaire, il connaît donc personnellement le ministre de l’Education nationale et le Premier ministre.

232.

Les services de l’ingénieur régional conseiller technique du rectorat de l’académie de Lyon sont composés d’un ingénieur urbaniste, de quatre ingénieurs adjoints, un ingénieur régional conseiller technique. Chaque ingénieur est affecté au suivi d’un projet précis. (Plaquette de présentation du service de l’IRCT, académie de Lyon, novembre 1994).

233.

Entretien avec Daniel Bancel, recteur de l’académie de Lyon de 1991 à 2000, 4 mars 2003.

234.

Maurice Niveau est recteur de l’académie de Lyon depuis 1980 quand il prend sa retraite en 1991. Daniel Bancel lui succède de février 1991 à janvier 2000.