1. De la préfecture de département aux services du SGAR ?

Dans le dossier de Lacroix Laval, l’implication préfectorale emprunte les chemins de la planification urbanistique. Ainsi dès le 13 mai 1958, le préfet du Rhône est informé par les services de la direction départementale du ministère de la Construction du lancement du projet. C’est par la voie d’une inscription du domaine de Lacroix Laval au Groupement d’Urbanisme de la Région Lyonnaise (GURL) initiée par le directeur départemental du ministère de la Construction que le préfet du Rhône connaît le dossier. La loi lui réserve une place de coordinateur 267 dans cette procédure qu’il joue effectivement. Pendant la longue période qui va de la manifestation du premier intérêt pour le domaine en 1958 à son achat en 1966, le préfet du Rhône suit personnellement le dossier et est informé par le directeur départemental du ministère de la Construction de son état d’avancement. Ses relations avec le recteur, si elles existent, sont beaucoup moins fréquentes. Une fois le domaine acheté, le préfet s’éloigne des programmes d’implantation universitaire 268 . L’inscription du projet au Vème plan, procédure dans laquelle le préfet a un rôle éminent en tant que préfet de région 269 ne lui donne pas accès au dossier qui bute sur la question de la définition d’un programme pédagogique. Le retrait préfectoral n’est cependant qu’une éclipse. Le préfet retrouve une place importante alors que la rentrée universitaire de 1969 s’annonce particulièrement difficile eu égard à la situation immobilière très tendue des anciennes facultés de lettres et de droit. La question des implantations universitaires est perçue à cette période comme une question relevant en partie de la sécurité publique, domaine traditionnel d’exercice de la fonction préfectorale 270 . Dans cette situation d’urgence, le préfet du Rhône retrouve une position de coordinateur des différents services déconcentrés de l’Etat y compris des services rectoraux. Il préside ainsi plusieurs réunions qui regroupent de nombreux représentants des services extérieurs de l’Etat (du rectorat d’académie au directeur départemental de la Construction en passant par un représentant de la direction départementale de l’Agriculture) 271 .

Le préfet dispose également d’un accès aux services centraux des ministères pour coordonner des interventions périphériques. Il ne se limite pas au ministère de l’Education nationale : il est notamment l’interlocuteur du ministère de l’Agriculture dans l’installation de l’Ecole vétérinaire de Lyon sur les terrains de Lacroix Laval 272 . Les interventions auprès des services ministériels sont cependant rares et n’ont aucune commune mesure avec la fréquence des échanges que le préfet entretient avec le directeur départemental du ministère de la Construction.

Si elle reste effective dans la gestion du dossier de la Manufacture des Tabacs, la participation préfectorale s’opère essentiellement au titre des ressources institutionnelles qui sont conférées par la position de préfet de région. C’est en effet par l’intermédiaire du suivi des contrats de plan que le préfet est impliqué dans la conduite des politiques d’implantation universitaire. Cette procédure lui confère un rôle de coordination de l’action des deux rectorats d’académie inclus dans la région Rhône-Alpes. Régionalisation de la négociation oblige, les investissements du ministère de l’Education nationale sont en effet affectés à la région et non à l’académie 273 . C’est donc le préfet de région qui attribue l’enveloppe financière aux deux rectorats d’académie que compte la région. L’engagement des crédits est de plus décidé en conférence administrative régionale (CAR) puis en comité régional de programmation et de suivi (CRPS), deux structures qu’il préside et qui lui donne un accès permanent à l’information.

Si la participation préfectorale au réseau d’action publique est bien effective, ce sont plutôt les membres de ses services qui sont des acteurs permanents du réseau d’action publique qui gère les politiques d’implantation universitaire. Les membres du secrétariat général aux affaires régionales (SGAR) sont présents dans les négociations conduites pendant Université 2000, U3M et les contrats de plan 1994-1999 et 2000-06. Le chargé d’études « enseignement supérieur » du SGAR suit ainsi personnellement la préparation des schémas régionaux d’aménagement et de développement des enseignements supérieurs chargés de définir les objectifs globaux des investissements réalisés dans Université 2000 274 . Lors de la négociation du contrat de plan 2000-06, le fonctionnaire du SGAR chargé du suivi de l’enseignement supérieur est également impliqué dans les négociations 275 . Plus encore peut-être, les membres du SGAR sont des acteurs essentiels du suivi financier des politiques. Lors de la mise en œuvre du contrat de plan 2000-06, deux membres du SGAR sont aussi en charge de l’engagement des crédits d’investissement 276 . Cette position confère aux services du SGAR un contact régulier avec l’ensemble des services des collectivités territoriales et du rectorat d’académie impliqués dans le financement et la réalisation des projets. Le chargé du volet « enseignement supérieur »  du contrat de plan dispose également d’un contact avec les services centraux du ministère de l’Education nationale. Il est en lien avec le bureau B2 de la direction de la prospective et du développement chargé d’assurer le suivi de l’engagement des investissements. Il est également en relation avec le bureau chargé des affaires juridiques de la même direction pour régler les problèmes d’interprétation des textes et, très ponctuellement, il est le correspondant de la DATAR :

‘« Le seul contact [avec la DATAR] c’est le compte-rendu annuel des dépenses. Parce que la DATAR recroise avec ce que peut lui donner le ministère. C’est le seul contact que l’on a . (…) On a des rapports avec la DAJ [direction des affaires juridiques du ministère de l’Education nationale] parce qu’il y a toujours des problèmes d’interprétation des textes, et puis avec la DPD qui nous demande des tableaux puisqu’ils ne travaillent qu’avec nos tableaux et pas avec ceux du recteur. » 277

Le départ relativement fréquent des personnels du SGAR nuit cependant à la continuité de l’implication de ses membres dans le réseau d’action publique 278 .

C’est donc essentiellement leur assise régionale qui permet aux préfets Paul Bernard puis Michel Besse de disposer d’un accès à la conduite des politiques d’implantation universitaire. S’ils semblent exclus de la conduite des négociations, les services de la préfecture de département retrouvent un accès à la décision dans le suivi des politiques 279 . Dans le cas du département du Rhône, ce sont les membres du bureau de la direction des affaires interministérielles qui sont en charge de ces dossiers 280 . Les caractéristiques du terrain étudiés pèsent sur les observations effectuées : Paul Bernard et Michel Besse, disposant d’un accès au réseau par la voie de leur position de préfet de région, ne jouent pas l’implication des services de la préfecture de département dans le suivi de ces politiques. Des tendances similaires, tendant à conclure à la marginalisation du préfet de département, ont pu être observés périodiquement en Isère 281 .

Sur la période d’analyse retenue (1958-2004), les contacts entre le préfet et les universitaires lyonnais semblent se développer quelque peu. Ils sont quasiment inexistants dans la conduite du projet de Lacroix Laval. Ainsi, si le principal promoteur du projet de Lacroix Laval à la faculté de lettres a connaissance du soutien préfectoral, il ne le mentionne pas dans ses contacts 282 . L’un des responsables du projet de Lacroix Laval exclut même le préfet de ses contacts :

‘« Le préfet intervient pour le maintien de l’ordre, pour les constructions, il n’intervenait pas. » 283

Les archives dépouillées n’attestent d’aucun contact, même fragmentaire entre le préfet du Rhône et les universitaires sur cette période, ce qui n’exclut pas l’existence de contacts plus informels. C’est seulement quand le projet devient prioritaire dans l’immédiat après mai 1968 que préfet et universitaires lyonnais participent aux mêmes réunions. Trente ans plus tard, s’ils ne sont pas des plus fréquents, les contacts entre universitaires et préfets se sont développés. Les services du SGAR, par l’intermédiaire du chargé de mission « enseignement supérieur », participent à des réunions avec les présidents des universités lyonnaises 284 . Les présidents d’université participent également à des réunions communes avec le préfet de région, relativement rares cependant lors de la programmation des sommes 285 . Dans le suivi du projet et l’engagement des travaux, les contacts entre les universitaires et le préfet sont également rares :

‘« (…) le préfet n’intervient pas. Le préfet est intervenu une fois à ma demande pour la tranche 2. Pour cette tranche, il a fallu démolir deux petits pavillons le long d’une avenue. Les Bâtiments de France avaient donné un avis défavorable à la démolition. Asticotés par des associations de sauvegarde du patrimoine. Et comme je m’étais beaucoup battu du temps de Noir pour que les deux maisons [à immédiate proximité de la Manufacture des Tabacs] ne soient pas détruites, j’étais d’autant plus à l’aise pour dire : « bon, on a sauvé les deux grosses maisons. » D’un autre côté, on ne peut pas tout garder. Donc j’ai été voir le préfet avec l’architecte et le préfet a signé le permis de construire. C’est la seule fois où il y a eu une intervention. » 286

Si le préfet ne dispose pas d’un accès fréquent aux universitaires lyonnais, il est le contact privilégié des établissements d’enseignement supérieur qui ne relèvent pas de l’académie du Rhône. Dans la conduite du projet de Lacroix-Laval, c’est lui qui tient informé le directeur du Centre d’études de la sécurité sociale de l’état d’avancement du projet de délocalisation de l’établissement sur le domaine de Lacroix Laval 287 . Il est l’interlocuteur privilégié du directeur de l’Ecole supérieure de commerce de Lyon dont l’installation est un temps envisagé 288 . Si l’analyse du projet de la Manufacture des Tabacs ne permet pas de tester la permanence de cette relation, le cas de la délocalisation de l’Ecole normale supérieure lettres et sciences humaines atteste cependant de son maintien. Les services du SGAR sont ainsi en relation directe avec le cabinet ministériel, l’opération étant pilotée depuis Paris :

‘« (…) avec le cabinet du ministre, il y a des relations assez personnelles. Par exemple, sur l’ENS, on avait des relations, l’Etat avait piloté cela directement depuis Paris. Il fallait être en contact avec un conseiller technique du cabinet. » 289

Là encore cependant, les contacts transitent, sur la période analysée, de la préfecture de département à la préfecture de région.

Notes
267.

Décret n°58-1463 du 31 décembre 1958 relatif aux plans d’urbanisme publié au JORF du 4 janvier 1959, pp. 262-268.

268.

Alors que les courriers relatifs au suivi du projet adressés au préfet du Rhône étaient relativement nombreux, nous n’en n’avons plus trouvé entre l’achat du domaine et la crise de mai 1968 alors que les atermoiements et les difficultés du projet sont très nombreux. Le préfet Max Moulins reconnaît même dans une réunion organisée à la préfecture du Rhône sous sa présidence que « (…) tous ces problèmes universitaires ne lui sont connus que depuis quelques heures. Jamais il ne lui a été demandé son concours pour la mise en œuvre d’équipements d’urgence. » Archives nationales section contemporaine, série 1977 0533, carton n°2, compte-rendu de la réunion du 6 février 1969, p. 10.

269.

L’article 5 du décret n°64-251 du 14 mars 1964 charge le préfet de région de « suivre l’exécution de la tranche régionale du plan de développement économique et social ».

270.

Ainsi en octobre 1969 est évoqué dans une réunion « la nécessité de lancer le plus rapidement possible la première tranche de travaux de l’ensemble universitaire [de Lacroix Laval] pour éviter des manifestations de la part des étudiants en droit qui manquent de locaux. » Archives nationales section contemporaine, série 1977 0533, carton n°2, compte-rendu de la réunion du 14 octobre 1969 sur l’ensemble universitaire de Lacroix Laval, p. 3.

271.

Archives nationales section contemporaine, série 1977 0533, carton n°2, compte-rendus des réunions du 6 février 1969, 11 mars 1969 et du 14 octobre 1969.

272.

Archives départementales du Rhône, série 2690W, carton n°34, lettre de la direction générale de l’enseignement et des affaires professionnelles et sociales du ministère de l’Agriculture au préfet du Rhône. L’installation de l’Ecole nationale vétérinaire de Lyon est un temps projetée sur les terrains de Lacroix Laval. L’école s’implante finalement à proximité du domaine.

273.

Entretien avec Alain Blanchard, chargé du suivi du volet « enseignement supérieur » au SGAR Rhône-Alpes, Lyon, 22 juin 2003.

274.

Entretien avec Guy Bertholon, chargé d’études « enseignement supérieur–recherche » pour le SGAR Rhône-Alpes de 1989 à 1992, 7 décembre 2002. La présence de représentants du SGAR lors des réunions préparatoires au schéma Université 2000 est avérée par les compte-rendus de réunions. Archives de la direction de l’enseignement supérieur de la région Rhône-Alpes, carton « schéma université 2000 », compte-rendu de la réunion du 6 mai 1992 relative au dossier Université 2000 du Rhône. Préfecture du Rhône ; compte-rendu de la réunion relative au dossier U2000 du jeudi 26 mars 1992 au rectorat de l’académie de Lyon.

275.

Entretien avec Alain Blanchard, chargé du suivi du volet « enseignement supérieur » du contrat de plan au SGAR Rhône-Alpes, 22 juin 2003.

276.

Ibid.

277.

Ibid.

278.

Ainsi des trois personnes rencontrées à l’occasion de notre étude, deux n’exercent plus actuellement au sein des services du SGAR Rhône-Alpes (Alain Blanchard et Guy Bertholon). Ils n’ont pas été à ce jour véritablement remplacés.

279.

Pour le dernier contrat de plan, la mise en place des « comités de site » a institutionnalisé la présence des acteurs de la préfecture de département. Organisés par site universitaire (Lyon, Grenoble, Valence…), ces comités regroupent le préfet du département concerné, le recteur d’académie et des élus locaux. Les acteurs régionaux, le préfet de région et ses services se tiennent généralement en retrait de ces réunions.

280.

Archives du service des affaires scolaires et de l’enseignement supérieur du Conseil général du Rhône, Carton 110 « Université 2000 Manufacture des Tabacs », réunion du 15 octobre 1992 à la COURLY.

281.

Dans les premières années de la décennie 1990, le préfet de l’Isère est marginalisé par le recteur d’académie dans la gestion de l’immobilier universitaire. Il retrouve ensuite une position plus centrale dans la conduite de l’ADUAG, le syndicat grenoblois qui gère l’immobilier universitaire. Voir sur ce point Gilles Novarina et Bernard Pouyet, « Construire l’université et fabriquer la ville. Grenoble entre campus et essaimage », Les annales de la recherche urbaine, n°62-63, juin 1994, pp. 112-126.

282.

Entretien avec Michel Laferrère, assesseur du doyen de la faculté des lettres de 1962 à 1967, 21 janvier 2003.

283.

Entretien avec Mr Garagnon, assesseur du doyen de la faculté de droit et de sciences économiques de 1965 à 1968, 4 février 2003.

284.

Entretien avec Guy Bertholon, chargé de mission « enseignement supérieur » au SGAR Rhône-Alpes de 1989 à 1992, 7 décembre 2002.

285.

Entretien avec Eric Froment, président de Lyon II de 1991 à 1996, 10 avril 2003 ; entretien avec Bruno Gelas, président de Lyon II de 1996 à 2001, 8 avril 2003. En nous mentionnant les acteurs avec lesquels il était en contact, l’ancien président de Lyon II oublie ainsi de mentionner le préfet ; il s’en rappelle au cours de l’entretien.

286.

Entretien avec Gilles Guyot, président de Lyon III de 1997 à 2002, 6 janvier 2003.

287.

Archives départementales du Rhône, série 2690W, carton n°34, lettre du 19 août 1961 du préfet du Rhône au directeur du CESS ; lettre du 14 novembre 1962 du directeur du CESS au préfet du Rhône.

288.

Archives départementales du Rhône, série 2690W, carton n°34, lettre du directeur de l’Ecole Supérieure de commerce de Lyon au préfet du Rhône.

289.

Entretien avec Alain Blanchard, chargé du suivi du volet « enseignement supérieur » du contrat de plan Etat-région au SGAR Rhône-Alpes de 1999 à 2004, 22 juin 2003.