L’abaissement du centre de gravité du réseau posée en hypothèse centrale est bien confirmé par le recensement des acteurs qui interviennent dans la période contemporaine. L’investissement croissant des élus locaux dans le soutien aux politiques d’implantation universitaire amène l’analyste à poser la question des effets de l’inclusion des intérêts locaux dans les réseaux d’action publique qui gèrent ces politiques. Dans cette deuxième partie, nous cherchons à cerner l’évolution de l’influence de chaque membre du réseau sur la conduite des politiques d’implantation universitaire.
Nous faisons ici l’hypothèse que, comme dans de nombreux autres domaines 359 , le centre perdrait de l’influence dans la définition des objectifs de la politique dans la période contemporaine. A l’inverse des années 1960, le pouvoir de la périphérie ne résulterait pas seulement de l’assouplissement de la norme centrale aux particularités des territoires où elle s’applique 360 . La périphérie s’affirmerait, au contraire, comme un lieu de négociation et de discussion sur les objectifs mêmes de la politique. L’action du centre se résumerait à l’institutionnalisation de scènes de négociation qui permettrait la co-construction entre des acteurs pluriels des objectifs de la politique et des modalités d’action 361 . C’est donc entre acteurs périphériques que se discuteraient les politiques d’implantation universitaire. Ce mouvement général serait renforcé par les caractéristiques de notre terrain d’étude. L’indifférence relative des notables lyonnais pour les politiques d’implantation universitaire dans les années 1960 affecterait les marges de manœuvre de la périphérie. Le centre disposerait donc d’un pouvoir particulièrement important. La translation du pouvoir du centre vers la périphérie n’en serait que plus remarquable.
Ce décentrement du système politico-administratif français mettrait en cause les lieux de construction de l’inter-sectorialité. Nous faisons l’hypothèse complémentaire d’un abaissement à la périphérie des lieux de construction de l’inter-sectorialité. Le Commissariat général au plan, dans les années 1960, permettrait la prise en compte d’objectifs inter-sectoriels par le ministère de l’Education nationale. Dans cette période, l’inclusion des politiques d’implantation universitaire dans des objectifs transversaux s’opérerait à un niveau central via les travaux des commissions du Commissariat général au plan. La quasi-disparition du Commissariat général au plan du réseau affecterait la capacité du centre à rapporter les politiques d’implantation universitaire à des objectifs plus globaux et à opérer des liens dans la construction de l’action publique entre des problèmes sectoriels distincts. La DATAR se verrait ici concurrencée par l’inclusion des collectivités territoriales dans le réseau d’action publique. La capacité du centre à penser transversalement les politiques serait mis en cause par l’abaissement du centre de gravité du réseau d’action publique. C’est à la périphérie et par l’action des acteurs porteurs d’une logique transversale, élus locaux et préfet de région, que les objectifs globaux des politiques d’implantation universitaire seraient construits 362 . C’est ici la capacité des acteurs périphériques à dépasser les enjeux sectoriels qui est questionnée. Cette seconde partie interroge donc à la fois la répartition du pouvoir entre le centre et la périphérie et questionne les relations entre les acteurs « sectoriels » et « inter-sectoriels ».
Ce corps d’hypothèses nous fait envisager, la distribution du pouvoir au sein des réseaux d’action publique étudiés. Fidèle à l’option microscopique retenue, le questionnement ne s’arrête pas à l’opposition du centre et de la périphérie ou des instances sectorielles et transversales. Il cherche également à appréhender quel(s) acteurs dispose(nt) du pouvoir à l’intérieur des institutions impliquées dans les négociations. Pour répondre à ces hypothèses, nous étudions l’évolution du pouvoir des instances centrales dans un premier chapitre pour ensuite questionner le renforcement éventuel du pouvoir de la périphérie.
Par exemple sur la politique de la ville voir Jacques Donzelot et Philippe Estèbe, L’Etat animateur. Essai sur la politique de la ville, Paris, Esprit, 1994, 238 p.
Jean-Claude Thoenig, « La relation entre le centre… », art. cit. ; Michel Crozier et Jean-Claude Thoenig, « La régulation des systèmes… », art. cit.
Patrice Duran et Jean-Claude Thoenig, « L’Etat et la gestion publique territoriale », art. cit.
Certains chercheurs voient dans la place croissante des élus locaux dans la définition des objectifs de l’action publique l’émergence d’un rapport local / sectoriel. Alain Faure, « Les politiques locales entre référentiels et rhétorique » dans Alain Faure, Gilles Pollet et Philippe Warin (dir.), La construction du sens dans les politiques publiques…, op. cit., pp. 69-83.