Conclusion de la 2ème partie

L’hypothèse posée en introduction d’une perte de centralité de l’Etat et d’un glissement du pouvoir du centre vers la périphérie trouve des réponses contrastés. Si le centre étatique perd bien un lieu important de mise en cohérence de l’action publique dans la disparition du Commissariat général au plan, le cabinet du ministre de l’Education nationale conserve une capacité d’action comparable à celle dont il dispose dans les années 1960-1970. S’il influe moins sur la conduite des politiques d’implantation universitaire, c’est essentiellement parce que les universitaires et le recteur sont capables dans la période contemporaine d’élaborer un projet conforme aux directions données par le centre ministériel. L’implication financière des collectivités territoriales profite essentiellement aux universitaires et au recteur qui voient leur marge de manœuvre largement augmentée. Libérés de leur dépendance financière à l’égard de centrale parisienne qui les prive dans les années 1960 de possibilités dans la réalisation de leurs projets, ils s’affirment comme les acteurs incontournables de la gestion des politiques d’implantation universitaire lyonnaise. Le préfet à l’inverse voit son influence réduite par rapport au début de la Vème République. L’influence des exécutifs des collectivités territoriales n’est pas à la mesure de leur engagement financier. Loin de consacrer une co-construction de l’action publique, l’inclusion des politiques d’implantation universitaire dans des dispositif contractuels aboutit à un « partenariat hiérarchisé » 628 . Elle ne porte pas en elle des changements majeurs quant à la définition du contenu de l’action publique produite 629 .

Ces changements dans la localisation du pouvoir aboutissent paradoxalement à une sectorisation accrue de la construction de l’action publique par rapport au début des années 1960. Si la crispation sectorielle s’opère en 1968 avec le retrait constaté du Commissariat général au plan dans la fixation des objectifs, l’implication des collectivités territoriales ne débouche pas sur la constitution, à un niveau infra-national, d’un « lieu de mise en cohérence de l’action publique, [d’]un lieu d’intégration de ses différentes dimensions » 630 . Sur les terrains investigués, les élus locaux, s’ils incluent bien les politiques d’implantation universitaire dans des objectifs inter-sectoriels, ne disposent pas des ressources nécessaires à la prise en compte de ces objectifs dans la définition des politiques conduites. Ils ne s’érigent donc pas ici en médiateur capable d’opérer une potentielle articulation entre les besoins locaux et les objectifs sectoriels. La possible émergence d’un rapport local/sectoriel 631 n’est pas ici confirmée.

Les mouvements de décentralisation/déconcentration des scènes de négociation voire de fixation des objectifs des politiques n’aboutissent ainsi pas toujours à une (re)territorialisation de l’action publique. Sans postuler à priori une opposition entre intérêts sectoriels et intérêts territoriaux infra-nationaux, les contrôles sectoriels sur la négociation semblent nombreux. A Lyon, ils s’exercent à la périphérie à travers les négociations qui se déroulent entre présidents d’université et recteur. Même si ce n’est pas le cas sur les politiques étudiées, les services centraux constituent également un verrou sectoriel qui peut user d’un pouvoir de contrôle sur les négociations périphériques. Le glissement du pouvoir à la périphérie du système politico-administratif français n’induit donc pas mécaniquement une reterritorialisation de l’action publique. Reste à comprendre comment dans le cadre de ces relations inégales, les acteurs parviennent à maintenir l’échange. Paradoxalement, les capacités de construction du compromis semble plus grande dans la période contemporaine qu’au début de la Vème République.

Notes
628.

Jean-Pierre Gaudin, Gouverner par contrat. L’action publique en question, Paris, Presses de Sciences Po, 1999, p. 112.

629.

Les changements induits par la contractualisation semblent très variables selon les terrains investigués (Jean-Pierre Gaudin, « La négociation des politiques contractuelles » dans CEPEL, La négociation des politiques…, op. cit., p. 14). Si Christine Musselin et Renaud Berrivin concluent à des changements importants dans leurs études sur l’enseignement supérieur et l’Equipement (Renaud Berrivin et Christine Musselin, « Les politiques de contractualisation entre centralisation et décentralisation : le cas de l’équipement et de l’enseignement supérieur », Sociologie du travail, vol. 38, n°4, novembre 1996, pp. 575-596), Pierre Lascoumes et Jérôme Valluy voient dans l’introduction des pratiques contractuelles des changements plus modestes dans le domaine de la protection de l’environnement (Pierre Lascoumes et Jérôme Valluy, « Les activités publiques conventionnelles (APC) : un nouvel instrument de politique publique. L’exemple de la protection de l’environnement industriel », Sociologie du travail, vol. 38, n°4, novembre 1996, pp. 551-573).

630.

Pierre Muller, « Entre le local et l’Europe. La crise du modèle français de politiques publiques », Revue française de science politique, vol. 42, n°2, avril 1992, p.295.

631.

Alain Faure, « Les élus locaux à l’épreuve de la décentralisation. De nouveaux chantiers pour la médiation politique locale », Revue française de science politique, vol. n°44, n°3, juin 1994, p. 462-479.