3. De la pression à l’incitation : l’influence de la stratégie des autres partenaires sur la capacité universitaire à élaborer un compromis

Signe de l’interdépendance qui lie les universitaires lyonnais et les autres membres des réseaux d’action publique étudiés, les universitaires sont sensibles aux stratégies adoptées par leurs partenaires de négociation. Si dans les années 1960, elles concourent au renforcement de la fragmentation des intérêts, dans la période contemporaine, elles favorisent au contraire leur intégration.

Dans la gestion du dossier de Lacroix-Laval, la stratégie adoptée par les ministres de l’Education nationale successifs ne favorise pas l’établissement d’un consensus entre pairs. L’empressement d’Edgar Faure et d’Olivier Guichard à sortir du provisoire et à appliquer la loi d’orientation pousse les acteurs locaux à établir des compromis dans l’urgence. C’est sous la pression ministérielle que les négociations s’opèrent. Ainsi, en juin 1969, Edgar Faure cherche à définir une majorité d’universités avant son départ programmé de la rue de Grenelle. Le cabinet du ministre demande donc aux universitaires d’élaborer des compromis très rapidement et de parvenir à un accord. Si les universitaires parviennent à proposer un projet aux services centraux, il n’est pas l’expression d’un consensus en leur sein. Les découpages adoptés par le ministère de l’Education nationale le 16 juin 1969 ont ainsi été élaborés dans une réunion du 13 juin 1969 707 . Les conseils d’UER, qui ne peuvent être consultés en raison des délais ministériels extrêmement courts, refusent dans leur grande majorité le projet.

Olivier Guichard, quant à lui, veut sortir du provisoire pour permettre la constitution du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche 708 . Il propose ainsi un calendrier très contraint aux universitaires lyonnais qui ne disposent que d’un mois et demi pour proposer les regroupements 709 . Si les membres de la faculté de droit et celle des lettres admettent le principe d’une juxtaposition de leurs deux établissements, les scientifiques et les médecins la refusent. En ne reposant pas sur un accord localement construit, la constitution des deux universités porte en elles les germes de leurs difficultés à venir. Le dialogue sur la définition des universités est donc temporellement contraint par les stratégies propres des deux ministres.

Dans la gestion du projet de la Manufacture des Tabacs, au contraire, les stratégies adoptées par les autres membres du réseau poussent à la construction d’un compromis entre les universitaires lyonnais. Les collectivités territoriales s’appuient systématiquement sur les présidents d’université. En soutenant la création des instances de représentation des intérêts au niveau de l’agglomération ou au niveau régional, la stratégie des exécutifs des collectivités territoriales favorise l’établissement d’un consensus entre les présidents.

Les services centraux du ministère de l’Education nationale en lançant la procédure U2000 et en renvoyant la définition des projets à des discussions qui doivent associer le recteur d’académie et les présidents d’université donnent une opportunité à l’intégration des intérêts universitaires. Les négociations d’Université 2000 favorisent largement le rapprochement entre les universités et les grandes écoles :

‘« Mais globalement, il y a eu un renouvellement et ce renouvellement fait que la dynamique a bien pris. Les réunions d’U2000 qui sont un élément clé de la liaison qui s’est opérée entre nous ont joué. Il y avait U2000 c’est vrai, la contrainte internationale c’est sûr, l’existence en d’autres endroits de rassemblement, tout cela faisait qu’il y avait de fortes incitations pour une réflexion collective et un travail ensemble. Il fallait arriver à peser sur cette ville. Les universités devaient avoir un poids normal, juste normal. » 710

Au total, la période d’analyse retenue voit disparaître la régulation par l’urgence qui était à l’œuvre dans les années 1960. La légitimité des objectifs mis en avant par les élus locaux les pousse à s’investir durablement dans le financement des politiques d’implantation universitaire même s’ils n’en fixent pas les objectifs. Ils ne jouent plus comme dans les années 1960 un jeu indépendant des autres membres du réseau. La capacité nouvelle des universitaires à établir un compromis assure, de plus, une plus grande intégration des intérêts. Malgré le caractère polyarchique du réseau étudié et la pluralité des acteurs qui interviennent, les mécanismes de régulation des stratégies divergentes sont plus prégnants que dans les années 1960. La période contemporaine voit donc se substituer à une régulation par l’urgence une régulation plus durable. Reste maintenant à comprendre les mécanismes qui au delà de la convergence des intérêts permettent la prise en compte réciproque des intérêts des partenaires.

Notes
707.

Archives départementales du Rhône, série 2690W, carton n°3, compte-rendu de la réunion des représentants des unités d’enseignement et de recherche du 13 juin 1969.

708.

Archives départementales du Rhône, série 2690W, carton n°3, compte-rendu de la réunion des directeurs des UER et du chargé de mission du ministère au rectorat d'académie du 4 novembre 1969.

709.

Archives départementales du Rhône, série 2690W, carton n°3, compte-rendu de la réunion du 19 septembre 1969 – 15 h. relative à la constitution des universités lyonnaises. Les projets lyonnais doivent être proposés au ministère de l’Education nationale avant la fin du mois d’octobre 1969.

710.

Entretien avec Eric Froment, président de Lyon II de 1991 à 1996, 10 avril 2003.