2. Des règles du jeu qui encadrent les ajustements entre pairs

Les membres des collectivités territoriales voient leurs échanges de plus en plus encadrés par le droit dans la période contemporaine. Si l’opération de la Manufacture des Tabacs est lancée dans un contexte institutionnel très flou, l’inclusion de la procédure dans les contrats de plan Etat-région contribue à donner des ressources aux acteurs pour qualifier juridiquement la situation. Elle participe de la reconnaissance du leadership régional sur la conduite des négociations qui est peu à peu admis par les membres des autres collectivités locales.

Le lancement de la réhabilitation de la Manufacture des Tabacs s’opère dans un contexte de forte indétermination juridique qui ne favorise pas l’établissement d’un compromis entre pairs. Le droit issu de la décentralisation ne donne que peu de ressources aux acteurs pour qualifier les relations qui doivent exister entre les collectivités territoriales. L’interdiction de la tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre accouche d’un système polyarchique où les institutions locales sont juridiquement autonomes les unes par rapport aux autres et sans lien hiérarchique entre elles. Les blocs de compétence ne permettent pas non plus de qualifier juridiquement la situation en dégageant des préséances entre les différents niveaux territoriaux. La région, le département, la commune peuvent tout autant intervenir en arguant de leur clause de compétence générale. L’absence de règles encadrant les échanges et définissant un chef de file à la conduite de ces politiques est une des raisons du retrait du Conseil régional du financement de la tranche 1. S’intégrer au projet, c’est en effet suivre Michel Noir alors qu’aucun texte juridique n’assoit son leadership sur le projet.

Le lancement du schéma Université 2000 par l’Etat contribue à encadrer en partie les relations entre les élus des collectivités territoriales. Si l’ensemble des collectivités territoriales est signataire du schéma Université 2000, la décision du partenaire étatique de s’appuyer sur les régions dans les négociations permet d’affirmer la préséance de la région dans la conduite des négociations. Ce sont les services de la région qui sont associés prioritairement aux négociations qui se tiennent avec l’Etat 721 et qui discutent les participations financières des collectivités infra-régionales. La désignation du leader venant d’un tiers, elle est en partie reconnue comme légitime par les membres des autres collectivités territoriales :

‘« … la région est venue à l’époque parce qu’elle a changé de stratégie politique en disant : « on va dans le domaine universitaire et de la recherche à l’occasion d’université 2000 et on prend le leadership ». Ce qui était normal puisque l’Etat voulait négocier d’abord avec les régions au niveau des collectivités. » 722

L’inclusion des politiques d’implantation universitaire dans le contrat de plan Etat-région confirme la préséance régionale dans la conduite des politiques. A ce titre, elle permet « une simplification des échanges entre les partenaires » 723 . Si elle est critiquée, elle est aussi admise comme nécessaire par les membres des autres collectivités territoriales. Pragmatiques, ils reconnaissent souvent la difficulté de l’ouverture des négociations à l’ensemble des collectivités territoriales de Rhône-Alpes :

‘« … c’est compliqué d’associer tout le monde. Dans une région comme Rhône-Alpes, vous avez quand même huit départements, je ne sais pas combien de communes ; si on prend les plus grosses, cela en fait vite 50 ou 100. Si vous associez Lyon, pourquoi pas Grenoble, pourquoi pas Saint-Etienne, pourquoi pas Valence. Je comprends un petit peu [que la région n’associe pas toutes les collectivités territoriales]. » 724

La région apparaît de plus aux autres acteurs comme le « bon »niveau de gestion des politiques d’implantation universitaire. La collectivité régionale est souvent décrite comme un optimum dimensionnel pour la gestion des politiques d’implantation universitaire. Des arguments managériaux viennent donc conforter la reconnaissance du rôle majeur de la région :

‘« … alors que la région qui n’était pas présente [sur le financement de la tranche 1 de la Manufacture des Tabacs], elle devient la collectivité de référence pour l’enseignement supérieur. Et légitimement parce que c’est elle qui doit l’être parce que l’université n’est pas une affaire de ville, ce n’est pas une affaire de département. L’université rayonne sur un territoire régional avec une cohérence à trouver sur le territoire régional. » 725 ’ ‘« Cela devrait relever des régions [le financement et la gestion de l’immobilier]. A l’Etat, l’aspect uniformité des diplômes, mais tout ce qui est mur, je vais même plus loin, gestion devraient être associés au Conseil régional. Parce que c’est le seul niveau intermédiaire où l’intérêt de 6 millions d’habitants [est en jeu]. (….) Je pense que c’est le bon niveau de gestion. Si on dit que c’est Lyon, cela fera la guerre avec Grenoble, Saint-Etienne. » 726

L’encadrement progressif des politiques d’implantation universitaire par des procédures institutionnelles permet donc aux acteurs de qualifier la situation et d’encadrer leurs échanges. Dans le cadre limitatif posé par le droit, des mécanismes d’ajustements mutuels entre les acteurs opèrent bien.

Notes
721.

Entretien avec Guy Bertholon, chargé d’études « enseignement supérieur » au SGAR Rhône-Alpes de 1989 à 1992, 7 décembre 2002.

722.

Entretien avec Pierre Jamet, directeur de cabinet de Michel Mercier et directeur général des services du Conseil général du Rhône depuis 1990, 8 janvier 2003.

723.

Alain Briole, Richard Lauraire et Emmanuel Négrier, « Des contrats sans rupture. L’émergence de la contractualisation dans les politiques publiques de télécommunication en Europe du Sud » dans CEPEL, La négociation des politiques contractuelles, op. cit., p. 174.

724.

Entretien avec Guy Barriolade, directeur de cabinet de Michel Noir de 1990 à 1995 et secrétaire général du Grand Lyon de 1995 à 2002, 17 avril 2002.

725.

Entretien avec Pierre Jamet, directeur de cabinet de Michel Mercier et directeur général des services du Conseil général du Rhône depuis 1990, 8 janvier 2003.

726.

Entretien avec Jean-Michel Dubernard, adjoint chargé de l’enseignement supérieur à la Ville de Lyon de 1989 à 1995, 18 février 2002.