1. Des ajustements entre tiers

Les mécanismes d’ajustements mutuels les plus prégnants concernent les acteurs du réseau qui sont engagés dans les négociations financières du volet « enseignement supérieur » du contrat de plan. Dans le cadre limitatif posé par le droit, ils cherchent à prendre en compte les intérêts de leurs partenaires contractuels. Le préfet de région, le recteur d’académie, les élus locaux et les services des collectivités territoriales ajustent leurs positions aux difficultés et aux exigences de leurs partenaires. Les présidents d’université, s’ils prennent en compte les objectifs des autres membres du réseau, ne le font cependant que si ces derniers ne sont pas contraires à leurs objectifs.

Les objectifs politiques des élus locaux sont intégrés dans les positions défendues par le recteur d’académie et par le préfet de région. Essentiellement pour des raisons d’affichage, les exécutifs des collectivités locales souhaitent exercer la maîtrise d’ouvrage des opérations les plus prestigieuses. Des contraintes légales pèsent toutefois sur cette attribution : aux termes de la loi 727 , les collectivités locales doivent assurer les deux tiers du financement des travaux pour pouvoir obtenir la responsabilité de la conduite du chantier. Dès lors qu’elles exercent la maîtrise d’ouvrage, les collectivités territoriales sont également remboursées de la taxe sur la valeur ajoutée 728 . Le recteur et le préfet incluent ces objectifs dans le montage financier des projets. Les opérations de réhabilitation, qui intéressent beaucoup moins les élus locaux, sont donc conduites sous une maîtrise d’ouvrage étatique :

‘« Quand c’est l’Etat qui est maître d’ouvrage, c’est l’Etat qui finance 100% de l’opération et quand ce sont les collectivités, il faut faire en sorte que l’Etat soit nettement en dessous d’un tiers pour que les collectivités récupèrent le plus possible de TVA. (…) Les tableaux ont été rebricolés longtemps pour qu’on ait des répartitions un tiers, deux tiers à chaque fois pour respecter la loi et toucher le FCTVA [le fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée]. » 729

La situation politique au sein des assemblées est également prise en compte par les services de la préfecture de région. L’absence de majorité politique au Conseil régional Rhône-Alpes pousse les services de la préfecture de région à abandonner le projet de révision du contrat de plan à mi-parcours comme la procédure nationale le prévoit. Le préfet de région cherche ainsi à éviter la remise en discussion des opérations programmées qui risque de provoquer la tenue d’un débat difficile pour l’exécutif régional :

‘« … on a dit qu’on ne faisait pas de révision du contrat de plan (…) la région n’a pas intérêt : elle n’a pas de majorité politique. Donc, voter à nouveau sur le CPER, c’est remettre en ébullition l’assemblée plénière avec la gauche contre la droite et avec, au milieu, l’exécutif. Donc, on ne fait pas de révision à mi-parcours. » 730

Pour éviter à Anne-Marie Comparini, la tenue d’un débat difficile à l’assemblée régionale et favoriser l’adoption du contrat de plan, le préfet de région tente de plus d’obtenir une augmentation des crédits qui sont attribués à la région Rhône-Alpes :

‘« La présidente [Anne-Marie Comparini] avait besoin de s’appuyer sur un bon contrat de plan bien plus important que le précédent. Le précédent était à 5 milliards, celui-là est à 8,6 milliards. Si elle avait raté son contrat de plan, elle aurait été en position de faiblesse, politiquement parlant. Alors que là, elle a pu se donner une stature de négociateur notamment avec les Conseils généraux. La région avait besoin de cela. L’Etat n’a pas essayé d’en profiter. On est resté sur la parité : ils mettent autant que nous. (…) [La présidente] a même obtenu de l’Etat une rallonge importante et un volume important de contrat de plan alors que le gouvernement était à gauche. » 731

Les élus prennent également en compte les intérêts de la communauté universitaire et du recteur d’académie. Au moment de la négociation d’U3M, il manque ainsi 300 millions de francs au recteur d’académie pour concrétiser ses opérations. Anne-Marie Comparini annonce très rapidement qu’elle augmente la participation régionale de la moitié de la somme demandée faisant ici pression sur les services centraux du ministère de l’Education nationale pour qu’ils augmentent d’autant les investissements consacrés à l’académie de Lyon 732 . L’exercice de la maîtrise d’ouvrage par les collectivités territoriales est également guidé par la volonté de répondre aux exigences des usagers universitaires. Quand, à l’occasion d’un changement de président d’université, les demandes d’aménagement des locaux évoluent, elles sont généralement prises en compte par les collectivités territoriales alors même que ces changements sont un facteur de surcoût et de retard dans la réalisation des travaux 733 .

Les services techniques des collectivités territoriales ajustent également la conduite des chantiers à la situation financière des partenaires. Ainsi, à la suite des difficultés budgétaires qui affectent l’Etat en 1993, un accord est passé entre les services de l’ingénieur régional conseiller technique du rectorat d’académie et la division logistique et bâtiment de la Communauté urbaine de Lyon en charge de la conduite du chantier. Pour obtenir l’accord des contrôleurs financiers au niveau central, la part de l’Etat est découpée en trois autorisations de programme. Les services du rectorat certifient des documents financiers qui ne correspondent en rien à l’état d’avancement physique du chantier :

‘« L’avancement physique du chantier n’aura nécessairement rien à voir avec ces tranches mais les certificats d’avancement des travaux, nécessaires à l’appel de financement de l’Etat, doivent être conformes aux tranches prévues. (…) les services du rectorat nous ont assuré qu’ils certifieraient sans problème ce qu’il faudra. Il reste qu’il faut accepter de démarrer avec cet arrangement par définition oral. » 734

Les présidents d’université sont certainement ceux qui sont le moins sensibles aux objectifs des autres acteurs. Sans être inflexibles, ils ne semblent prendre en compte les intérêts de leurs partenaires que quand ils ne vont pas à l’encontre de leurs objectifs. La volonté du Conseil général d’un rééquilibrage à l’ouest est acceptée : elle aboutit au renforcement de l’implantation de l’université Lyon II sur le site d’Ecully 735 . A l’inverse, ils refusent certaines interventions municipales ou préfectorales. L’intégration d’un IUT dans une opération politique de la ville défendue par le préfet est ainsi vigoureusement rejetée par Eric Froment, le président de Lyon II 736 . L’exécutif de Lyon II refuse également l’interventionnisme du conseil municipal de la commune de Bron qui cherche à peser sur la localisation de ses cycles universitaires 737 . La prise en compte des intérêts des partenaires a donc ses limites : les présidents d’université semblent ici les plus imperméables aux volontés des tiers. Tendanciellement cependant, les mécanismes d’ajustements mutuels entre tiers permettent aux acteurs du réseau d’action publique étudié de réguler leurs stratégies. Des ajustements entre pairs complètent, ces premières voies à l’établissement du compromis.

Notes
727.

Article 4 de la loi n°90-587 du 4 juillet 1990 relative aux droits et obligations de l’Etat et des départements concernant les instituts universitaires de formation des maîtres, à la maîtrise d’ouvrage de construction d’établissements d’enseignement supérieur et portant diverses dispositions relatives à l’Education nationale, à la jeunesse et aux sports.

728.

Pour une description du fonctionnement du fond de compensation sur la valeur ajoutée (FCTVA) voir Véronique Fabre-Alibert, « Le fond de compensation pour la taxe à valeur ajoutée », Administration, n°171, avril-juin 1996, pp. 70-73.

729.

Entretien avec Alain Blanchard, chargé du suivi du volet « enseignement supérieur » du contrat de plan au SGAR Rhône-Alpes de 1999 à 2004, 22 juin 2003.

730.

Ibid.

731.

Ibid.

732.

Entretien avec Daniel Bancel, recteur de l’académie de Lyon de 1991 à 2000, 4 mars 2003.

733.

Entretien avec Martine Tacheau, attachée territoriale principale au service « enseignement supérieur » du Conseil régional Rhône-Alpes, 27 novembre 2001.

734.

Archives de la division des affaires scolaire et enseignement supérieur du Conseil général du Rhône, carton n°109, note du directeur de la division « logistique et bâtiment » du Grand Lyon du 30 septembre 1991 ; voir aussi entretien avec Henri Alexandre, directeur de la division « logistique et bâtiment » du Grand Lyon de 1990 à 1991, 4 juin 2002.

735.

Entretien avec Daniel Bancel, recteur de l’académie de Lyon de 1991 à 2000, 4 mars 2003.

736.

Entretien avec Eric Froment, président de Lyon II de 1991 à 1996, 10 avril 2003.

737.

Entretien avec Gilbert Puech, président de Lyon II depuis 2001, 12 juillet 2004.