Conclusion de la 3ème partie

L’intégration des collectivités territoriales dans le réseau ne débouche pas sur une fragmentation croissante des intérêts. Leur inclusion durable est le signe même de l’interdépendance croissante entre l’Etat, les collectivités territoriales et les universitaires dans la gestion des politiques d’implantation universitaire. La situation de convergence stratégique qui prévaut entre les acteurs du réseau leur permet de trouver les voies de construction de compromis. Ces mécanismes, bien que fragiles, permettent aux acteurs de trouver les voies d’un investissement durable dans les politiques d’implantation universitaire. Le changement est ici qualitatif. Ce n’est pas un développement des mécanismes de régulation de l’action qui s’opère mais bien un changement de nature dans leur logique : si dans la gestion du projet de Lacroix Laval, l’intégration des stratégies s’opère uniquement par l’urgence, la période contemporaine voit au contraire le développement d’une intégration durable des stratégies des acteurs.

Nous sommes bien ici face à un développement des capacités de constitution d’un projet au niveau infra-national par la coordination entre certains acteurs. Pour autant, l’observation d’un changement qualitatif dans les relations entre les acteurs, parfois présenté comme le signe de l’avènement d’une gouvernance 809 au niveau infra-national, ne doit pas éluder les enseignements antérieurs. L’exclusion des élus locaux de la définition des objectifs, la fragilité et la portée des mécanismes d’ajustements mutuels réduisent considérablement les coordinations qui sont à l’œuvre au sein du réseau d’action publique qui gère le dossier de la Manufacture des Tabacs. Si les études menées en terme de gouvernance n’exclut pas le conflit et ne donne pas une vision irénique de la formalisation du projet local, les différences d’influence dans la construction des projets ne nous semblent pas identifier les politiques d’implantation universitaire menées dans l’agglomération lyonnaise à celles décrites par les tenants de la gouvernance urbaine. Seule la formalisation de la liste des opérations à conduire entre présidents d’université, directeur de grandes écoles et recteur est élaborée dans la coordination et dans la discussion mutuelle des intérêts. Ces relations, et elles seules, prise en compte mutuelle des intérêts. Nous ne sommes pas ici face à l’articulation de plusieurs formes de régulation sur un territoire infra-national 810 mais bien plus face à des ajustements entre acteurs pluriels dont la portée est limitée. Pour stimulante qu’elle soit, l’hypothèse d’un changement dans les modalités de l’exercice du pouvoir ne trouve pas ici de confirmation empirique.

Le niveau d’agrégation des intérêts apparaît enfin incertain. Il varie selon la période envisagée. La mise en compatibilité des stratégies des acteurs s’opère en effet, pendant les premières négociations, au niveau de la ville de Lyon pour ensuite se formaliser au niveau académique pendant U3M. Le contrat de plan ne suffit pas à consacrer le niveau régional comme le niveau légitime d’agrégation des intérêts. La région Rhône-Alpes souffre ici de sa spécificité et de la présence de deux recteurs sur son territoire d’intervention. Si la région 811 ou la ville 812 ont pu être décrits dans d’autres domaines comme le niveau d’intégration des intérêts, le découpage institutionnel du ministère de l’Education nationale prime ici sur les frontières régionales.

Notes
809.

Alistair Cole et Peter John font de ce changement qualitatif une des conditions à l’avènement de la gouvernance. Alistair Cole et John Peter, Local Governance in England and France, London / New York, Routledge, 2001, 192 p.

810.

Patrick Le Galès, « Régulation, gouvernance et territoire » dans Jacques Commaille et Bruno Jobert (dir.), Les métamorphoses…, op. cit., pp. 203-240.

811.

Bernard Jouve, « Echange politique territorialisé et mobilisation régionale en Europe. Convergence, divergence et prudence » dans Bernard Jouve et Emmanuel Négrier (dir.), Que gouvernent les régions en Europe…, op. cit., pp. 297-308.

812.

Arnaldo Bagnasco et Patrick Le Galès, « Les villes européennes comme société et comme acteur » dans Arnaldo Bagnasco et Patrick Le Galès (dir.), op. cit., pp. 7-43.