Bref retour réflexif sur la conduite des entretiens et l’élaboration de la liste de personnes à rencontrer

L’adoption d’une approche réticulaire nous a conduit très tôt à privilégier les acteurs du réseau sur les témoins des négociations. Ce sont donc les personnes qui ont été repérées, après le dépouillement des archives et après la réalisation des premiers entretiens comme faisant partie du réseau d’action publique qui ont été rencontrées. Une méthode décisionnelle a donc présidé à la détermination de la liste des personnes à interviewer. L’inclusion d’acteurs qui n’étaient pas directement impliqués dans les négociations des politiques d’implantation universitaire, outre les problèmes d’exactitude des faits rapportés, aurait contribué à considérablement dilater la liste des personnes à interroger.

Pour autant, le choix de se centrer sur des acteurs du réseau peut induire des biais dans l’analyse qu’il convient de conserver à l’esprit. Il a pu conduire à une minimisation des conflits, des oppositions et des tensions qui traversent le réseau d’action. Les élus notamment sont, en général, peu enclins à évoquer les concurrences politiques et les crises qui peuvent traverser leurs relations. De manière assez singulière pourtant, les conflits et les tensions entre les exécutifs territoriaux ont été rapidement évoqués souvent à l’initiative des interviewés eux-mêmes. A ce titre, l’option de rencontrer les directeurs de cabinet et les directeurs généraux de service, proches des élus sans être soumis aux mêmes contraintes qu’eux, nous semble avoir été fructueuse. Ce sont souvent par ces proches du pouvoir exécutif que nous avons pu prendre conscience des conflits qui pouvaient opposer les acteurs du réseau (voir notamment les entretiens avec Jean Garagnon, Guy Barriolade, Pierre Jamet). L’entretien mené avec Michel Noir est d’ailleurs le plus riche que nous ayons réalisé avec un membre élu du réseau. La situation de l’interviewé n’y est certainement pas étrangère : retiré de la vie politique, Michel Noir est plus libre quant au ton adopté et aux informations données (voir notamment les informations sur l’illégalité de certaines interventions préfectorales). Les entretiens menés avec les acteurs appartenant à des instances centrales se sont montrés particulièrement riches également. D’eux-mêmes, les personnes interrogées ont évoqué les difficultés des relations entre la DATAR et Claude Allègre, voire entre Claude Allègre et Dominique Voynet (voir notamment les entretiens de Jean-Richard Cytermann, Ariane Azema et Francine Demichel).

Nous n’avons pu bénéficier d’une même pluralité de points de vue dans l’appréhension des relations entre les présidents d’université. Ils sont en effet, dans la période contemporaine, les seuls à avoir accès au réseau d’action publique. Le contenu de ces entretiens n’a pu être recroisé qu’avec ceux qui ont été réalisés avec les recteurs d’académie (entretiens avec Maurice Niveau et avec Daniel Bancel) et le directeur de l’ « Université de Lyon » (Guy Bertholon), là encore des professeurs d’université qui peuvent avoir intérêt à afficher l’unité universitaire lyonnaise. L’histoire des relations entre les universités lyonnaises a pu également renforcer la tendance des interviewés à minimiser les conflits et les oppositions entre eux. Après une longue période de déchirements, la volonté d’afficher une unité nouvelle de l’université lyonnaise a pu conduire les interviewés a mettre volontairement (ou non) l’accent sur les dynamiques de coopération qu’ils entretiennent entre eux, plutôt que sur les tensions qui peuvent les opposer. A ce titre, la réaction du directeur du Pôle universitaire lyonnais est remarquable : alors même qu’il est enclin à évoquer les tensions qui peuvent affecter les relations entre d’autres membres du réseau (par exemple entre Michel Noir et le préfet Paul Bernard), notre interlocuteur réagit relativement vivement, dès lors que nous évoquons les difficultés potentielles de la coopération entre les universités lyonnaises (entretien avec Guy Bertholon). Pour autant, nous n’avons pu repérer ni dans les archives ni dans les articles de presse dépouillés le signe d’une tension entre les présidents d’université sur ces dossiers. Certains entretiens réalisés avec les présidents d’université nous paraissent même être marqués par une certaine liberté de ton (entretien avec Michel Cusin notamment). Les sources, quelles qu’elles soient, comportent toutes cependant une part incompressible de biais qui affectent l’objectivité du regard posé sur le terrain d’étude. S’il reste impossible de les éviter complètement, il convient au moins de les garder à l’esprit.