Entretiens

Entretien avec Henry ALEXANDRE –
Directeur de la division « logistique et bâtiment » - 4 juin 2002

L’entretien se déroule à Paris dans les locaux de la mission « Paris 2008 ». il dure 1 heure.

Est-ce que vous pouvez tout d’abord vous présenter ?

En ce qui vous intéresse, oui. Je m’appelle Henry Alexandre. Je suis fonctionnaire d’Etat. J’ai été de 1990 à 1997 détaché auprès du Grand Lyon. D’abord en qualité de directeur de la Logistique et des bâtiments puis en tant que secrétaire général adjoint où je me suis occupé de bien autre chose que des problèmes de bâtiments. Mais en 1990-91, à la communauté urbaine de Lyon, j’étais directeur de la DLB. J’ai en particulier participé à la mise en place de l’opération Manufacture qui était une grosse opération. Ce n’était pas la seule grosse, il y avait deux opérations importantes qui étaient le lycée international où la région Rhône Alpes était maître d’ouvrage mais où la communauté urbaine était conducteur d’opération, maître d’ouvrage délégué, et la transformation de la Manufacture en université. Je ne me suis occupé que du lancement, je n’étais plus à la tête de la DLB au moment de la concrétisation. Je me suis contenté du montage, de la consultation et du lancement de l’opération Manufacture. Je suis parti au SYTRAL fin 1991.

Et avant la communauté urbaine ?

J’étais au ministère des Finances, chef des bureaux de la construction. Maître d’ouvrage aussi mais pour l’Etat.

Quand vous êtes arrivé au Grand Lyon, Michel Noir était déjà président…

Oui, il était président depuis un an ou deux. Je suis arrivé à la communauté à l’été 1990 et les élections devaient être de mars 1989. Donc, il y avait déjà une bonne année que l’équipe de Michel Noir était en place.

C’est Michel Noir qui lance le projet de la Manufacture des Tabacs…

Oui pour l’historique, je ne suis pas le mieux placé puisque je n’y étais pas. Cette idée d’acheter la Manufacture, puisque la SEITA vendait, pour la donner à l’université lyonnaise était un des points de la campagne électorale de Michel Noir. Moins central et moins spectaculaire que le périphérique Nord mais important tout de même. Dans la campagne, il avait été annoncé qu’il avait l’intention de faire ça. Dès le début de son mandat il a dit : « Nous allons, Communauté urbaine de Lyon, avec le département du Rhône, apporter la Manufacture à l’université lyonnaise qui en avait bien besoin. »

L’arrivée de Michel Noir à Lyon, c’est une rupture dans le paysage politique lyonnais ?

Je ne suis pas lyonnais. Mais il est certain qu’en 1989, il a battu l’équipe en place et quand on bat les sortants, c’est forcément une rupture. Il est évident aussi que le style du mandat 1989-95 a été le style, comment le dire gentiment, disons un style beaucoup plus actif que ce qui s’était passé auparavant.

L’opération a été mise en place. Elle a tout de suite vu le conseil général apporter son soutien. Cela a été facile de coopérer avec toutes ces institutions ?

Dans l’historique, on ne peut pas parler de la « Manu » sans parler de Jean Michel Dubernard puisque cela a été vraiment lui, le politique porteur de cette opération. Dans l’historique, je suis arrivé alors que la décision politique était prise. Au départ, c’est certain, il y a eu une décision politique qui a été prise. Il y a une volonté politique de Michel Noir, maire de Lyon, président de la communauté urbaine de dire : «  Nous allons acquérir la Manu, la transformer et l’apporter à l’université lyonnaise ». Il a rapidement obtenu que le Conseil général se joigne à ce programme à parité avec la communauté urbaine de Lyon. Premier temps dans l’opération, la constitution de l’alliance des collectivités locales. L’idée politique au départ cela a été de dire que les collectivités territoriales (communauté juridiquement, politiquement c’est peut être un autre débat et le conseil général), les deux élus qui comptent dans le Rhône ont dit à l’Etat qu’elles allaient faire l’opération Manu. Deuxième temps, l’association de l’Etat. Cela a été beaucoup plus lent, beaucoup plus complexe puisqu’il ne s’agissait pas d’une décision politique comme pour les collectivités territoriales. Avec l’Etat, la décision politique est beaucoup plus complexe, ce n’est pas une décision locale et puis dans le montage juridique cela a été aussi complexe puisque cette opération s’est faite en application d’une disposition législative qui était toute nouvelle, l’article 18 de la loi du 12 juillet 1990.

Ce que l’on remarque dans la réalisation de cette première tranche c’est l’absence de la région…

Oui tout le débat avec la région, là il me manque des infos, tout cela s’est passé avant mon arrivée. Quand je suis arrivé, il était acquis qu’il y aurait une tranche , une avec trois financeurs. A mon arrivée, il y avait encore des débats avec la région. C’est la région qui avait une programmation de ces investissements déjà bien avancée, la région qui est avant tout une collectivité investisseuse, beaucoup moins une collectivité de gestion. La région avait des programmes d’investissement beaucoup plus calé et donc beaucoup moins de liberté de réaction à très court terme comme pouvait l’avoir la communauté urbaine de Lyon ou le département. D’autre part, la région a eu peut-être plus de questionnement de légitimité sur cette opération notamment sur le programme car on est vraiment parti d’une décision politique qui consistait à dire : « l’université lyonnaise a besoin de m² ». Mais des m² pour quoi faire, c’était une toute autre question. Des locaux, oui, mais pour quoi faire, c’était un tout autre débat. A l’automne 1990, il y a eu encore de nombreuses discussions qui se passaient dans une très bonne ambiance avec la région pour savoir si oui ou non la région viendrait ou ne viendrait pas dès cette tranche de travaux. Et assez vite, il a été acquis que la région ne participerait pas à la réalisation de la première tranche mais, qu’en revanche, elle s’engageait à faire la deuxième ce qu’elle a fait. La deuxième tranche qui a consisté fondamentalement à faire une bibliothèque. En novembre-décembre 1990, le fait d’abord qu’il y aurait plusieurs tranches était acquis. Ce n’était pas totalement évident dans la tête des élus lyonnais qui avaient fixé une enveloppe sans toutefois savoir ce qu’on pourrait faire avec les sommes affectées, c’est le travail des techniciens. Le fait qu’il y aurait une première tranche sans la région, mais elle avait annoncé politiquement très clairement qu’elle participerait à la suite de l’opération, était également acquis. A l’automne 1990, cela a été mon rôle direct, à partir du moment où les trois universités lyonnaises avaient décidé que la Manu irait à Lyon III, on est passé à des discussions avec Lyon III. Qu’est ce qu’on fait à la Manu ? Décision immédiate de Lyon III : la Manu ira au moins au début aux premiers cycles. Gros effectifs et donc les grands amphis. Cela a été tout le travail fin 1990 début 1991 d’adapter les tranches de travaux à réaliser à l’enveloppe définie qui était de 120 millions de francs TTC, toujours faire bien attention à ces trois lettres qui réduisent considérablement l’ampleur des fonds disponibles. C’est une situation particulièrement courante en matière immobilière. Il ne s’agissait donc pas de faire un programme dans l’absolu tout simplement parce que le financement était insuffisant. La question était de savoir ce qu’on pouvait faire pour 120 millions de francs. L’université en voulait bien sûr le plus possible. Les élus ne comprenaient pas que le bâtiment existant qu’on ne puisse pas le transformer en université. Et d’autre part les techniciens ou plutôt les « technico-financiers » qui devaient dire : « Voilà ce qu’on peut raisonnablement espérer faire avec l’enveloppe dont on dispose ». Certainement pas toute la Manu et à l’automne 1990 cela n’était pas encore admis par le politique. J’ai le souvenir d’élus importants me disant sur un ton comme un élu peut dire à un fonctionnaire : « vous ne comprenez rien, c’est moi qui commande. Ne m’ennuyez pas avec vos normes. Il faut ouvrir la Manu dans les six mois ». Cela fait un peu partie de la règle du jeu de vous fixer des objectifs. Mon rôle, c’était de leur dire que ce n’était pas possible.

Lors de cette opération, vous avez travaillé avec l’université Lyon III. C’est facile de travailler avec des universitaires ?

Relativement. Mon interlocuteur principal a été Gilles Guyot qui, à l’époque, n’était pas le président de Lyon III comme il l’est devenu par la suite. Il avait été désigné par le président de Lyon III pour être la personne qui suivait de très près ce dossier. Cela s’est bien passé avec l’université. J’ai fait un peu l’intermédiaire entre l’université et les différents partenaires. Car ce n’était évidemment pas le conseil général ou la communauté urbaine qui allait dire : « voilà les m² dont on a besoin et voilà ce qu’on compte en faire ». Il n’y avait que l’université pour le faire. Bien sûr l’université a tout fait pour en avoir le plus possible. Ce qui est tout à fait normal. Il y a eu un gros débat psychologique, non seulement les élus mais aussi beaucoup de services ne comprenaient pas les demandes de l’université en terme d’amphis. Il faut savoir que plus on faisait d’amphis, moins à l’œil, la tranche une était importante. Puisque les amphis on les crée, on ne pouvait pas transformer les étages existants en amphis. Donc plus on faisait d’amphis, moins in fine on livrait de m². Et donc moins l’opération était dans un terme d’affichage importante. Et donc, d’une manière qu’on peut très bien comprendre, les élus auraient bien aimé dire : « on fait les deux tiers de la Manu ou la moitié. » Au total, dans la tranche une, on a seulement transformé 40 % du bâtiment. Parce qu’il fallait faire des amphis et que les amphis, on les créait de zéro et que ce n’était pas de la réhabilitation mais du neuf en sous-œuvre. Et cela coûte très cher. Mais cela s’est bien passé avec l’université en ce sens qu’ils ont parfaitement admis qu’ils avaient en face d’eux des services techniques. Ils ont surtout admis, et je crois que c’était mon rôle de leur faire comprendre, qu’ils avaient un rôle central puisque c’était les utilisateurs, qu’en aucun cas ce ne serait eux les patrons du chantier. C’est un problème classique en bâtiment. Il faut absolument faire comprendre aux utilisateurs futurs qu’ils ne peuvent pas être les patrons de la maîtrise d’ouvrage. Sinon, c’est une catastrophe. Regardez ce qui a pu se passer en matière hospitalière. Quand les futurs utilisateurs, pour des raisons peut être parfaitement valables, ont autorité sur le chantier technique c’est presque toujours désastreux. Parce qu’ils changent d’idée, et cela coûte très cher. A l’époque, en plus, Lyon était en train de terminer une affaire qui avait coûté très cher, celle de l’Opéra. La facture finale représentait six fois le montant prévu au départ. Cela n’a pas été du tout le cas de l’opération Manu où on n’a pas dépassé d’un seul franc. L’université a parfaitement admis qu’elle était centrale, qu’on ne ferait rien sans eux et qu’en terme de passer des marchés, ils n’étaient pas les patrons. A partir du moment où cela est admis, cela se passe bien.

Avec les services du rectorat ?

Avec l’IRCT. On a eu assez peu de contact, finalement. Ils étaient bien sûr présents dans toutes les réunions et ils ont eu le rôle tout à fait central, sans cela on n’aurait pas pu démarrer, monter le dossier administratif de la subvention de l’Etat. Cela a été son rôle. On a signé une convention conformément à la loi et surtout à la circulaire puisque, selon une dérive bureaucratique très connue dans ce pays, on fait une circulaire qui a plus d’importance que la loi elle-même. Il fallait une convention avec l’Etat. La convention elle même, il y avait un modèle type sorti par le ministère, la DESUP, il y a une sous-direction spécialisée là-dedans. On avait pas accepté telle qu’elle à Lyon, on a demandé des évolutions rédactionnelles légères. On est ensuite tombé dans une dérive bureaucratique absolue. L’Etat apportant une subvention de 40 millions de francs sur un total de 120, on aurait pu dire que c’était simple. Il y a ce qu’on veut faire pour 120 millions de francs et l’Etat en paye un tiers. Beaucoup trop simple. On s’inscrivait juridiquement dans ce qui était une subvention d’investissement. Ce qui était intellectuellement idiot. On était en train de construire un bâtiment pour l’Etat, pour l’université mais l’enseignement supérieur est une compétence d’Etat. Le montage intellectuel était qu’on faisait une opération de construction universitaire dans laquelle l’Etat apportait un tiers du financement. Par rapport au décret de 1972 relatif aux subventions d’investissement, pas du tout. C’était une opération locale subventionnée par l’Etat avec toutes les caractéristiques du décret de 1972 c’est-à-dire que tout devait être signé avant le premier coup de pioche et que d’autre part il fallait identifier ce que paye la subvention de l’Etat. Troisième point, purement anecdotique, l’Etat ne disposait pas sur un exercice budgétaire de 40 millions en autorisation de programme. Et donc pour l’Etat, selon une construction à laquelle personne n’est dupe, il y a plusieurs tranches dans cette tranche 1 pour qu’il puisse étaler ses subventions sur plusieurs exercices. On a redécoupé dans les 40 en disant que la première tranche de subventions paiera un amphi et un bout de toit etc. C’était purement stupide et bureaucratique mais il fallait bien le faire sinon on n’aurait pas eu la participation de l’Etat. Et donc tout ce travail, peut-être stupide mais indispensable, qui devait être fait et bien fait, sans cela il n’y avait pas les différents visas des différents services de contrôle financier, tout ce travail a été fait par l’IRCT. Cela a été fait, tout le monde faisant semblant de croire aux imbécillités qu’on écrivait dans cette partie purement budgétaire. Il s’agissait d’obtenir le tiers Etat. Ce tiers était imposé par l’Etat à partir de la loi pour une raison fiscale de récupération de la TVA. Dans la circulaire suite à la loi, dans ces opérations de maîtrise d’ouvrage accordées aux collectivités locales se posait la question de la récupération de la TVA. Vous connaissez le mécanisme : les collectivités locales ne récupèrent pas la TVA au sens fiscal, elles bénéficient d’une compensation de la TVA. Mais avec une règle absolue, c’est qu’on ne leur compense la TVA que pour des opérations qui rentrent dans leur patrimoine. Par définition, les constructions universitaires ne rentrent pas dans leur patrimoine. Au départ, l’Etat a eu la tentation très claire au ministère de dire c’est la règle vous ne récupérerez pas de TVA. Il n’y aurait pas eu d’opération. L’Etat a dit dans la circulaire aux collectivités : « vous récupérez la TVA, si vous payez deux tiers de l’opération. Autrement non ». Vous comprenez comment c’est fait la répartition maintenant : 40-40-40. Cela s’est fait comme cela pour des raisons fiscales. Sauf que dans ce cas-là ce n’était pas mal puisqu’il y avait le conseil général, la COURLY et l’Etat. Chacun payait un tiers. Voilà l’histoire de la subvention.

C’est compliqué d’agir avec les services de l’Etat ?

Oui et non. Ce sont des mécanismes auxquels je suis quand même assez familier. On a pu avec le rectorat travailler tout à fait efficacement et c’est le rectorat qui a fait le gros du travail auprès du ministère. De ce côté là, pas grand chose à dire. Une fois qu’on s’était mis d’accord sur les termes de la convention, il a fallu la signer, cela s’est fait assez vite. C’est d’ailleurs le préfet qui a signé en tant que représentant de l’Etat, le président de l’Université qui d’ailleurs n’était pas dans le coup mais, protocolairement, il a signé. Cela n’a pas pris un temps énorme, pour un oeil extérieur cela peut paraître beaucoup. Jean Michel Dubernard n’a pas souvenir de ce genre de chose d’abord parce que c’est moi qui m’occupais de ces choses là même si je le tenais au courant. Evidemment, il pouvait trouver ridicule de passer des mois. Mais on a du avoir l’arrêté de subventions au premier trimestre 1991. On peut trouver ridicule de mettre huit, neuf mois pour cela, pour arriver à cela. Mais c’est de l’argent public. Et puis c’était une nouveauté, la Manufacture des Tabacs, c’était la première opération en France appliquant ce fameux article 18 de la loi.

Pendant cette période de préparation, vous étiez en contact avec les autres institutions ?

Oui, avec le conseil général, il y avait un groupe de travail. D’abord, il y avait l’animation politique. Jean Michel Dubernard réunissait sans périodicité précise les interlocuteurs. Côté conseil général, il y avait Michel Thiers, un conseiller général. Côté Etat, l’interlocuteur de base était l’IRCT. Et puis l’université. Tout à fait distincte. Ce ne sont pas les mêmes interlocuteurs. Il y a eu quelques débats. On a quasiment annoncé qu’on allait rompre parce que cela traînait, que les choses s’éternisaient et qu’on ne récupérerait pas la TVA. Les journalistes venaient aux nouvelles et Jean Michel Dubernard disait quelquefois que si l’Etat n’en voulait pas, il valait mieux arrêter. IL y a eu un certain énervement parfois. Mais toutes grosses opération immobilières génèrent forcément des tensions. Donc peut être qu’il y a eu des moments d’énervement. Mais dans mon souvenir, le plus dur a été de convaincre les élus, Michel Noir et Jean-Michel Dubernard, qu’avec 120 millions de francs, on ne ferait pas la Manu du Nord au Sud. Ce n’était pas assez. Je me souviens qu’une fois il est venu le sous-directeur des affaires immobilières et des campus du ministère à l’intérieur de la DESUP. Le sous directeur qui fait le tour du bâtiment en quelques heures et il a dit : « très bien, c’est une opération à 300 millions de francs. » Dans le bâtiment, on fait des ratios au m² et effectivement c’est une opération à 300 millions de francs. Il a fallu convaincre certains élus pressés que les premiers étudiants ne seraient pas à la Manu à la rentrée 1991. Ce qui m’avait été demandé mais inutile de vous dire que ce n’était pas envisageable. Le dossier technique était géré par la DLB. Pour la programmation, on avait pris un cabinet, Algoé, pour nous aider. Puis dans le montage, on avait décidé de faire une opération conception-construction. Ce n’était pas absolument indispensable mais cela me semblait tout de même assez nécessaire. Les opérations conception-construction, les architectes détestent cela parce qu’ils estiment que cela les dépossède de leur pouvoir. Mais à la fois il fallait être dans le cadre légal de la loi MOP qui restreint pas mal cette possibilité. J’ai obtenu la décision assez facilement. On a eu des protestations officielles des syndicats des architectes du Rhône et de l’Ordre national qui ont écrit à Michel Noir en disant que cela n’était pas bien. NOIR a répondu en leur expliquant que c’était légal et que dans ce type d’opérations les élus se préoccupaient de l’argent du contribuable. Et puis, monter le concours. C’est du boulot de monter un concours comme cela. D’abord, un concours conception-construction est un concours où il faut déterminer ce qu’on demande ce n’est pas un concours classique d’architecture. Le concours, le jury a délibéré au vu d’un rapport technique. La DLB n’a jamais ici été toute seule : il y avait les services techniques du département , les services techniques du rectorat, les services de l’université. Je n’ai pas de souvenir de tensions dans ce groupe de travail. C’était relativement consensuel y compris sur l’analyse des offres. Ce n’est pas un secret d’Etat, dans les projets rendus celui qui m’attirait le plus d’un point de vue personnel n’attirait pas du tout le jury. Mais c’était un projet parisien ce qui était peut-être un très très gros défaut. C’était le seul qui était vraiment différent. Tous les autres projets se ressemblaient un peu avec une même philosophie. Ce projet là supprimait une cour pour mettre des amphis en élévation. J’avais signalé au jury qu’il était intéressant. Mais le projet Constantin était un bon projet.

Vous m’avez parlé d’interventions des élus…

Il y a un élu qui s’en occupait, c’était Jean Michel Dubernard. Il s’y est beaucoup impliqué sans beaucoup s’intéresser. J’étais à Lyon depuis peu et mon premier rôle a été de dire à Michel NOIR qu’on ne ferait pas 80 000 m² pour 120 millions de francs. Il l’a très mal pris. J’ai failli reprendre le TGV pour Paris. Quarante huit heures après, il y a eu Jean Michel Dubernard qui a failli dépasser le niveau verbal de la violence. On est payé pour. Cela a commencé comme cela. Ils l’ont très très mal pris. Le jour où ils l’ont admis, on a fait un pas. Je leur ai dit : « soit vous admettez que je sais de quoi je parle, soit vous pensez que je ne sais pas de quoi je parle et dans ce cas là, je n’ai plus rien à faire là. » Jean Michel Dubernard était un petit peu étonné. Il voulait qu’on en fasse le plus possible dans le cadre de l’enveloppe allouée. Il ne m’a pas du tout ennuyé pour faire le travail purement technique, pour rédiger le cahier des charges, pour faire le CCAP… Il ne savait même pas qu’il existe un CCAP, ce n’est pas son boulot du tout. Au niveau élu, très très peu. Il y a eu un moment où ils se sont posés une grande question sur le problème des parkings. L’université, on peut la comprendre, voulait des places de parkings pas pour les étudiants dans un premier temps mais pour les personnels. Beaucoup d’élus, dans leur tête, c’était acquis, et en particulier pour les élus d’arrondissement. Cette question du parking a été la plus difficile. Cela s’est terminé par un montage particulièrement compliqué. L’université a apporté sur ses fonds propres de l’argent sur des questions de cablage et sur l’aspect parking. On a pu faire un parking souterrain parce qu’on a vendu des boutiques qui avaient été faites par le groupement Constantin dans le bâtiment. Ils pensaient qu’ils pourraient ensuite les exploiter. Tout de suite après le concours, je leur ai expliqué que cela ne se passait pas comme cela. Très bien, le projet architectural créait des m² qui donnaient sur la rue mais qui appartenaient au propriétaire du bâtiment qui était le Grand Lyon. On a revendu au groupement ces boutiques et cet argent a permis de faire cette opération parking. La première boutique qui est entrée c’est le Mc Do. Dieu sait que cela a toussé. Et je le comprends très bien. Bon. On a eu des tas d’arguments culturels, le débat est compliqué. L’université m’a beaucoup appuyé. Tout seul, je ne sais pas si j’y serai arrivé. L’université disait : « il faut savoir si on veut une université dans la ville ou une université en campus. Quand on est dans la ville, on est dans la ville. » D’autre part , c’était cela ou ne pas faire de parkings. Il y a eu un certain nombre d’élus qui ont envoyé des petits mots à Jean Michel Dubernard en disant : « il faut 400 places de parkings » Classique. Sans même se préoccuper de l’argent que cela demandait. Cela a été ces questions des parkings et du débat sur le Mc Do qui ont été difficiles. Je ne savais pas quand j’ai vendu au groupement constructeur quels acheteurs allaient se manifester pour l’achat de ces boutiques. Mais enfin, en toute bonne foi, on pouvait deviner que Mc Do se manifesterait. Et puis ensuite, il y a eu les débats dans la presse.

La tranche 1 a été suivie d’une tranche 1 bis….

Oui, qu’on a appelé 1bis pour des raisons psychologiques. C’était la part régionale avec fondamentalement la bibliothèque.

La COURLY en a assuré la conduite technique…

La région avait dit à la communauté : « vous conduirez ». La communauté était le délégué de la région pour toutes les affaires lycée. Mais moi je n’étais plus directeur de la DLB à l’époque. C’était Claude Vincent, le directeur. La communauté a dit très fermement que pour l’enveloppe fixée par la région qui était de 67 millions de francs, on ne ferait pas le programme et surtout pas en un an. On a dit à la région : « nous, on ne sait pas faire ». Et le rectorat a dit : « nous, on sait très bien faire  dans le délai et dans ces prix là ». Cela s’est mal passé. La communauté a dit que sur un plan technique elle ne savait pas faire dans le délai et dans l’enveloppe. On ne va pas accepter la responsabilité d’un délai et d’une enveloppe comme cela. La région était ennuyée parce que le rectorat lui disait qu’il n’y avait aucun problème. Le directeur général des services leur a répondu qu’il n’y avait aucun problème et qu’il fallait confier la conduite d’opération au rectorat. La communauté ne revendique pas spécialement la conduite de ce projet. Cela aurait très bien pu se passer mais le président de l’époque de Lyon III a fait des déclarations dans la presse comme il aimait en faire. Il a dit que la communauté a racquetté l’université. Michel Noir a fait une lettre extrémement dure à la fois à la région et à l’Etat en disant que le Grand Lyon ne voulait plus rien avoir à faire avec ce monsieur [Monsieur Roland – Président de l’Université Lyon III] et cette opération. On a dit aux autres partenaires, le préfet et la région, : « vous avez quelqu’un qui sait faire, vous avez un volontaire, prenez-le ». Evidemment, le rectorat a pris un an de plus.

Cela n’est pas difficile pour les services du rectorat de voir des maîtrises d’ouvrage assumées par les services techniques des collectivités ?

Les services techniques aiment bien récupérer de belles opérations comme celles là, elles sont très intéressantes, enrichissantes intellectuellement. Moi, je n’ai pas vu de revendication des services du rectorat d’être les conducteurs d’opérations. Je n’en ai pas eu écho. Il ont revendiqué la tranche 1bis ou pas d’ailleurs et ils l’ont faite. Moi, je n’ai pas eu d’écho de conflits là dessus. Je me souviens par contre avoir vu peu de temps après mon arrivée la DDE qui a un service construction publique qui était venu aux nouvelles en disant : « est ce que par hasard, vous auriez besoin d’un conducteur d’opération ? ». On a dit : « non merci ». Mais aucun souvenir de tensions sur ce thème. La tranche 1 bis, je l’ai vu terminée mais après je n’étais plus là.

Vous m’aviez tout à l’heure parlé de l’absence de contrôle des collectivités locales sur l’utilisation des m² construits. Cela ne posait pas de problèmes aux collectivités de faire des locaux sans avoir aucun poids sur la définition des programmes pédagogiques, je pense à la région notamment ?

La région qui était dans les discussions, beaucoup d’élus étaient très choqués que dans la tranche 1, il y ait autant d’amphis. Ils se demandaient ce qu’ils allaient en faire. Je me souviens de Gilles Guyot leur disant ; « vous devriez voir ce qu’est une rentrée de première année dans les cycles juridiques avec des effectifs. » Alors, après, cela tournait au débat du style : « l’université ne forme plus les étudiants, elle les accueille ». Enfin des choses qui pour un directeur des bâtiments quoiqu’il en pense enfin bon… C’est vrai que l’université a en première année des effectifs invraisemblables à accueillir. Alors que dès qu’on passe à des projets de deuxième cycle, l’université arrive avec des projets de salles de 40 places et on se demande où les autres sont passés. Enfin, bref. Personnellement, je pense que Lyon III a parfaitement bien analysé le besoin de ses locaux.

Il me semble que les services techniques de la COURLY à la fin des années 1980 se réorganisent complètement…

Oui, alors là on sort de l’histoire de la Manu. Michel Noir a d’abord recruté un nouveau secrétaire général, Pierre DUCRET, qui a organisé une refonte générale non seulement de l’organigramme mais aussi de la manière de travailler de la communauté. C’est d’ailleurs là qu’on a créé la DLB et qu’on m’a recruté. La DLB, c’est la fusion de quatre ou cinq services autonomes. Je suis arrivé il y avait un service de construction neuve, un service d’entretien qui étaient totalement autonomes. Il y avait des cellules qui s’occupaient d’affaires scolaires, il y avait une organisation complètement différente. Donc l’idée a été de fusionner la logistique. Pour l’anecdote, le secrétaire général voulait l’appeler la direction de la logistique. J’ai insisté pour qu’on ajoute le mot bâtiment en lui disant : « les bâtiments sont bien de la logistique mais dans la culture de la construction dans laquelle je baignais depuis des années, il est important qu’on ait cette étiquette bâtiment ». Ne plus avoir aucune référence à la construction et aux bâtiments, c’est culturellement pénible pour les gens de ce métier. L’objectif était de fonctionner mieux, d’avoir des services plus performants et de casser la dichotomie entre la construction et l’entretien. Il faut bien voir les ignorances méprisantes entre les gens qui font du neuf et les gens qui font de la maintenance. L’enjeu pour toutes grandes collectivités c’est de maintenir intelligemment son parc. Or, les ingénieurs de maintenance dans la tradition française, c’est les déboucheurs de chiotte pour être grossier. Alors que les gens qui conçoivent du neuf… Mais c’est vrai que c’est très satisfaisant de concevoir du neuf, parce qu’on définit ce qu’on veut faire. Alors que faire marcher quelque chose qui existe, on ne crée pas, on ne définit pas, généralement on a très peu d’argent disponible parce que les élus autant ils acceptent de mettre de l’argent dans du neuf, autant ils ne veulent pas en mettre dans la maintenance. Parce que du neuf cela se voit. Vous n’allez pas faire votre campagne électorale en disant que le parc de bâtiments a été bien maintenu. Pourtant, il faut. Donc l’idée c’était de casser ces bastilles et de faire un service du bâtiment plus continu.

Finalement, la Manu cela a été une des premières grosses opérations de la nouvelle DLB…

Oui, bon d’abord il a fallu la créer cette nouvelle direction, ce qui n’est pas toujours évident. Il faut toujours expliquer ce qu’on fait. Allez voir les syndicats peut être qu’ils ont un autre vécu que moi mais moi j’ai eu l’impression de passer énormément de temps avec tout le monde, de la secrétaire à l’ingénieur en chef, pour expliquer comment je voyais les choses.

Sans compter que quand vous créez de nouvelles directions, il y a forcément des gens qui se retrouvent sur la touche. D’anciens chefs qui n’ont plus rien à diriger. Ce n’est jamais facile. A partir de mon arrivée en septembre, il y a deux affaires techniques qui m’ont vraiment pris puisqu’il y avait la Manu et le lycée international. On avait des appels d’offres à faire. Appels d’offres très difficiles. On avait un projet qui ne tenait pas du tout dans l’enveloppe et donc il a fallu déshabiller enfin bon c’est le métier. Mais cela m’a pris beaucoup de temps. Et puis cela n’a duré qu’un an puisque je suis parti au SYTRAL fin 1991.

Qu’est ce qui légitime l’intervention des collectivités locales dans l’enseignement supérieur parce que c’est une compétence de l’Etat finalement ?

Les élus locaux veulent avoir des universités sur tout leur territoire et l’Etat n’a pas de quoi les payer. La loi a fini par dire ce qui était une constatation depuis des années. L’enseignement supérieur est une compétence exclusive de l’Etat et l’Etat est un peu gêné budgétairement . Donc les élus arrivent en disant qu’ils payent. Et donc la loi constatait un état de fait qui était que l’Etat ne payait pas et qu’il y avait des collectivités prêtent à payer. Et cela, c’est général au niveau français. Il y a bien des élus qui ont protesté en disant qu’on leur demandait de payer des choses qui n’étaient pas de leur compétence alors même que les ministère des Finances reprochait aux élus locaux d’augmenter trop leur fiscalité. Ce qui était parfaitement fondé comme remarque. Bon. Peut-être. J’avais rencontré quelqu’un, je ne vous dirai pas qui que je connaissais pas trop mal pour l’avoir côtoyé à l’ENA qui me disait que cette histoire des deux tiers du financement nécessaires à la récupération de la TVA, c’était un pur coup de force. C’était un pur coup de force. Et il me disait, si les élus n’acceptent pas, ils n’auront pas d’université. C’est réaliste. C’est réaliste et cela s’est passé comme cela. Ultérieurement, vous savez que le Grand Lyon a eu des ennuis, cette affaire n’est d’ailleurs pas terminé puisque cela passe au conseil d’Etat, puisque l’Etat a interdit au Grand Lyon de subventionner une opération immobilière de la Faculté catholique. Je ne devrai peut être pas dire cela comme juriste mais il est évident qu’il y a une relativité des compétences. Quand tout le monde est bien content qu’une collectivité finance quelque chose, on ne se pose plus de question de compétence. Quand pour des raisons x ou y, on n’est pas content , plutôt que de dire qu’il est illégitime qu’une collectivité paye tel projet, on dit : « désolé, la loi c’est la loi. Vous n’avez pas la compétence ».

Dans les entretiens, on sent que l’Etat est en position de force dans les échanges entre les partenaires…

Il est en position de force, c’est tout à fait certain. L’Etat est en position de dire : « vous payez selon les clés de financement que je fixe sans cela vous n’aurez pas votre opération. » Après, on est purement dans le domaine politique. L’élu peut dire : « c’est honteux, je vais vous dénoncer devant les masses. » Une fois qu’il a dit cela, il lui reste sa décision à prendre. Soit il veut son université, soit il ne la veut pas. Si il la veut, il paye. Il n’y a pas de pôle important sans université. Vous n’êtes pas une grande ville si vous n’avez pas d’activités universitaires. Avant les activités culturelles, l’opéra, avant cela, largement, les attributs de la grande ville c’est la formation supérieure.

Est ce qu’on peut pas souhaiter une clarification des compétences…

Tout le monde le souhaite. Depuis la loi de janvier 1983 sur la répartition des compétences. Tout le monde dit qu’il faudrait décroiser les financements. On ne peut pas faire des financements, et la Manu est typique sur ce point, sans qu’il y ait trois voire quatre financeurs. Je peux vous dire que c’est pareil, dans le financement des lignes de métro dont je me suis occupé ensuite à Lyon. Toute grosse opération, il y a plusieurs financeurs. Sinon, tout le monde sait que c’est pas bon. D’abord, cela prend du temps. Et puis, cela rend illisible, comme on aime bien le dire, pour le citoyen. C’est à l’ordre du jour depuis 18 ans. Mais j’ai des doutes. Infiniment compliqué. Parce que d’abord si ce n’était pas compliqué, cela se serait fait. Il y a du pour, du contre. Tout le débat sur la pérennité des conseils généraux, en milieu urbain en tous les cas. A partir du moment, où il lève l’impôt sur leur territoire, leur dire qu’ils ne dépenseront plus rien sur ce territoire, c’est pas si simple que cela. Le décroisement, il y a de timides avancées en matière de lutte contre les incendies notamment. Je cite souvent une anecdote qu’il m’est arrivé dans le cadre des échanges entre le Grand Lyon et la ville de Cologne. Je me souviens d’avoir tenté d’expliquer aux allemands le système institutionnel français et encore en simplifiant les choses, au bout d’une demi-heure, une dame qui parlait très bien français, m’a interrompu en me demandant si je plaisantais. Mais je ne plaisantais pas. Quand je leur ai décrit le système institutionnel français, il croyait que je leur faisais un poisson d’avril ! C’est une horreur, une horreur absolue.

Est ce qu’il y a un niveau institutionnel qui vous paraît le plus à même de gérer les implantations universitaires ?

Je n’ai aucune légitimité à en parler. Il y a d’abord une compétence étatique sur l’enseignement supérieur qu’il ne faut pas oublier. Je ne suis pas un décentralisateur absolu dans ce domaine-là. Ensuite, le bon échelon de gestion pour gérer l’université, c’est l’université elle-même. L’autonomie universitaire et même la concurrence universitaire m’ont l’air d’être des choses extrémement nécessaires. Pour des problèmes de carte, la région me semble très pertinente pour s’occuper de cela.

Vous voyez quelque chose à ajouter ou quelque chose qui pourrait résumer votre pensée ?

Non, ce que je retiens de la Manu, c’est que c’est une opération qui a globalement réussi. Une belle opération d’urbanisme. On a fait de la Manu quelque chose d’utile pour le quartier et pour la ville. Belle opération de bâtiment aussi pour pas très cher. On a su trouver les intervenants de talent. Cela montre aussi pour moi que malgré l’effroyable complexité des choses, on fait. On fait. Parce qu’on a fait la Manu. Beaucoup de paperasseries mais on fait les choses. Comme il ne faut pas toujours être totalement positif. Il est vrai qu’on a perdu de l’argent en faisant des tranches de travaux. Un chantier cela coûte toujours moins cher que plusieurs. Un petit regret là-dessus. Et puis, puisqu’il faut toujours râler parce qu’on est en France, quand j’ai vu l’installation de Normale Sup quelques années après, on a travaillé avec des moyens incomparables. Et donc on peut se dire qu’il est peut être un peu dommage qu’on soit dans la pénurie extrémement forte dans un cas, et puis dans un relatif confort de l’autre. Il y a des mécanismes d’arbitrage un peu défectueux ici. Mais il y a une différence de prestige. Entre les grandes écoles et puis l’université… Et puis Lyon III était à Lyon alors que Normale Sup, il fallait les faire venir. Pour avoir regardé le programme de Normale Sup, c’était tout de même spectaculaire. Je me souviens avoir négocié des revêtements de sol, je n’avais pas le choix. J’ai du dire à Lyon III : « désolé, mais le tapis chez le président, c’est vous qui le paierez ». Voilà.