Entretien avec Eric AFFOLTER et Olivier DUPLESSY – Chef de bureau et membre du bureau B2 de la DPD - 3 mars 2003 – 1 h 40 – Paris

L’entretien est réalisé dans le bureau du chef du bureau B2 de la direction de la prévision et du développement. Un de ses collaborateurs est présent. L’essentiel se fait avec Eric AFFOLTER, le chef de bureau, qui répond aux questions. Son collaborateur intervient cependant dans l’entretien pour exprimer ses positions et ses remarques. Le magnétophone est refusé : nous avons donc pris des notes.

La sous-direction des constructions existe en tant que telle depuis 1997. Elle est intégrée à la direction de la prévision et du développement (DPD). Le bureau B2 est centré sur les constructions (constructions, maintenance, sécurité, suivi qualitatif du CPER, expertise des projets). La sous-direction comprend également des bureaux s’occupant du financement, des relations avec les collectivités et d’aspects plus urbanistiques. Elle a connu d’importantes vicissitudes par le passé. Elle est l’héritière de la grande direction des constructions scolaires et universitaires. Le plan U 2000 a vu la création de la DPDU qui a été un peu laminée par la suite. La DPD a intégré des missions de la DPDU. La DPD s’occupe des aspects statistiques et évaluation de l’enseignement supérieur mais aussi de l’enseignement primaire et secondaire. De prochaines évolutions pourraient faire évoluer l’organigramme de la direction : le bureau des constructions pourrait ainsi être à nouveau rattaché à la direction de l’enseignement supérieur.

Le bureau B2 est centré sur le suivi du CPER et les opérations de construction. Ces deux aspects constituent son « pain quotidien » [Eric AFFOLTER]. Le bureau des constructions donne le feu vert administratif pour une procédure d’agrément des opérations sur la base d’une circulaire de 1994 modifiée en 2001.

L’ingénieur régional conseiller technique et les services du rectorat décrivent les opérations (objectifs et financement). Ils constituent un dossier. Le bureau B2 l’étudie et fait connaître sa décision par courrier adressé au préfet (pour information) et au rectorat. Cette validation administrative n’est pas une validation technique du projet qui est élaborée au niveau déconcentré. Le programme technique de construction est opéré par le rectorat. Le bureau B2 vérifie que le financement du projet est équilibré. L’opération ne doit pas dépasser l’enveloppe prévue. Le bureau vérifie la pertinence du projet au regard d’objectif technique. L’opportunité pédagogique du projet doit être validée par la direction de l’enseignement supérieur : le service est, par ce biais, en lien avec la direction de l’enseignement supérieur. Les interlocuteurs à la direction de l’enseignement supérieur varie selon la nature du projet (bibliothèque, vie étudiante…). Les liens essentiels sont cependant avec les rectorats : le bureau du suivi financier a cependant plus de contacts avec le préfet par le biais de la navette annuelle. Les rectorats n’ont en fait les financements que via la préfecture.

L’autre volet de l’action du bureau B2 est celui de l’aménagement du territoire. C’est cependant « un bien grand mot » (Eric AFFOLTER). Il y a ici une interface avec la DATAR. Le bureau B2 est l’interlocuteur unique de la DATAR. Le chef de service se rend souvent à la DATAR. Certains projets sont en effet soutenus par la DATAR. Elle intervient au moment des Comités Interministériels d’Aménagement du Territoire (CIAT) et par l’intermédiaire de dispositifs plus ponctuels (pour les zones qui sont en restructurations – des exemples sont ainsi donnés : la région de Toulouse après la catastrophe d’AZF – les contrats de site). Dans des zones en déclin industriel, tous les ministères sont mobilisés pour revitaliser la zone : le ministère de l’Education nationale est mobilisé dans ce cadre. La nature des rapports avec la DATAR est dite « injonctive » (Eric AFFOLTER). Il tempère ensuite cette première expression en disant que c’est la DATAR qui a l’initiative. Elle travaille en effet dans un cadre interministériel. Son rôle est cependant surtout important dans les zones qui sont en difficulté. Lyon n’est pas dans ce cas. Seule la ville nouvelle de l’Isle d’Abeau peut être un secteur d’intervention privilégiée de la DATAR.

La négociation du plan U3M s’est opérée au préalable du CPER 2000/06. La volonté du ministère de l’Education nationale était d’arrêter de construire des m² parce que la démographie étudiante était stabilisée. Les objectifs étaient de maîtriser la carte universitaire, de favoriser le développement des réseaux technologiques et de développer des actions concernant l’amélioration de la vie étudiante. Le plan U3M a donc des objectifs différents d’U2000 qui s’opérait dans un contexte de croissance de la démographie étudiante. U3M définit donc des priorités préalable au lancement du CPER 2000/06. La réflexion est ensuite « sacralisée » (Eric AFFOLTER) dans le schéma des services collectifs de l’enseignement supérieur et de la recherche, document prospectif qui opère une réflexion sur trente ans. La réflexion et la programmation s’opèrent à des moments importants ; elle n’est pas permanente au sein du ministère de l’Education nationale. Le schéma donne des objectifs nationaux et énonce des stratégies pour des ensembles régionaux. Il y a un aspect diagnostic et un volet actions à un niveau national puis avec des déclinaisons locales. Les régions ont été sollicitées dans l’élaboration de ces schémas. Les régions ont ainsi été associées ; elles n’ont cependant pas participé à la rédaction finale.

Les relations avec les collectivités territoriales ne sont pas anciennes : elles ne sont ainsi pas très structurées. Le bureau n’est finalement pas sensé associer les collectivités territoriales. S’il opérait cette liaison il « squizzerait le niveau déconcentré » (Olivier DUPLESSY). Les collectivités territoriales sont ainsi venues à l’enseignement supérieur avec Université 2000. Les lois de décentralisation ne sont finalement mises en œuvre qu’à la fin des années 1980. Les relations entre la centrale et les collectivités territoriales ne se sont faites qu’à l’occasion de U2000. La DATAR a orchestré les CPER. Les relations ne sont passées qu’au travers d’une procédure interministérielle pilotée par la DATAR.

Au niveau local, ce sont le recteur et le préfet qui négocient. Ce n’est que via l’échelon déconcentré que le bureau a des relations avec les collectivités territoriales. Peser dans la négociation est donc sans objet pour le bureau (la question fait même sourire le chef de bureau). Ce n’est qu’en donnant éventuellement des orientations au préfet de région que la direction peut peser dans les négociations.

L’activité ministérielle se résume donc essentiellement à de l’expertise. La diversité des situations locales est extrêmement importante. La centrale semble avoir des difficultés à obtenir des précisions sur l’état des financements prévus. Ainsi, l’exemple de la Lorraine illustre un déficit d’informations. Il a été demandé (et obtenu) du SGAR des informations sur les financements. Ce sont les SGAR qui semblent disposer de la mémoire des projets. La difficulté ministérielle à avoir des informations est redoublée quand les collectivités territoriales ont la maîtrise d’ouvrage. Le chef de bureau regrette ce déficit de structuration dans les relations. Pour lui, par exemple dans le cadre de l’aménagement des locaux en centre-ville, il devrait y avoir des relations plus structurées entre Etat et collectivités territoriales. L’Etat central pouvant « contribuer à faire avancer les dossiers. » (Eric AFFOLTER). Ce déficit de structuration est mis en parallèle avec les relations fortes et structurées que peut entretenir la Direction de l’enseignement supérieur (DES) avec les établissements d’enseignement supérieur. L’exemple de la réforme 3/5/8 est ici pris. Le pilotage fort de l’Etat est ainsi perçu comme devant se poursuivre. Les liens DES- universités passent par les contrats quadriennaux et par la procédure d’habilitation. Il est ainsi souligné que les universités sont des entités de l’Education nationale. Les relations entre le ministère de l’Education nationale et les collectivités territoriales ne sont finalement que formalisées dans le cadre des lois de décentralisation.

Les liens se situent essentiellement avec l’ingénieur régional conseiller technique. « Le CPER fige un peu les choses » (Eric AFFOLTER). Il semble qu’il n’y ait que sur les IUT qu’on dispose de marges de manœuvre. Les services affectent des m² sans cependant trop préciser les programmes. Il a été cependant prévu de réviser les CPER à mi-parcours. Les marges de manœuvre ont été cependant considérablement réduites avec la décision du ministère des Finances : les réajustements ne sont possibles qu’à enveloppe constante par ministère et par région. Les établissements étant soucieux de garder leur projet, les réajustements ne sont que très rarement opérés. La concrétisation des projets est parfois rendue difficile par la hausse des coûts de construction (un laps de temps important s’écoule entre l’inscription des projets et leur concrétisation physique).

A la question de l’éventuelle concurrence entre les ministères pour obtenir un maximum de crédits, pour Olivier DUPLESSY c’est Matignon qui arbitre entre les exigences des différents ministères. Les secteurs ne se recoupent pas. « Cela se passe plutôt bien » La programmation annuelle des crédits est sans difficultés majeures : c’est le préfet au sein de la conférence administrative régionale (CAR) qui arbitre entre les projets. Le financement du CPER est découpé en années : les lots de finances sont partagées en 1/7ème. Le ministère demande au préfet la liste des opérations devant recevoir un financement pour l’année au mois d’octobre de n – 1. La liste est regardée mais le bureau B2 ne touche pas à l’ordre des priorités. L’enveloppe est finalement une enveloppe globale. Le bureau renvoie la lettre au préfet. Dans le cadre d’une deuxième délibération de la CAR, il y a une éventuelle redéfinition des priorités. Le système est très fortement déconcentré : « le ministère ne saura pas au bout du compte ce qui a été défini. » (Eric AFFOLTER). Le CPER est une forte contrainte à moyen terme. Il est cependant rédigé de manière très générale. On a ainsi deux cas de figure dans les CPER. Pour prendre l’exemple du Nord Pas de Calais, il y a des axes stratégiques qui sont simplement définis. A l’inverse, l’Alsace définit des opérations très précisément. La région Rhône-Alpes est située à mi chemin entre les deux.

Au delà de cette connaissance financière des opérations, la centrale a des difficultés à obtenir de l’information. Dans le cas où c’est l’IRTC qui est maître d’ouvrage, l’information est disponible. Quand ce sont les collectivités territoriales qui sont maîtres d’ouvrage, le service a peu d’information. Tout dépend ici des contextes locaux et des relations entretenues entre l’Etat et les collectivités territoriales. Le comité interministériel d’aménagement du territoire (CIAT) de décembre 2002 a prévu une déconcentration de l’expertise au niveau du préfet avec un système de retour d’information au niveau des autorités centrales (notamment dans l’évaluation de l’utilisation). Pour l’évaluation de l’utilisation des crédits et de l’avancement des CPER, la DATAR semble pointer les insuffisances de la réalisation des contrats. Cependant, les deux premières années, les opérations ne sont pas prêtes. Les membres du service soulignent les différences de « timing » entre le CPER sur sept ans et les lois de finances qui sont annuelles. Les interviewés semblent demander une plus grande précision dans la définition des projets. Cependant, ils soulignent unanimement que les engagements de l’Etat sont respectés à terme. Il semble que ce soit l’IRTC qui devrait dans le futur être le pivot de la réforme (avec une interface active sur le plan pédagogique : penser la construction des équipements en fonction des enseignements qui devront y être opérés).

L’Etat a en principe les cartes en matière d’enseignement supérieur. Il met les personnels dans les murs et c’est lui qui opère « la collation des diplômes au niveau national » (Olivier DUPLESSY). Les collectivités ne se font pas imposer les choses. On souligne que c’est ainsi à l’initiative des collectivités locales que certaines opérations ont été lancées. Par exemple, une école d’ingénieur lancée dans la Région Centre est une initiative des collectivités. Le projet était cependant largement surdimensionné pour les capacités de la région. Il apparaît naturel que l’Etat ait un contrôle sur ce qui se fait : c’est en effet l’Etat qui paye ensuite les dépenses de fonctionnement des établissements. Le chef de service voit bien ces accusations dans les réunions qu’il a à la DATAR avec certains représentants des collectivités territoriales. Ils accusent en fait l’Etat « de ne pas aller dans leur sens ». L’Etat récupère cependant les m² et en assume la charge principale. Le signe de l’implication de l’Etat est vu dans la hausse constante des budgets de la recherche et de l’éducation depuis de nombreuses années. La discussion sur les transferts de compétences à l’heure actuelle ne semble concerner que l’enseignement professionnel ce qui est vu « comme une juste récompense des efforts opérés par les collectivités locales » (Eric AFFOLTER). Pour le reste, il apparaît important pour les interviewés que l’Etat garde une compétence sur le reste. On ne doit ainsi pas passer d’une extrême à l’autre : le système ne doit pas passer d’un hyper-centralisme dans les années 1960 à une hyper-décentralisation dans les années 2000. « La formation ne doit ainsi pas aller dans les mains des patrons des villes » (Eric AFFOLTER). L’enseignement supérieur est de plus lié à la recherche qui est extrêmement centralisée. Or, le volet pédagogique est important pour les constructions.

Les collectivités locales ne souhaitent pas n’être que des payeurs. Le lancement d’U2000 a permis d’ouvrir une porte. Pour Olivier DUPLESSY, les collectivités locales ne sont pas si volontaristes que cela : elles demandent aujourd’hui un transfert de compétences avec un transfert de ressources correspondantes alors même qu’auparavant, elle intervenaient pour rien. Ici, leur position correspond « à un recul » (Olivier DUPLESSY). Il semble que les collectivités aient perçu différemment les étudiants : alors qu’on les voyait comme dangereux  dans les années 1960, on s’est ensuite aperçu qu’ils pouvaient être un facteur de croissance. Un interviewé donne l’exemple du retournement du président de la Région de Rouen qui est ici exemplaire. Au lancement du plan, il disait « moi je me suis fait tout seul ». Il a ensuite compris que les études n’étaient pas seulement des études académiques mais qu’elles pouvaient être un facteur important de croissance. Avant le lancement d’U2000, les collectivités territoriales disaient : « c’est du ressort de l’Etat ». L’enseignement supérieur est aujourd’hui directement lié au dynamisme économique. Les collectivités locales le voient comme un facteur important de développement à partir du milieu des années 1980 (Olivier DUPLESSY). Dans le débat sur la décentralisation, il semble bien que les collectivités territoriales désirent avoir plus de responsabilités dans la définition de la carte des opérations. La région Rhône Alpes est ici en pointe sur le sujet.

L’absence de maîtrise sur les enseignements dispensés ne semble pas être un frein à l’investissement des collectivités locales. L’exemple des IUT est ainsi le contre exemple pour le chef de bureau. Alors même qu’elles n’avaient pas de compétence, les collectivités territoriales se sont largement investies.

Les trois interlocuteurs ne semblent pas voir d’inconvénients au système, mais lui voient au contraire de nombreux avantages. C’est en effet un extraordinaire levier de financement. Il semble cependant que les collectivités souhaitent s’investir le plus sur les opérations de construction qui favorisent leur « visibilité politique » (Eric AFFOLTER). Le chef de bureau remarque cependant que tout est dans la présentation. Il lui semble ainsi que les opérations de réhabilitation qui concernent les centre-villes pourraient permettre aux élus locaux d’en tirer profit. L’exemple de Montpellier est ainsi donné. Le CPER est perçu comme quelque chose palliant au vide et permettant d’encadrer les relations entre l’Etat et les collectivités. Ainsi, « faute de mieux c’est bien » (Eric ALFFOTER). Il a bien des imperfections mais « si on renonce à ce système, comment fait-on pour se passer des cofinancements ? ». (Eric ALFFOTER). La procédure est cependant perçue comme pouvant être améliorée : les opérations devraient ainsi être mieux prédéfinies. La logique d’inscription devrait ainsi être évitée (l’essentiel est ici d’inscrire le projet, sa réalisation devant se faire dans un futur lointain). Il faudrait contraindre l’ensemble des partenaires à priori. Une fois le CPER terminé, il devrait être l’objet d’un recueil systématique de données car « on ne peut programmer sans connaître » (Eric ALFFOTER).

La situation est très variable d’une région à l’autre en ce qui concerne les financements croisés : dans le Nord Pas de Calais, la discussion tourne autour du financement. Elle est en fait sans cesse sur le chantier, les élus cherchant toujours à obtenir des fonds européens notamment. La solution pour financer un projet peut être de faire un tour de table qui inclut tout le monde. Ou alors le projet est une initiative locale.

La DATAR vérifie la régularité (au sens temporel) de consommation des crédits étatiques . Cependant les acteurs opposent à cette vision comptable une vision projet par projet. Les projets n’ont ainsi pas le même timing (Eric ALTOFER) que la consommation des crédits. La DATAR met ainsi en parallèle la consommation des crédits ministère par ministère. L’Education nationale est accusée d’être en retard par rapport à l’Equipement. Le chef de bureau souligne l’absence de contrôle sur les collectivités, d’où ici une inégalité entre les ministères.

La perspective de voir un financeur par opération est rejetée : l’Etat y perdrait beaucoup au niveau national.( 45 % des opérations sont sous maîtrise d’ouvrage Etat, 20 % Collectivités, 35 % établissements). Cela réduirait l’implication des collectivités qui financent aujourd’hui à parité le développement universitaire. L’affichage politique est ici important dans la prise de la maîtrise d’ouvrage.

La loi n’est pas vue ici comme floue : il n’y a pas ici de flou juridique. Olivier DUPLESSY reste sceptique sur ce que pourrait apporter un transfert de compétence aux collectivités. Il n’est pas d’actualité que le patrimoine soit transféré aux régions. Aux établissements, c’est en projet. Mais Bercy a des exigences importante en matière immobilière sur le plan de l’amortissement des locaux notamment.