Entretien avec Daniel BANCEL
Recteur de l’académie de Lyon de 1991 à 2000, 4 mars 2003

L’entretien se déroule dans le bureau du recteur BANCEL. La discussion est poursuivie lors du déjeuner à la résidence rectorale. L’entretien dure deux heures et demi.

Je vais tout d’abord vous demander de vous présenter.

Alors, oui, je m’appelle Daniel BANCEL. J’ai été recteur à Lyon entre 1991, j’ai du arriver le 1er mars ou les derniers jours de février, cela fait douze ans aujourd’hui. Je suis resté en fonction à Lyon jusqu’à fin janvier 2000. Je suis donc resté neuf ans à Lyon. Mon arrivée à coïncider en terme de calendrier universitaire avec l’élaboration du plan Université 2000. Qui n’était pas très avancé à Lyon dans la mesure où mon prédécesseur devait partir à la retraite en février 1991 et il avait donc volontairement peu avancé dans le dossier. Lyon était l’une des académies qui étaient la plus en retard dans le plan université 2000. C’était délibéré de la part de mon prédécesseur qui ne voulait pas laisser une marque trop importante au dossier pour que son successeur ait les mains libres dessus. Il y avait des idées qui traînaient comme celles qu’on pourrait créer deux universités supplémentaires à Lyon. On parlait de Lyon IV, de Lyon V. Donc je suis arrivé dans un contexte où beaucoup d’idées avaient été avancées mais les grands choix restaient à faire. Une des premières visites que j’ai reçues quand je suis arrivé à Lyon, c’était la visite conjointe du SGAR et du président de la CURA qui était grenoblois. Ils étaient venus me faire part de leurs inquiétudes sur le retard qui avait été pris par le dossier pour l’académie de Lyon en m’indiquant d’ailleurs que les choses n’étaient pas très graves mais qu’ils souhaitaient que les lyonnais prennent position. Les grenoblois se disaient un peu embêtés du manque de perspective de développement de l’université lyonnaise. Je me souviens que dans cette réunion on avait évoqué la tradition qui voulait que 60 % des crédits aillent à Grenoble et 40 % à Lyon. Je me souviens de la fin de cet entretien où je leur avais dit que je ne m’inscrirai pas tout à fait dans ce cadre là. Le développement universitaire me paraissait devoir être un peu plus proportionnel aux effectifs étudiants. Je voyais plutôt moi inverser les rapports entre Lyon et Grenoble. Ils m’ont regardé d’un sourire un peu narquois en se disant : « il rêve un peu. ».

Vous avez initié le lancement du schéma Université 2000. Quel a été l’accueil réservé par les lyonnais à ce schéma ?

Le schéma Université 2000, dans ce contexte où il y avait eu beaucoup d’idées qui avaient été avancées, certaines mêmes assez dérangeantes, moi il m’a semblé que la première des choses à faire c’était qu’il y ait une expression claire des universitaires sur leur avenir. Il me semblait que plutôt que de réagir à des propositions qui avaient été faites à certains moments, il valait mieux qu’ils se prononcent eux mêmes. Par exemple type de propositions qui circulaient quand je suis arrivé, c’était de regrouper sur le cœur de Lyon, les activités de troisième cycle et de regrouper sur les sites périphériques les premiers et deuxièmes cycles. Il y avait des schémas d’aménagement qui étaient assez loin de la réalité. Il m’a semblé que la première des choses à faire était d’obtenir des présidents d’université et des directeurs d’école d’avoir une stratégie commune. J’ai commencé à réunir les trois présidents d’université et les trois directeurs des grandes écoles. On faisait des séances de travail qu’on commençait généralement après 18 heures et qu’on terminait quelque fois assez tard jusqu’à parfois 1 heure du matin. Donc il y avait Gérard FONTAINE pour Lyon I, Eric FROMENT pour Lyon II, Pierre VIALLE pour Lyon III. Il y avait les trois directeurs des écoles les plus importantes, il y avait Guy AUBERT pour l’ENS, BORDET pour l’école centrale et ROCHAS pour l’INSA. Il y en avait trois qui étaient en fonction depuis un certain temps (BORDET, AUBERT et VIALLE) et puis trois qui venaient d’être élus ou d’être nommés. FONTAINE et FROMENT venaient d’être élus et ROCHAS était très fraîchement directeur de l’INSA. Je les invitais à ce que l’on fasse une définition des axes stratégiques qui devaient guider l’évolution des grandes écoles et des universités de Lyon. En se faisant une obligation qui était de rédiger un texte assez court, de quatre ou cinq pages, qui fixaient des principes assez forts. Il y avait comme principe un développement équilibré de l’ensemble des sites. Equilibré au sens de présence des premiers, deuxièmes et troisième cycle. On a donc pris position contre l’idée qui courrait assez fortement à Lyon de distinguer le centre ville avec beaucoup d’activités de recherche et ensuite de faire des campus de premiers et deuxième cycle avec la Doua et Bron. On a pris position aussi sur des grands thèmes forts et comment ils se partageaient notamment entre Lyon I et l’ENS. C’était des principes stratégiques : cela nous a pris beaucoup de temps. Beaucoup d’heures, en temps on a été assez vite. On a fait ensuite une conférence de presse où on était tous les sept. Les journaux s’en sont étonnés parce qu’il y avait eu toujours des grands conflits entre les universités. On a fait un exposé, on a présenté ce texte. Je me souviens même de l’intervention d’une journaliste qui était à Lyon Figaro, Sandrine BLANCHARD, qui après cet exposé, nous a dit : « il y a beaucoup d’idées mais finalement est ce que ce n’est pas parce que vous avez peur d’avoir pas assez d’argent. » Nous, on a expliqué que non. Cela, c’était donc les principes forts sur lesquels les universitaires s’engageaient. C’était la politique de développement universitaire au sens où il revient aux universitaires autonomes de définir leur politique d’enseignement supérieur et de recherche. C’est dans leur compétence. Ensuite, on a élargi la réflexion aux collectivités. On a fait des réunions auxquelles participaient Georges CONSOLO, Pierre JAMET, Guy BARRIOLADE, des représentants de l’atelier de l’urbanisme. On a traité ensuite une seconde partie qui était l’incidence en termes de développement économique, d’aménagement de l’espace urbain. On a essayé de faire un peu d’urbanisme universitaire. On a discuté donc avec les collectivités. Donc là on avait des séances. Je me suis aperçu un jour que la réunion, on vous l’a peut être raconté, que la réunion qui commençait à 18 heures et qui comprenaient un repas ensuite était programmé le soir de la finale de football Marseille- Etoile rouge de Belgrade en Italie. J’avais évoqué la possibilité d’annuler la soirée. En faisant vite le tour, on s’est aperçu qu’on maintenait. Finalement, tout le monde était présent et même quelqu’un qui s’intéresse à des problèmes d’urbanisme universitaire était là. Avec Georges CONSOLO, on avait convenu qu’on coprésidait la soirée et que celui qui ne présidait pas ferait des allées et des venues entre la réunion et la salle de télévision pour renseigner les autres sur le score. C’est pour vous dire l’ambiance. C’est de cette époque que date la matérialisation de ce qui avait été commencé par l’atelier d’urbanisme de la ville de Lyon dans le développement autour du fleuve qui faisait l’arc et dans l’axe d’une flèche qui partait de Bron. On a arrêté cette stratégie, on l’a meublée par un certains nombres d’opérations. Au delà des principes, on a agi. Dans ce document qui date de 1991, on annonçait déjà des développements ultérieurs. On posait le problème du rééquilibrage à l’ouest. Dans la période de 1990-1991, on avait très peu évoqué les développements du côté d’Ecully. Après est venue l’idée de développer un IUT s’appuyant en partie sur l’Ecole centrale. On a fait un ordre qui était assez nouveau et original, les présidents d’université on convenu dans quel ordre on faisait les opérations. C’est lié à votre interrogation sur la Manufacture des Tabacs. J’ai fait admettre à l’ensemble des responsables universitaires, cela a été facile pour le président de Lyon III, moins pour le président de Lyon II, que étant donné le coup de l’opération de la Manu, d’une certaine manière Université 2000 accorderait beaucoup de crédits à ce projet. Il y a deux principes qui ont été admis parce qu’on avait des masses budgétaires que l’on connaissait à peu près. Il y avait deux opérations lourdes et que d’une manière un peu privilégiée, les crédits iraient à Lyon III pour la Manu et puis qu’il y aurait un effort de requalification du campus de la Doua tant en matière scientifique qu’immobilière. L’une des grandes interrogations, c’était de donner des impulsions nouvelles pour le campus de la Doua puisqu’à l’époque il avait été même question de transformer le campus de la Doua en campus de premier et second cycle uniquement. Donc un espèce de désengagement au profit du pôle de Gerland. J’ai fait admettre au deux binômes principalement concernés, le binôme Lyon II- Lyon III, Pierre VIALLE et Eric FROMENT qu’il y aurait de manière privilégiée pendant la période U 2000 un effort privilégié pour Lyon III et la Manu mais qui serait suivi ensuite du même effort pour le campus de Bron. Les crédits aujourd’hui vont beaucoup sur le campus de Bron. On ferait ensuite une récupération de Lyon II pour les locaux sur les quais. Quand on regarde U3M c’est au contraire Lyon II qui bénéficie des crédits. Dans le développement scientifique, c’était un peu la même chose : on admettait que pour U2000 ce serait un effort pour la Doua (création d’activités nouvelles, effort de requalification) et que l’étape suivante serait sur le campus de Gerland. L’étape suivante, Lyon I devait implanter des activités sur le campus de Gerland. On se rapprochait par là de l’ENS. C’est à cette époque qu’on a un peu conçu ce double axe de développement universitaire : l’axe La Doua – Gerland qui passait par les quais ; et puis la flèche qui passait par Bron, La Manu, les quais et le prolongement à l’ouest du côté d’Ecully. C’est ce qu’on appelait la flèche. C’est pour cela qu’on a beaucoup de schémas où on a cet arc et cette flèche. Cela s’est terminé au mois de juin par une liste d’opérations, leur calendrier de réalisation et les enveloppes financières et on a mis cela en annexes de la signature du contrat de plan, dont la signature a d’ailleurs coïncidé avec l’arrivée du nouveau préfet. Ce nouveau préfet était d’ailleurs un petit peu étonné d’avoir un dossier bouclé de cette manière là. En quatre mois, un peu à marche forcée on est passé d’une situation extrêmement conflictuelle souvent orchestrée d’ailleurs par les médias, parce que quand on disait « on va créer Lyon IV, Lyon V, est-ce qu’on y met de la médecine ? Est-ce qu’on y met des sciences ? », c’était difficilement ressenti. C’est d’ailleurs une des positions qu’on avait pris dans notre document qu’on s’interdisait toute redéfinition structurelle des universités. Faire passer des UFR de l’un à l’autre c’est quelque chose de difficile. A priori, on l’a exclu. On ne voulait pas passer notre temps à discuter de problèmes de statuts, de frontières que Lyon avait connu et payé au moment du partage Lyon II- Lyon III. Ce qui n’interdisait pas des restructurations à la marge par consentement mutuel. Il y a d’ailleurs eu immédiatement une application puisqu’à l’unanimité des deux conseils d’administration, l’IETL est passé de Lyon III à Lyon II. Cela illustre bien cela mais cela s’est opéré dans le consensus et sur des bases scientifiques et non politiques. On est donc arrivé à un document qui dit les chiffres, le nombre de m², les financements. J’ai fait procéder par un ingénieur régional Mr JOANAN, un homme très dynamique. Il assistait à nos réflexions et aux réunions. On évoquait des projets et à la réunion suivante il revenait avec une fiche qui disait cela fait tant de m², cela fait tant de millions pour construire ou réhabiliter. On est donc en juin. Après il y a eu une cérémonie, je crois que cela a été à la rentrée 1991, ou à la rentrée 1992. On a fait une rentrée solennelle des trois universités dans l’amphithéâtre historique de Lyon. Tout Lyon était là. C’était 25 ans après la dernière rentrée solennelle de l’université lyonnaise, puisqu’à l’époque on avait des facultés, qui avait eu lieu en 1967. En 1968, les universités s’étaient déchirées. 25 ans après, dans l’amphithéâtre sur les quais, celui qui a brûlé, on a fait une rentrée solennelle. Cela a beaucoup marqué les esprits parce que la tradition à Lyon c’était plutôt celle des conflits. Moi je me souviens, à une époque en 1988-89, j’étais au Conseil supérieur des universités et à chaque fois qu’il y avait un dossier qui venait de Lyon, on se disait : « qu’est ce qu’ils ont encore inventé comme histoire, qu’est ce qu’il y a là derrière ? ». Lyon avait une image d’une université déchirée, il y avait eu cet épisode même en interne de Lyon I dans l’incapacité d’élire un président pendant des années. Il y a eu un administrateur provisoire pendant des années à Lyon I. Il y a eu des épisodes avec des collections de bouquins. J’ai même du remarquer que, malgré tous nos efforts, les cicatrices existaient encore quelques années après. Les numéros pairs allaient à une université les numéros impairs allaient à l’autre. On prenait une collection, un dictionnaire en plusieurs volumes, les collections étaient éclatées ce qui n’est pas l’idéal. C’est en partie lié aux hommes, cela compte beaucoup les facteurs humains. Il se trouve que Eric FROMENT et Pierre VIALLE avaient fait leurs études ensemble. Ils se connaissaient. Ils avaient des relations personnelles et amicales qui étaient directement liées au temps de leurs études. Ils ont à la fois porté leurs institutions et ils ont su trouver les moyens de faire passer en interne les choses. Ce qui est lié en partie à leur caractère personnel. Moi je connaissais Guy AUBERT d’avant, puisque nous sommes tous les deux originaires de l’ENS. On avait pratiqué le même sport, le rugby, donc on se connaissait à différentes occasions. Je l’ai beaucoup amené à composer avec le président de Lyon I. L’ENS sciences est arrivé à Lyon dans un climat de conflit qui existait encore très fortement au début des années 1990. J’ai pu obtenir de Guy AUBERT, qu’il modère ses ambitions. Son idée, c’était de constituer autour de l’ENS un gros campus scientifique de haut niveau international et puis tant pis La Doua ils régleront leurs problèmes. C’est vrai qu’il y avait eu à La Doua un appauvrissement scientifique. Cela avait manqué de dynamisme. Donc il y avait à la fois un président Gérard FONTAINE, de qualité qui voulait faire avancer son université. Il a obtenu avec mon aide cette priorité pour La Doua. On avait besoin de redynamiser la Doua qui sur une période relativement importante n’avait pas fait grand chose. Deuxième étape, le campus de Gerland. C’est un peu les équilibres qu’on a trouvé. Ils se sont très vite traduits par un changement de mentalité dans l’université lyonnaise. Quand on est à un poste comme le mien de l’impact pour un chercheur des décisions que l’on prend. Je me suis aperçu que très vite cela s’était ressenti, la rentrée solennelle a beaucoup marqué les esprits. J’étais venu dans un laboratoire à La Doua pour une visite et tout le monde m’a dit : « Monsieur le Recteur, maintenant on a compris, il faut que l’on travaille ensemble. A Lyon, il faut que l’on fasse front commun, on s’est assez disputé. » Le message « nous avons une stratégie commune et l’ensemble des acteurs doit y contribuer » est extrêmement bien passé. C’est un peu le schéma général. Par rapport à la Manufacture des Tabacs, le choix a été fait antérieurement à mon arrivée. C’était un choix qui était fortement lié à Michel NOIR et Jean Michel DUBERNARD. Je pense que Jean Michel DUBERNARD a joué un rôle important pour le choix du site de la Manu. C’était une bonne décision. Simplement ce qui était difficile à faire passer c’était le coût de l’opération. On mettait en regard une opération qui était prévue autour de 500 à 600 millions de francs, c’était difficile parce qu’on différait un certain nombre de projets. Et cela aurait pu être une source grave de conflits de nouveau entre Lyon II et Lyon III. On a eu du mal à l’éviter, on aurait à mon avis un peu plus le faire, avec l’arrivée de l’ENS lettres. C’est une très belle opération mais cela fait toujours pensé aux universitaires que cela a freiné d’autres projets. Ce n’est pas faux. Les collectivités qui investissent dans le développement universitaire mais qui ont, comme tout le monde des budgets limités, ne peuvent pas payer la même année deux fois. A la fois pour l’ENS lettres et pour Lyon II, Lyon III. Ce risque a été gommé en ce sens. J’ai peut être joué un rôle à ce niveau par le choix de la méthode. Avant d’aborder ces questions, on a convenu qu’on faisait cet exercice de définition stratégique. On discutait entre nous. Chacun parlait d’une manière assez libre de ces projets de développement, au bout de trois séances c’est moi qui ait pris la plume. Les présidents ont refusé de prendre la plume. Guy AUBERT a insisté et m’a dit : « puisque tu as voulu qu’on fasse ces réunions, c’est à toi de rédiger. »J’ai rédigé un premier jet qu’on a retravaillé ensuite. C’est un document important. Quand on le relit, on s’aperçoit que ce qui est dit dans ce document a été fait. Il y a eu un certain scepticisme au début. Il y a eu une journaliste qui a dit : « le recteur a retricoté le PUL ». Puis après, on a montré que si on avait passé des séances ce n’est pas pour rien. C’était un document fondateur qui fixait un peu le développement universitaire. En terme de méthode cela nous a donné des habitudes de travail et notamment de qualités de relations avec les collectivités. Moi je trouve que quand on parle de franchir une étape supplémentaire dans la décentralisation, ce qu’on a fait là c’est quelque chose pour lequel les universités devront toujours être extrêmement vigilante. Moi, je pense que c’est une très bonne chose de rapprocher les collectivités locales qui sont en charge de l’aménagement du territoire et du développement économique et les projets universitaires. Mais les universités devront toujours être très vigilante sur la définition de leur politique universitaire. C’est aux universités et aux centres de recherche de définir leur politique dans la communauté des sciences et de la connaissance. Là, il y a vraiment une stratégie de présence dans la communauté scientifique internationale qui doit être à la base et qui est la première contribution des universitaires. C’est ce qu’on a fait. On est parti de l’analyse que Lyon n’a pas la place qu’elle devrait avoir dans la communauté universitaire internationale. Lyon a des atouts mais Lyon a des faiblesses et on vient de passer une période pendant laquelle on a sérieusement décroché au niveau international. L’ambition de faire de Lyon le deuxième pôle universitaire français est finalement une ambition raisonnable. Cela fait sourire les grenoblois d’ailleurs quand on a dit cela la première fois. Je vous ai parlé tout à l’heure des relations Lyon-Grenoble, cela a été un épisode difficile. Comme on avait des projets, j’ai revendiqué le fait que les enveloppes régionales soient réparties au prorata des étudiants c’est à dire 60 et 40 %. Ce qui a fait beaucoup de remous. Au bout d’un moment, j’ai obtenu de la région qui a senti, au bout d’un moment, qu’il y avait une opportunité et puis du niveau ministériel. Ils ont estimé qu’en raison de la consistance du projet lyonnais qui n’était pas un patchwork d’opérations mais qui avait une vraie stratégie affichée avec des étapes de réalisation, le partage 60-40 était légitime. Il a beaucoup remué Grenoble. Cela s’est très mal passé. Je sais même qu’il y a des élus qui ont demandé une audience au ministre. Ils se sont dits « mais qu’est ce qui se passe, on ne donne plus d’argent à Grenoble. » Cela a marqué une rupture parce que je me souviens au moment de U3M, on discutait ce genre de stratégie et j’ai fait admettre à mon homologue grenoblois qu’on resterait sur le partage au prorata des effectifs étudiants. Le patrimoine de Lyon était ancien, on avait des opérations significatives avec des opérations de réhabilitation lourde sur les quais. Le préfet a tout de suite donné son accord. J’ai proposé à mon collègue qu’au niveau de la recherche on ferait expertiser les dispositifs de recherche par le CNRS, par l’INSERM, par la mission scientifique du ministère de l’Education nationale. On pratiquait ainsi un système d’expertise et qu’on retiendrait les opérations dans l’ordre de qualité d’expertise. On demandait aux experts de classer les projets en trois groupes : les A passeraient nécessairement, les B en fonction des ressources et les C vraiment si on avait une enveloppe qui le permettrait. Mais il n’y avait pas de répartition Lyon Grenoble, c’était la qualité des projets qui primeraient. A la surprise générale, les projets bien expertisés ont été en majorité les projets lyonnais et cela a creusé l’écart entre Lyon et Grenoble. On est passé à 62 et 38 pour Grenoble. Parce que parallèlement au dynamisme retrouvé de l’université lyonnaise (il y avait beaucoup de projets sciences de la vie liés à Gerland) il y avait une crise de croissance à Grenoble. Il y avait une situation très conflictuelle à Grenoble entre les présidents et les instituts et finalement ils ont présenté peu de projets scientifiques vraiment élaborés et expertisés favorablement. A ce moment là, mon collègue de Grenoble n’en a pas été très marri parce que on avait à peine fini de boucler U3M qu’il partait de Grenoble pour aller à Lyon. Il n’a pas trop regretté cette règle à laquelle il s’était très bien plié. L’arrivée de l’ENS Lyon a été un événement perturbateur. Mais cela n’a pas été commode. J’ai tout fait pour que cela se passe bien, mais bon. Cela s’est basé sur la crainte plus exprimé à Lyon II qu’à Lyon III d’ailleurs que de nouveau on voit passer le train. Après la Manu qui avait amené de l’argent à Lyon III, il semble qu’on ait craint à Lyon II de voir une fois de plus passer le train. Je crois que cela se passe mieux que pour les sciences. Il y a eu cette épisode de la bibliothèque avec une ironie du sort. On avait passé des séances avec certains collègues parfois très difficile avec certains collègues qui utilisaient l’agitation étudiante. On a fait croire que toutes les collections allaient partir. Que c’était un dépérissement. Il y avait un projet sur les quais. Et puis cette ironie du sort où on a réussi à se mettre d’accord sur le partage des collections notamment pour l’histoire où cela avait été très difficile. C’est le Centre Pierre Léon qui est à côté, les collègues étaient très inquiets de voir partir les collections. On était arrivé à un bon partage finalement.

Vous avez évoqué tout à l’heure la question du lancement du schéma Université 2000. La consultation a d’abord associé les universitaires pour ensuite se dérouler avec les représentants des collectivités ?

Il y avait un grand flou. Il fallait placer les projets dans une perspective stratégique. Les discussions avaient eu lieu sur des projets ponctuels du genre Manufacture des Tabacs. Cela c’est une décision de Michel Noir. Très bonne décision d’ailleurs. Quand on fait le bilan de l’opération, cela coûte aussi cher que du neuf mais par contre c’était une chance inespérée à la fois pour la ville et l’université de développer des activités dans le centre ville de Lyon. C’est ici plus lié à un schéma d’aménagement. Il y avait cette opération avec des coûts plus ou moins précisés. Il y avait eu des réflexions structurelles du style de ce que je vous ait précisé. Est ce qu’on ne peut pas rassembler les médecins avec du droit ? Il y avait eu des tas de projets de redécoupage des universités. Et moi quand je suis arrivé à Lyon et j’ai eu la chance d’avoir des présidents qui avaient le même avis que moi c’est à dire : « tout cela c’est bien joli mais quelle est la stratégie scientifique ? ». Notre objet ce n’est pas de faire des statuts ou de la promotion immobilière. Notre responsabilité en tant que scientifique c’est de promouvoir un enseignement supérieur de qualité et une recherche performante sur l’agglomération lyonnaise. Cela ne va pas sans une mise en perspective du développement de l’université. Sur quoi on veut tabler pour le développement ? Il y a une énumération dans notre document. Lyon a déjà une taille en sciences humaines et en sciences de la vie une taille internationale. Il fallait donc investir dans ces secteurs. Et puis des secteurs pour lesquels on n’a résolument pas un potentiel qui justifierait des investissements lourds. Rien que se mettre d’accord entre responsables universitaires sur un schéma comme celui là, cela vous décante pas mal. Quelquefois ce n’est pas la peine de dépenser 200 millions alors même qu’on n’a pas les équipes qui correspondent à ces investissements. On peut dans un premier temps faire une stratégie d’émergence. Développer des équipes et puis si elles acquièrent une reconnaissance internationale on pourra faire des investissements derrière. On a ensuite négocié avec les collectivités. La négociation n’a pas été tout de suite une négociation de marchands de tapis. On met 5 millions, 6 millions. Moi, quand je suis arrivé sur l’Ile de France, pour le plan U3M j’ai été stupéfait. Il y avait un partage entre des financeurs et puis quand j’ai posé la question du périmètre scientifique, des équipes de recherche impliquées, on m’a avoué qu’on ne savait pas. Le premier exercice que j’ai eu à faire ici en arrivant c’est de délimiter le périmètre scientifique des opérations. Je m’aperçois que on a tout intérêt à le faire parce qu’on s’est aperçu qu’il y avait des équipes qui comptaient deux fois. Les collectivités avaient des idées. Toute la réflexion sur la Manu est arrivée à ce moment là. On tentait de croiser à la fois les préoccupations de la ville de Lyon, liée à la Manu. Notre préoccupation de rééquilibrer ensuite à l’ouest correspondait aussi à une préoccupation du Conseil général. Les activités universitaires étaient essentiellement sur Lyon et le Conseil général souhaitait qu’il y ait plus de choses à l’ouest ce qui avait également un sens en matière universitaire. L’Ecole centrale était un peu seule. L’idée de faire un IUT qui rapprocherait le domaine industriel bien développé à Centrale et le domaine tertiaire que prendrait en charge Lyon III pour faire un IUT qui serait sous la cotutelle de centrale et de Lyon III a été affirmé à ce moment là. Notre travail avec les collectivités a été de croiser les axes de développement universitaire avec les axes de développement urbain. En terme de développement universitaire et d’urbanisme, je pense que l’exercice est. C’est allé très vite. Ce qu’on connaissait c’était l’enveloppe régionale. Dans un premier temps, il a fallu se mettre d’accord sur sa répartition entre Lyon et Grenoble. Le principe admis dans ces négociations, c’est que les collectivités mettraient autant que l’Etat. Ensuite les clés de répartition ont ensuite été assez claires : entre les collectivités, c’était 50 % la région, 25% le département et 25 % la ville de Lyon et la communauté urbaine. Pour faire des montages financiers, j’ai proposé aux collectivités quelque chose qui leur a évidemment plu. Tout ce qui était de la réhabilitation, la maîtrise d’ouvrage serait d’Etat. Tout ce qui serait création d’instituts nouveaux, de locaux neufs, tout ce qui est facilement identifiable, ce serait les collectivités locales. Deuxième règle, on essaye au maximum d’éviter les financements croisés. Parce que c’est extrêmement compliqué, les collectivités ne votent pas toujours au même rythme. Ce qui permettait d’ailleurs aux collectivités de récupérer la TVA, je ne sais plus si c’est deux tiers ou trois quart. Avec cette règle là, on a eu aucune difficulté à s’entendre sur un projet de financement. C’est d’ailleurs l’exercice qu’a fait avec beaucoup de talent Mr JOANAN. Il nous a proposé une grille sur cette base là. On évite les financements croisés qui sont sources de complication et par ailleurs ce qui est le plus porteur en terme d’image, on le confie au aux collectivités. On a fait quelques opérations maîtrises d’ouvrage Etat sur des opérations neuves mais l’essentiel a ici été fait par les collectivités qui souhaitent souvent identifier ce type d’opération à leur bénéfice. On leur donne donc la maîtrise d’ouvrage. La partie négociations a été pour tout dire à la résidence du Recteur. Le préfet a été un peu surpris quand il est arrivé. La préfecture a été… On a invité le SGAR mais cela s’est fait sans aspect politique. C’est à dire que c’était JAMET, c’était BARRIOLADE, c’était CONSOLO, c’était HENRY, le SGAR et on se mettait assez rapidement d’accord. On n’a pas eu des aspects interventions d’un certain nombre d’élus ce qui arrive parfois dans les négociations. On a préparé les choses techniquement. Mais évidemment des gens comme BARRIOLADE, CONSOLO ou JAMET avaient le feu vert de leurs présidents. Je pense que tout le monde mesurait l’importance de l’enjeu. Georges CONSOLO m’a dit un jour : « finalement, tu as joué le rôle d’un changement de maître à l’école primaire. Il y a un maître avec lequel les enfants chahutent, sont des mauvais élèves, ils travaillent pas bien. Et d’un seul coup, on change d’instituteur, et les élèves deviennent bons. » Je crois que les collectivités ont compris ce qui était en train de se faire, et elles étaient plus attentives au résultat qu’à marquer de leurs interventions le dossier. Cela s’est conservé quand on a discuté de U3M, comme il y avait eu un changement de préfet. J’ai profité aussi qu’il y a eu une vacance de la préfecture. Peu de temps après mon arrivée, le préfet a été changé. Paul BERNARD est arrivé après. Le temps qu’il se mette au courant, c’était terminé. Quand il a commencé à s’intéresser à U2000, il avait le tableau que je vous ai indiqué : liste des opérations, financement, partage des enveloppes financières. Il ne restait plus qu’à signer en bas de la feuille ce qu’il a fait avec le président du conseil régional. Sur U3M, cela restait. U3M a été monté sur la base à partir d’une réflexion universitaire. Comme je connaissais Claude ALLEGRE pour l’avoir côtoyé à une époque, j’ai dit aux présidents d’université : « on recommence l’exercice de 1991 ». Comme je connais ALLEGRE, je savais qu’il ne pourrait pas s’empêcher de faire un deuxième épisode. Il avait été grandement à l’origine de U2000 et je leur disais : « il va nous lancer U3000 ou U2010 ou un truc comme cela. » Dès la nomination d’ALLEGRE, je les ai réinvité chez moi, pour travailler sur la même base. On a fait la même méthode mais on avait rajouté les stéphanois, l’IUFM. Chacun exposait ces projets et chacun acceptait d’être confronté à la critique universitaire de ses collègues. On s’est établi un ordre de priorité avec hypothèse normale, minimale et haute pour ne pas se censurer. Quand ALLEGRE a effectivement lancé U3M, ils m’ont accusé de délit d’initié. Mais ALLEGRE ne m’avait rien dit, mais quand on connaît ALLEGRE, on pouvait le deviner. Quand l’Etat a annoncé son enveloppe, il nous manquait très peu de choses pour réaliser l’hypothèse intermédiaire. On avait tout chiffré. L’enveloppe de l’Etat multipliée par deux ne faisait pas assez pour cette hypothèse. Madame COMPARINI nous a aidés. Elle a été très rapidement au courant qu’il nous manquait 300 millions et elle annonçait tout de suite les 150 millions pour la région. Et on a obtenu le reste de l’Etat. Cela a donc été traité politiquement. ALLEGRE m’a vu venir : il m’a dit : « je ne bougerai pas, je ne peux pas intervenir parce que cela ferait un peu trop gros, cela ferait un peu trop manipulation mais même si le directeur de la DPD, Michel GARNIER, va hurler, je ne bougerai pas ». Et finalement on a obtenu 150 millions de plus. Cela a été arbitré à Matignon. L’enveloppe de la région a été augmentée. Nouveauté de l’exercice pour U3M, on l’a fait avec les grenoblois. Cela s’est terminé dans la salle de réunion du 5ème étage du rectorat avec les grenoblois présents. On l’a fait dans cet esprit : tous les dossiers sont rassemblés et envoyés à l’expertise selon les mêmes critères. On a bouclé U3M sur la base d’une pré-répartition 60/40 fixée à l’avance et on avait un dossier bouclé vers une hypothèse moyenne même si les lyonnais étaient partis un peu en avance. L’arbitrage de Matignon a été rendu en notre faveur mais il y avait une clause restrictive qui ferait que cela ne marcherait pas mais on l’a fait sauter par le Premier ministre au dernier moment. C’est vrai que Mme COMPARINI m’avait demandé, dans un épisode assez curieux, de la suivre dans des réunions départementales parce qu’elle avait du mal à convaincre quelques présidents de conseils généraux. Notamment dans l’Ain. Elle m’a demandé un jour de venir avec elle pour exposer les projets au conseil général de l’Ain. Je pense avoir joué un rôle non négligeable dans le fait que les conseils généraux et la région se soient entendus. C’est un rôle intéressant celui de recteur. Un recteur n’est pas nécessairement perçu par les collectivités comme représentant de l’Etat au même titre que le préfet. Quand le préfet rencontre les collectivités il y a l’opposition habituelle Etat- collectivité avec l’idée qu’on ne met un franc que si l’autre met un franc. Le recteur n’est pas perçu comme cela. A la limite, on me percevait comme chancelier des universités donc comme le porteur d’une communauté scientifique. On souhaitait travailler avec les élus parce que tout le monde en profitait : nous, parce que on récupérait de l’argent et eux en matière de développement. J’ai utilisé quelque chose avec le président du conseil général de l’Ain quelque chose qui n’avait pas grand chose à voir c’était le développement des classes préparatoires dans l’Ain. Je lui disais : « regardez, vous ne pouvez pas m’accuser de ne pas être attentif au développement de l’enseignement supérieur dans l’Ain, regardez le développement des lycées de l’Ain, les efforts de développement sur l’école de plasturgie. » Il estimait que sa clé de répartition n’était pas terrible. Je lui ai dit que s’il appréhendait les choses globalement et il a admis qu’il y avait un développement global important au delà de l’enveloppe purement U3M. Le recteur est un peu perçu comme cela. C’est un peu une magistrature quoi. On est perçu comme porte-parole d’une communauté scientifique et les relations ne sont pas les mêmes. La réaction des collectivités, c’est plutôt d’aider la communauté scientifique, ce n’est pas de discuter avec elle du donnant-donnant.

Quelle est la nature de la relation qui unit le recteur au préfet ?

A Lyon, cela a toujours été de bonne relations. A Lyon, il y a eu un concours de circonstances. Notamment pour U2000, il a fallu démarrer très rapidement avec un préfet qui partait et un autre qui n’était pas encore arrivé. Très clairement, le préfet Paul BERNARD s’intéressait au développement universitaire. Il était connu pour son interventionnisme et sa volonté de peser dans le développement universitaire. Mais je crois qu’il a rapidement compris qu’à partir du moment où il y avait un schéma clairement décidé… Il avait un souvenir dans une autre préfecture dont il s’était occupé de développement universitaire, je pense par défaillance du recteur, il avait un tel souvenir d’affrontements, de discussion sans fin, qu’il n’avait pas forcement envie de s’en mêler à nouveau. Je dois vous le dire, j’ai eu des relations un peu tendues avec le préfet BERNARD parce qu’il était interventionniste et je n’ai jamais été un grand fanatique des interventions du préfet dans des domaines qui sont de la compétence stricte du recteur. Après, on a établi de bonnes relations et puis il était peut être sensible au fait que toutes les collectivités étaient satisfaites de la gestion du dossier. Après, le préfet BESSE avait la même attitude. D’ailleurs, quand je suis parti de Lyon, je lui ai rendu une visite de courtoisie et il m’a dit : « je dois vous dire que je n’ai jamais vu un recteur tenir à ce point son domaine de compétence. » Il m’a dit : « Je n’avais pas du tout envie d’intervenir mais rien ne justifiait l’intervention. » Pour lui, il était que clair pour tout le monde et notamment du côté des universités et des collectivités que c’était le recteur qui devait porter le projet éducatif. Je crois que c’est un concours de circonstances. IL y a eu aussi un effet de génération, je crois que cela a beaucoup joué. Ce que j’ai beaucoup apprécié à Lyon quand je suis arrivé c’est que l’ensemble des décideurs avait le même age. L’ensemble des universitaires était autour de la cinquantaine. Les responsables des collectivités également, NOIR, MERCIER, MILLON également avaient autour de cinquante ans. MERRIEU aussi qui a joué un rôle important. Les responsables économiques des gens comme Bruno LACROIX, avait aussi cet âge. Moi j’étais à Rouen où il y avait deux génération celle de LECANUET et du sénateur socialiste et la génération de FABIUS, d’ALBERTINI. Il y avait quelquefois plus de connivence de génération que politique. Il y avait un mode de fonctionnement assez direct, les problèmes se réglaient très vite. Je me souviens de la création de l’ENSATT assez intéressant à décortiquer du point de vue de la décision. Je vais au ministère dans une sous-direction près du Panthéon, et le sous directeur que j’allais voir me dit : « sort à l’instant de mon bureau le directeur de l’ENSATT qui a des problèmes énormes pour se reloger sur Paris. Il est hors norme de sécurité, il risque la fermeture, on lui propose que des locaux qui ne vont pas à Paris. » Il m’a dit que cela nous intéresserait peut être. Et là je me suis dit qu’en effet c’était intéressant de faire venir une école comme cela dans une métropole culturelle comme Lyon. J’ai appelé BOURGEOIS qui était le directeur de l’ENSATT. Je l’ai invité à Lyon à un petit déjeuner avec autour de la table BARRIOLADE, JAMEY, je me demande s’il n’y avait pas MERCIER, SINOU. A la fin du petit déjeuner, on avait le chiffrage de l’opération et la répartition. On s’était dit : « cela c’est un projet intéressant ». JOANAN a visité les sites possibles et il a trouvé le lieu dans le 5ème où ils sont maintenant. J’ai rappelé le directeur de l’ENSATT qui m’a dit qu’il allait en parler à son CA parce que cela faisait des années qu’il essayait de faire une réunion comme celle organisée à Lyon à Paris. En général, cela prend une année, et quand il avait vu le dernier et qu’il était d’accord, le premier vu a changé d’avis et il faut recommencer. J’avais pris la précaution de sensibiliser les gens de la CCI et Bruno LACROIX qui était le représentant du patronat et ils avaient montré leur intérêt en disant : « si on veut être une métropole économique, il faut peut être qu’on soit aussi une métropole culturelle. » 851 Entre la première rencontre avec le directeur de l’ENSATT et l’ouverture des locaux, il y a eu très peu de temps. Il n’y a qu’à Lyon que moi j’ai connu cela. Il y avait entre ceux que vous avez rencontrés il y avait une grande connivence. C’était oui ou non tout de suite. Chacun assistant aux délibérations de son assemblée savait ce qui pouvait intéresser le conseil général, la COURLY… Quand on faisait le montage financier, on était plus dans la logique, « cela intéresse la communauté urbaine, cela va leur plaire, l’assemblée va adhérer, là on peut donc monter jusqu’à 25… ». Que des dossiers montés très très vite comme cela. Il y avait une décision, il n’y avait que peu de conflits. Les conflits ont commencé à apparaître, et c’est lié à la Manu, quand il a fallu trouver le contre poids. L’idée, c’était de boucler la Manu et d’aménager ensuite les quais au bénéfice de Lyon II. C’est clair qu’à ce moment là, on n’avait plus FROMENT et VIALLE mais GELAS et GUYOT. GUYOT ne voulait pas abandonner les quais. Un jour, j’ai dit à GELAS qui était un peu en train de céder, je lui ai dit qu’il était en train de recréer un axe Lyon III. Et cela a été un peu dommageable. Il y a eu de nouveau des stratégies cachées. Ce qui avait été l’atout de U2000, c’était que les gens se connaissaient et préféraient se parler franchement. Là, il y avait des prises de position un peu politiques, des stratégies un peu larvées. Et puis les relations avec la région ont commencé à être difficiles. C’est l’épisode de l’arrivée de Charles MILLON puis son remplacement par Anne Marie COMPARINI. A ce moment là, il y a eu une incidence forte. Certains collègues universitaires ont rejoué ce jeu tout à fait dommageable. Il vaut mieux régler au sein de la communauté universitaire nos différends sur des principes qui sont ceux du développement universitaire que de leur donner une tournure politique. Les événements politiques ont un peu agi. Il a fallu refaire des études chiffrées. Il a fallu reprendre une étude pour calculer au m² près quelle était l’évolution des surfaces Lyon II- Lyon III. Les services du rectorat ont passé un bon moment à argumenter par rapport au m² par étudiant pour argumenter que ce qu’on avait décidé restait valable. Il avait été évoqué le fait que on a fait cela à la louche en 1990, les effectifs étudiants ont évolué. Donc il a fallu refaire des études très fines. J’ai eu des préfets en or. Le rôle d’un préfet qui est garant de la cohérence de l’action de l’Etat, sur un dossier qui fait l’objet d’un consensus, est de constater le consensus et de veiller à ce qu’il se maintienne. Et pas de remettre en cause les décisions. Ce qu’aucun des préfets n’a jamais d’ailleurs cherché à faire. Ils avaient d’autres sujets de préoccupations. Au moment de la discussion d’U3M, je crois que le préfet BESSE était heureux de ne pas rajouter aux problèmes des routes le dossier universitaire. Il avait déjà le tunnel du Mont Blanc qui était un sujet extrêmement délicat. Dans la mesure où le dossier universitaire passait un petit peu comme une lettre à la poste, les collectivités se battaient même pour en mettre plus. Je crois qu’il était heureux de ne pas avoir à y toucher.

Vous avez évoqué le fait que la région Rhône Alpes ait plusieurs académies. Cela a été une difficulté dans les négociations ?

Il y a trois régions comme cela, il y a PACA et puis l’Ile de France. La concurrence universitaire en Rhône-Alpes a donné l’habitude aux présidents de travailler ensemble, les recteurs également ont travaillé dans le même sens, et U3M a été préparé au niveau de chaque académie et on a fait les choses ensemble quand ces opérations premières étaient opérées. D’ailleurs, quand on a délocalisé l’ENS sciences, il y a eu une opposition très forte de la communauté scientifique parisienne. A l’époque, FRIADEL qui occupait déjà un poste important avait dit : « on va se résigner puisque c’est le Premier ministre, à l’époque Raymond BARRE, qui avait décidé cette délocalisation. Mais ce n’est pas si grave parce que tant que Grenoble et Lyon ne s’entendent pas, on n’a pas trop de souci à se faire en terme de poids respectif de Paris et de Rhône Alpes. » Cela nous servait un peu de moteur en disant : « maintenant il faut le faire. » Progressivement, dans les discours que je faisais à la rentrée solennelle le premier discours se structure sur le retour de l’université lyonnaise après 25 ans de déchirements et puis le dernier c’est le pôle universitaire rhône-alpin. En 2000, quand je suis parti, tout le monde était convaincu que ce qui avait un sens, c’était le pôle universitaire Rhône Alpes. IL y avait des accords importants : micro technique pour Grenoble, sciences de la vie pour Lyon mais avec des équilibres pour chacun des secteurs. Mais pas des pôles concurrents. On fait de sciences de la vie à Lyon, on en fait aussi à Grenoble mais pour Grenoble ce sont les sciences de la vie utilisant les grands équipements scientifiques dont disposent Grenoble. Le pôle science de la vie grenoblois n’est pas en concurrence avec le pôle lyonnais. Même chose pour les micro-techniques. Quand Sylvain AUROUX est arrivé à Lyon, il a tout de suite conçu l’ENS comme étant une ENS régionale . Notamment en nouant des liens avec l’ensemble des centres universitaires St Etienne, Grenoble et Lyon bien sur. Dans son domaine qui est la philosophie, il m’avait dit qu’il y avait une très bonne équipe de philosophes à St Etienne. Dans le choix de l’ancrage universitaire, il avait le choix de faire avec les meilleures équipes régionales et pas seulement avec Lyon II ou Lyon III. Pour les sciences, même chose, dans certains secteurs, ils travaillent avec Grenoble dans d’autres avec Lyon. Quand vous êtes à Gerland, vous êtes finalement à 1 heure de Grenoble et à 45 minutes de La Doua pour peu qu’il y ait des embouteillages. On est vraiment dans une approche régionale avec aujourd’hui la CURA qui va de plus en plus jouer son rôle. Il y a eu quelque fois des états d’âme. Notamment au moment des épisodes avec le conseil régional. Il y en a qui étaient pour des positions très politiques, c’était la position de GELAS. Il y en a d’autres qui ne voulaient pas intervenir. Finalement pendant cet épisode, j’ai cherché à prendre une position moyenne en disant qu’il fallait réaffirmer un certain nombre de principes sans pour autant faire des interventions politiques directes. Ils étaient très divisés. On l’a senti avec DUBREUIL. On a été deux ou trois fois de suite à la réunion de la CURA parce qu’on a bien senti qu’ils étaient deux ou trois fois de suite au bord de la rupture. Cela dépend un peu des personnalités.

C’est quelque chose qui a troublé les esprits cet épisode ?

Oui, cela a eu beaucoup d’échos au sein de la communauté universitaire parce que les liens étaient très forts. Les liens étaient très forts et cela passait notamment par quelqu’un de très important, Alain MERRIEUX. C’était le vice président chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche qui d’ailleurs participait à certaines de nos réunions. Souvent la seule personnalité extérieure que l’on avait c’était MERRIEUX. On l’invitait. Souvent on travaillait à la résidence rectorale, je les invitais à dîner. On travaillait de 18 à 20 heures, on discutait et puis on mangeait et on se remettait à travailler. On le considérait comme un universitaire Alain MERRIEUX. Je crois c’est vrai que cela a beaucoup ému au niveau de la communauté universitaire. Je crois qu’à nouveau il y a des épisodes difficiles entre la présidente et le recteur, j’ai vu qu’une inauguration avait été annulé. On était arrivé à être chacun dans notre rôle. La décentralisation cela ne marche que si les deux sont forts dans leur domaine de compétences. Ce n’est pas de la concession, la décentralisation. Je prends souvent l’image d’une partie de tennis, il faut que les deux jouent au même niveau. Si vous en avez un qui est tête de série et l’autre qui est amateur. Ou bien c’est le massacre ou bien c’est complaisant et c’est pas intéressant. Donc il faut être bon et c’est la qualité du résultat qui compte. Ce n’est pas un problème de territoire, chacun essaie d’être très bon dans son domaine et il faut réfléchir à ce qu’on peut faire ensemble. Il faut tout d’abord que les universitaires soient clairs sur leur exigence scientifique en terme de participation à la communauté scientifique internationale. Ce n’est pas à une collectivité de décider du standard international. Dans la décentralisation, la première responsabilité des universitaires est d’être au plus haut niveau international. C’est leur objectif premier plutôt que de faire plaisir aux uns et aux autres. Pour les collectivités, c’est plus intéressant d’avoir une université de très haut niveau qu’une université qui fait ce qu’on lui demande à un niveau moindre. C’est cela la première exigence et là-dessus il faut être intransigeant. Ce n’est pas aux collectivités à dire si on a le niveau ou pas le niveau, là, on a des instances internationales qui peuvent le dire. Après, cette position étant remplie, c’est intéressant même pour les scientifiques de s’intéresser à la vie de la cité. C’est pas nouveau, cela a toujours été comme cela. Le scientifique, le savant a toujours été enfermé dans sa tour, sans jamais regarder ce qui se passe autour de lui. Qu’on soit attentif quand on fait des implantations sur les enjeux de l’aménagement du territoire moi ça me va. C’est ce que faisait très bien Alain MERIEUX. Par ses fonctions industrielles, c’est quelqu’un qui comprenait les deux. En tant qu’industriel, il était très intéressé des retombées de la recherche pour son activité. Mais il savait très bien que ces retombées n’avaient d’intérêt que si les universités et les labos étaient au top niveau. Ce n’était pas d’un prestataire de service dont il avait besoin, c’est le rôle des industriels de faire de la prestation de service. Par contre, ce qui est irremplaçable pour lui et qu’il ne peut créer, c’est la participation au niveau international. L’équilibre était sur cette base là, une bonne compréhension, de la connivence. Il y avait régulièrement au moins une fois par an, on se réunissait au bord du lac d’Annecy dans une propriété qui appartient à la Fondation MERIEUX et puis on discutait. Et là, cela a semé un trouble. Il y avait à la fois partage entre les gens qui portaient un jugement très négatif sur la stratégie politique et qui étaient un peu surpris… Parce que par ailleurs des relations s’étaient établies. Je pense que les choses se sont un peu arrangées. C’était l’occasion de faire un exercice, on l’avait dit en CURA, nécessaire. On avait de bonnes relations mais on n’a pas pris le soin d’expliciter les règles de notre coopération. C’est un peu comme partout, le règlement intérieur, les règles de droit, cela sert en situation de conflit. Quand on s’entend bien, il ne faut pas exclure qu’un jour il y ait des conflits. On a jamais été assez clair : si il y a des relations entre la région et l’université, cela ne dispense pas la région de ses responsabilités dans le développement économique, ce n’est pas à l’université de le faire et à l’inverse, en aucune manière, la région n’est comptable de la qualité de la recherche universitaire. C’est la responsabilité de l’université. En aucune manière, les collectivités ne peuvent demander aux universités de développer tel ou tel aspect de recherche parce que cela correspond à leur souhait. S’il y a des retombées c’est bien qu’on le fasse, mais ce ne doit pas être au détriment de la volonté universitaire de pousser plus loin dans une recherche fondamentale dans laquelle on ne voit pas très bien quelles pourraient être les incidences. Ce qu’on avait fait en 1991 me paraissait une bonne procédure. Quand on fait un contrat avec une collectivité, la première étape c’est de dire quelles sont les exigences premières du développement universitaire. La règle première c’est que ce doit être au profit du développement scientifique. Là il y a des choses qu’il vaut mieux que l’on dise tout de suite. D’abord on construit la stratégie scientifique et ensuite on construit les partenariats qui respectent cette stratégie scientifique. Les collectivités l’ont très bien admis. Quelque fois, il y a des projets. Elles nous ont demandé parfois de faire des petits efforts : je me souviens d’un projet de soufflerie. Mais là aussi, c’est possible de faire des efforts quand il y a des problèmes d’emplois et d’activités dans le secteur. La région nous avait demandé de faire un projet scientifique. Ce genre de choses, si c’est possible, c’est possible. Si on arrive à conjuguer quelque chose de scientifiquement intéressant avec u projet de développement économique et des objectifs d’aménagement du territoire c’est quelque chose qui peut être intéressant.

Avec le ministère, vous aviez carte blanche pour négocier ?

Oui, oui, on n’a pas eu de difficulté. On a quelques difficultés avec le schéma stratégique parce qu’on n’y avait pas fait attention. Parce qu’il nous fallait rédiger un schéma stratégique qui devait ensuite être intégré dans un schéma national. Et il se trouve que c’est Guy AUBERT qui avait la responsabilité de le faire. On a envoyé une première version qui n’était pas bonne, on n’avait pas pris le temps de le faire. Guy AUBERT m’a appelé un jour en me disant : « tu te fous de moi. On va rejeter ton truc. » Il m’a dit : « je suis au courant de ce que vous faites, tu peux prendre la peine de rédiger quelque chose de correct sur ce qui se passe à Lyon. » Je lui ai dit : « tu as raison ». J’ai donc réuni l’ensemble des responsables en leur disant qu’on avait remis une mauvaise copie. J’avais obtenu un délai de 15 jours. Les rapporteurs ont terminé leur examen par Rhône Alpes. En 15 jours en utilisant les courriers électroniques on a rédigé quelque chose. Les réactions étaient extrêmement positives. On a pas raconté de sornettes. Les gens à Paris nous ont même dit : « cela nous paraît tellement beau, que cela ne peut pas être vrai. » On avait beaucoup insisté sur notre stratégie commune. A Paris, les gens se disaient que ce n’était pas possible que Lyon et Grenoble soient à ce point dans une stratégie commune. Guy AUBERT même nous avait dit qu’on en rajoutait un peu. Mais non, c’était notre conclusion. Sur ce point seulement, on a quelques dissensions.

Pour les financements on a eu aucun problème. Je n’ai jamais eu de conflits avec les directeurs. C’est l’avantage d’avoir de l’expérience comme recteur. Moi, j’ai une position qui froisse quelquefois au niveau de la centrale, c’est de dire qu’il n’y a pas de hiérarchie entre un directeur d’administration centrale et un recteur. Le ministre a deux types de collaborateurs directs qui sont les directeurs qui veillent à l’équilibre national et les recteurs qui sont chargés d’animer sur un territoire national. A partir du moment où les directeurs explicitent clairement ce qu’ils attendent en terme d’équilibre national, sauf cas particulier, le recteur ne doit pas revoir sa copie. Ce n’est pas à un directeur d’arbitrer les choses locales. J’ai eu des conflits avec Michel GARNIER, c’est bien connu, sur des choses pour lesquelles il prenait LANG avec un responsable universitaire même, avec un élu qu’il connaît du domaine de l’enseignement supérieur. Il faut que les directeurs soient clairs pour savoir ce qu’ils attendent au niveau du ministère. Ils font un cadre national ensuite le recteur doit respecter ce cadre national, et s’ils le respectent et s’ils mobilisent les acteurs locaux, je ne vois pas pourquoi un directeur remettrait en cause une dynamique locale. C’est différent d’impératifs d’ordre politique qui peuvent être ceux du ministre. C’était ALLEGRE qui était ministre à l’époque d’U3M. Il connaissait bien Raymond BARRE, Michel MERCIER et il vrai de très bonnes relations avec eux. Il n’y avait pas de raison qu’il intervienne. Même Raymond BARRE me faisait entièrement confiance. D’abord il était universitaire. Pour lui, le recteur était responsable de la politique universitaire sur le plan local. Parce qu’il était précisément universitaire, il rentrait complètement dans cette logique. Il ne cherchait pas du tout à marquer les dossiers sauf sur l’ENS. Sur l’ENS, il m’avait prévenu dès le départ. Moi, je trouvais qu’on y mettait un peu trop d’argent dans l’ENS. Il m’a dit : « écoutez ce n’est pas tous les jours qu’on construit une Ecole Normale Supérieure. » D’un autre côté, il avait raison. Les deux ENS sur Lyon c’est un tel moteur pour le développement universitaire. Lyon-Grenoble a tous les atouts pour devenir un véritable contre-poids au développement parisien. Quand je disais, en 1991, au ministère qu’on allait faire de Lyon et de Grenoble le contre poids de Paris les gens riaient. En 2000, non, les gens admettent que c’est cela. Dans le développement universitaire, Rhône-Alpes a décollé. Et ce n’était plus le même niveau que Marseille, Toulouse, ou Strasbourg. Le responsable de la DATAR à une époque avait fait une réunion à Lyon et il avait demandé aux responsables de Lyon et de Grenoble d’aider Marseille. Il était en train de constater au travers d’indicateurs qu’on était en train d’effacer Marseille. Il était en train de se rendre compte que cela tournait au dipôle Rhône Alpes / Paris. Les indicateurs qu’il avait été à la fois au niveau scientifique et des investisseurs. Ce n’est pas uniquement le fait de l’université mais c’est clair que l’environnement économique y est attentif.

Vous avez évoqué l’intervention de la DATAR. Cela a été un de vos interlocuteurs ?

Non, non. Très peu. Les acteurs sont ceux que vous indiquez dans votre lettre.

Vous avez évoqué des liens avec l’administration centrale. Vous étiez en lien avec quelles directions ?

C’était celle en charge de la programmation et du développement. En 1991, c’était la DPDU [DPDU en fait] avec Rolland PELLET comme directeur. Et ensuite, cela a été la DPD avec Michel GARNIER. Plus les structures d’expertise qui étaient rattachées à la direction de la recherche du ministère de l’enseignement supérieur. En 2000, j’avais beaucoup utilisé des scientifiques de renom. J’avais demandé à des gens un peu leaders dans leurs disciplines de faire des notes sur les atouts de Lyon. Je sollicitais un certain nombre de scientifiques essentiellement français parce qu’en dehors de ma discipline, je connais peu de gens au niveau international. Ils m’ont fait des notes confidentielles. Ils ne souhaitaient pas non plus que cela soit connu. Quand c’est connu, cela fait des procédures qui sont plus lourdes. Je leur avais demandé de faire une note de deux pages. Il y avait partie impression dans ce que je leur demandais. Cela ne va pas à compter les participations à des colloques, les publications etc. Ce n’était pas connu du grand public.

Vous avez évoqué tout à l’heure les relations avec les élus. A Lyon, il y a une certaine homogénéité politique entre les élus. En tous les cas au milieu des années 1990, c’était le cas. Cela a facilité les choses ?

Je ne pense pas. Sur le sujet universitaire, ce n’est pas l’objet de clivages politiques. C’est plus une question de génération. Quand on a fait U3M entre Grenoble et Lyon, ce n’était pas les mêmes majorités politiques. L’aspect générationnel était important. Et ils avaient un peu la même idée des relations entre l’université et la cité. Et puis c’était des gens qui avaient été étudiants en même temps que nous. Franchement quand vous aviez une réunion avec MERCIER, MILLON, FROMENT et VIALLE, ils avaient été étudiants ensemble. Ils se tutoyaient, ils chahutaient. Ils avaient du mal même de temps en temps à revenir à leurs rôles. IL y avait une identité de vue et cela a été important. Au bout d’un moment, c’est devenu un projet commun. Ils n’avaient aucune difficulté. Ce qu’on tentait d’expliciter dans les réunions, pour l’ensemble des responsables cela avait un sens. A partir du moment, où on explicitait nos choix ils n’avaient aucun mal à les comprendre. Ce n’était pas quelque chose qui leur était étranger. Même génération, même culture, ils avaient fait leurs études en même temps. L’affaire de Lyon III a joué un rôle. Des gens comme MERCIER qui avait été enseignant à Lyon III en plus qui était personnellement très proche d’Eric FROMENT, les épouses de FROMENT et de MERCIER sont très copines. Il comprenait MERCIER. Il comprenait à la fois les enjeux scientifiques et les enjeux relationnels. JAMET aussi. Ils ont joué un rôle, ils ont aidé. Chaque fois qu’il y avait des risques de tension, ils ont plutôt aidé à désamorcer les risques internes. Ce n’était pas seulement FROMENT et VIALLE mais ce sont aussi les responsables des collectivités qui connaissant les enjeux internes les ont désamorcés. MERCIER m’a parfois dit : « j’ai reçu un tel. J’ai bien compris qu’il venait essayer de saboter. Il n’était pas d’accord avec VIALLE. Je lui ai fait comprendre qu’on ne jouerait pas le jeu. » A certains moments des gens de Lyon II ou Lyon III, ont pu être tentés de raviver des querelles pour des intérêts personnels. Mais ils ont vite compris qu’ils ne seraient pas suivi par les collectivités. Donc n’ayant aucune entrée au niveau politique, pas d’entrée au niveau du recteur, pas d’entrée au niveau du préfet qui suivait le dossier de très loin, cela a beaucoup aidé. C’est plus, je pense, une connivence de génération qu’une connivence politique. Quant à la région il y a eu un partage… Parce qu’à un moment, il y a eu à la région un partage entre l’exécutif et les commissions pour U3M. On a eu aucune difficulté à convaincre les présidents des commissions.

Avec Michel NOIR ?

Cela a été plus difficile. On a très vite perdu contact. Il a été très vite pris dans un tourbillon. Cet homme avait… Je ne porte pas de jugements sur les épisodes… Je pense qu’il a joué un rôle important. Lui et DUBERNARD. Cela s’est bien symbolisé au moment de la Manufacture des Tabacs . Je crois qu’il a opéré une rupture. La ville de Lyon avait été toujours suspicieuse avec son université. Tout le monde me racontait l’épisode de la l’inauguration de l’ENS où COLLOMB, maire de Lyon, parlait de l’école normale d’instituteurs. C’était resté dans les mémoires. Mais on n’était pas loin de cela. C’est-à-dire des élus qui ne comprenaient pas l’intérêt de l’université. NOIR, avec des épisodes plus ou moins heureux, avait compris les enjeux de l’université. Avec DUBERNARD, ils étaient très proches sur ces aspects. Ils avaient compris que Lyon ne pouvait être une grande ville que si Lyon avait une grande université. C’était aussi la position des milieux économiques. Ils se disaient qu’il n’y avait plus aujourd’hui de capitale européenne au niveau économique qui ne soit plus une capitale d’idées, de culture, etc. Il y avait une adhésion. NOIR a fait gagner des années. Ce qui aurait mis très longtemps à se mettre en œuvre a été accéléré par l’intervention de NOIR dans la Manufacture des Tabacs. La Manufacture des Tabacs, il y avait beaucoup de gens qui avaient essayé de faire échouer l’opération. Moi quand je suis arrivé, cela a été assez rapidement mon analyse, qu’on ne pouvait pas faire marche arrière parce qu’il y avait eu des engagements politiques. Le problème n’était pas de faire ou de ne pas faire la Manu, c’était de l’inscrire dans une stratégie claire et de ne pas subir cette opération. Il y a eu un moment difficile au moment du président ROLAND parce qu’il y avait un conflit très fort entre lui et GUYOT qui tenait à l’implantation de l’IAE. GUYOT avait une stratégie pour son institut qui n’était pas celle du président ROLAND. Mais ce conflit était plus largement un conflit de fond : le président ROLAND avait une conception très académique de l’université, plutôt contre la professionnalisation. Il ne voyait pas l’intérêt du partenariat avec les collectivités en dehors du fait qu’elles mettent de l’argent. Il avait une vision très académique lié peut être au fait qu’il était proche de la retraite. Il l’avait d’ailleurs dit au moment de son élection. La première rentrée solennelle qui a eu lieu après son élection, il a fait un discours qui était assez orthogonal avec ce que racontait les autres présidents et moi même. En disant : « la professionnalisation de l’université est une erreur. Nous ne sommes pas là pour faire du commerce. Nous sommes là pour développer des idées etc. » Il y a eu une période difficile. La période de GUYOT, moi, ce que je regrette, je vous dis peut-être trop de chose, c’est que sa présidence ne soit pas une présidence de rupture. Quand il est arrivé, le conseil que je lui ai donné, c’est d’être un président de rupture. Il aurait fallu qu’il trouve la façon d’afficher une stratégie de rupture qui restera de votre mandat. Son mandat était assez contraint par les décisions antérieures, la Manu, c’est un projet de 10 ans qui était déjà bien engagé. Par contre, il y avait une stratégie de rupture par rapport à l’image de Lyon III. Et il ne pouvait pas y arriver sans afficher une stratégie de rupture. Il aurait eu un début de mandat peut être difficile mais finalement cela aurait été peut être profitable. Quand on a des problèmes d’image, c’est difficile. Cela s’est posé aussi pour Alexis CAREL à la faculté de médecine. On accusait Alexis CAREL d’eugénisme. FONTAINE m’avait demandé ce que j’en pensais et je lui avais dit qu’il ne fallait pas essayer d’en faire un symbole. C’était un faux débat. Et finalement il avait trouvé une bonne solution, il avait mis le même nom que la station de métro ! Il avait embobiné cela comme cela.

Vous avez évoqué au début de l’entretien la possibilité au début des années 1990, la possible redéfinition des universités lyonnaises. C’était porté par qui ce projet ?

Ce n’était pas vraiment porté par quelqu’un en particulier. C’est mon prédécesseur qui avait balancé cela à une conférence de presse et je ne sais pas s’il croyait vraiment. En fait qu’est ce qu’il y avait derrière de Lyon IV, Lyon V ? Il y avait l’idée qu’une chance pour les sciences et la médecine c’était Gerland et que le handicap c’était, La Doua. C’est à dire que La Doua avait une image d’absences de dynamisme, de conflits internes. L’ENS au contraire donnait des idées de propulsion, de dynamisme. L’idée, c’était d’enlever une partie de la médecine de Lyon I de la rapprocher de l’ENS avec éventuellement quelques parties de composantes scientifiques. L’idée c’était à travers Lyon IV de rassembler dans une université des gens dynamiques du secteur des sciences et de la médecine et de les rapprocher de Gerland. Cela a fait hurler au niveau de Lyon I, cela a même eu des résonances politiques parce que le maire de Villeurbanne a tout de suite compris qu’il risquait d’hériter d’un campus un peu déshérité. Et puis mon prédécesseur a dit qu’on pouvait peut être faire Lyon V. C’était une façon de noyer un peu le dossier. Il a du un moment être convaincu de l’intérêt de Lyon IV qui était beaucoup porté par des gens comme MORNEIX, comme ZECH, il y avait beaucoup de gens en médecine qui tenaient à se rapprocher de GERLAND. Ce qu’on a proposé c’est finalement une stratégie commune à Lyon I et à l’ENS. Avec une implantation de Lyon I à GERLAND. C’est Lyon I qui a décidé qu’une partie des implantations se transportaient à GERLAND dans une approche thématique. Et qu’au contraire on renforcerait les liens entre l’ENS et Lyon I sur le campus de La Doua. Il y a eu des mouvements en sens contraire. Des labos de l’ENS ont décidé de renforcer leurs liens avec des labos de La Doua. A une structure qui était sensée répondre à des besoins de rapprochement, on a substitué une stratégie de rapprochement explicité.

Vous avez également évoqué la question des maîtrises d’ouvrage avec des opérations neuves qui leur étaient plutôt réservées. C’est important pour les collectivités de porter les projets en affichant le fait qu’elles sont maîtres d’ouvrage ?

L’avantage énorme, c’est la récupération de la TVA. Je crois que c’est surtout cela qu’il voit parce qu’ils ne sont pas très armés pour cela. Ils font parfois appel à des bureaux spécialisés. L’inconvénient c’est qu’ils sont trop sensibles aux sirènes universitaires. On a eu parfois des dépassements de crédits et les collectivités disaient : « il va falloir que l’Etat rajoute tant, 20 millions par exemple. » Il a fallu que je rappelle parfois le principe que le maître d’ouvrage assume les dépassements. J’étais inquiet sur un dossier parce qu’on a le contrôle financier derrière. A la Doua, on avait un dossier où le maître d’ouvrage avait fait un nombre de m² en plus sensiblement important. Et derrière, nous, on a un contrôle financier. L’opération est programmée. On ne peut pas demander aux collectivités des opérations de rénovation de locaux. Mais l’Etat a fait également quelques belles opérations avec des locaux neufs.

Quand on interroge les représentants des collectivités locales, ils insistent sur une position de force de l’Etat qui leur imposerait des opérations, qui les obligerait à financer des opérations qui ne seraient pas de la compétence locale.

Même à Lyon.

Oui, ce sont des choses qu’on entend.

Je ne vois pas ce qu’on leur aurait imposé. Je ne suis pas sûr quand même. Dans l’Ain, on ne peut pas dire que le conseil général se soit fait imposer un pôle aliment. Dans la Loire, je ne sais pas. Je ne vois pas. C’est une procédure contractuelle. Peut être ce qu’elles veulent dire, c’est qu’ils sont obligés de payer. Il y a une telle sensibilité de l’opinion publique aujourd’hui autour des questions de l’enseignement supérieur et de la recherche, de la position de notre pays dans ces domaines, qu’une collectivité qui ne jouerait pas le jeu dans ces secteurs, aurait une position difficile. L’exemple type c’est Paris. A l’occasion de U 2000, la mairie de Paris a refusé de mettre de l’argent. Ensuite à U3M, cela a été le contraire. Je crois que les élus parisiens ont entre temps mesuré l’impact négatif sur les citoyens. A partir du moment où l’on sait qu’il y a une procédure de cofinancement Etat / universités, nos concitoyens supportent difficilement que leurs enfants étudient dans des conditions catastrophiques. Ce n’est pas dépourvu de sens que les collectivités participent au développement universitaire parce que les retombées économiques sont énormes. Je ne suis même pas sûr que si on faisait un calcul… Imaginez que l’Etat n’ait jamais construit d’université, qu’il n’y ait pas d’étudiants à Lyon. Un étudiant cela apporte quelque chose comme 30 000 francs par an. Si vous multipliez par le nombre d’étudiants, je ne suis pas sur que la balance ne soit pas favorable aux collectivités. Comparez deux villes de taille proche : l’une n’a pas d’université et l’autre met de l’argent dans l’université mais a des ressources en contre partie liées à la présence des scientifiques, des labos, des étudiants. Je crois que la balance est très nettement favorable à la ville universitaire. Cela ne se discute pas. Regardez à Versailles : les élus locaux ont mis du temps à s’intéresser aux universités. Il y a un bâtiment magnifique qui va se libérer en face du château de Versailles, le maire m’a appelé la semaine dernière pour m’inviter à le visiter pour installer le siège de l’université. C’est une caserne libérée par l’armée. C’est aujourd’hui difficile dans un contexte où tout le monde fait des études d’imaginer une grande agglomération sans un minimum d’infrastructures. C’est comme en monde rural la petite ville qui n’a plus son collège. A partir du moment où la collectivité en tire bénéfice, est ce que c’est non justifié de lui demander de contribuer ? U2000 cela s’est passé comme cela. C’est autour de la mise en compétition des villes. Cela a été la grande partie de poker d’Allègre qui a fait tous les élus les uns après les autres en leur annonçant que leurs voisins de Béziers ou de Nîmes voulaient absolument l’IUT et comme ils payent tout… Réponse des élus : « Ah bon, il s payent tout, et bien moi aussi je paye tout. » Cela a été un coup de poker extraordinaire. Et les élus étaient plutôt fâché s’ils n’apportaient pas de contributions. Faut il le regretter pour l’université française ? Je ne crois pas. Cela a rapporté des sommes assez considérables.

Vous avez évoqué au début de l’entretien les financements croisés. Votre souhait vous l’avez dit au moment d’université 2000 d’éviter les financements croisés. Or, quand on regarde les montages financiers, financements croisés, sont absolument récurrents…

C’est l’analyse qu’on avait faite au moment du lancement d’U2000 et cela s’est révélé n’être pas un très bonne stratégie. L’Etat est toujours tenté de faire des régulations budgétaires et de freiner les investissements quelquefois. Je me suis aperçu qu’il a fallu que je me fâche plusieurs fois pour qu’on ne retarde pas trop les opérations quand elles étaient financées à 100 % Etat. L’Etat veut économiser une année sur le développement universitaire. Je me suis aperçu que quand les finances de l’Etat étaient en position difficile, les financements croisés étaient un avantage parce que la collectivité a voté et l’argent est disponible. Le plus favorable aujourd’hui c’est une opération qui est cofinancée, qui démarre avec un financement collectivité et avec une fin d’opération qui est assurée par l’Etat. Parce que l’Etat est dans une obligation de payer. Je me suis aperçu que je n’avais pas nécessairement fait le bon calcul. Si vous avez par contre une collectivité qui risque de vous faire défaut vous avez intérêt à la mettre sur une opération bien identifiée. Au bout du compte, si l’opération ne se réalise pas, il sera au moins clair que c’est la collectivité qui sera défaillante.

Notes
851.

Nous avons abordé de nouveau la question de l’implication des acteurs économiques dans les projets universitaires. Il semble cependant que c’est surtout sur le dossier précis de l’ENSATT que l’avis des représentants du monde économique a été demandé, lors d’une réunion dans le salon d’un hôtel à la Part Dieu. Pour les autres projets, il ne semble pas au recteur BANCEL que les représentants du monde économique aient joué un rôle important.