Entretien avec Guy BERTHOLON - Chargé de mission « enseignement supérieur » au  SGAR Rhône-Alpes de 1989 à 1992 et directeur du PUL depuis 1997 - 7 décembre 2002

L’entretien se déroule dans les locaux du Pôle universitaire de Lyon à Villeurbanne. Il dure une heure.

Le pôle universitaire de Lyon a été crée en 1990. Il n’a pris aucune décision, même s’il a participé à des décisions par la suite, dans les constructions universitaires. Le PUL pour le situer historiquement s’est fondé en 1993 comme une association de fait c’est-à-dire si vous regardez la loi de 1901 sans déclaration à la Préfecture entre les universités, l’INSA, l’Ecole centrale et l’ENS justement après le schéma université 2000. Cette association de fait n’avait au départ qu’un porte-parole. Puis en 1995, elle est devenue une association de droit, date à laquelle elle a recruté une secrétaire, elle a commencé à faire du courrier, elle a eu un président et elle a des archives. Je suis arrivé à la direction de cette association en 1997. Cette association s’est transformé en 2001 en un Groupement d’intérêt public (GIP) c’est-à-dire en une personne morale de droit public. Donc pas d’archives concernant la période de 1990. Néanmoins, il se trouve qu’en 1990, j’étais à la préfecture de région et que j’ai participé à la proposition et à la décision d’U2000 dont le projet de la réhabilitation de la Manufacture des Tabacs faisait partie. Le président de Lyon III de l’époque qui a fait l’opération s’appelait Mr VIALLE qui est toujours professeur à Lyon III. Il y a eu une décision qui s’est faite dans le cadre du schéma université 2000..

Vous occupiez quelle fonction à la préfecture de région à cette époque ?

J’étais chargé de mission auprès du préfet de région sur tous les problèmes de recherche, de technologie et d’enseignement supérieur. Personne ne m’a remplacé quand je suis parti, si il y a eu quelqu’un mais il est mort. Et aujourd’hu,i je ne sais pas très bien qui s’occupe de cela.

Il y a eu un appel à marché public pour la réalisation de la Manufacture des Tabacs. J’étais le représentant du préfet. Le président du jury était Jean-Michel DUBERNARD mais que vous ne pouvez absolument pas consulter parce que de sa vie, en tous les cas depuis qu’il est député, il n’a jamais consulté un dossier. C’est tout à fait clair qu’il ne doit pas savoir grand chose là dessus.

La première tranche, c’est une initiative locale puisque c’est Michel NOIR et Jean Michel DUBERNARD qui ont…

Non, c’est une initiative de la préfecture à laquelle Michel NOIR et Jean Michel DUBERNARD ont répondu. Ce qui est tout de même un peu différent. S’il vous a présenté les choses comme cela, il est peu gonflé parce qu’ils se sont faits tirer l’oreille. Et ils se sont tellement faits tirer l’oreille qu’à un moment, ils ont même demandé qu’on valorise dans leur contribution le prix du terrain.

Ce serait la préfecture qui serait…

Le schéma université 2000 c’est la préfecture qui a exécuté une commande du gouvernement.

Oui, pour le schéma Université 2000, bien sûr. Mais la tranche 1 a été lancée avant la signature de la convention d’université 2000…

La première tranche est antérieure à la signature de la convention ? Vous allez retrouvé une convention antérieure alors. Mais cela m’étonne. Il est possible que les travaux aient débuté un peu avant. C’est possible. Le document a été signé fin 1991.

Au début des années 1990, quel était le rôle de la préfecture de région sur le dossier des implantations universitaires ?

Le ministère de l’Education nationale avait passé commande. La lettre était la suivante : l’augmentation du nombre d’étudiants à l’horizon de l’année 2000 fait que nous devons lancer un programme de construction important et ce avec l’appui des collectivités locales. Le ministre dit en gros, en substance au préfet : « je vous demande de bien vouloir prendre contact avec les collectivités locales et de négocier avec elles les conditions dans lesquelles elle seraient susceptibles d’apporter leur concours aux opérations de construction pour l’enseignement supérieur. » Il y avait de tout là dedans. Il y avait des gymnases, des restaurants, des cafétérias. La lettre était de JOSPIN et c’est Claude ALLEGRE qui avait du la rédiger. Alors, à partir de là, en tant que représentant du préfet de région, à sa demande et avec son accord, j’ai pris contact avec mes homologues du conseil régional et je leur ai dit : « voilà ce qu’on va faire. » Leur question immédiate a été de dire : « oui, mais combien ? ». Et alors, on est parti sur l’hypothèse que si les collectivités locales mettaient un franc, l’Etat mettrait un franc. Mes collègues des collectivités locales, le jeu des collectivités locales était de dire : « jusqu’à combien l’Etat peut aller ? ». Et nous, on a jamais voulu répondre à cette question même si on avait une petite idée. On n’a jamais voulu répondre et on a dit : « Non, non, plus vous en mettrez, plus l’Etat en mettra. » Finalement, je crois qu’on est arrivé à plus d’un milliard de francs.

Comment est-ce que les collectivités locales, en tous les cas leurs services, ont accueilli cette initiative de l’Etat ?

Très curieusement, à la fois très bien et très mal. Très bien parce que ils étaient conscients à l’époque qu’il y avait un vrai problème qui risquait de nous péter au nez. Si on ne mettait pas les étudiants à l’abri, ils allaient se retrouver dans la rue et quand les étudiants sont dans la rue, les gouvernements cela dégringole. Donc il y avait un vrai problème. Et en même temps, elles l’ont mal accueilli parce que, n’oubliez pas qu’on était que quelques années après les grandes lois de décentralisation de DEFERRE, elles nous ont dit : « ce n’est pas dans nos missions. C’est donc l’Etat qui nous demande d’intervenir dans quelque chose qui n’est pas dans nos missions. Donc il faut que vous nous donniez en même temps des responsabilités. » On s’en est sorti de la manière suivante pour la région Rhône Alpes : « on a dit d’accord, vous allez prendre la responsabilité de la construction de tel ou tel bâtiment. L’Etat fera, pour sa part, ce que vous ne voudrez pas faire mais vous prendrez des responsabilités. » Ca, ça leur a plu, c’est clair. Prendre des maîtrises d’ouvrage c’était prestigieux, c’était permettre aux élus d’inaugurer en grande pompe etc.

C’était une demande des collectivités locales de prendre des maîtrises d’ouvrage ?

La région a joué un jeu qui a été très bénéfique même s’il n’a pas été tout à fait, tout à fait légal. Dans la loi, vous n’êtes pas sans l’ignorer puisque vous êtes un politologue averti, c’est que depuis la deuxième République sinon la première, c’est qu’aucune collectivité locale ne peut avoir de barre, de tutelle sur les autres. Dans le principe, quand il y a des opérations avec plusieurs collectivités locales, le préfet et le président de la région depuis la loi de 1982 co-président une conférence de concertation pour que tout le monde puisse se mettre d’accord sans qu’on ait l’impression que les uns prennent la barre sur les autres. Mais dans la pratique, la région a dit : « moi je fais mon affaire de mobiliser les financements des autres collectivités locales, et je me propose de discuter avec elles pour que nous nous répartissions les maîtrises d’ouvrage. » Cela n’était pas une position qui était acceptable en droit, cela n’était pas une position qui était idiote. Derrière cela, il y a un énorme problème financier. Il y a une loi, qui doit dater du 4 janvier 1990, qui est une loi qui permet aux collectivités locales qui construisent des bâtiments pour le compte de l’Etat de récupérer la TVA. Les collectivités locales nous disent, je me rappelle très bien le directeur général des services de la région, Georges CONSOLO : « moi je mets 550 millions sur la table. » Je lui ai dit : « tu te fous de ma gueule, tu mets 550 millions moins 19,6 % ! Cela ne fait plus que 450.» Cela change quand même. IL me dit : « Oui, cela ne te regarde pas. » C’était un bon copain. Si la région avait pris toutes les maîtrises d’ouvrage, elle aurait récupérer toute la TVA. Et là, les collectivités comme le conseil général ou autres ont dit : « non, non. » Et donc, ils se sont partagés les maîtrises d’ouvrage. On est intervenu un petit peu, nous, oui. Publiquement même. Mais à partir du moment où deux collectivités locales disent : « moi, je fais telle opération, toi, tu fais telle opération. » Qu’est ce que vous voulez que l’Etat aille leur dire là dessus ? Nous, ce qui nous importait, c’est que les opérations soient faites.

Cette répartition des maîtrises d’ouvrage, elle s’est faite sous l’égide de la région ?

Oui, quand même. Entre la région et l’Etat, on a eu une discussion du genre : « est ce que c’est l’Etat qui prend la maîtrise d’ouvrage ? Est ce que sont les collectivités ? ». Et quand c’était les collectivités locales qui devaient assurer la maîtrise d’ouvrage, c’est la région qui disait : « je demanderai au conseil général ou à la ville de le faire. » Dans la pratique, cela s’est fait de manière assez simple. Quand on était sur des terrains où une collectivité était propriétaire, apportait le terrain, c’est elle qui avait la maîtrise d’ouvrage. Quand on était sur des endroits où une collectivité avait l’habitude de faire un certain nombre de choses, eh bien, elle prenait la maîtrise d’ouvrage également. Ce qui fait que la région a du en faire quand même pas mal. Moi, je dis très facilement, en étant un fonctionnaire de l’Etat, que s’il n’y avait pas eu les collectivités, on n’aurait pas fait les opérations. C’est évident.

Ces négociations du schéma Université 2000, elles associent prioritairement les services du SGAR et les services de la région ?

Il y avait eu un mandat du gouvernement aux services de la région qui était en deux parties : la première partie il devait faire rédiger un rapport sur les perspectives de l’augmentation du nombre d’étudiants puis en deuxième partie, il devait proposer aux collectivités locales de s’entendre avec l’Etat pour faire des constructions en vue de résoudre ce problème de la hausse des effectifs étudiants. Ce rapport nous l’avions confié d’un commun accord avec la région, c’était la région qui était ici notre interlocuteur, on avait un petit comité de pilotage dans lequel il y avait le SGAR, les services de la région et un représentant de la CURA qui était Bernard BOUILLET, professeur de droit public à l’université Pierre Mendés France à Grenoble et qui était à l’époque président de l’université Pierre Mendés France. Ce rapport a été commandé à Monsieur GENTOT, magistrat de la Cour administrative d’appel.

Pendant cette période, quel a été le rôle du rectorat ?

Le rôle du rectorat. C’était le service instructeur pour le compte du préfet de région. Je sais que cela ne leur plaît pas beaucoup mais c’était quand même comme cela. Vous savez entre préfet et recteur, cela ne va jamais bien.

C’est ce qu’on m’a dit.

Oui, oui. Mais cela se comprend. Le recteur il a des fonctions régaliennes dans l’enseignement primaire et secondaire. Dans l’enseignement primaire, ces fonctions régaliennes sont d’ailleurs plutôt exercées par l’inspecteur pédagogique. Dans l’enseignement supérieur, il est chancelier des universités, c’est à dire qu’ils s’occupent des espaces communs à plusieurs universités et puis il a une fonction de contrôle de légalité sur délibérations des conseils de l’Université et notamment lorsque, je ne sais pas moi, la morale publique est en danger etc. Mais les universités sont des établissements publics autonomes et indépendants. Autonomes financièrement. Donc dès lors qu’elle vote un budget en équilibre, le recteur ne peut rien dire. Ce qui fait que la situation d’un recteur et d’un préfet sont un petit peu en concurrence puisque ce sont deux fonctionnaires nommés selon l’article 11 de la constitution. Ils sont tous les deux nommés de la même manière en conseil des ministres. Mais il n’y en a qu’un qui représente le gouvernement, c’est le préfet de région, l’autre représente le ministre de l’Education nationale. Mais à vrai dire, il ne le représente pas pour l’enseignement supérieur. Ce sont des subtilités mais qui ont leur importance. Il paraît que c’est en train de changer m’a t on dit. Le recteur a été associé à toutes les opérations. Mais toutes les relations avec les collectivités locales, c’est la préfecture. Mais le recteur a été associé aux opérations. Notamment quand c’était une maîtrise d’ouvrage de l’Etat, on avait trois solutions :

cela pouvait être une maîtrise d’ouvrage d’une université.

cela pouvait être une maîtrise d’ouvrage du ministère de l’Education nationale via les services du rectorat.

Cela pouvait être une maîtrise d’ouvrage de la DDE.

Dans la pratique, cela a presque toujours été, parce que là les recteurs y veillent de près, une maîtrise d’ouvrage ministère de l’Education nationale et donc exécutée par les services du rectorat.

Vous avez tout à l’heure évoqué le fait que l’enseignement supérieur ne faisait pas partie des missions classiques des collectivités locales. Mais qu’est-ce qui les pousse à investir autant d’argent dans un domaine qui n’est pas le leur ?

Cela varie selon les collectivités. Le problème s’est vraiment posé en 1982. La discussion avait été très forte, à l’époque de DEFERRE. Je m’en rappelle. Et finalement, l’Etat a gardé la maîtrise complète de l’enseignement supérieur alors qu’il a donné aux régions les lycées, aux départements les collèges et aux communes le primaire. La discussion a été tranché en 1982 par le gouvernement en disant que cela restait une fonction d’Etat. Tout de suite, les régions et la région Rhône-Alpes, ont réagi en disant : « oui, vous avez raison. De toute façon, c’est vous qui faites la loi ! Mais n’oubliez pas une chose, qui était d’une logique complètement défendable, c’est que nous avons compétence sur le développement économique. » Or, le développement économique si cela ne comprend pas l’enseignement supérieur, cela comprend quoi ? Et c’est cet argument qui a été mobilisé et il était à mon avis parfaitement justifié. Et il est toujours parfaitement justifié. Et je ne serai pas étonné mais je ne suis pas Mme Soleil que dans les arguments sur la régionalisation actuelle, on aboutisse à une forme de décentralisation qui donne une certaine prérogative aux régions en matière d’enseignement supérieur. Est-ce que ce sera le patrimoine immobilier ? Est ce que ce sera les formations ? Je n’en sais rien parce qu’en plus c’est un sujet qui est très délicat. En tant qu’universitaire, je suis extrêmement précis. On peut donner beaucoup de choses sauf une. Personne n’a le droit de me dire ce que je dois enseigner, ce que je dois chercher, comment je dois le faire et avec qui je dois le faire. Cela fait partie des principes universitaires et c’est intouchable. Si on le touche, je démissionne. Mais très clairement. Je crois que la présidente actuelle de la région qui est une ancienne élève de l’IEP donc elle a été bien formée, elle est d’accord là-dessus. Et un enseignement supérieur de qualité ne peut se développer que dans ces conditions. Il y a tout un tas d’autres choses qui peuvent être imaginées. On peut très bien imaginer qu’une université qui veuille faire un diplôme sollicite un avis du conseil régional. On travaille bien pour monter certains diplômes d’université avec des industriels voire avec la chambre de commerce. Il n’y a pas de honte à cela. Mais quand on crée le diplôme, on prend la responsabilité. Alors, je ne sais pas ce qu’on aura dans les lois de décentralisation mais on aura un changement. La deuxième collectivité locale qui intervient, c’est le département, qui intervient par un biais qui est un petit peu biaisé [rires]. On ne peut pas dire autrement. Il y a deux choses qui caractérisent les départements. Contrairement à ce qu’on entend souvent dire, la loi de décentralisation, elle a renforcé le département fortement. Elle a en particulier supprimé la tutelle du préfet qui était une tutelle forte. Il ne faut pas oublier que le préfet assistait à toutes les séances du conseil général et que c’était lui l’ordonnateur des dépenses, ce n’était pas le président du conseil général. La loi a donné beaucoup de pouvoirs au conseils généraux et les conseils généraux ont un pouvoir fort dans le domaine de l’action sociale. Or, dans le domaine de l’action sociale, ils rencontrent pour une part le domaine universitaire. Parce que malheureusement nous avons un certain nombre d’étudiants dans des situations sociales difficiles. Et moi, par exemple, je travaille avec eux. Et puis, ils ont d’autres interventions. La troisième collectivité locale, c’est les villes et, là, il est tout à fait clair que vous ne pouvez pas dire à une ville ; « écoutez, les étudiants ce n’est pas votre affaire. » Quand vous avez une ville de Lyon qui fait 500 et quelques milles habitants et qui a 100 000 étudiants sur son territoire d’agglomération, pour l’essentiel dans la ville de Lyon d’ailleurs au niveau du logement. C’est pour les trois collectivités. Il y a un autre élément qui est fondamental particulièrement pour les villes et les régions qui sont les collectivités locales qui ont le plus de correspondants internationaux. Il est tout à fait clair que la présence ou l’absence d’universités est un élément fort pour leur image de marque, pour leur développement. D’ailleurs, la plupart des grandes villes et des grandes régions s’appuient sur leurs universités pour leur développement. Ce n’est pas un hasard si je pars en mission avec la région. Elle ne m’emmène pas pour mes beaux yeux. Elle m’emmène par contre parce qu’elle a besoin de faire valoir son potentiel universitaire quand elle va en Chine, au Vietnam, en Russie ou ailleurs. C’est vrai particulièrement des villes et des régions.

On n’a pas parlé des relations avec les universités. Vous étiez en lien au moment du lancement du schéma avec eux ?

Moi, j’étais en lien permanent. Ma mission était celle là. J’ai participé à toutes les réunions de la conférence universitaire. Je n’avais aucun problème avec mes collègues. Autant la discussion sur le plan des objectifs globaux, sur le plan du rapport, sur le plan des statistiques s’est faite avec la région mais au niveau des besoins toute la discussion s’est faite avec les présidents d’université et avec les directeurs de grandes écoles. Surtout avec les présidents d’université. On leur a demandé quels étaient leurs besoins, s’ils souhaitaient un bâtiment là ou un là etc. Et ce qu’on peut argumenter auprès de telle ou telle collectivité pour faire telle construction au lieu de celle là. On a eu tout un tas de projets. Et puis, à la fin il y a eu un écrémage.

Cet écrémage qui l’a fait ?

L’écrémage, il a été fait par des discussions à partir des moyens financiers dont on disposait et des moyens financiers de l’Etat et des collectivités locales. Moi, il m’est arrivé très facilement de monter au ministère et de dire : « voilà, on a un projet sur St Etienne » et les gens du ministère disaient : « là dessus, oui, c’est un projet qu’on connaît et sur lequel on veut bien investir. On voit l’intérêt de ce projet, on doit absolument trouver des collectivités locales pour investir. » Et puis, on a eu des projets farfelus. Je ne donnerai pas de nom mais on a eu des élus qui nous ont demandé de créer un IUT dans un troisième sous canton d’un département. Dans l’ensemble, les choses ne se sont pas trop mal passées parce que nous avions avec la région un certain nombre de positions communes. Et cela vient du fait que la région, depuis très longtemps, avait commencé à subventionner les universités. Parmi nos positions communes, il y en avait une qui était forte. Il ne fallait absolument pas affaiblir les grands centres universitaires parce qu’un minimum de concentration, notamment pour les activités de recherche, est nécessaire. Les seules choses qu’on ait acceptées de faire, c’était de délocaliser un certain nombre d’enseignements spécialisés dans des villes relais. Cela a été le cas à Bourg en Bresse, à Roanne, à Valence et il se trouve que cela s’est bien passé. Mais il faut tout de même que quelqu’un qui fait des études supérieures bouge. C’est aussi une des fonctions des études supérieures. On a eu des propositions d’IUT sur les plantes aromatiques, y compris de la part de gens qui ne savent pas ce qu’est un IUT. C’est gentil, c’est sympathique. Si vous regardez de manière globale sur toute la France, les archives sont certainement à la DATAR. Je pense à la région Nord avec la création de l’Université du Littoral.

Vous m’avez parlé des relations avec les services centraux. Vous étiez en lien avec qui au sein des services parisiens ?

J’étais en lien avec trois services : avec le ministère de l’Education nationale. Je ne me rappelle pas du nom de la personne. En lien avec la DATAR beaucoup parce que comme il s’agissait de décentralisation, c’était la DATAR qui était compétente. Il fallait faire valider le schéma global par le CIAT. Et puis, il y avait une mission qui avait été crée à l’initiative du Premier ministre et qui concernait l’ensemble de la décentralisation. A la fois les choses qui étaient dans le schéma université 2000 et des activités de décentralisation de services centraux par exemple. Mais enfin, mes deux correspondants étaient la DATAR et le ministère de l’Education nationale. Et à la DATAR c’était Véronique de BISCHOP mais elle n’est plus à la DATAR.

L’enseignement supérieur …

Il y a deux choses : il y avait une expertise et puis la volonté de financer ou de ne pas financer une opération. Le ministère disait : « moi, je prends ça et ça débrouillez vous pour le faire financer par une collectivité locale. » Il y a eu tout un tas d’aller et retour. Je suis parti en 1992 et j’ai accompagné le préfet Paul BERNARD pour signer les deux derniers contrats. Dans la même journée, on a du faire Annecy et Bourg.

Je reviens sur la sélection des opérations. Vous me dites qu’avec la région vous partagiez un certain nombre de positions communes. Cela a été plutôt facile. Avec la ville de Lyon ?

Le grand Lyon n’est pas une collectivité territoriale. Avec la ville de Lyon, cela n’a pas été très facile. Il y avait à l’époque déjà un certain nombre de difficultés avec Michel NOIR qui avait été mis en examen à la suite d’une action de la préfecture qui avait, dans le cadre du contrôle de légalité, contesté un certain nombre de délibérations des collectivités. Les délibérations visaient à rémunérer des collaborateurs. Et donc les relations étaient un peu tendues. Le préfet était dans ses petites chaussettes. Je l’ai vu débarquer au mois d’août, il revenait de vacances parce que justement il fallait qu’on réponde au tribunal administratif. Cela n’a pas été très simple. Mais par contre, avec le conseil général, cela a été sans problème. Il se trouve aussi que MERCIER est un collègue puisque c’est un ancien assistant de Lyon III, son directeur de cabinet Pierre JAMET est aussi un collègue puisque c’est un ancien de Lyon III. Et puis, il n’y avait pas d’animosité entre les deux tandis que là il y avait une animosité entre Michel NOIR et le préfet.

On voit des collectivités qui investissent de plus en plus dans des choses qui dépassent leurs compétences juridiques. Est ce que les blocs de compétence ont encore un sens dans ce contexte ?

En dehors du schéma université 2000, j’ai fait dans ma carrière trois contrats de plan. Je peux vous dire que mon expérience de ces trois contrats de plan que le découpage de part la loi de bloc de compétence, est une affaire fondamentale. Je ne veux pas dire par là qu’il faut avoir une rigidité absolue mais le système qui veut qu’on ne puisse pas financer dans n’importe quelle partie du territoire français un morceau de routes sans qu’il n’y ait pas des crédits de l’Etat, des crédits de la région, des crédits de la commune et des crédits du département est un système ridicule pour lequel l’Etat porte une part de responsabilité. Parce que quand on dit :  « la nationale 7 traverse Lyon », on dit : « c’est à la commune de payer ! ». La nationale 7 ou elle est nationale ou elle n’est pas nationale, merde ! L’Etat porte ici une part de responsabilité et les ingénieurs de l’Equipement en particulier. Ceci étant, je reste persuadé que le système des blocs de compétence reste intéressant. Le problème c’est que quand on définit les systèmes de bloc de compétence, on les définit comment ? On les définit vis à vis d’une action qu’on va mener. Or, la loi qui crée les régions est une loi qui, non seulement, donne des actions à mener mais aussi donne des perspectives à définir. A partir du moment où vous dites que la région est en charge de l’aménagement du territoire, on peut difficilement leur dire de tourner la tête et que les universités ne les regardent pas. C’est comme si vous lui disiez que l’aménagement du territoire, c’est son affaire et que vous fassiez passer le TGV là où vous le voulez sans les consulter. Je crois qu’il faut garder les blocs de compétence mais on est obligé d’avoir une certaine souplesse. Ceci étant, on aurait quand même intérêt à simplifier les choses. Parce que je vous le dis pour les routes, parce que j’ai l’expérience du contrat de plan, c’est une affaire de 15 millions de francs et sur les 15 il y en a 7,5 c’est les routes. Mais c’est vrai partout. Vous n’imaginez pas qu’il y ait une piscine qui soit construite quelque part sans qu’il y ait une subvention du conseil général. Puisque c’est l’Etat qui par la loi qui répartit la collecte des impôts par la loi, il a qu’à répartir la collecte des impôts en en donnant plus aux communes et moins au conseil général. Alors bien sûr, il y en a qui vont hurler. Mais bon. Si c’est vraiment un équipement pour lequel il y a une raison pour que le conseil général intervienne, d’accord. Mais si c’est simplement pour donner une subvention à la commune qui va lui permettre de construire sa piscine, c’est ridicule. Il faut à ce moment là donner directement les finances à ceux qui les utilisent. Mais on reste dans une mécanique, cela m’ennuie de critiquer l’Etat moi qui suis très régalien, quelque part l’Etat n’a pas confiance dans la capacité de ses élus et de ses collectivités locales. Il n’a pas tout à fait tort parce que les affaires qu’on a vues depuis ces dernières années, elles sont quand même liées à la loi de décentralisation. Il y a des pouvoirs qui ont été confiés à des gens qui n’ont pas la force morale ou l’éthique pour les utiliser. Mais quand vous pensez que le ministère de l’intérieur a une direction des collectivités locales et que c’est la plus importante des directions et que tous les anciens préfets se battent pour être à sa tête. C’est la plus importante des directions du ministère de l’Intérieur et c’est plus ou moins une direction qui chapote les collectivités. C’est un peu comme l’Eglise et les femmes : les femmes, cela constitue 50 % du genre humain mais néanmoins on s’en méfie. Et bien les collectivités locales cela constitue 50 % du pouvoir en France mais on s’en méfie.

Finalement, le rôle du droit, ce n’est pas tant de contraindre que d’orienter…

Oui, je pense. Il faudrait au moins qu’à un moment donné que quelqu’un puisse dire de manière légitime au sens étymologique du terme : « là, c’est mon avis qui prévaut parce que je suis en charge de cette affaire ». Mais c’est vrai qu’il y a des conflits de pouvoir. Sur l’aménagement du territoire, c’est tout à fait caractéristique. Vous avez beau dire les régions sont légitimes à travailler sur cet aspect, mais il n’empêche que quand il faudra décider si on fait passer un nouvel autoroute dans la vallée du Rhône à Lamure en Isère ou dans le massif central, c’est bien un problème d’aménagement du territoire national. Et chacun peut dire : « je veux l’autoroute en bas de chez moi. » Le plus bel exemple que je connaisse c’est le TGV méditerranée. C’est absolument fabuleux. J’ai entendu, dans des conférences publiques, des mecs dirent : « moi, je veux la gare du TGV chez moi. » Les rails chez les autres mais la gare chez moi. Le maire de Montélimar a ennuyé tout le monde pour avoir des arrêts du TGV à Montélimar. Mais si vous vous rappelez bien, cela a été exactement pareil pour l’autoroute. Pendant des années, il a manqué qu’un tronçon d’autoroute autour de Montélimar parce que le maire s’y opposait. Pourquoi ? A cause de la pression des marchands de nougat. Plutôt que d’aller foutre une boutique de nougat sur l’autoroute, il fallait que les automobilistes passent dans Montélimar pour acheter leurs nougats. Quand on en arrive là, soit on fait Cloche-merle soit on ne peut plus parler d’aménagement du territoire.

Pour vous, il y doit quand même y avoir une action de l’Etat…

Oui, c’est absolument évident.

Le fait d’investir à travers des financements ce n’est pas liée à une volonté des élus locaux d’investir sur tout ce qui concerne leur territoire ?

Il y a probablement, moi je ne suis pas sociologue, dans le fait qui consiste à investir de manière croisée quelque chose qui est hérité, je dis hérité parce que cela aurait du disparaître, du cumul des mandats. Cela devrait disparaître mais bon. Il y a aussi le fait que les élus entre eux, même quand ils ne sont pas élus de plusieurs collectivités, ils aiment bien se renvoyer l’ascenseur. Il y a aussi tout un tas de lien politique là-dessous. On le voit bien quand il y a une majorité qui change par exemple. De centre à gauche par exemple. Cela fait qu’il y a un certain nombre de relations qui étaient des relations traditionnelles entre la ville et la région par exemple qui disparaissent. Les gens ne savent plus se comporter. Moi je le vois bien pour les relations entre COLLOMB et COMPARINI. Par exemple pour la fête de la science, elle est inaugurée par le présidente du conseil régional et par le préfet. Comme on se trouve sur le territoire de la ville de Lyon, on invite le maire. Du temps de Raymond BARRE, cela ne posait aucun problème. COMPARINI était assistante parlementaire de Raymond BARRE mais maintenant c’est Mme COMPARINI et Mr COLLOMB. Et le cabinet de Mr COLLOMB et le cabinet de Mme COMPARINI n’arrêtent pas de se manger le nez. Moi, j’observe cela de l’extérieur, c’est leur problème, je n’en ai rien à faire.

Au début des années 1990, il y a eu l’arrivée de Michel NOIR dans le paysage politique lyonnais…

Il y a eu l’arrivée de Michel NOIR qui a un peu perturbé le système parce que NOIR était RPR et dans l’équipe des rénovateurs. Or, cela a un peu perturbé le système parce que Charles MILLON était UDF, barriste et il avait fricoté un petit peu avec les rénovateurs. Par contre, le conseil général qui était UDF barriste aussi, Michel MERCIER, lui les rénovateurs, ce n’était pas sa tasse de thé. Cela avait effectivement un peu perturbé le système. Et puis la majorité nationale était à gauche. Il y avait donc un certain nombre de députés qui avaient quand même du pouvoir et qui étaient de gauche.

Je vais plutôt parler au directeur du PUL cette fois. Vous m’avez tout à l’heure parlé de la coopération avec la CURA. On opposa souvent la coopération entre les universités grenobloises à la rivalité entre les universités lyonnaises…

Ah oui, vous voyez de la rivalité entre les universités ?

On me l’a parfois dit.

Il y a une histoire et des conflits entre Lyon II et Lyon III, c’est même des conflits de personne qui, pour une part sont en train de s’éteindre parce qu’un certain nombre de gens qui ont vécu la séparation Lyon II / Lyon III sont en train de partir à la retraite. Mais cela reste quand même une blessure forte. Ceci étant, moi, j’ai eu comme président Gilles GUYOT, Bruno GELAS… Le président de Lyon II et le président de Lyon III s’entendaient très bien. Je pense même d’ailleurs, sans trahir aucun secret, que c’est Bruno GELAS qui a fait élire Gilles GUYOT à la tête du PUL quand il est parti. Je crois qu’il ne faut pas confondre les plans et il faut savoir ce qu’on appelle des rivalités. Il y a effectivement un conflit fort entre Lyon II et Lyon III pour des raisons historiques et qui se traduit par des concurrences assez sévères sur un certain nombre de domaines : les études politiques par exemple mais aussi le droit, les langues. Et puis, vous n’empêcherez pas l’université Lyon II, qui est réputée dans le monde entier en matière de sciences humaines, de regretter de ne jamais avoir eu de philosophie. C’est difficile à vivre pour cette université. C’est le résultat du partage. Ceci étant, cela n’arrête pas le pôle universitaire. Pourquoi ? De manière toute simple. Les statuts du pôle universitaire. C’est une fédération dans laquelle les universités représentées par leurs présidents qui se réunissent pour faire en commun un certain nombre de choses qu’ils auraient intérêt à faire ensemble plutôt qu’à faire séparément. Il y a un certain nombre de choses qu’elles ont intérêt à faire ensemble notamment les relations internationales, la création d’un réseau inter-universitaire etc. sur lequel il n’y a pas de concurrence entre Lyon II et Lyon III pas plus qu’il n’y en a entre Lyon I et l’INSA. Cela n’empêche pas que de temps en temps, il y ait des frottements même parfois avec étincelles. Il y en a eu un entre Lyon I et l’INSA, il n’y a pas très longtemps. Moi, cela ne m’empêche pas de vivre mais je fais très attention à ne pas me mêler de ce qui n’est pas de ma mission, de ce qui n’est pas des sujets définis par les chefs d’établissement comme étant des sujets sur lesquels il faut qu’on travaille ensemble. Il y a des tas de gens qui voudraient m’entraîner sur des problèmes de formation mais comme je sais qu’il y a des universités qui sont en concurrence, en particulier Lyon II et Lyon III, vous ne me verrez jamais entrer sur ces sujets là. Et pourtant, il y a des tas de gens qui voudraient m’y emmener. Ils me disent : « le PUL pourrait nous aider à faire un master de ceci… ». Non, non. « Quand vous aurez fait votre master, si un jour on me demande de faire la coordination des masters, je ferai. » C’est ce qui va se passer pour les écoles doctorales. « Faites vos écoles doctorales, au besoin battez vous à l’arme blanche ou au canon de 75 ». Une fois que c’est fait, s’il y a des problèmes généraux à régler au niveau d’un collège doctoral de Lyon, cela je veux bien le faire. Mais pour définir les écoles doctorales, et aller prendre partie dans les querelles qui vous opposent avec vos petits voisins, pas question ! Ceci étant, des querelles, il y en aura toujours. Simplement, il y a une différence qui est aussi historique entre Lyon et Grenoble. A Grenoble, on se bat comme des chiffonniers dans le cadre d’une réunion préparatoire. Une fois que la décision est prise, il n’y a qu’une seule voix qui s’exprime. Donc tout le monde dit les Grenoblois sont toujours d’accord. Ce n’est pas vrai, ils ne sont jamais d’accord. Mais, par contre, une fois qu’ils ont décidé, ils sont tous derrière la décision. A Lyon, ce n’est pas du tout l’attitude des lyonnais pour une raison très simple, c’est que les lyonnais ont l’héritage des soyeux. Et les soyeux sont des artisans. Et les artisans, c’est vraiment le peuple gaulois. Chacun défend sa chapelle.

Quel est le rôle du PUL dans les rapports entre l’université et les collectivités locales ?

Il est très fort. Quand il y a eu la création du PUL, les collègues de l’époque ont considéré que plutôt que chaque établissement aille chercher sa petite subvention auprès de chaque collectivité locale, avec des risques de se voir répondre non et avec des risques de surenchère des collectivités locales sur certains établissements plutôt que sur d’autres, il valait mieux y aller ensemble après avoir défini notre politique ensemble. Et là on devenait quasiment incontrôlable. Et d’ailleurs cela s’est bien fait comme ces collègues l’avaient, à l’époque prévu, parce que les collectivités locales qui ne sont pas membres du PUL mais qui soutiennent ses activités à travers un certain nombre de subventions, je n’ai jamais manqué d’argent pour faire ce que je voulais, pour faire ce que mon CA a décidé de faire. Je passe beaucoup de temps avec les collectivités locales. Principalement avec la région et avec la ville. Très peu avec le conseil général et un peu avec la communauté urbaine.

Il n’y avait pas d’intervention pour les locaux…

Non, non, ça dépend de chaque université. Il y aura intervention où on envisagera de construire des bâtiments communs à plusieurs universités. Cela va peut être se faire avec le collège doctoral. Il va falloir construire 16 000 m² et moi j’ai besoin de 100m² [pour les locaux du PUL]. Voyez, ce n’est pas moi qui vais peser. Il me faut mes 100 m², pour le reste, vous vous débrouillez.

Vous voyez quelque chose à ajouter ?

Le schéma Université 2000 a été poursuivie à travers une opération qui s’appelait U3M mais c’est la même philosophie sauf qu’entre temps la pression démographique a baissé. Le nombre d’étudiants au moment d’U3M a diminué considérablement dans certaines universités Pas dans les universités lyonnaises. Les universités lyonnaises sont encore en croissance cette année de façon très légère. Il va y avoir un problème par contre : c’est celui des profs. Le ministère a eu une politique de recrutement pas à la hauteur de ce qu’il aurait fallu mais relativement importante à la fin des années 1990. Il y a eu une politique de recrutement importante. Mais il va arriver le départ à la retraite d’un certain nombre de gens de ma génération. Mais plus de 50 % de mes collègues vont partir à la retraite dans les 5 ans qui viennent. En principe, cela ne devrait pas poser de problème parce que ce sont des collègues qui ont un emploi qui devraient être remis dans le pot commun. Cela pose deux ou trois problèmes tout de même : premièrement, quand un emploi est remis dans le pot commun on n’est jamais sûr qu’il ne disparaisse pas. Deuxièmement, on n’est pas assuré, et c’est normal même si cela fait hurler mes collègues, on n’est pas sûr de la discipline dans laquelle il est remis. Il va y avoir des disciplines qui vont croître et d’autres qui vont baisser. La chimie va baisser parce qu’elle n’a pas su prendre le virage d’être une science au service des autres sciences. Alors que l’informatique va monter forcement. Il y a une troisième raison : la ventilation géographique des emplois qui est fixée dans la loi de finances après avis du conseil national de l’enseignement supérieur pourrait être modifiée. Il n’y a pas de raison que si l’effectif de certaines universités diminue, les emplois ne suivent pas. C’est particulièrement vrai pour les emplois d’ATOS mais ça va l’être pour les emplois de professeurs.