Entretien avec Marc BONNET – Responsable du suivi/évaluation du CPER au SGAR Rhône-Alpes -23 septembre 2002

L’entretien se déroule dans les locaux du SGAR Rhône-Alpes. Il dure une heure trente.

Est ce que vous pouvez vous présenter tout d’abord ?

Oui Marc BONNET, je suis au SGAR responsable du suivi-évaluation du contrat de plan. On peut dire cela comme cela. Donc à même de vous en parler dans tous ss aspects généraux. Sachant que le contrat de plan est une procédure générique qui met en œuvre un ensemble de procédures spécialisées et que ces procédures spécialisées sont gérées par les services compétents des différents ministères concernés. Le ministère de l’Equipement continue à faire les routes même si ces routes sont inscrites au contrat de plan, mais c’est bien le ministère de l’Equipement qui les met en œuvre dans le cadre des DDE, même chose pour l’enseignement supérieur, même chose pour toutes les politiques.

Depuis combien de temps occupez vous ce poste au SGAR ?

Depuis six ou sept ans.

Vous pourriez me décrire l’organisation du service et votre rôle dans le suivi du contrat de plan ?

Le préfet de région est chargé de la mise en œuvre des politiques nationales et communautaires des politiques d’aménagement et de développement du territoire. C’est un vaste sujet. Au SGAR, il y a trois composantes principales : le SGAR c’est l’instrument exécutif du préfet de région. Le préfet de région quand on dit « il met en œuvre », c’est sous entendu en s’appuyant sur les services et l’organisation des services de l’Etat. Telle qu’elle existe. Le préfet de région est responsable devant le gouvernement et représente ce gouvernement au niveau régional. Mais les préfets de département sont également représentants du gouvernement au niveau départemental et donc il n’y a pas d’autorité hiérarchique des préfets de région sur les préfets de département. Le préfet de région est responsable de la mise en œuvre aux termes de la loi mais cela veut dire qu’il a un rôle d’animation, de coordination, d’impulsion, de conception. Il a le pouvoir de faire faire et non pas le pouvoir de faire. Donc son service, SGAR, est encore plus éloigné du terrain et a essentiellement un rôle de coordination et de mise en forme de cette compétence du préfet de région concernant la mise en œuvre des politiques nationales et communautaires d’aménagement et de développement des territoires. C’est conceptuel. Tout cela veut dire que concrètement le SGAR est en interaction avec tous les services concernés pour les dossiers d’intérêt régional. Quand un dossier n’est pas d’intérêt régional, il est géré par les services des préfectures de département. Et c’est pas toujours facile de savoir si un dossier est de compétence régionale ou départementale. Alors, le rôle du SGAR c’est vraiment de la coordination. Pour cela il y a à la tête du SGAR, un secrétaire général pour les affaires régionales. Et puis une petite structure d’une cinquantaine de personnes, structure au sein de laquelle certains font un travail plus administratif qui concerne le suivi des crédits d’investissement de l’Etat car les crédits d’investissement de par la loi sont délégués au préfet de région qui les répartit auprès des préfets de départements selon leur besoin. Ces arbitrages se font au sein de la CAR [conférence administrative régionale]. Il y a des personnes qui sont en lien direct avec la trésorerie générale de région, qui font la gestion financière si vous voulez, et puis qui font aussi la gestion financière d’un fond délégué au préfet de région qui s’appelle le fond national d’aménagement et de développement du territoire grâce auquel le préfet de région peut attribuer des subventions à des personnes, des collectivités, tout le monde sauf les entreprises. Les aides aux entreprises sont gérées par d’autres dispositifs sous l’œil attentif de Bruxelles qui veille à l’absence de distorsion de concurrence.

Une partie administrative et technique donc. Et puis une partie qui assure dossier par dossier cette coordination donc. Avec des chargés de mission responsables par secteurs. Chargé de mission pour les aides aux entreprises, un chargé de mission pour les routes et les infrastructures de transport pour autant que le préfet de région a à connaître ces dossiers. C’est à dire pas ce qui concerne la mise en œuvre qui relève des DDE mais pour tout ce qui relève des tracés. J’assure la coordination et le suivi de la procédure CPER qui est une procédure qui met en œuvre un partenariat entre le préfet de région et la présidente du conseil régional.

Vous êtes en lien avec quels services dans la préparation des contrats de plan ?

C’est une affaire compliquée. La préparation d’un contrat de plan commence pour l’Etat deux ans avant la signature du contrat. Elle commence par des exercices internes à l’Etat. Il faut que l’Etat se mette d’accord avec lui même et fasse des arbitrages internes. Le préfet de région n’a pas une énorme enveloppe dans laquelle il puiserait. Ce qui est le cas du président du conseil régional qui, lui, a un budget. Il a un exécutif, il s’en débrouille, c’est facile ou pas, cela dépend de la majorité qu’il a politiquement. Mais il a un budget et il a autorité pour dire : « moi, je veux plus de routes ou plus d’enseignement supérieur. » Le préfet de région lui met en œuvre les politiques nationales qu’il faut d’abord déterminer avant de pouvoir les mettre en œuvre. Il faut que l’Etat y voie clair dans les politiques nationales qu’il veut contractualiser. C’est pour cela qu’il y a un exercice préparatoire qui prend à peu près deux années avec trois phases. Dans une première phase, le gouvernement demande au préfet de faire un exercice de stratégie pure. « Monsieur le Préfet, vous me dites quels sont les problèmes, les priorités, les forces et les faiblesses de votre région. » De façon à ce qu’on puisse les identifier et que le gouvernement puisse agir. Cet exercice est mené en interne pur par les services de l’Etat. Le préfet demande des contributions. La coordination, ce n’est pas un coup de téléphone. C’est un travail de secrétariat, de compte rendus, de convocations, de calendrier, de gestion de réunions. De conception aussi de l’exercice. Parce que selon que vous faîtes des groupes de travail au sein desquels vous mettez tel service et tel service. Alors que dans le précédent contrat de plan vous aviez mis des choses différentes eh bien selon la composition des groupes vous changez la tonalité du projet. C’est déjà prendre une certaine position que de constituer ces groupes de travail. Les groupes de travail sont donc constitués, un document est finalement pondu au bout de quelques temps. Il est adressé à Paris qui en discute, qui le valide en interministériel et qui demande au préfet de réfléchir à tel endroit. Paris dit : « Mr le Préfet, moi gouvernement je veux plus de ceci ou plus de cela ». C’est tout dans les nuances. Si vous lisez cela d’un œil un peu distrait, vous ne verrez pas de différences fondamentales entre les deux versions. Si vous êtes dans le truc, vous voyez très bien où est le problème, ce qui se joue. Le préfet sait bien que ce gouvernement là est sensible à cela mais ces partenaires locaux, eux, ce sont d’autres choses qu’ils veulent. C’est donc ce travail, tout le temps, d’intermédiation. Une fois que cet exercice théorique est terminé, le document est lancé dans la nature et adressé à toutes les forces vives de la région : les syndicats professionnels, les élus, les syndicats ouvriers, les grandes villes, les moyennes villes… Très largement diffusé. C’est à peu près 1500 exemplaires. Cela fait quand même du monde. Tous ces gens réagissent, savent lire les textes. D’où des réactions. Les plus cyniques arrivant avec le catalogue de toutes leurs opérations qu’ils ont listées dans le cadre de leur compétence et sur lesquelles ils demandent de l’aide pour des milliards. Il y a un côté un peu cirque dans tout cela. Mais bon.

Cette première phase terminée, le préfet fait des rapports au premier ministre. Puis deuxième phase, on commence à parler d’argent, on commence à rentrer dans le vif du sujet. Donc le gouvernement demande au préfet de chiffrer ses besoins. Retambouille interne. Bien sur les gens, ils savent ce qu’ils dépensent chaque année. Le contrat de plan , ce n’est pas une procédure qui rajoute un seul franc au budget de l’Etat. Toutes les procédures qui sont décidées dans le cadre des CPER le sont avec l’argent ordinaire du gouvernement. Quelque part dans le document du contrat de plan, il est quand même écrit que tout ce dont on parle est quand même soumis au vote budgétaire. C’est un contrat d’intention. Donc exercice, on chiffre. La dernière fois, on avait tant, donc là, il en faut plus parce que ... Parce qu’il en faut plus, c’est comme cela [rires]. C’est comme cela. Là je sais que de toute façon, il va m’en coller et que là, il ne va pas m’en donner assez. Donc, là, je vais lui dire que j’en veux pas. Comme cela, après, je pourrais exiger d’avoir plus là où j’en veux vraiment puisque j’aurais sacrifié une ligne mais qu’il m’aura par la suite imposée. Toujours la même chose : « je te tiens, tu me tiens ». Et puis alors on commence à rentrer dans la phase où l’Etat n’est plus tout seul. Du côté des collectivités, cela commence à s’agiter et à faire pression sur le gouvernement pour qu’on fasse un beau contrat ambitieux. Vraiment, ce n’est pas la peine si c’est pour faire des petites choses, ce qu’il nous faut c’est une vision à long terme, des projets avec plein de zéros en bas du chèque. C’est normal. Toute cette phase est destinée à permettre au gouvernement de calculer l’enveloppe globale qu’il est décidé à réserver à la procédure des contrats de plan. Sachant que c’est une procédure pluriannuelle, l’engagement de l’Etat est donc pluriannuel, ce que n’aime pas bien le ministère des Finances qui, par définition, ne sait pas ce que seront ses ressources à la fin de l’année. Alors sept ans… Il y a donc une bagarre entre ceux qui veulent dépenser et qui savent qu’il faut qu’ils donnent des gros chiffres parce que de toute façon ils en auront que la moitié alors autant y aller franco et le ministère des finances qui de toute façon divise par deux quelque soit le dossier. Parce qu’il sait que de toute façon les autres multiplient par deux. Donc vous soyez c’est un jeu. C’est un petit jeu. Ce sont les jeux bureaucratiques modernes. Mais c’est partout pareil. Un jour le premier ministre annonce l’enveloppe globale et on sait qu’on a que pour nous c’est à peu près 10% de l’enveloppe globale. Nous on est une région, à 10 %, 10 % de la population, 10 % des crédits…De toutes les statistiques, on est entre huit et douze. Champagne Ardennes, c’est un. Chacun sait à peu près ce que cela fait veut dire. Alors, c’est bien, c’est pas bien. Nous on est l’Etat, c’est un ordre, c’est comme cela.

Dans une troisième phase de préparation, le gouvernement envoie son enveloppe et ces sous enveloppes ministérielles avec quelquefois un affichage à l’intérieur de la sous enveloppe : « je veux ça ». Et il dit au préfet : « Bon courage, vous allez voir les gens d’en face et vous signez. » Et les gens d’en face, ils voient cela et ils protestent : « c’est pas cela qu’ils voulaient, ils voulaient plus de cela, moins de cela. » Et donc négociation. Et selon leur poids, ils peuvent obtenir des aménagements du niveau national. Quand il y a une discussion, il y a des sujets où on est d’accord. Le préfet et les services du conseil régional. Alors, cette phase, elle associe beaucoup les gens du SGAR et nos homologues régionaux. Chacun par correspondance thématique. Les cultureux avec les cultureux, les agriculteurs avec les agriculteurs… Chacun regarde ce qu’on fait par rapport aux objectifs préalables. C’est très simple mais c’est complexe parce que le temps est court, il y a du monde, il y a des arbitrages constamment à faire parce que si vous donnez 50 à l’un et si vous donnez rien à l’autre, cela ne va pas. Mais vous avez votre enveloppe ministérielle et ce que vous donnez en plus à certains, c’est un moins pour les autres. Il faut regarder où on met les pieds, il y a des bénéficiaires qui ont le bras long. Mais cela se gère. Et là, c’est la phase de négociation proprement dite du contrat. Le préfet a un mandat c’est-à-dire que non seulement il a une enveloppe avec des sous-enveloppes mais aussi un texte de quelques pages qui dit : « faites passer cela et cela ». C’est une manière pour le pouvoir politique de dire au conseil régional concerné : « voilà , moi pouvoir national voilà ce que je veux, ce que je souhaite vivement. » Et les autres comprennent. Et puis en dehors du préfet, ils ont le droit de se téléphoner, ce sont des élus, ce sont des collègues de partis, de congrès, de tout ce que vous voulez. Ils se connaissent bien. Tout cela est complexe mais se met en forme. Et puis on arrive à la fin avec ce fameux document,, le contrat de plan Etat région qui liste par grands programmes, les sommes que l’Etat et la région s’engagent à mettre dans les x années qui viennent. Avant, c’était cinq ans, maintenant c’est six ans. Le dernier qui est passé c’était un cinq ans devenu six pour des raisons financières. Du coup, pour le suivant, l’Etat avait dit qu’il fallait se caler avec les fonds structurels. Donc là c’est sept ans et donc le contrat de plan démarrera en même temps et durera sept ans. Et nous on sait que ce CPER en sept ans est déjà bien tiré vers le huit. Pourquoi ? Parce que le budget de l’Etat n’est pas extensible, c’est à peu prés toujours le même et quand vous entendez ce qui se dit à la radio il va plutôt aller diminuant. Or ces CPER ont été négociés avec des conseils généraux en situation instable, avec pas une grosse majorité, et particulièrement en Rhône-Alpes. Du coup ces groupes qui occupent une position peuvent faire de la surenchère. Au bout d’un moment, on veut que le CPER soit voté et donc le pouvoir a tendance à lâcher de l’argent et à en lâcher plus qu’il n’en a. Et donc la régulation, elle se fait après. Parce que de toute façon, il n’y a pas un franc de plus dans la caisse. Quand on a bien parlé, quand on a fini tout ce cirque, il n’y a pas un franc de plus. Ce qu’on n’a pas pu arbitrer politiquement avant, cela se régule financièrement après. Alors hurlements, « l’Etat ne tient pas sa parole, c’est abominable… ». Vous allez voir cela au moment de la révision du CPER, cela va être terrible. Mais bon, c’est comme cela.

Vous avez insisté sur la définition des enveloppes financières par poste ministériel. Quelle est la capacité de négociation des collectivités locales ?

Elle est grande. Même s’ils vous disent que l’Etat est léonin. Ce n’est pas vrai. Enfin c’est vrai et c’est pas vrai. Ce sont des opérations qui sont cofinancées. Les collectivités disent souvent : « l’Etat fait son marché, c’est le racket. » C’est vrai enfin c’est assez vrai. Il y a une question de philosophie politique qui n’est pas tranchée. Qu’est-ce que c’est qu’un contrat de plan ? Pour l’Etat, même si il ne le théorise pas, même si vous avez derrière des abominables carnassiers qui sont bien décidés à exercer le pouvoir parce que eux c’est l’Etat, c’est les haut fonctionnaires. Quelque part, il y a quand même l’idée que dans un système où aucune collectivité n’a de tutelle sur une autre, où les compétences ne sont pas réparties de manière très claire sur bien des sujets, où tout le monde a un peu le droit de faire un peu tout ce qu’il veut, il est pas mal qu’il y ait une procédure qui mette de l’ordre, de la visibilité et de la temporalité, qui mette les partenaires autour de la table pour débattre. Et avec tout le monde carte sur table. Combien tu mets pour telle chose ? Tu exiges, tu cornes mais toi qu’est ce que tu fais ? Et sur le fond, à quoi cela sert le contrat de plan ? Est ce que cela doit servir à l’Etat, garant de l’intérêt général, de faire prendre en compte cet intérêt général par l’ensemble des collectivités qui ont un pouvoir financier suffisamment important ? C’est l’Etat unitaire qui par le contrat de plan notamment, exerce sa fonction de régulation de ces domaines d’intervention. Cela, c’est le point de vue de l’Etat. Mais en face, la conception des régions, ce n’est pas cela. Sa conception c’est : « on connaît bien votre rhétorique de l’intérêt général. D’accord on ne conteste pas votre compétence. Exercez là. Vous êtes riche et puissant, vous avez l’essentiel des pouvoirs. Faites-le mais en dehors du contrat de plan. Le contrat de plan c’est fait pour nous aider, nous, misérable région, dans une compétition mondiale, qui avons tant de faiblesses. Et donc vous devez venir nous aider là où nous nous voulons aller. Nous sommes élus et si nous voulons aller, là c’est que nos électeurs le veulent. » Les deux thèses se défendent comme toujours. C’est un compromis.

On a parlé des marges de négociation des collectivités. Elles se jouent comment. A l’intérieur de chaque sous enveloppe ministérielle ou sur un plan plus global ?

Le département, il n’y a qu’un truc qui les intéresse, ce sont les routes. Un peu l’enseignement supérieur. Le reste ils s’en foutent et ils le voient pas passer à la limite. A la région, eux ils voient tout. Elle négocie sur tout. Le contrat de plan c’est une petite contrainte. Financièrement pour l’Etat, le CPER c’est 7 à 8 % de ses crédits d’intervention. C’est très peu. En même temps cela ne veut rien dire parce pour les routes, c’est 80 %. Pour l’enseignement supérieur, c’est quasiment 100 %. Voyez, il y a des thèmes où l’Etat contractualise 80 % de sa puissance financière d’investissement et il y a des thèmes où c’est négligeable, 1 % par exemple. Là, c’est pour faire plaisir, c’est la bureaucratie de Paris qui veut garder son projet. Le mettre au contrat, c’est le sanctuariser. Parce qu’ils ont peur que Bercy remette en cause le projet.

C’est quoi les avantages de passer par le contrat de plan pour investir ?

L’avantage, c’est qu’on met les partenaires publics qui ont un pouvoir d’infléchissement sur l’environnement quotidien des acteurs économiques et sociaux, de les mettre autour de la table, de mettre des chiffres au delà des discours. Parce que les hommes sont très bons en discours mais à partir d’un moment, la somme qu’on est prêt à mettre rend le discours crédible ou moins. Là, c’est l’avantage. C’est l’aspect coordination de l’intervention publique. Parce que si tel partenaire fait telle chose, c’est pas la peine que son voisin à 20 km fasse la même chose, juste pour l’embêter parce qu’il est concurrent. Il y a une régulation des concurrences à travers le contrat de plan puisqu’il y a partenariat transparent. C’est une procédure coordinatrice par nature. L’inconvénient, il y en a un, c’est que du coup, pour garantir ses intérêts, les intervenants ont intérêt à cofinancer tout pour avoir un pouvoir de regarder et d’infléchir. Parce que quand vous ne payez pas, vous n’avez pas de pouvoir. Du coup on multiplie les cofinancements. C’est l’inflation des cofinancements croisés et les financements croisés, c’est la plaie du monteur de dossier. La plaie ou le gagne pain d’ailleurs. Ce n’est pas une productivité globale géniale. Mais cela dépend comment on compte. Aux USA, il n’y a pas de régulation administrative mais tout le monde se trimballe avec son avocat, mais on trouve que c’est très bien de payer des avocats. Mais globalement, la productivité n’est pas forcement meilleure. Mais ils sont privés, donc c’est bien. Alors que vous exercez la régulation par le service public, c’est très mal. C’est odieux. Vous allez me dire que je suis partisan. Oui. Mais heureusement.

Le contrat de plan c’est quoi c’est indicatif ? C’est une ardente obligation ?

Oui c’est une ardente obligation. Parce que c’est affiché, on a dit qu’on le ferait et donc on est prié de le faire. C’est vrai. Mais quelquefois, on sait que l’on ne fera pas tout parce que ce que l’on a signé est déraisonnable. On le sait. D’ailleurs pour le programme routier, on le sait tellement qu’on a une liste d’opérations bien plus importante que ce que l’on peut faire avec les sommes qu’on a allouées. Mais toutes les opérations sont inscrites. Mais tout le monde a été d’accord avec ce système. On a une liste d’opérations très longues, une somme d’argent qui s’arrête avant la fin de la liste, pas de priorité dans la liste et on va régler cela au couteau à la fin. Mais cela ne va pas se régler au couteau parce que de toute façon, on n’a pas l’argent. On va faire comme pour le contrat de plan précédent, on va différer. Un jour, on va avoir un plan d’avance ! Tout le monde le dit, on se marre mais on va y arriver. Il y a un côté soviétique dans notre façon de fonctionner. On se moque mais on n’est pas meilleur.

Finalement les opérations qui sont inscrites….

Comme elles sont inscrites, elles sont sanctuarisées. Oui, alors peut être que sur une infime partie des opérations, le fait que Mr Untel soit mort, dans l’intervalle va rendre l’opération inutile et cela va peut être bien arranger tout le monde. C’est un peu cela. Parce qu’il n’y a pas rien que des nobles ambitions dans ces listes d’opérations. Si on prend l’exemple des routes, il y a de l’électoralisme version dure. Du vrai. Pas de la rigolade.

Quand on interroge des élus locaux, ils réclament une ouverture de la signature du CPER aux collectivités infra-régionales. Qu’est ce que vous en pensez ?

Cela rendrait les choses plus compliquées sur le plan administratif. Il faudrait recueillir l’avis de nombreuses collectivités. Quand ces collectivités ont une majorité stable, forte, ce n’est pas un problème. Si le président a négocié, cela, c’est que sa majorité l’a mandaté pour négocier cela. Si les dossiers sont de nature à faciliter les surenchères, l’Etat va se retrouver à négocier, pas seulement avec la région et les départements, mais avec les villes. Alors on s’arrête où ? Moi, il me semble que partout où il y a financement d’une collectivité, elle devrait l’approuver. Cela ne veut pas dire qu’elle négocie le contrat, on ne lui demande pas de négocier le contrat. Le contrat, c’est l’Etat et la région. C’est eux seuls qui ont la vision totale. Mais comme les départements financent beaucoup les routes, ils devraient cosigner la partie routière, comme les communautés d’agglomération cofinancent les opérations universitaires à une certaine hauteur, elles devraient avoir une signature. Ce serait à la fois une reconnaissance et la formalisation d’un engagement. Parce que maintenant, nous on s’aperçoit que vous négociez l’enveloppe recherche par exemple, dans l’enveloppe recherche, il y a des constructions. Vous cherchez en vain dans le contrat de plan, le montant des collectivités comme les villes doivent mettre sur les opérations car ce qui a été arraché a été arraché au téléphone, il n’y a rien d’écrit nulle part. Quand vous arrivez au moment de faire l’opération et que vous demandez la somme aux collectivités, eh bien, ils ne se rappellent plus de leurs engagements. On perd un temps fou.

Il y a un déficit d’institutionnalisation dans cette absence de formalisation des engagements ?

Il y a sûrement un déficit de responsabilité, cela oui. Moi, je ne crois pas du tout au déficit d’institutionnalisation. Je crois que tous les gens qui ont intérêt à l’être sont bien au courant des dossiers. IL n’y a pas d’innocents. Il n’y a pas de bourreaux et il n’y a pas d’innocents. On est en démocratie. L’information institutionnelle, elle est bien connue. Les coups de téléphones, cela marche. Celui qui prétend ne pas être au courant, c’est que cela ne l’intéressait vraiment pas ou qu’il ment. On ne peut rien faire dans le dos de quelqu’un institutionnellement sans qu’il soit au courant. Alors d’une certaine taille. Alors peut être que dans la mythologie des collectivités infra-régionales, le fait de ne pas être signataire et donc d’être sous la tutelle de la région, petite institution marginale, c’est peut être mal vécu. Mais elles sont au courant. D’autant que c’est elles qui initialisent souvent les opérations. Ce n’est pas la région qui s’amuse à se balader dans la communauté urbaine et qui se dit : « tiens si on construisait un truc là ! ». C’est pas ce qu’ils disent mais ce n’est pas sérieux. Les projets, ils viennent de ceux qui sont aptes à les monter. Alors maintenant que des petits malins dans le domaine de l’enseignement supérieur, que des profs, des institutionnels du secteur, jouent l’un contre l’autre et le troisième contre le deuxième pour faire avancer leur projet. Mais ce n’est pas l’Etat. Le recteur, il a son point de vue mais il est tenu par en haut, il ne fait pas ce qu’il veut. Lui aussi il met en œuvre une politique nationale d’éducation puisque le préfet n’a pas autorité sur le recteur. Jamais. [rires].

On m’a dit que c’était difficile entre recteur et préfet…

Non, du temps de BANCEL, oui. Parce que BANCEL était une espèce de caïman qui ne supportait pas la moindre concurrence avec le préfet. Un peu comme son copain, Claude ALLEGRE. C’est des gens qui ont un ego au delà de tout ce que vous pouvez imaginer. Mais avec les autres recteurs cela se passe très bien. Et puis même avec BANCEL cela se passait bien. Parce que BANCEL, on peut en dire ce que l’on veut mais il bossait bien. Et c’est vrai que c’était éruptivement compliqué mais en réalité cela marchait bien. Lui il faisait son boulot et le préfet ne mettait pas les pieds dans son domaine. Mais le préfet ne met pas les pieds dans le domaine universitaire. Il fait faire par les recteurs. Le pouvoir du préfet qui n’est pas nul c’est de dire au recteur : « tel jour telle heure, il faudrait que l’on se voie pour discuter de telle chose. » Et cela faisait suer BANCEL parce qu’il aurait bien vu le préfet venir au rectorat. Mais il n’y a qu’un représentant du gouvernement, c’est le préfet. Le recteur peut toujours… Mais les recteurs normaux, il n’y a pas de problème. Pourquoi voulez vous que le préfet aille s’embêter à rentrer dans les politiques universitaires ? En plus, des universitaires c’est les pires de tous. Alors, non. On n’est pas prêt d’aller vous embêter.

Pour les politiques d’enseignement supérieur, c’est donc plutôt le recteur qui négocie…

Eh bien tout d’abord, il y en a deux des recteurs. Il y a une enveloppe et deux recteurs et donc il faut déjà partager l’enveloppe, se mettre d’accord sur le partage. Ensuite, c’est vrai que les communautés universitaires des deux rectorats ont leurs projets, ils ont des contrats quadriennaux, il y a toute la dynamique interne et puis il y a les plans nationaux. La politique politicienne locale et nationale. C’est vrai que le recteur est là en première ligne. Et le préfet de département. Mais pas le préfet de région. Cela, le préfet de région, il bien content de le déléguer. « Mettez moi Mr le préfet de département, votre truc en ordre, et quand tout cela est en ordre, vous me dites vos chiffres et moi je regarde si cela s’emboîte. Et si cela dépasse, et bien, Messieurs le recteur et le préfet, faites quelque chose, cela dépasse. »

Il supervise le travail…

Il fait des réunions de conciliation, au bon moment. Il fait plus que les additions. Mais il ne fait pas la chose. Mais c’est comme cela dans tous les domaines : le rôle du préfet, ce n’est pas de faire, surtout pas. Il n’a pas la capacité technique dans aucun domaine. Le préfet c’est un incompétent technique absolu sauf pour taper, mais c’est autre chose. Il n’y connaît rien. Mais il y a des intérêts divergents en matière de développement et d’aménagement du territoire et là le préfet réunit tout le monde et demande qu’ils s’expliquent. C’est un rôle de médiation.

Vous faites souvent référence à la temporalité…

C’est une nécessité. C’est normal. Il y a des moments où il faut avancer parce qu’on s’enlise, il faut trancher. Et puis il y a des moments où il faut laisser le machin s’embourber, il faut laisser un peu de temps. Et puis ensuite vous reprenez les choses tranquillement. C’est très humain tout cela.

Il y a un discours qui veut que l’Etat se décharge de ses compétences notamment en matière d’enseignement supérieur et que les collectivités sont engagées dans un jeu de dupes…

A titre personnel, je pense que là aussi il n’y a pas d’innocents. Les collectivités sont obligées d’investir dans l’enseignement supérieur pour être attractive sur le plan des entreprises, de l’implantation d’entreprises. La participation financière leur donne voix aux chapitres sinon on leur dirait : « l’IUT bidule, il ira là au lieu d’aller là ». Il y a un petit danger pas petit d’ailleurs, c’est que finalement ce soit l’argent qui décide. Alors l’intérêt général, là, on rentre dans la métaphysique. Mais en même temps, peut être que l’équipement aurait été mieux ailleurs. Il y a des arguments pour et des arguments contre. Quand il y a une collectivité riche qui peut se le payer, elle se le paye mais après on en fait pas deux. Il y a des dangers. C’est vrai que l’Etat a une forte tendance à forcement se défausser des charges et à garder la décision, enfin les fonctionnaires d’Etat. C’est les personnes qui agissent comme cela. Mais le droit rejoint le fait. Regardez : à force de faire financer les routes par les départements et de plus en plus haut, les routes vont passer aux départements. C’est normal. A force de ne pas avoir d’argent pour faire financer les établissements d’enseignement supérieur aux collectivités, à force de ne pas faire son boulot, la décision passe de l’autre côté. Cela met 20 ans. Ceux qui sont dans l’intervalle, ils râlent mais il y a une logique.

Finalement, ce serait plus clair s’il y avait un transfert de compétences…

Clair, c’est compliqué. On est dans un système tellement hybride, pas clair. Je ne sais pas s’il y a des systèmes clairs, je ne sais pas si les systèmes anglais ou italiens sont clairs mais nous ce n’est pas clair. Peut-être parce qu’on est dedans. Mais cette question de l’Etat central qui décentralise tout en étant unitaire, quel bordel ! Sur le plan conceptuel, quel bordel ! On peut tout dire, soutenir tout. Le contraire, le contraire du contraire, tout est vrai, tout est faux.

Les départements n’ont traditionnellement aucune compétence en matière de culture. Comme la culture devient un élément du développement culturel, tourisme culturel etc, le développement local là cela les concerne, ils sont en train de mettre le pied dans la culture. Et ils auront les dividendes de leur investissement un jour. On leur reconnaîtra une compétence culturelle ; pour le moment, ils financent mais un jour ils auront à force de financer. C’est vous qui décidez quand vous financez.

Vous voyez quelque chose à ajouter ?

Non.