Entretien avec Michel CUSIN – Président de Lyon II de 1986 à 1991
10 avril 2003

L’entretien se déroule dans les locaux de l’université Lyon II en centre-ville. Il dure une heure trente.

Je vais tout d’abord vous demander de vous présenter.

Eh bien, Michel CUSIN. J’ai été président de l’université Lyon II de 1986 à 1991.

Comment le lancement projet de la Manufacture des Tabacs a été ressenti à Lyon II ?

On a eu de longs débats sur cette question. On était partagé entre deux choses. D’une part, on ne voulait pas abandonner complètement le quai, je crois que cela a été déterminant. Et Lyon III se retrouvait un peu dans la même position. Lyon III ne voulait pas abandonner la Faculté de droit. Nous, on ne voulait pas abandonner ici pour des raisons stratégiques parce qu’il y avait Bron qui était très excentré. Et évidemment, Bron et la Manufacture des Tabacs c’était plus proche, plus coordonné. Personnellement, mais pas en tant que président parce qu’on avait une équipe présidentielle extrêmement diversifiée, on a de longs débats là dessus. Moi, je n’étais pas spécialement attaché au quai, j’aurais préféré la Manufacture et Bron pour des raisons de coordination. Et puis, je trouvais que la Manu était assez centrale et je trouvais que cela offrait des choses exceptionnelles. Alors que le quai, les bâtiments du XIXème sont bien mais les bâtiments neufs sont une épouvante. Donc, moi je me suis rallié à la position générale de l’équipe. On préfère le quai, cela nous permettra de récupérer les locaux qui appartenaient à Lyon III au 74 et puis sur le quai on pourrait récupérer l’ensemble du quadrilatère. Ce qui faisait un ensemble très convenable. C’est cela qui a été déterminant et en y réfléchissant je me demande si ce n’est pas la même chose que pour Lacroix Laval, c’est à dire si ce n’est pas un attachement sentimental pour le quai. Moi, par exemple j’ai fait mes études ici et les gens qui étaient à ce moment là prof n’avaient pas un attachement universitaire aux lieux si vous voulez, plus personnel. Quand j’étais président, en plus, on a essayé de mettre en place une politique de communication très ouverte sur la ville. On voulait le grand amphi pour faire des manifestations qui ne soient pas Bron ni la Manufacture des Tabacs qui n’était pas prête à ce moment là. Il y avait la question des grandes conférences également qui maintenant se font toutes seules mais on les a lancées. On avait des rentrées solennelles et on voulait que cela se passe en centre ville et pas à Bron. Ce qui ne nous a pas empêché de développer Bron qu’on a développé. En ayant pris parti de récupérer le centre ville, je crois que cela n’a pas été une mauvaise stratégie parce que comme les locaux n’étaient pas disponibles immédiatement en centre ville, cela nous a permis de réinvestir Bron. Moi j’étais président de 1986 à 1992, Bron était dévasté, on n’avait même pas d’entretien des pelouses. Le déménagement de l’IEP a traîné, mais c’était aussi à l’arrière plan. A l’époque de la Manu, c’était NOIR et c’était un peu dans le troc. Avec MUTIN qui était mon grand ami, on a essayé de lier la question d déménagement de l’IEP à cela en disant qu’on ne pouvait pas laisser l’IEP dans des locaux pareils. NOIR s’attendait à ce que ce soit Lyon II qui réclame la Manufacture des Tabacs, il ne s’attendait pas à ce que soit Lyon III. En plus, à l’époque, il y a eu des problèmes de révisionnisme. Il a réagi très maladroitement en disant : « je ne vous donne plus la Manufacture si vous ne sanctionnez pas. » Ce qui a provoqué un tollé légitime chez les universitaires. Parce qu’on ne peut pas admettre l’intervention extérieure dans l’université. Si vous voulez je crois que, d’une certaine manière, l’IEP a bénéficié de cette opération même si cela a traîné. A posteriori cela n’a pas été un mauvais choix. Alors, évidemment, cela avantage Lyon III de façon extraordinaire parce qu’ils ont gardé un pied en centre ville et des campus rénovés qui ne sont pas en plein centre ville mais qui sont directement sur le métro. C’est sûr. Mais on ne pouvait pas non plus laisser tomber complètement Bron parce qu’il y avait des possibilités également là bas. Notamment au niveau du développement des infrastructures sportives. Moi, quand je suis arrivé à la présidence, il y avait deux tennis, pas de terrains de sport. Rien. Cela a été assez dur parce que personne ne voulait investir ni la Ville, ni la région, ni le département parce que c’était Bron. Parce que si on voulait investir Bron il fallait le faire également du point de vue de la qualité de la vie. On a donc réussi un coup assez difficile. On voulait créer une halle des sports. On n’avait pas un sou. L’Etat ne voulait rien mettre, la région non plus, la ville cela n’était pas chez eux et à Bron ce n’était pas encore QUEYRANNE c’était son prédécesseur qui se fichait complètement de l’université. Le maire de Saint-Priest comprenait mieux les choses. Cela a un peu changé quand QUEYRANNE est devenu maire. Mais à l’époque, à Bron, on ne pouvait compter sur personne. GALLINI a eu cette idée que j’ai adoptée immédiatement, il voulait faire du chantage sur les partenaires extérieurs de la façon suivante. On a proposé aux étudiants de payer un droit sportif pendant 5 ans alors même que c’était contraire à la loi. Ensuite on a été voir tout le monde en leur disant : « les étudiants ont accepté de payer cela, qu’est ce que vous faites ? ». Ils n’ont pas pu aller en arrière. La région s’est fait un peu tirer l’oreille. J’ai gardé des souvenirs là dessus. Le vice-président qui était chargé des affaires sportives à la région, il n’avait rien à faire avec l’université. C’était un maire de Haute Savoie et la seule façon que j’ai eu de le contacter cela a été d’aller faire la traversée de l’Aiguille rouge qu’il organisait. J’y ai été, on s’est connu comme cela et ensuite cela a été bon. La question de la Manu a eu des effets qui débordent de ce qu’on voit immédiatement : c’est Lyon III qui a la Manu et puis Lyon II reste avec Bron. Cela a eu des effets aussi pour Lyon II : cela a été indirectement bénéfique à Bron et à l’IEP. Cela dit, cela traîne et Lyon III laisse les bâtiments dans un état… Bon, c’est comme cela. Il faut dire aussi que cela a été possible aussi parce que Lyon III a eu un nouveau président qui était Pierre VIALLE et que, auparavant, c’était GOUDET qui était je ne sais même pas comment le qualifier. Il soutenait les révisionnistes bien sûr. Ils étaient d’extrême droite et une extrême droite musclée. Quand il était là, cela bloquait parce que GOUDET était quelqu’un de difficile. Je vous donne un exemple : le grand amphi faisait partie du 16 quai Claude Bernard, ce grand amphi, cela a été toute une histoire pour le récupérer parce que GOUDET, qui avait pourtant signé un accord, refusait de le rendre. C’est l’histoire du transfert du musée des moulages : le musée des moulages qui occupait le sommet de Lyon III, le papier qui avait été signé entre GOUDET et mon prédécesseur, c’était : « on évacue les moulages mais vous nous rendez le grand amphi qui nous appartient ». On a évacué les moulages mais GOUDET a refusé de rendre le grand amphi. Je me rappelle d’une réunion chez le Recteur où il m’a dit : « mais qu’est ce que c’est qu’un papier signé. » Sous-entendu la Belgique en 1940 etc. Et il a refusé de rendre le grand amphi pendant très longtemps. Il a fait mettre des grilles pour pas que les gens de Lyon II ne contaminent les gens de Lyon III.Quand vous êtes au grand amphi sur le côté, il y a des immenses grilles, eh bien, c’est GOUDET qui les a fait mettre. Quand cela a été Pierre VIALLE, un honnête homme, cela a été beaucoup plus facile de régler les choses. Je vais vous donner un autre exemple mais n’utilisez pas trop les noms. Il y a autre chose au grand amphi, c’est la visite du pape. Quand le pape est venu, COLLOMB m’a demandé de prêter les locaux de la faculté des lettres et le grand amphi pour en faire un centre de presse. J’ai consulté mes collaborateurs et on a décidé de le faire. Par contre, on ne voulait pas de problème, donc on a remis symboliquement les clés au Préfet. Et après on n’était plus responsable de quoi que ce soit. Le grand amphi a été utilisé comme centre de presse et le Cardinal DE COURTRAY, le Cardinal de Paris ont donné des conférences de presse. Le Pape n’y est jamais venu. GOUDET a téléphoné au ministère en disant qu’on portait atteinte à la laïcité. On avait livré le grand amphi aux cléricaux. Mais il avait d’autres raisons : il considérait que le concile de Vatican II était le terminus de l’Eglise catholique romaine. Il était converti à l’Eglise orthodoxe hors frontière, celle qui a canonisé le Tsar Nicolas II. On a beaucoup ri au Rectorat. C’est pour vous dire l’atmosphère qu’il y avait assez délétère qui s’est arrêté avec Pierre VIALLE. S’il n’y avait pas eu l’affaire NOTIN, les choses se seraient encore mieux passées. Mais c’est ce qui a déclenché l’ire de Michel NOIR. On avait essayé au Rectorat NIVEAU, moi même et Pierre VIALLE de trouver une solution que Pierre VIALLE n’a pas voulu accepter. Je pense qu’il a eu tort. Il n’y aurait pas eu d’affaire NOTTIN si il avait accepté. Et Pierre VIALLE sa position, c’était qu’il défendait, à juste titre, l’indépendance de la recherche dans l’université et il disait qu’il ne voulait pas être le Maréchal PETAIN de Lyon III en poursuivant les gens pour leurs idées. Alors que ma position à moi, j’avais fait un article dans Le Monde à l’époque, n’était pas du tout celle-là. Il ne s’agissait en fait pas du tout de poursuivre NOTIN pour ses idées, parce que cela l’indépendance universitaire l’interdisait, mais il s’agit de rappeler la déontologie universitaire. Il fallait traduire NOTIN en conseil de discipline non pas parce qu’il avait tenu des propos révisionnistes mais parce qu’il avait tenu des propos révisionnistes en les signant professeur à l’Université Lyon III alors qu’il avait trafiqué le texte. Ma position qui était celle de l’Université Lyon II à l’époque et qui l’est toujours, nous on avait eu l’affaire FORISSON c’était de dire : « la question du révisionnisme est une question historique. Ce sont des historiens qui prennent la parole là dessus et ils engagent les historiens. » Ce ne sont jamais les historiens qui tiennent des propos révisionnistes. FAURISSON était un spécialiste du Comte de LAUTREAMONT. Il n’enseignait jamais cela. IL enseignait les chambres à gaz. NOTIN c’est pareil, LUGAN, c’est pareil. Ce ne sont pas des historiens. Le prof d’allemand qui était parti à Lyon III avec son poste, ce n’était pas un historien. Ceux qui ont créé le centre de recherche sur l’arianisme, c’était des gens de la faculté des Lettres, ce n’était pas des historiens. Des linguistes. SI vous êtes chimiste à l’Université, vous pouvez signer des choses sur la chimie pas sur de l’histoire. Ou alors vous les signez en tant que citoyen mais pas en tant que professeur à l’université Lyon III. C’était ma position, celle du Recteur, mais Pierre VIALLE n’a pas voulu. Et ensuite cela s’est envenimé et cela a été bien pire.

Cela a été mal ressenti ?

Cela a été très mal ressenti par NOIR. Il faut vous rappeler que NOIR avait à ce moment là comme adjoint JACUBOWIZC qui est président du CRIF. DUBERNARD qui était très hostile. OUDOT aussi. Moi j’ai reçu x coups de téléphone en disant : « il faut empêcher cela, sinon on leur retire la Manufacture des Tabacs. » Ils voulaient s’en servir comme moyen de pression. En disant : « il faut traduire NOTIN en discipline. »Alors VIALLE, à juste titre, a refusé. ON ne peut pas accepter de traduire un universitaire parce qu’un politique vous le demande. Alors là, pour le coup ! Cela s’est envenimé. Cela s’est arrangé ensuite mais cela a été néfaste pour l’idée que l’étranger se fait de Lyon. Pour l’étranger, Lyon c’est le révisionnisme. Lyon II, Lyon III, Lyon I, cela n’existe pas. Vu de Shanghai, vous savez. L’affaire FAURISSON avait été moins médiatisée. Et nous, on l’avait résolue. C’est très critiquable, la façon dont on l’avait résolue mais au moins on l’avait résolue. En disant : « vous ne faites pas ce pour quoi vous êtes payés pour faire, on vous retire tout enseignement. » C’est le président de l’Université qui donne les enseignements. Cela a été très bien dans un certain temps. Il n’était pas dans les commissions de spécialistes. Et puis il y a eu une position un peu réactionnaire sous un gouvernement qui était de dire tous les professeurs titulaires devaient faire partie des commissions de spécialistes. On était très ennuyé. Mais on invitait régulièrement le personnel à égarer l’adresse. Il n’a jamais reçu de convocation. Il venait me voir dans mon bureau avec un avocat toujours en me disant : « je vous somme de m’envoyer la convocation. » Et je lui disais : « mais bien sûr. » Cette affaire de la Manufacture de Lyon III, elle est arrivée dans un climat qui était meilleur avec Pierre VIALLE mais qui s’est empoisonné avec l’affaire NOTIN. Cela n’a pas arrangé les choses. Cela a un peu chargé idéologiquement quelque chose qui devait être de l’ordre de l’efficacité universitaire c’est à dire de la politique universitaire stricto sensu au sens athénien du terme pas de la politique politicienne.

L’arrivée de Michel NOIR, cela a été une rupture ?

COLLOMB n’avait jamais mis les pieds dans les bâtiments de ce côté-ci mais il était constamment dans les bâtiments de la rue de l’autre côté. Bien sûr. Il n’y avait qu’une université avant l’arrivée de Michel NOIR. Bon Michel NOIR, il y a eu des démêlés avec la justice mais c’est autre chose, cela. Mais Michel NOIR, il faut quand même dire la vérité, avec MILLON à la région ont changé les éléments des relations entre la Ville, les collectivités et l’université. On a eu deux personnes, intelligentes, qui ont compris que l’université ne pouvait pas être toujours en dehors sauf Lyon III qui était l’université bien pensante. Moi qui ai connu les deux, cela a changé complètement. Avant, il y avait BERAUDIER à la région, j’aime autant vous dire que ce n’était pas triste. C’est pour cela que les catastrophes judiciaires pour NOIR et politiques pour MILLON, quoiqu’on en pense, cela a été catastrophique pour les universités. Parce qu’on avait enfin des gens qui avaient une politique pour l’université. Avec MILLON, on a pu faire des contrats, avec la ville on a pu passer des accords aussi sur des choses très importantes. Avant eux, il n’y avait aucun contact, rien. Même au niveau des relations internationales. Les contacts ont ensuite été codifiés et constants. Cela a duré avec la ville de Lyon. Avec BARRE, cela ne pouvait que se poursuivre puisque BARRE était universitaire. Mais quand MILLON était à la région il a vraiment lancé une politique. Et cette politique a tenu. Parce qu’elle ne tenait pas à nous. Mon prédécesseur LUCAS, lui, son idée, c’était d’ouvrir davantage sur les entreprises.

Avec le monde économique, vous étiez en relation ?

Oui bien sûr. Moi j’étais vice président de LUCAS. Et on a continué l’ouverture qu’il a faite sur les entreprises avec les créations qu’il a faite sur les DESS, l’IUT de Bron en alternance. Des relations très suivies. Le diplôme Finances et banques, les relations avec la Bourse. Avec en plus des choses qui ont pu être faites après seulement le changement de municipalité. Il ne faut pas non plus se leurrer. Si on avait eu encore COLLOMB avec BERAUDIER, rien n’aurait changé. On n’avait commencé avant et on s’était heurté à un mur absolu.

Ils ne voyaient pas l’importance que peut avoir l’université ?

Ce sont des gens pour lesquels l’université n’existe pas. Il faut que vous sachiez que COLLOMB, on ne le connaissait pas, mais quand il prenait la parole, tout le monde était blême parce qu’il était complètement inculte. On se disait toujours : « qu’est qui va arriver ? quelle connerie il va encore nous sortir ? ». Après, j’ai réussi à le rencontrer dans les dîners en ville, il n’avait aucun intérêt pour l’université. Il était manœuvré par son staff qui était très Lyon III. Et lui il ne connaissait absolument rien à cela. Très gentil mais il ne connaissait rien à cela. Mais l’arrivée de NOIR a été décisive. Au moment des élections, moi je ne connaissais pas NOIR. Je connaissais OUDOT pour d’autres raisons parce qu’il a été à la Région pour des choses artistiques et c’était intéressant pour nous. Donc on a fait des choses avec lui. Et OUDOT m’avait demandé si on pouvait donner le grand amphi pour une réunion politique où il y aurait NOIR et d’autres. Moi je leur avais dit : « je veux bien. Mais si on donne à l’un, il faut donner aux autres. » Donc il fallait que la Ville, qui est propriétaire , nous dise si on pouvait, pendant la période électorale, prêter le grand amphi. On avait demandé à COLLOMB qui nous avait dit que pour le Grand amphi il fallait s’adresser à Lyon III. [rires]. Et finalement on avait eu l’autorisation. Il y avait donc une réunion où il y avait NOIR, DUBERNARD et OUDOT, j’avais été mettre mon nez et je me rappelle avoir entendu des discours et être ressorti en me disant qu’il fallait que ce soit eux qui passent. Enfin pour l’université. [rires].

C’était qui votre interlocuteur principal ?

DUBERNARD. Ou MILLON suivant la collectivité. Mais pour les affaires universitaires DUBERNARD. Et puis Nadine GIRARD qui est maintenant Mme GUYOT. DUBERNARD mais NOIR également. Il suivait le dossier, il s’y intéressait. Et puis toutes les questions comme la rénovation du quai par exemple, il suivait cela également. Moi cela faisait longtemps que je leur avait dit : « mais il y a le SOFITEL en face, vous auriez quelque chose de formidable. » Ca, c’est NOIR autant que DUBERNARD.

Qu’est ce qui explique ce changement d’attitude de la municipalité ?

Je crois qu’ils étaient suffisamment intelligents par rapport à leurs prédécesseurs, tout est relatif, pour s’apercevoir qu’il y avait une carte à jouer. Si on leur disait : « si vous vous intéressez à l’Université, vous aurez un retour d’image », ils pouvaient s’intéresser. Ce qu’avait bien vu NOIR, c’était la question des relations internationales. Nous, on avait des relations internationales qui étaient extrêmement développées qui n’avaient aucun lien avec les leurs. Par exemple, le centre Jacques CARTIER qui prenait beaucoup d’ampleur. Moi j’ai toujours soutenu ce centre qui développait beaucoup ses relations avec Montréal. Ca les intéressait. Et puis, ils se sont rendus compte que c’était un atout pour la ville qui n’avait pas été utilisé jusque là. Et cela servait leurs intérêts. Pour MILLON, je pense que c’était plus… Enfin pour NOIR il me semble que c’était plus une stratégie politique qu’un investissement personnel, encore que c’est critiquable ce que je dis puisqu’il a fait un doctorat. Mais cela transparaissait moins. Pour MILLON, je sais qu’il avait été assistant en droit et puis sa femme était la fille du prof de droit de la Catho, DELSOL. Je crois qu’il avait une autre vue. Il avait une vue plus intellectuelle de l’université. NOIR avait une vue plus politique. Mais je dis cela de l’extérieur. Parce que MILLON était très sensible à la question de l’orientation des étudiants, à la question de la diversification. A la question de ceux qui arrêtent sans diplôme, les « drop out » comme on dit en anglais. Il était très sensible à cela. Et puis en même temps, moi, j’ai lancé immédiatement l’idée que si on voulait un partenariat avec la région, il ne fallait pas être seul. On ne pouvait pas lancer un partenariat avec Lyon III parce que ce n’était pas possible. Donc il fallait organiser les universités au niveau régional. Donc, il fallait organiser les universités au niveau régional, on a donc lancé la conférence universitaire Rhône Alpes. Avec Grenoble, St Etienne, Chambéry et nous. Et là, cela a fait un dialogue avec la région qui évitait d’avoir un dialogue de rivalité avec Lyon III. La CURA a été déterminante aussi pour changer l’atmosphère vis à vis de la région. Dès qu’ils ont vu qu’on était favorable à une politique régionale ouverte et pas seulement à retirer des sous, ils ont été très intéressés. On a beaucoup coopéré avec la ville sous DUBERNARD et on a beaucoup coopéré avec la région directement avec MILLON. Il était extrêmement sensible à cela. Notre idée à nous, c’était de faire un contre poids universitaire Si la région devait mener une politique, il ne fallait pas avoir un front universitaire qui soit divisé. Parce que là, ce sont les politiques qui vous utilisent. Si on a un pôle institutionnel, on peut dialoguer. Cela dure toujours d’ailleurs.

Vous avez évoqué, le conseil régional, la ville de Lyon. Il manque une collectivité locale : le conseil général.

Le conseil général n’est jamais intervenu. Vous savez quand même que son président était maître de conférence à Lyon III. Mais le conseil général n’est jamais intervenu pour la question des bâtiments. Le seul moment où on a négocié avec eux c’est pour la question du parc de Bron Parilly. Parce qu’on n’arrivait pas à avoir les terrains sur St-Priest. Parce qu’on aurait pu faire des choses. Il y avait l’hippodrome mais on avait de bonnes relations avec eux. Le conseil général n’a jamais manifesté de désintérêt pour l’université. A la différence du conseil régional et de la ville. Ils ont toujours considéré qu’il n’avait pas à intervenir dans les affaires universitaires. Ni dans les bâtiments ni dans autre chose d’ailleurs. Mais on avait de très bonnes relations. C’est JAMET qui était le bras droit de MERCIER au département. EN plus ils nous ont aidé pour le centre Jacques CARTIER, pour les relations internationales. Ils nous prêtaient pour les grandes manifestations leurs installations puisque avec les problèmes de Lyon III, on ne pouvait pas avoir le grand amphi. MERCIER était très bien de ce côté là. Il n’a jamais été pris dans la diatribe idéologique Lyon II- Lyon III. Je pense qu’il était favorable à Lyon III. Mais il ne l’a jamais manifesté. De mon temps, il nous a toujours aidé pour nous prêter l’Hôtel du département pour les cérémonies. Sans nous faire payer. Mais même avec Lyon III, ils n’ont jamais cherché à jouer un rôle. La politique culturelle chez eux, c’était les musées. Et ça l’est toujours d’ailleurs. Peut être pour le musée des moulages et pour l’IEP. Je pense que pour l’IEP, cela a dû jouer.

Ce sont deux dossiers qui sont liés ?

Moi je crois qu’il y avait des retombées indirectes. Je crois que le département et la ville de Lyon ont apprécié le fait que l’on ne se batte pas comme des chiffonniers pour la Manu. Ils s‘attendaient à ce qu’on soit intransigeant. C’est loin pour moi mais il me semble que cela a contribué à débloquer la chose. Ce n’était pas dans le deal comme on dit maintenant mais cela a contribué à débloquer la chose, le fait que l’on ne se soit pas disputé. S’il n’y avait pas eu l’affaire NOTIN, la chose aurait été, en peu de temps, réglée. Je crois qu’indirectement cela a favorisé les choses en montrant que Lyon II était tout à fait accessible à toutes formes de raisonnement et que Lyon II n’était pas ce qu’on voulait nous faire passer. Genre une université gauchiste.

La décision d’attribuer les locaux à Lyon III elle a été prise avec les présidents d’université et le Recteur, Maurice NIVEAU. Quel a été son rôle ?

Avec le Recteur NIVEAU, on n’était pas de la même paroisse. Mais j’ai beaucoup d’estime pour lui. Idéologiquement, il aurait dû appuyer Lyon III. Personnellement. Alors qu’en tant que Recteur il a été extraordinaire. D’une rigueur, d’une impartialité remarquable. Il a vraiment senti ce qu’était l’essentiel de l’université. Il a été remarquable tout le temps. Alors que si vous l’avez en privé à un idée, vous allez entendre des choses pas tristes sur Israël et sur les arabes. Ce qui était remarquable chez le Recteur c’est qu’il a joué un rôle de chancelier et non de Recteur avec nous. Il a toujours laissé les présidents responsables des affaires mais en tant que chancelier, il a joué son rôle. Un peu un rôle de monarque constitutionnel. Un peu Roi des Belges, vous voyez. Je me rappelle avoir dîné avec lui et Philippe de Belgique, il était de passage et il voulait voir les universitaires. Oui, pourquoi je vous dis cela ? Oui parce qu’il a joué excellemment son rôle de chancelier. Tout le temps. Dans toutes les affaires difficiles avec GOUDET, dans l’affaire NOTIN, dans toutes les affaires, moi je lui tire mon chapeau.

Vous étiez en lien avec le ministère sur la question des locaux ?

Non, ils ne sont pas intervenus. On avait eu l’intervention malencontreuse de Michel NOIR, on ne voulait pas avoir encore celle plus malencontreuse de Claude ALLEGRE. C’était le conseiller spécial de JOSPIN et il était, il est toujours d’ailleurs, de casser des porcelaines. Donc non. Cela s’est passé entre lyonnais. Ce que j’avais fait pour Claude ALLEGRE, c’est qu’au moment de l’installation extraordinaire de l’ENS sciences, bon, très bien. Mais nous on n’avait pas un sous à l’époque. Quand il est venu inaugurer les locaux, je lui ai dit : « maintenant vous allez venir voir les locaux à Bron. » Et il pleuvait mais il pleuvait. Il s’est mouillé les pieds. A l’intérieur dans les amphis, il y avait des baquets. Il est reparti furieux mais on a eu de l’argent. Sur la question des locaux, pour la Manu, on n’avait pas intérêt à mettre l’Etat là dedans. Vous ne vous rendez pas compte de ce qu’est le ministère et combien Claude ALLEGRE a raison sur la question du mammouth. Le ministère, quand on peut s’en passer, il faut s’en passer !

Trop rigide ?

Ce n’est pas que c’est trop rigide mais que cela se perd dans les strates. C’est en ce sens là que ALLEGRE quand il mettait les pieds dans le plat il avait raison. Si vous allez vous perdre dans les bureaux de la rue DUTOT, mais on s’y perd ! Et rien n’avance. Moi j’y ai travaillé au ministère, j’étais conseiller pour l’Europe, pendant quatre ans. Je regrette bien d’y avoir mis les pieds d’ailleurs. C’était la mission européenne qui m’avait attiré. J’avais été à Bruxelles président. Parce que les présidents d’université étaient organisés en conférence nationale et régionale et puis il y avait une conférence européenne. J’avais été président de cette conférence pendant quatre ans et on avait mis sur pied ERASMUS par exemple. Moi, j’étais très intéressé par ce qui arrive seulement maintenant la réforme LMD. J’avais donc été pendant quatre ans à Bruxelles et le ministère m’avait demandé des piges pour des questions diverses. Donc j’ai vu le ministère fonctionner de très près. C’est une machine à ne rien faire. Ils labourent la mer comme on disait dans l’Antiquité. Là où ALLEGRE se trompe c’est qu’il croit que les gens ne fichent rien. Mais non, ils travaillent énormément mais ils labourent la mer. C’est effrayant. J’ai des romans à faire la dessus. Faire travailler sur des dossiers, préparer des trucs et puis on vous : « non, politiquement ce n’est pas possible, ce n’est pas le moment. » Dans le tiroir. Direct. Non là, le ministère n’a pas été concerné.

Cela a été une décision facile à prendre d’attribuer Lyon III à la Manufacture. Lyon III était favorable au fait d’avoir ces locaux ?

Oui, il voulait la Manu plus la fac de droit. Parce qu’ils avaient encore toute une partie de leurs premiers cycles qui étaient à la Doua vers la fac de sciences.

Et Lyon I ?

Lyon I, cela ne les intéressait pas. Ils voulaient surtout que Lyon III libère la Doua. Mais ils avaient longtemps gardé des choses ici en centre ville. C’était Paul ZECH qui était président à l’époque. Il était remarquable. Ce qui est un peu dommage c’est que Pierre VIALLE… Mais je crois qu’il n’aimait pas être président. Il était un peu mal à l’aise dans son rôle de président. C’est dommage parce qu’avec ZECH, on aurait fait encore avancer bien plus les choses qu’on a pu les faire avancer. ZECH m’a rendu tous les locaux du centre ville. Il y avait encore des labos avec des rats qui étaient à côté de l’IEP. Il y avait encore toute une aile avec le labo d’éthologie animale. ZECH a compris. VIALLE aussi je crois qu’il était assez rationnel et pas passionnel. Mais l’affaire NOTIN a envenimé les choses et je crois qu’il n’était pas très à l’aise dans son rôle de président.

On m’a parlé dans un entretien d’un projet Lyon IV qui aurait été relancé par le projet de la Manufacture des Tabacs….

Oh oui bien sûr. C’est l’histoire des médecins. Paul ZECH, tant qu’il a été président de l’ensemble, a tenu le reste des médecins. Parce que vous savez qu’à Lyon I les médecins et les scientifiques, c’est difficile. Donc le rêve des médecins cela a toujours été d’avoir une école de médecine comme sous l’Ancien Régime, comme partout ailleurs. Et donc il y a eu la tentation de faire un Lyon IV. Il y a eu une pression très forte pour s’en aller pour faire Lyon IV et il y a eu les terrains de HAMSBOURG, les confitures HAMSBOURG qui devenaient une friche. Sur le cours GAMBETTA. Assez proche de GRANGE-BLANCHE. Et les gens qui étaient très hostiles disaient que cela allait être l’université CONFIPOTE. Mais oui, il y a eu plus qu’une tentation. Je n’ai pas bien suivi cela. C’est MORNEIX. Un doyen traditionnel mais accessible. MORNEIX s’attendait à ce qu’il y ait un veto absolu des autres universités. Or, nous on en a beaucoup discuté entre nous, et on s’est dit : « si Lyon I veut vraiment divorcer, on ne peut pas les en empêcher. » Je ne vois pas à quel titre, nous Lyon II, on serait venu mettre un veto. On avait dit qu’on ne s’y opposerait pas. On avait de bonnes relations là-dessus. Je ne sais pas pourquoi cela a échoué.

Vous avez évoqué des positions qui étaient différentes au sein de l’établissement. Quelle était la position des composantes ?

Je crois qu’on ne leur a pas demandé. La question de la localisation interne, la question de savoir qui occupe quoi, a toujours été une question qui était traitée en interne et qui n’a jamais été connecté avec les Facultés. Je ne me souviens pas qu’on ait interrogé les Facultés. Les doyens ont été consultés parce qu’il y avait un bureau qui se réunissait une fois par mois. Mais je ne crois pas qu’on ait demandé explicitement aux UFR de prendre position. Il y avait une réunion de cabinet qui était toutes les semaines et puis il y avait une réunion de bureau qui était tous les mois. Dans cette réunion, il y avait tous les doyens et les directeurs d’UFR et d’institut. Ces questions étaient évoquées et discutées. On nous accusait même de court-circuiter le conseil d’université avec l’histoire des doyens. Ma position était qu’il fallait passer par les doyens Parce que sinon c’est toute la question de la capillarité. Si on ne passe que par le conseil, les débats restent confinés en haut et après les UFR ont chacun leurs propres débats et cela ne fait pas une université. Il faut faire cela pour avoir un retour aussi.

Vous évoquez souvent des tensions entre Lyon II et Lyon III. A la fin des années 1980, c’est encore le prisme d’appréhension des relations entre les deux universités ?

Oui tant que GOUDET a été là. Je pourrais vous faire un roman, enfin une liste des tensions extrêmes. La question de la bibliothèque universitaire. La question du partage des collections a été terrible. On allait séparer les collections pour en donner à Lyon II et à Lyon III. Cela a été extrêmement difficile. Le changement tient au fait qu’on est revenu à Lyon III à un fonctionnement quasiment normal. Démocratique, institutionnel. Vous savez comment GOUDET est parti ?

Non.

Sinon il serait encore là. Parce que le Ministère s’inquiétait beaucoup tout de même. Même à ce moment là où c’était un ministère de droite. A droite c’est quand même pas tous des gens à la GOUDET. Le Recteur était horrifié. GOUDET tenait des discours contre le Recteur absolument terrible. Il l’appelait la voix de son maître parce que le Recteur, c’est la voix de son maître. C’était Christian PHILIP qui était directeur des enseignements supérieurs. Il m’a souvent appelé en me disant : « qu’est ce qu’on fait ? ». Alors que moi j’étais Lyon II et lui il était Lyon III. Je ne sais plus qui, au ministère, a trouvé le truc. On ne pouvait pas intervenir parce que GOUDET n’organisait plus d’élection et donc cela perdurait, cela perdurait. Le ministère a trouvé la solution : il y a un texte de loi qui dit que pour être président il faut être professeur en exercice et on ne peut plus être président d’université au delà de 65 ans. Quand ils ont trouvé, cela ils n’ont rien dit. Et ils ont attendu patiemment. C’est tellement incroyable. Vous ne vous rendez pas compte, vous, les jeunes. Mais ce qui a été catastrophique, c’est la création d’une université Lyon III. J’étais au conseil d’université au moment de la scission. Tout le monde avait des responsabilités. Il n’y avait pas que les juristes. C’est très compliqué. Dans cette université Lyon II, il y avait plein de sécessionnistes. Il y avait ceux qui ont formé ensuite Lyon III. Et il y avait ceux qui ne voulaient pas de Lyon III et qui donc voulaient également faire sécession. Quand il y a eu l’élection du Président, il y a eu 13 tours. Il manquait toujours une voix au candidat de Lyon III qui était LAFERRERE à l’époque. GOUDET est venu me voir chez moi. Il connaissait mon adresse. J’étais assistant. Et un matin à 6 heures 30, GOUDET en petites cuissettes, l’été. Il vient me dire : « il faut que je vous voie, votre avenir est entre vos mains. Il manque une voix à LAFERRERE c’est la votre. Moi je suis le président au CNU de la commission des langues, les langues étaient à l’époque toutes réunies au sein de la même section du CNU.». On a voté le soir même et LAFERRERE n’a pas eu sa voix. [rires]. Ce qui a été catastrophique c’est qu’on ait accepté de constituer une université sur des critères non universitaires. La gauche comme la droite ont été irresponsables. La gauche parce qu’elle disait : « on en a marre de ces fachos » et les autres parce qu’ils voulaient absolument faire leur établissement. Admettre qu’on pouvait choisir entre les deux établissements sur des critères qui n’étaient pas universitaires c’était une erreur. Le pire, cela a été la suite avec SAUNIER SEITE. Elle a accepté que ALLARD parte avec son poste. Administrativement c’est impensable. C’est pour cela qu’après on a eu beaucoup de mal à faire en sorte que cela fonctionne normalement. Les commissions de spécialistes étaient tenues dans certaines disciplines comme les lettres, par les révisionnistes. Ils recrutent sur des critères qui ne sont pas universitaires. Alors que Lyon II il y a des commissions de spécialistes qui se basent sur d’autres critères. Il y a des gens de droite et des gens de gauche. Bon les commissions de spécialistes, cela ne fonctionne pas toujours sur des critères méritocratiques. Cela peut fonctionner sur des critères mandarinaux. Ce n’est cependant pas contraire à la tradition de l’université. Quelqu’un qui a un bon thésard et qui veut le mettre en place, ce n’est pas forcément une catastrophe. Recruter quelqu’un parce qu’il est d’extrême droite, ce n’est pas admissible.

C’est le seul clivage, le clivage politique ?

La création a été comme cela. Cela a empiré avec SAUNIER SEITE où les gens qui étaient restés à Lyon II malgré les appels de l’autre côté sont partis avec leur poste. Je pense à trois cas. Il y a eu ALLARD. Il faut deux générations pour que cela s’apaise. Qu’il y ait de la concurrence, c’est normal, mais pas des relations aussi empoisonnées. Si c’est devenu un nid de révisionniste, c’est la conséquence de ce processus non universitaire.

La Manufacture n’aurait pas été possible sans ce renouvellement générationnel ?

Ah non . Jamais NOIR n’aurait accepté. S’il n’y avait pas eu de changement avec Pierre VIALLE je suis sûr que la Manu ne se serait pas faite. Moi, j’ai beaucoup travaillé à la réconciliation. Il fallait que Lyon III accepte, y compris avec des gens comme Gilles GUYOT accepte de faire le ménage dans ce qui avait été son péché originel. Et qu’elle redevienne une université comme les autres. Mais ce n’est pas facile. Je ne sais pas quelle politique a menée GUYOT, mais je ne veux pas jeter de pierre personnellement.