Entretien avec Francine DEMICHEL - Directrice des enseignements supérieurs de 1998 à 2002 – 9 juin 2003

L’entretien se déroule dans un café proche du domicile de l’interviewée. Il dure une heure.

Je vais tout d’abord vous demander de vous présenter.

Je suis Francine DEMICHEL, je suis professeur agrégé de droit et de science politique puisque à l’époque c’était l’appellation qui était celle de l’agrégation. J’ai été agrégée en 1968. J’ai été professeur de droit administratif et puis de droit constitutionnel. J’ai fait du droit médical par la suite. Et puis en science politique, je me suis intéressée aux idées politiques notamment. Je travaille aujourd’hui sur l’institution universitaire avec deux aspects, les institutions universitaires et la ville qui concerne directement votre sujet et les institutions universitaires elles-même. Et puis toujours le droit médical. Dans la lignée de la pensée de mon mari. J’ai occupé des fonctions administratives. J’ai été présidente d’UFR. Mais j’ai été présidente de l’université de Vincennes Paris VIII de 1987 à 1991. Claude ALLEGRE m’a ensuite appelé à la direction de l’enseignement supérieur où j’ai été adjointe au directeur pour m’occuper de la pédagogie. Je me suis arrêtée au changement de gouvernement en 1993. et ensuite je suis revenue avec Claude ALLEGRE dans son cabinet. Pendant six mois. Et ensuite de janvier 1998 à juillet 2002 j’ai été directrice de l’enseignement supérieur. Sinon pour la carrière enseignante, j’ai été à Besançon après l’agrégation, ensuite à Lyon et ensuite à Paris.

En tant que directrice de l’enseignement supérieur vous êtes occupé du dossier des implantations universitaires ?

Alors ce n’était pas directement dans ma direction. Il y avait un découpage simple. Il y avait la direction de la programmation et du développement dite DPD qui était chargée chargé de mettre en œuvre U3M. Mais nous étions très associés. Dans beaucoup de cas, le programme pédagogique se faisait en parallèle du programme de construction. On ne faisait pas une construction sans savoir ce que l’on allait mettre dedans. Donc on travaillait très étroitement. Cela se traduisait par des mesures qui ont été prises dans des contrats [quadriennaux] que moi j’ai signés. Donc il y avait un aller/retour entre ma direction et la DPD qui était en charge du suivi des constructions directement. Au départ on travaillait ensemble et ensuite les choses s’intégraient dans les contrats que je signais puisque c’était ma direction qui pilotait le contrat quadriennal. J’ai été associé. U2000 a été fait par JOSPIN à l’initiative d’ALLEGRE, U3M a été relancé par ALLEGRE. Mais c’est vrai que le ministre pilotait cela directement. Aucune construction universitaire dans la période 1997-2000, après le programme était lancé, mais tout a été validé programme par programme par le ministre. Pour le lancement de U3M il a fait une table ronde avec tous les présidents [d’université], il a reçu lui directement pendant deux ou trois heures région par région avec les directeurs concernés mais lui, personnellement, les recteurs accompagnés des présidents, les représentants des préfets qui sont venus faire leur proposition pour U3M. Les propositions étaient faites localement recteur et présidents et ensuite vous avez des réunions tournantes qui étaient pilotées par ALLEGRE et là où il a validé les programmes académie par académie.

Ce sont donc des choses qui ont été gérées personnellement par Claude ALLEGRE..

Oui cela a été géré personnellement par le ministre. Alors après les constructions étaient plus ou moins lancées. Ce qui n’était pas lancé sous ALLEGRE et qui a été lancé sous LANG mais je ne sais pas s’il y avait vraiment des constructions qui ont été lancées sous LANG. Si quelque chose sur Toulouse je crois. Mais dans U2000, moi j’étais présidente au moment d’U2000 sauf à la fin, mais dans les deux procédures c’est quand même une volonté politique nationale pilotée et organisée par le ministre. C’est lui qui a tranché. Alors on lui préparait les dossiers, on lui disait :  « voilà, on fait plutôt une implantation là qu’ailleurs ». Mais il pilotait cela directement. Il appelait les responsables de région. Il négociait directement avec eux. C’est vraiment un programme national. Alors quand une ville comme Lyon proposait la Manufacture des Tabacs, ALLEGRE répondait. Mais quand il y avait des propositions locales. Quand il n’y avait pas de propositions locales c’est lui qui prenait les initiatives. Il avait des visées particulières. Il disait par exemple : « on ne crée pas de nouveaux sites ». Donc quand un recteur voulait délocaliser il disait : « non ». Il voulait bien renforcer l’existant mais il ne voulait pas créer là où il n’y avait pas de nouveaux sites. Deuxièmement il disait : « il ne faut pas séparer des premiers cycles des autres. Quand on fait un premier cycle, il faut qu’on ait un développement jusqu’au DEA. » Après la recherche c’est autre chose. C’est particulier. Il définissait des stratégies. Le risque dans ces co-financements c’est qu’en face de vous, vous avez des régions qui vous disent : « moi je paye donc je veux un premier cycle à trifouilli-les-cacahouètes ». Et ça, ALLEGRE depuis U2000 ne voulait pas faire éclater le système universitaire. IL faut qu’il y ait une tactique, quoi. Pour qu’une université ait une taille critique il faut un certain nombre d’étudiants mais aussi il faut qu’on ait la recherche. Il faut qu’il y ait un minimum de laboratoires de recherche qui s’implante dans un coin. Si on n’a pas de perspectives de recherche, on n’a pas d’université. C’est dans cette perspective qu’il a développé les universités nouvelles. Lyon est peut être un cas particulier en raison justement du cas que vous étudiez qui était proposé par la mairie. Mais autrement cela a été un pilotage national extrêmement centralisé. Quand les présidents de région étaient très opposés, quand ils ne voulaient pas mettre la main au portefeuille, quand il disaient « on veut plutôt tel site que tel autre ». il prenait lui même le téléphone et c’est lui qui négociait. Je me souviens qu’il avait négocié directement avec Giscard par exemple sur U2000. Il y avait un suivi qui se faisait bien sûr ensuite par les directions mais il y avait un investissement politique qui était très fort. Avec l’idée que dans la recherche on ne pouvait pas avoir de stratégie locale. Même pas nationale. Claude ALLEGRE pensait que la stratégie de recherche devait être internationale. Il acceptait par contre tout à fait un aménagement du territoire local comme pour des formations style IUT. Il a eu quelques conflits avec la DATAR. Il était absolument contre l’idée d’un aménagement du territoire par schéma préétabli. La ligne de la DATAR, la ligne GUIGOU pour simplifier [le délégué à l’aménagement du territoire et à l’action régionale de l’époque], était que les choses suivent une sorte de quadrillage du territoire à partir de Paris et de façon uniforme, eh bien, Claude ALLEGRE n’y croyait pas du tout. Il disait qu’il fallait qu’il y ait des choses qui sortent des ressources locales, des besoins locaux. Et en même temps, pour ALLEGRE, il fallait qu’il y ait une grande diversité. On ne fait pas des universités identiques. Elles ne sont pas sur le même modèle. Il y a des différences entre l’université du Littoral qui est multi-sites et l’université Lyon III qui s’étend à la Manufacture, il y a une différence. Ce n’est pas la même chose. Il a été opposé à la DATAR. Il a interdit à la DATAR de mettre son nez dans les dossiers. La DATAR a géré les autoroutes mais à chaque fois qu’il donnait des plans sur l’enseignement supérieur il les refusait. Il les retoquait. Il disait : « ce n’est pas comme ça qu’on va procéder. On va négocier avec les régions, les présidents d’université et le recteur. » Là dessus, il a été très clair. Lui comme LANG. Même si LANG a moins suivi les opérations parce qu’elles étaient déjà engagées. Lui comme LANG était très opposés à l’idée d’un aménagement du territoire global. Il disait qu’il fallait une spécificité réelle de l’Education nationale. Pour les lycées et les collèges ok. Mais l’aménagement de l’enseignement supérieur doit être spécifique.

Sur université 2000 il y a eu la même volonté ?

Oui, pareil. Le problème c’est que sur U2000 il y avait un très gros rattrapage à faire puisque rien n’avait été fait. Rien n’avait été fait. Y compris pendant le premier septennat de MITTERRAND. On n’avait rien construit. La stratégie de la droite jusqu’en 1981 cela a été : « on ne veut pas dans les villes des étudiants parce que ce sont des gens qui mettent le bordel. Donc on leur construit le minimum à la périphérie. » Les universités qui ont été construites à ce moment ce sont des bâtiments à minima c’est-à-dire des salles de cours et pas de locaux de recherche. Pas d’urbanisme, pas d’architecture, rien. Quand on a construit Lyon II c’était dans un espèce de désert entre les périphériques, les autoroutes. L’idée, c’était la ville va venir. La ville n’est jamais venue. C’était la stratégie de la droite : on met les étudiants en périphérie. On ne fait pas de ville universitaire. Quand la gauche est arrivée, elle a mis du temps à réagir. C’est JOSPIN qui a dit : « on ne peut pas laisser les universités dans l’état où elles sont. » Avec l’idée qu’il ne fallait pas seulement faire des salles de cours. On a fait des BU et des locaux de recherche pendant U3M. Pour la région parisienne, il y a eu un fort retard. Avec une volonté très forte de ALLEGRE et de JOSPIN on a constitué les quatre universités nouvelles. Dans ces villes nouvelles, on a des cadres qui ont des gosses qui vont aller à l’université. Mais il n’y a pas eu grand chose sur l’Ile-de-France. Et sur U3M, on a eu des objectifs qui était de rattraper l’Ile de France. On a fait Tolbiac. Et puis on a eu la recherche. C’était les deux gros axes. Voilà comment cela s’est passé. Globalement.

Qui était votre interlocuteur à la DPD ?

C’était CYTERMANN le directeur.

Et en 1992 ?

C’était Rolland PELLET un X-pont qui connaissait très bien le dossier. Il a donné une impulsion considérable au plan. Un des maillons forts du plan. Et puis en 1998 on a eu CYTERMANN qui a été au cabinet où il suivait cela et puis ensuite à la tête de la DPD. Il s’en est très bien occupé. Avant il y avait un ancien directeur, l’ancien président de Paris VI. Mais là c’est une politique qui est très ministre. Tout a été validé par le ministre.

Donc une préparation qui s’opère au niveau local…

Oui le recteur était chargé de coordonner. C’est lui qui présentait au ministre son projet. Il y a eu beaucoup de réunions en interne. Toutes les directions de l’enseignement supérieur se réunissaient avec les recteurs. Les recteurs proposaient leur avant-projet. Et puis il y avait des allers-retours. Et puis ensuite, les négociations financières c’était le ministre. Mais le débat c’était dans ce canevas général qu’était U3M avec les grandes orientations du ministre, les recteurs rencontraient les présidents et discutaient. Alors ensuite vous aviez des recteurs qui étaient plus ou moins directifs mais enfin le poids des présidents était important. Dans U3M, les étudiants le reprochait beaucoup. Et ALLEGRE a du quelque peu rectifié le tir. Parce que les recteurs faisaient peu de réunions locales. Il faisait leurs réunions avec les présidents d’universités mais il n’y avait pas de popularisation du projet. Donc les syndicats étudiants ont protesté. Il y a eu une directive d’ALLEGRE à l’égard des recteurs en leur disant : « faites participer les étudiants ». Sur le choix des implantations, qu’est ce que je peux vous dire ? Pour moi, j’ai toujours pensé que les universités devaient être dans les villes. Depuis 1991, j’avais poussé Amiens à le faire. DE ROBIEN l’a très bien fait. Lille aussi l’a refait. Moi à mon niveau, je suis toujours intervenu pour que les étudiants soient en centre ville. Parce qu’on n’avait pas de campus à l’américaine en France. On n’a pas réussi le campus à l’américaine. On n’a pas le modèle anglais non plus où on a des universités qui sont dans des petites villes. Oxford ou Cambridge par exemple. En France vous n’avez pas ce modèle. Vous n’avez pas de villes françaises qui aient été construites à partir de son université. Montpellier un peu mais au Moyen-Age. Je considère qu’il faut que l’université soit dans la ville sauf pour les scientifiques à qui il faut de gros labos. Mais pour le reste, il faut essayer d’insérer l’université dans la ville. Pour le projet de la Manufacture, moi, j’ai beaucoup regretté à l’époque que, mais cela s’est fait sous la droite, mais moi si j’avais été aux affaires, j’aurais convaincu Lyon II de revenir. Parce que cela a été proposé à Lyon II qui a refusé. Mais cela a été une erreur majeure. Majeure. Parce que les étudiants de Lyon II sont toujours dans la gadoue alors que les étudiants de Lyon III sont en plein centre-ville. Et comme c’était Lyon II qui avait le plus besoin de locaux à l’époque le maire de Lyon a proposé... C’était pas la gauche qui était alors au gouvernement en tous les cas moi je n’y étais pas. Je suis contre les universités périphériques. Parce que les étudiants sont complètement paumés dans ces résidences. Je ne sais pas si vous connaissez le problème mais dans les résidences universitaires, on a beaucoup de tentatives de suicide. Parce qu’il n’y a rien. Donc moi je suis pour le retour en ville. Bon, alors cela c’est surtout fait pour les littéraires et les juristes pour les raisons de besoin de m² que j’évoquais tout à l’heure.

Vous avez évoqué la présence des recteurs dans les réunions. C’est qui l’interlocuteur local, le recteur ou le président ?

Les deux. L’interlocuteur normal c’était le recteur mais moi dans ma direction j’ai toujours eu des relations directes avec les présidents. Mais j’ai beaucoup de présidents qui, pour U3M, m’appelaient. Parce qu’ils avaient des opérations auxquelles ils tenaient. Ils voulaient être au début du calendrier. Donc une fois que leur construction avait été adoptée par le recteur, il me contactait pour avoir un coup de main pour qu’on puisse avoir telle programmation, telle construction en priorité. Moi j’ai toujours négocié directement avec les présidents. Alors c’est vrai qu’il y a eu des présidents qui avaient plus de besoin que d’autres, il y a eu des présidents qui avaient simplement besoin de suppléments comme un laboratoire de recherche. Ou un IUT. Et pour les universités nouvelles il fallait compléter.

Il y a eu des interventions des présidents lyonnais ?

Je me suis bien entendu avec les présidents lyonnais. Bon, ils ont eu parfois des recteurs un peu autoritaires. Avec BANCEL, les relations étaient tendues. Ceci étant, moi je m’entendais bien. Lyon I ils sont à part. Grosse université scientifique, Lyon I. Très riche avec pas énormément de besoins. Les problèmes se sont posés entre l’IEP, Lyon II et Lyon III. Il a fallu qu’on gère un peu les rapports parfois tendus entre Lyon II et Lyon III. Gilles Guyot a été un président très dynamique. On peut penser ce que l’on veut de Lyon III mais ils ont une vraie stratégie d’établissement. Il a une stratégie d’établissement à l’égard des unités, à l’égard de la recherche , à l’égard des rapports internes à l’université. A partir du moment où vous avez un président qui a une stratégie d’établissement, cela aide. Le pire ce sont les présidents qui n’ont pas construit une majorité. Ceux qui sont tributaires de majorités fluctuantes. Et là il n’arrive pas à faire passer leur projet. Mais quand on a un président bien élu, de gauche ou de droite, avec une majorité c’est plus facile. Vous avez des présidents plus faibles et là les projets prennent du retard. Et à Lyon le problème c’est qu’on avait l’impression qu’on avait un président de droite déterminé qui avait une majorité et qui gérait ses conflits de telle façon que cela n’apparaissait pas à l’extérieur. Et puis un président de Lyon II, pas l’actuel que je connais moins, qui était plus démocrate et qui avait moins de poids, qui était plus frileux. Je ne suis pas sûr que Lyon II qui est une bonne université sur le plan du palmarès de la recherche par exemple. Les lyonnais restent à Lyon. Le lyonnais regarde Paris mais reste à Lyon. En médecine ils sont très bons depuis très longtemps En droit ils sont très bons, très classiques, pas du tout réformistes, mais ils sont très bons. Je ne sais même pas s’ils n’ont pas dépassé Aix. Ils sont tout de suite derrière Aix dans l’image et puis dans la compétence des enseignants qu’ils arrivent à garder. Et en sciences humaines aussi : ils ont un gros noyau d’histoire qui est très connu, la sociologie aussi. Et cela se voit dans les palmarès. L’université Lyon III a la gestion de sa qualité alors que Lyon II ne l’a pas. Parce que c’est une université Lyon II qui a une très bonne assise scientifique, je pense même qu’elle va manger Grenoble en sciences humaines. Parce qu’à terme on va avoir des pôles universitaires. Rhône-Alpes va en être un. Quand vous parlez à un américain, il situera Rhône-Alpes. La médecine sera à Lyon, les sciences seront pour Grenoble, le droit va venir à Lyon avec la gestion. C’était la stratégie de GUYOT. Mais là, je vous parle à terme à 30 ou 40 ans. Et je pense que Lyon II a toutes les qualités pour être le gros centre universitaire sciences humaines. Avec l’IEP. Mais il faut que Lyon II se vive comme université. Et je crois que l’implantation à Bron à casser des choses. J’en veux beaucoup au président de l’époque Michel CUSIN de ne pas avoir repris la Manufacture. Dans une ville, qui n’a jamais été universitaire, c’est important. Lyon a une tradition médicale avec un patronat très dur. Et un syndicalisme très ouvriériste, le PC à Lyon était très stalinien, très ouvriériste. Pas du tout des patrons ouverts. Lyon a mis longtemps a considéré son université. Une des raisons pour lesquelles on a une sous valorisation de Lyon II c’est un peu pour cela. Il faut qu’une université ait pignon sur rue. Le retard symbolique de Lyon II, le fait que cette université n’ait pas le punch qu’elle devrait avoir avec les chercheurs dont elles disposent c’est lié au fait qu’elle est perdu dans le désert de Bron. Cela a été une erreur de LASSALE. J’ai été enseignante, là-bas, on avait des bureaux mais on n’y allait jamais. Même les étudiants n’y allaient jamais. Bron ne pouvait pas réussir.

Vous avez tout à l’heure parlé des années 1970. C’est un lourd passé pour les universités à Lyon. Les relations entre Lyon III et Lyon II ont été difficiles. Vous l’avez senti ?

Oui un peu, notamment dans les difficultés à faire travailler Lyon II et Lyon III.les juristes qui sont partis à Lyon II c’était politique. Mais aujourd’hui c’est dépassé. Je ne suis pas sûr que la double localisation du droit soit une bonne chose. On a senti que quand on leur proposé un diplôme en commun on a senti qu’il y avait des réserves. Ils ne veulent pas travailler ensemble. Mais aujourd’hui avec la dimension européenne qui est là vous ne pouvez pas avoir un diplôme avec un autre diplôme qui est le même à côté. On ne peut que difficilement accorder le même diplôme à Lyon III et à Lyon II. Parce que pour l’étranger ce n’est pas lisible, les étudiants étrangers ne comprennent rien à cela. Moi j’ai géré le passage des diplômes de Lyon III à Lyon II, la science politique par exemple, Lyon III a été beaucoup plus coopératif que Lyon II. Mais Lyon III se vit comme une université dominante et quand vous êtes dominant, vous pouvez faire des concessions. Tandis que Lyon II est plus crispé mais ils ont tort. Parce qu’ils sont très bons. Mais on sent encore les conflits. Dans beaucoup de secteurs les universités travaillent ensemble, dans beaucoup de secteurs on a des masters. C’est courant. A Lyon c’est plus difficile qu’ailleurs. Et c’est dommage parce qu’en plus les étudiants n’y comprennent rien. 1968 c’est quand même vieux. C’est des histoires de Papa ça. Les juristes me disent, JOURNES me dit qu’ils commencent à pouvoir travailler ensemble. ¨Parce que les I, II et III c’est terminé. C’est comme à Paris, il faudrait qu’il reconstitue la Sorbonne. J’ai des convictions très profondes mais j’ai toujours essayé de gérer l’enseignement supérieur en faisant abstraction de ça.

Pendant la réalisation de la Manufacture, Lyon III a eu des problèmes avec l’affaire NOTIN notamment. Ce sont des choses qui ont perturbé le dossier ?

Pour moi, pas du tout. Cela a été géré par l’inspection générale de l’époque. On a essayé que l’institution ne soit pas pénalisée par ces problèmes de personne. C’était une position du ministre. C’étaient des affaires locales. Il y a eu l’inspection générale qui est intervenu, mais moi jamais.

Vous avez eu des interventions de la part des élus lyonnais ?

Non, pas à mon niveau. Peut être au niveau du ministre mais pas à mon niveau. Ni des élus de droite ni de gauche. Ni QUEYRANNE, ni BARRE. Jamais. Pour des IUT, il y a eu des notes écrites d’élus. Mais dans le cas de Lyon non aucune intervention directe. Parce que je pense que je les connaissais donc il n’avait pas à cœur d’intervenir. Mais s’ils avaient essayé cela n’aurait rien changé. Mais ils ne l’ont pas fait. Ce n’est pas une classe politique très interventionniste, la classe politique lyonnaise. C’est une classe locale très compétente. Mais peu d’intervention. C’est pas le midi si vous voulez. Là où les gens sont très interventionnistes c’est quand même le midi. Ils envoient des lettres, ils passent des coups de fil. Alors qu’à Lyon ils font leur dossier. Alors maintenant je ne peux pas vous dire si BARRE ne donnait pas de coup de fils à ALLEGRE. Mais de toute façon quand on a été nommé, ALLEGRE en accord avec JOSPIN nous a dit de ne jamais tenir compte des interventions politiques locales quelles qu’elles soient. J’ai appliqué cela. Et ALLEGRE mettait au panier toutes les lettres d’intervention, il ne nous les transmettait pas. Il nous disait que si les élus avaient des arguments sérieux il fallait qu’ils les mettent dans le dossier. Mais téléphonez non. On n’a jamais fait. Mais je n’ai jamais reçu d’intervention des élus lyonnais. Et pourtant j’en connais quelques uns. Mais en dix ans, on peut penser ce que l’on veut de NOIR mais je crois qu’avec BARRE ils ont donné à cette ville une dimension internationale. Quand je suis arrivé à Lyon, c’était une capitale régionale. Mais la stratégie de NOIR enfin BARRE l’a écrit. Il voulait faire de Lyon une ville universitaire ouverte sur le sud et ouverte sur la Suisse. Et puis une ville de culture. Et il a réussi. Dans l’idée des gestionnaires de Lyon, il négocie avec l’Etat en position de force. Ils ne font pas de clientélisme. Ils ont une vision assez moderne des rapports entre l’Etat, l’université et la ville.

En 1998, Charles MILLON a été élu avec le soutien du FN. Cela a posé problème au ministère ?

Je crois oui parce que c’est une négociation qui a été mené par ALLEGRE parce qu’il connaissait bien MILLON. La présence du FN gênait aussi parce que ils n’étaient pas favorable à l’investissement régional dans l’université. Mais il avait de très bon rapport avec BARRE. Je ne sais même pas s’il se parlait directement, ALLEGRE et MILLON. Avec BARRE il s’appelait.

Et avec le conseil général ?

Et bien vous savez les conseils généraux on ne les voit pas beaucoup dans U3M. Ils ont les collèges. C’était vraiment avec les présidents de région que cela a été discuté. Ou alors des maires de grosses villes. On ne fait pas une implantation sans en parler au maire. Pour la 4ème université à Bordeaux de l’autre côté de la Garonne, c’est JUPPE qui a fait cela. Quand vous aviez des grosses villes ou des maires qui avaient une grosse stratégie on discutait avec les maires mais le conseil général n’était pas privilégié.

Les collectivités s’impliquent sans compétence. Comment est ce que c’est possible de justifier cette intervention ?

U2000, c’est une très grosse opération. Ou on ne la faisait pas parce que l’Etat n’avait pas l’argent, ou on impliquait les élus. U2000 c’est vraiment une opération JOSPIN / ALLEGRE. Ils leur ont dit : « il faut raisonner en terme d’investissement et non de coût ». Tout le monde doit participer, il n’y a pas de raison que ce soit payer uniquement par l’Etat. Il faut aussi que les régions s’y mettent. C’est l’argument qui a été utilisé par ALLEGRE et par JOSPIN qui ont dit c’est un investissement national tout le monde doit y passer. JOSPIN ET ALLEGRE ont convaincu quelques régions et il y a eu ensuite un effet d’entraînement. Les plus riches mais aussi les plus pauvres, celle où le tissu universitaire était faible. A partir de ce moment là les autres sont arrivées. Les régions qui ont été les plus réticentes c’est souvent paradoxalement les régions de gauche. Elles se sont dits : « c’est à l’Etat de le faire. » Si l’Etat avait dû mettre les moyens, on aurait mis 20 ans. Cela dépend comment vous posez le problème. Si vous le posez en terme de responsabilité c’est l’Etat, mais si vous le posez en terme d’investissement c’est toutes les collectivités. Mais ce n’est pas venu des régions. Mais ALLEGRE s’est coltiné les régions parce qu’il voulait faire leur petite recherche locale. ALLEGRE a toujours dit non. Il n’y a eu aucune évaluation locale de la recherche. On peut mettre des IUT un peu partout ça c’est pas trop grave. Mais dès qu’il y a des labos de recherche la dimension elle est internationale. On a des problèmes avec Poitiers notamment. Pour la recherche l’argent ne suffit pas, il faut qu’il y ait une dimension minimale. Il faut être capable d’attirer des gens au niveau international. Il a été très ferme. Il n’y a eu aucune complaisance. Il y avait deux idées complémentaires : la première c’est qu’on peut faire de l’excellence partout. Là-dessus, JOSPIN n’est pas jacobin, pas un centralisateur. ALLEGRE non plus. Mais pas sur tout c'est-à-dire que vous pouvez être très bon sur certains secteurs mais pas sur tout. Vous ne pouvez pas être bon sur tout. Mais vous pouvez être bon à Clermont-Ferrand sur un secteur. De l’excellence mais de la diversité aussi. ALLEGRE a beaucoup insisté pour qu’il y ait une évaluation de la recherche qui soit bonne et régulière. Il a beaucoup choqué en disant que la physique à Orsay n’était plus bonne. Personne n’est à vie excellent dans tous les secteurs. C’est pour cela qu’il y a eu ce terme qui a beaucoup choqué les étudiants de l’UNEF notamment qui était celui de pôle d’excellence. Ils nous disaient qu’on allait faire des universités à deux vitesses. L’objection n’était pas fausse mais l’idée de départ n’était pas celle-là. On a progressivement éliminé le terme. Mais au départ l’idée c’est qu’on peut avoir des choses très bonnes partout. Une autre idée qu’on a essayé de mettre en place c’était la stratégie de la tâche d’huile. L’idée c’est que quand vous êtes bons dans un domaine cela vous permet d’attirer. Un secteur bien construit diffuse l’excellence.

Dans les entretiens que j’ai pu avoir avec les élus locaux ils insistent sur la position dominante de l’Etat dans les négociations…

Oui c’est clair. Ils ont raison. C’était du pilotage national. Là dessus je suis formel. Il y a pu y avoir des compromis avec des locaux mais toujours à la suite d’une volonté nationale. Avec une volonté de ne pas favoriser trop une région par rapport à une autre tout en créant des pôles d’excellence. On a beaucoup aidé Strasbourg. Avec des moyens énormes parce qu’ALLEGRE considérait que là il y avait une dimension internationale. Cela peut énerver les élus locaux qu’on favorise une région de droite comme l’Alsace. Mais c’était pas une stratégie politicienne c’était une stratégie Education nationale. Ils se foutaient de savoir si les présidents de région étaient de gauche ou de droite. Ils avaient des bons rapports avec les présidents e gauche, ils avaient de bons rapports avec les présidents de droite. Il a eu beaucoup de difficultés pour faire l’université technologique de Belfort-Montbéliard par exemple. Il a eu beaucoup de réserves là dessus. Et pourtant CHEVENEMENT était intervenu. Mais on m’avait donné pour consigne que l’université technologique de Belfort ne devait pas nuire à Besançon par exemple. Moi j’avais veillé qu’on renforce le pôle recherche de Besançon, qu’on renforce l’enseign,ement à Besançon. Il fallait un équilibre. Malgré les pressions très fortes de CHEVENEMENT. Et puis à Lyon, on ne l’a pas évoqué mais il y a des fois des recteurs qui ne s’entendent pas toujours. Cela complique les choses. Mais les universités font un pôle universitaire Rhône-Alpes c’est pas mal ça. Et puis il y a l’Université lyonnaise. Mais il me semble que le découpage académique est obsolète. Paris, Créteil, Versailles, cela n’a aucune signification.

Qu’est ce qui explique qu’on est des financements croisés à Lyon ?

C’est parce que les autres se sont impliqués. Pour U2000 le co-financement Etat région c’était la règle mais pas forcément pour les autres collectivités. Un type comme NOIR est assez ouvert. C’est une habitude lyonnaise. Lyon est un peu pris en sandwich : Grenoble a une grosse réputation universitaire. Le sud n’est plus loin avec le TGV. Le fait que BARRE et QUEYRANNE aient été professeurs d’université n’y est pas pour rien non plus. Ce sont des universitaires. DUBERNARD aussi. On est sorti de l’époque PRADEL où c’était le contraire : le petit commerce, la petite boutique. L’université il ne savait même pas ce que c’était. C’est ça l’ère PRADEL. Il y a eu un gros revirement.

C’est le mandat de NOIR…

Oui. PRADEL s’est contenté de faire des périphériques autour de Perrache mais NOIR a fait basculé la ville dans l’international. D’abord un centre universitaire. Il n’y a pas de capitale internationale sans centre universitaire. Et puis ensuite un centre d’affaire.

C’est cette volonté de construire une métropole internationale qui pousse les élus à investir dans l’université ?

Oui, je crois complètement. Lyon est une ville assez curieuse. Pas facile à analyser Lyon. Il y a eu un très fort poids de l’Eglise et puis une activité maçonnique. Et puis en même temps une économie ouvrière très dure. GARDEN l’a bien montré. Donc ce sont des mélanges de comportement qui ont mis une chape de plomb sur une ville qui n’a pas beaucoup bougé pendant longtemps avec une économie très locale. Et après il y a eu la restructuration économique. La fin du métier du tissage.

Vous voyez quelque chose à ajouter ?

Non. Je crois qu’on a fait le tour.