Entretien avec Jean-Michel DUBERNARD – Adjoint au maire chargé de l’enseignement supérieur de 1989 à 1995 - 18 février 2002

L’entretien se déroule à la permanence lyonnaise de l’élu. Il ne dure que quinze minutes, Jean-Michel DUBERNARD étant très pressé et n’ayant qu’un souvenir très relatif du dossier.

Est ce que vous pouvez me retracer la genèse du projet ?

L'histoire de ce projet est très simple. Elle remonte à 1960 ou 1959-1960 quand moi j'étais étudiant en faculté de médecine à Lyon. Je prenais le trolley et je passais tous les jours devant la Manufacture des Tabacs qui était une immense usine vide. Moi, j'allais m'entasser dans des amphis où on n’avait pas de place. Je disais il y a une grande usine vide. J'ai eu cette idée dans la tête depuis cette époque. C'est aussi simple que cela. Quand j'étais adjoint aux affaires universitaires entre 1983 et 1989 sous Francisque COLLOMB. Il y a avait deux projets qui étaient là pour la Manufacture des Tabacs : faire un centre commercial qui était l'équivalent de la Part-Dieu c'est ce que voulait faire Jacques Moulinier et l'autre qui était de faire la cité de la Justice. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour pousser ce troisième projet [faire de la Manufacture des Tabacs une université] mais je n'ai pas eu un très grand succès. Mais comme les autres projets traînaient et que le maire a changé, Noir, j'ai pu faire passer le message. Mais Noir cela n'a pas été facile parce qu'il était sur la même longueur d'onde que son prédécesseur. Et c'est un jour, je m'en rappellerai toute ma vie, un jour d'été, j'ai pu forcer Noir à venir visiter la Manufacture des Tabacs avec la chargée de mission de l'époque qui est la femme du Président Guyot [Nadine Girard - chargée de communication]. L'histoire est là : Noir est revenu convaincu le soir que faire cette structure universitaire était une bonne idée. A l'époque, il y avait un manque criant de locaux universitaires mais on était encore dans la fin de la période où l'université à l'extérieur de la ville apparaissait la meilleure solution. Les présidents d'université disaient eux mêmes : "La Doua c'est formidable, Bron c'est formidable" alors que les quais Jean Moulin, c'est une catastrophe parce qu'on est trop en centre ville. Moi, je pensais que le moment était venu de ramener l'université en centre ville et de la réintégrer dans la cité. Donc, cela n'a pas été simple. voila la genèse de l'histoire.

Le projet a associé immédiatement le conseil général du Rhône...

Pas aussi rapidement que cela. Au projet, on a associé l'Etat qui n'a rien apporté comme d'habitude, la région qui ne pouvait pas faire grand chose, mais c'est à recouper, qui ne pouvait rien apporter mais qui a dit qu'elle apporterait mais pour la deuxième tranche ce qu'elle a fait, et le département qui a joué le jeu à fond parce que Mercier, qui était déjà à la tête du système, avait une vision intéressante de l'université, n'était pas hostile à une université en centre-ville.

Vous avez eu une entrevue avec Lionel Jospin en février 1991, vous étiez en rapport avec son cabinet au moment du montage de l'opération ?

Non c'est une démarche purement locale, d'initiative locale comme je vous l’ai raconté et on est allé les supplier de nous aider. On a eu des difficultés. Je ne me rappelle plus la participation de l'Etat à ce moment là mais je crois que cela a été symbolique...

Les politiques universitaires ne sont pas une compétence des collectivités locales. Comment est-ce que vous justifiez leur intervention dans ce secteur ?

Si on laissait à l'Etat la charge de remplir ces compétences, eh bien, les hôpitaux lyonnais qui sont déjà dans un état catastrophique, ce serait encore pire. L'université serait dans un état catastrophique et à certains moments pour le bien général et l'intérêt des citoyens, la logique est de sortir des compétences d'une collectivité et c'est ce qu'on a fait à cette occasion. Moi, j'étais adjoint à l'université et à la recherche sous COLLOMB et il n'y a aucune compétence dans ces matières. et pourtant, on a fait des choses.

Ce sont les collectivités locales qui viennent pallier à une défaillance de l'Etat dans ce secteur.

Exactement, c'est pallier à une défaillance évidente de l'Etat.

Le fait d'implanter des universités en centre ville cela vous parait être un facteur important de développement économique ?

Cela me paraît être un facteur important de développement économique, d'intégration des jeunes dans la ville. Le quartier a changé. L'avenue des Frères Lumière qui étaient sinistre on voit comment cela évolue à toute vitesse : le bureau de Tabac du cours Albert Thomas est devenu grand, les Mc Do se sont installés et ce coin là devient plus sympathique.

Vous revendiquez une compétence en matière d'enseignement supérieur, une clarification des choses entre le rôle de l'Etat et des collectivités locales ?

Cela devrait relever des régions. A l'Etat, la conservation de l'aspect uniformité des diplômes ; mais tout ce qui est mur, et je vais même plus loin gestion devrait être associé au conseil régional. Parce que c'est le seul niveau intermédiaire où l'intérêt de 6 millions d'habitants pour prendre une région comme la nôtre avec toutes les grandes universités comme Saint-Etienne, Grenoble, Lyon plus les universités comme Bourg en Bresse, Valence et Genève (il y a des accords au niveau des départements Savoie, Haute-Savoie et Genève), je pense que c'est le bon niveau de gestion. Si on dit que c'est Lyon, cela fera la guerre avec Grenoble, Saint-Etienne.

Vous portez quel regard sur les dispositifs de financements croisés, sur ces conventions qui sont passées entre différents niveaux institutionnels ?

On a associé la COURLY qui était maitre d'ouvrage. Il y a eu un concours qui était de mon point de vue totalement honnête. Je répète que c'est au niveau régional que les décisions auraient dû être prises. Si on fait un système clair que la région s'occupe des hopitaux, de l'université, à ce moment-là le système serait logique. Mais là c'est la ville qui a pris l'initiative, la COURLY qui a financé en partie, le département qui a financé aussi, la région enfin bon c'était un vrai micmac.

Il faudrait que la décentralisation aille plus loin...

Plus loin, et puis il faudrait qu'elle soit claire sur certaines choses. Pour l'université cela me parait évident.

Vous voyez quelque chose a ajouter ?

Je peux vous confirmer que l'initiative était quasiment individuelle au départ mais parce que je crois qu'au delà de cette histoire d'étudiant, parce que je suis aussi universitaire et que je vois quand même bien ce qui se passe et les difficultés qui sont énormes actuellement. Je ne sais pas si vous mesurez l'impact que cela a eu sur le système universitaire lyonnais. Les gens de Lyon III qui étaient sur le campus de la Doua sont revenus, Lyon II a repris un petit peu d'espace sur les quais. Moi, je pense que j'ai bien fait mon boulot pour l'université lyonnaise. Cela a eu un très gros impact. Il faudrait qu'il y ait une action continue. Mais le point principal, c'est cela : cela part d'une initiative individuelle et même s'il n'y a pas de compétence dans le domaine, cela peut marcher. Deuxièmement, c'était quand même le concept de ramener l'université en centre ville, je crois qu'on a été les premiers à le faire alors qu'à l'époque, peu de monde y croyait. Maintenant je vois les gens de Sup de Co Lyon [ESC Lyon], Centrale à Ecully qui sont bien, ils veulent tous revenir dans le centre ville. La Doua, il sont assez bien desservis donc cela va et puis à Bron les étudiants ne sont pas contents, ils habitent tous en centre ville. Je crois que cela joue un jeu très positif d'animation dans les quartiers.