Entretien avec Eric FROMENT - Président de Lyon II de 1991 à 1996 - 10 avril 2003

L’entretien se déroule dans les locaux de l’IEP de Lyon. Il dure 1 h. Un problème de dictaphone nous empêche d’enregistrer totalement l’entretien. Des notes sont donc prises et le compte-rendu dressé immédiatement après la réalisation de l’entretien.

Je vais tout d’abord vous demander de vous présenter.

Je suis économiste spécialisation monnaie, finances, banque. Je me suis donc consacré pendant un certain nombre d’années aux problèmes de recherche et de formation dans le domaine et puis j’ai été lancé dans la carrière administrative de l’enseignant chercheur assez tôt puisqu’on n’était pas très nombreux puisque quand on devenait professeur, la première qu’on vous donnait c’était la direction de l’UER. J’ai été en 1973 directeur du département de sciences économiques et de gestion. J’ai été vice président dans les années 1978-1980 et de 1991 à 1996 président. J’ai été au ministère, j’ai été à la conférence des présidents d’université et puis maintenant je suis président de l’association des universités européennes.

Vous étiez donc président au moment du lancement du schéma Université 2000.

Tout à fait.

Comment le lancement de ce schéma a t il été ressenti à Lyon II ?

Alors quand on arrive, il est lancé déjà. Et on est dans un problème qui est celui de la naissance d’une 4ème université. On est là devant une bifurcation qui a été quand même assez importante et qu’on n’a pas vu à cette époque-là comme une bifurcation importante mais qui l’était. U2000 c’est le moment où on ne tombe pas dans le schéma bordelais qui a été de créer quatre universités c’est à dire de pratiquement recréer les facultés. Quand on arrive, on est dans ce contexte là. Ce qui marque le plus Lyon II à l’époque c’est qu’université 2000 est très lié au premier contrat quadriennal qui a été préparée par l’équipe précédente, qui vient d’être signé. Cela marque finalement plus l’université Lyon II : Université 2000 est donc vu comme un élément permettant de faire des choses qui sont dans le contrat. Mais on n’est pas dans le cas de certaines universités où la signature du contrat suit Université 2000. Le schéma Université 2000 n’est pas ici vu comme l’élément dominant à Lyon II : le sujet, c’est l’application de la politique contractuelle. A ce moment là on se trouve avec le schéma Université 2000 qui, dès les premiers mois se trouve être tout à fait vital pour appliquer le contrat quadriennal. Ce qui pose le problème de la vision de Lyon II dans l’espace lyonnais. Mais, ce n’était pas un élément la communauté universitaire. Ce qui mobilisait beaucoup plus la communauté universitaire, c’était le contrat quadriennal. Et ce qui a été dominant dans ce contrat, c’est la décision d’accueillir un plus grand nombre d’étudiants, si mes souvenirs sont bons, 6000 étudiants en plus. C’était ce qui évidemment supposait des implantations universitaires nouvelles.

Vous avez évoqué la possible recomposition universitaire. Quelle était la position de Lyon II sur le sujet ?

A l’époque où on l’apprend, c’était plutôt la tendance. Il y avait eu un rapport qui avait été fait [le rapport GENTOT] et on partait dans cette direction. Avec notamment des médecins qui étaient assez favorables à la création d’une université de médecine. Donc c’est quelque chose qui nous apparaît contraire à une autre logique qui nous apparaissait très clairement, c’est qu’on avait besoin de rassembler les gens sur un site. C’est la période où le pôle universitaire lyonnais se crée. Donc de façon très contemporaine au lancement du schéma. Ce qui nous paraissait beaucoup plus important c’était que les universités reprennent une position positive dans l’espace lyonnais, c’était de faire taire les querelles Lyon II- Lyon III. On est dans une logique radicalement différente qui est celle de faire une unité universitaire et d’affirmer la force des universités dans une ville qui, certes a la Manufacture des Tabacs mais ce n’est pas une trace très profonde, un peu comme les grandes villes qui ont une université et qui trouvent cela normal. On a ce sentiment là qu’il faut affirmer la force de l’université et qu’il faut faire taire les querelles. Et université 2000 nous aide beaucoup. Parce qu’en travaillant avec le recteur BANCEL, dans un très bon esprit, comme il a dû vous le dire, on est arrivé assez vite à trouver des solutions collectives. Bon, chacun avait ses problèmes : Lyon III avait la Manu, nous se posait les problèmes de Bron et Lyon I avait des problèmes puisque Gerland commençait à apparaître. Gerland était certes très intéressant mais il fallait avant tout que La Doua soit consolidé. On avait chacun nos problèmes et on était prêt à les traiter ensemble. On a vu assez vite que, à partir du moment où on s’intéressait aux problèmes de l’autre et pas seulement à ses problèmes, on pouvait trouver des solutions collectives.

Chacun prenait donc en compte les intérêts des autres…

Oui tout à fait. Moi, je ne connais pas de moments pendant ma présidence où il y a eu des retours sur ce que nous avions défini collectivement. C’était premièrement de terminer la Manu, deux lancer Gerland et trois ne pas oublier Bron. Et ces trois objectifs, on les a répétés. C’était terminer la Manu parce que cela nous permettait de récupérer des locaux su les quais. Pour Lyon I, il fallait lancer Gerland dans de bonnes conditions sachant qu’en même temps il y a eu des opérations lancées sur la Doua. Ce sur quoi on insistait, c’est qu’on voulait bien passer ensuite pour Bron mais à condition que cela soit clairement une priorité. Vous devez bien connaître l’actualité des années 1991-96, je ne vois pas d’accroc. Le PUL fonctionne, les décisions sont prises et on fait toujours front avec des situations qui sont parfois difficiles avec des contextes de coupes budgétaires, des retards. Ceux qui tempêtaient peut être le plus c’était le directeur de l’INSA. Il se plaignait que ses locaux n’avançaient pas. Là, on avait une logique universitaire en disant que les effectifs étant du côté des universités, il fallait donner la priorité aux universités. L’Ecole centrale n’a pas du tout cherché à accaparer un morceau des sommes en discussion. Et puis cela se passait très bien avec le rectorat. Le PUL était uni, ce qui a beaucoup aidé le recteur dans les combats puisque c’était des combats avec Grenoble contre lequel on avait rien mais à l’époque on découvrait un petit peu que les enveloppes étant régionales il fallait les partager avec Grenoble. Le recteur a indiscutablement réussi à obtenir des arbitrages favorables collectivement. Favorables ou équitables, je suis incapable de vous le dire. On peut discuter longtemps là dessus. En tous les cas, les arbitrages préservaient les intérêts de l’ensemble universitaire. Et ensuite vis à vis des collectivités locales, à partir du moment où on était capable de répondre, d’avoir un discours très uni, cela tient debout. Les gens s’adaptent. Quand le front universitaire est uni, il pèse. On est dans une région qui compte quand même sur ses universités même si elles les traitent de façon variable.

Le PUL, vous l’avez évoqué, cela a été une création quasiment contemporaine au lancement du plan Université 2000. cela a été un facteur important ?

Oui, oui, bien sûr. C’est là où on fait des choix très significatifs. On commence par la conférence de presse Lyon II- Lyon III de rentrée qui, à l’époque, est vécue comme un vrai changement. Il faut se rappeler le drame que l’on vivait à Lyon et qu’on revit de temps en temps. Dans la foulée, on voit très bien qu’il faut une identité universitaire . On était tout à fait prêt à discuter avec le Recteur, on était tout à fait prêt à discuter avec les collectivités mais il fallait qu’on est une position unie. Le principe de ne pas être un pôle comme il a été formé par le Ministère dans d’autres lieux avec les collectivités locales, c’est vraiment un pôle universitaire. Et il est entendu que le pôle ne s’exprime que quand on est sur des positions communes. Et d’autre part, c’est un président en exercice qui assure la règle. Donc c’est clair, on respecte la règle du jeu. Il y en a un qui parle pour nous tous parce qu’il faut bien qu’il y en ait un seul. Mais sans qu’il n’y est aucune hégémonie, aucune priorité de quoique ce soit. Il faut voir d’où on vient. Dans un univers où les grenoblois sont rassemblés depuis très longtemps, dans un univers où des pôles universitaires existent un peu partout en France, le fait que vous ayez un Recteur influent, dans un contexte où les universités sont groupées, avec des positions cohérentes, tout cela donne l’impression qui bouge fortement. L’image elle est toujours en comparatif. Il n’y a rien d’extraordinaire dans ce que l’on fait. Mais le fait de le faire dans un univers qui était suffisamment troublé l’a fait remarquer. On a, à on avis, retourner l’image de Lyon y compris au sein du ministère. Parce que c’est Grenoble qui domine. L’image est beaucoup plus positive, il y a beaucoup plus de dynamisme à Grenoble, il y a une ville qui est beaucoup plus porteuse. Donc, l’image du dynamisme ce n’était pas celle de Lyon. Là, on a une série d’éléments qui font que cela change. Il y a eu plusieurs missions qui ont fait de Lyon un terrain d’expérimentation. Il y a aussi la mise en place de procédures de modernisation de l’université : les logiciels nationaux du type NABUCO et autres, on les prend très vite à Lyon. Cela donne aussi l’impression que l’on est actif. Il y a eu des expériences pilotes notamment à Lyon I. La localisation des procédures pilotes est quelque chose d’important pour le ministère : le ministère dit on le met à tel endroit. Lyon I a été pilote dans une opération qui mettait en place des logiciels de gestion.

Vous évoquez un mouvement de rapprochement des universités. Le fait que Grenoble soit uni, le fait qu’il il y ait des pôles universitaires en France font que dans le contexte lyonnais on ne peut pas faire autrement ?

Non, je ne dirais pas cela. Grenoble a eu la chance d’avoir un campus unique, ce qui n’était pas le cas à Lyon et je crois qu’il y a une partie importante de la dynamique grenobloise qui se joue là. Lyon n’avait pas cette dynamique. Historiquement à Lyon il y avait des facultés de médecine, de droit, de sciences et de lettres qui étaient importantes ce qui rendait les choses difficiles. On avait ici des masses importantes, et en plus il y avait les écoles. Je crois qu’U2000 a aidé beaucoup. Les projets que chacun avait développé notamment dans les contrats quadriennaux, on avait besoin d’U2000 pour les développer et U2000 était nécessairement une opération collective. Sinon, c’était un désastre. Donc il y avait cette contrainte : U2000 nous aidait beaucoup à réfléchir collectivement, nous imposer cette réflexion collective. Parallèlement à cela, il était évident également que du point de vue international, il y avait une nécessité forte. Premièrement, l’université qui ne comprend pas toutes les disciplines n’est pas quelque chose qui a un sens profond au plan international. Que sur un même site on ait cette grande variété qui n’était pas claire, pour Lyon II et Lyon III c’est très compliqué : on n’a pas les lettres d’un côté et puis le droit de l’autre mais bien un petit peu de lettres d’un côté et du droit donc ce n’était pas compréhensible au plan international. Il y a beaucoup de choses qui jouent. Il y a aussi un esprit collectif. Les présidents à l’époque, je dis les présidents parce que fondamentalement cela se joue aussi entre des personnes. Et on a eu la chance, le hasard a fait que FONTAINE a été élu en février [1991], BANCEL est arrivé en mars, moi je suis arrivé en mars, il y avait VIALLE qui était là depuis plus longtemps, BORDET et AUBERT étaient là depuis un peu plus longtemps. Mais globalement, il y a eu un renouvellement et ce renouvellement fait que la dynamique a bien pris. Les réunions d’U2000 qui sont un élément clé de la liaison qui s’est opérée entre nous ont joué. Il y avait U2000 c’est vrai, la contrainte internationale c’est sûr, l’existence en d’autres endroits de rassemblement, tout cela faisait qu’il y avait de fortes incitations pour une réflexion collective et un travail ensemble. Il fallait arriver à peser sur cette ville. Les universités devaient avoir un poids normal, juste normal. Ce qui n’est toujours pas le cas.

Au moment de la négociation, le Recteur BANCEL vous réunit entre universitaires avant d’aller vers les collectivités locales pour discuter. C’était essentiel le fait de commencer les négociations par une réflexion strictement entre universitaires des priorités ?

C’est clair, c’est clair. La seule façon de défendre un plan c’est d’avoir une cohérence. Le Recteur n’aurait pas pu défendre un plan si il n’y avait pas eu de cohérence et s’il n’avait pas été capable d’expliquer la logique de ce plan universitaire. Demander des millions pour mettre des bâtiments à droite et à gauche dans n’importe quel ordre sans réflexion, sans projets pédagogiques et scientifiques cela n’a aucun sens. C’est clair. Parmi de nombreuses choses, c’est l’époque où on acte le fait que chaque université doit avoir un IUT. Ce n’était pas du tout évident au départ. Lyon I avait ses IUT et les IUT entendaient bien conserver leur monopole. Ils n’avaient aucune envie de voir naître d’autres IUT sur l’agglomération lyonnaise. Les directeurs d’IUT, je ne dis pas cela contre eux, quand on a une fonction à défendre, on la défend, c’est normal. Ils ont mené un combat très clair. Et là aussi le Recteur a été très ferme et nous aussi. On a des problèmes sur l’implantation d’un IUT à Vénissieux qui a fait l’objet d’un combat important avec le préfet. C’était prévu dans le projet d’établissement. Lyon III, je ne suis pas sûr qu’il l’ait prévu dans leur projet, et là encore on aurait très bien pu se dire que Lyon II avait un IUT et tant pis pour Lyon III. Qu’on se répartisse les terrains, qu’on ne soit pas sur les mêmes départements, c’est logique. Mais c’était important dans la gestion des établissements d’avoir des collègues qui aient une autre vision de la formation et ils pouvaient profiter des compétences disponibles au sein de notre établissement et aider l’établissement à évoluer dans d’autres domaines. C’est un petit morceau des discussions mais c’était beaucoup plus clair à dire aux collectivités. Chaque université devait avoir un IUT dans des disciplines complémentaires. C’est l’arc et la flèche. Ce sont des choses qui sont un peu simplistes mais qui impressionnent. C’est un moyen dans une période difficile pour les universités où on accueillait beaucoup de monde d’avoir des locaux. Parce qu’on a encore une fois une vision collective.

Ces négociations elles sont finalement largement l’affaire des présidents. Comment est ce que cela se joue avec les composantes ?

Encore une fois pour nous c’était défini. L’objectif était de récupérer les quais, de faire des travaux sur Bron. Voilà le panorama en 1991. Sur Bron, on avait des travaux à faire. Le plan Campus 1992 qui permettait de rénover 12 campus en France nous a amené des fonds.

Le recteur joue un rôle important dans la négociation. C’est essentiellement dans la négociation de l’enveloppe financière que son rôle est décisif. Le Recteur BANCEL est décrit comme quelqu’un de dynamique qui « n’aime pas être second ». Le fait qu’il ait fait du cabinet pendant le ministère JOSPIN où il occupait un rôle important est décrit comme un élément important. Eric FROMENT nous dit qu’il ne sait certainement pas tout : le recteur ne disant certainement pas tout pendant les réunions. Les relations du préfet et du recteur sont décrites comme conflictuelles et difficiles. Eric FROMENT souligne la capacité du recteur BANCEL a faire respecter son domaine de compétence propre. Il cite ainsi un épisode qui montre bien la difficulté des relations entre les universitaires, le recteur d’un côté et le préfet de l’autre. Le préfet, au nom de la politique de la ville, veut qu’un IUT de Lyon II s’installe à Vénissieux. La position de l’Université est très rapidement arrêtée : Lyon II est farouchement opposée à la création d’un IUT à Vénissieux. Disposant d’un campus périphérique, l’université ne souhaite pas s’implanter à Vénissieux. Eric FROMENT nous raconte une réunion où il s’oppose au Préfet, où selon son expression « il lui rentre dedans » devant des participants étonnés de la situation. Ne disposant de guère d’expérience dans le domaine, il s’oppose au préfet farouchement en tentant de lui démontrer l’absence de pertinence de l’implantation d’un IUT à Vénissieux. Il avait bien évidemment le soutien de l’ensemble de son conseil d’administration sur le sujet. On ne s’oppose pas au préfet sans que la position de l’établissement ait été discuté en CA. La consultation ne dépasse cependant pas le CA : « le professeur untel n’est ainsi pas consulté ». Eric FROMENT souligne le fait que le recteur l’a certainement soutenu sur ce dossier. Le préfet a en effet certainement téléphoné au recteur pour lui demander qui était ce président d’université. Il souligne la loyauté du recteur vis à vis des universitaires. Le rôle du préfet est troublé par le fait qu’il n’est pas habitué à avoir une administration indépendante face à lui. Cette indépendance du rectorat trouble son jeu habituel de marchandage avec les collectivités locales.

Les relations avec le ministère sont relativement peu importantes, non pas que les présidents ne disposent pas de relais au sein du ministère, mais bien parce qu’ils pensent que c’est au recteur d’incarner ce relais entre universités et instances centrales.

Les relations avec les collectivités locales sont relativement épisodiques. Les représentants des collectivités locales participent à certaines réunions qui se déroulent entre mars 1991 et l’été 1991 qui permettent la définition des priorités universitaires (Pierre JAMET, Guy BARRIOLADE, Georges CONSOLO). Leur présence ne trouble pas les discussions entre universitaires qui ne changent rien à leur façon de fonctionner. Les représentants des collectivités interviennent sans cependant véritablement orienter les discussion et les priorités des universitaires. Leur influence est donc limitée : elle n’aurait de toute façon pas été acceptée par les universitaires lyonnais. Ensuite, c’est le recteur qui discute directement avec les collectivités du montage des projets et de la répartition financière. Le président de Lyon Il n’intervient pas  dans ces négociations. Il s’en remet au recteur. Il ne pense pas que ces collègues des autres universités soient intervenus auprès des collectivités locales, même s’il remarque que c’est plutôt, là, une impression. Avec les élus, il n’est pas en contact direct. Il souligne l’oreille attentive des élus lyonnais du début des années 1990 aux besoins de l’Université lyonnaise. Michel NOIR semble le plus en retrait. Son engagement lui semble plus « politique », même si Eric FROMENT souligne que la suite de sa vie a montré qu’il avait un vrai intérêt pour la recherche et les questions éducatives [Michel NOIR crée une entreprise de développement de logiciels éducatifs après son retrait de la vie politique]. Son successeur à la mairie de Lyon, Raymond BARRE, est toujours, y compris comme Premier ministre, sensible aux intérêts de la communauté universitaire lyonnaise.

Il souligne que c’est un vrai plaisir de discuter avec Charles MILLON des questions éducatives. Il précise ensuite que cette proposition vaut pour la seule période du début des années 1990. L’intérêt pour l’éducation manifesté dans cette période rend encore beaucoup plus surprenantes ses positions politiques postérieures. Il souligne également que Charles MILLON a été assistant en droit et qu’il a donc côtoyé l’université. Au conseil général, l’attitude est également très favorable. Michel MERCIER, lui aussi ancien universitaire, voit tout à fait l’intérêt pour les collectivités locales d’investir dans l’université. Nous lui posons la question de l’influence de la formation universitaire des dirigeants locaux : pour Eric FROMENT, c’est un élément qui a indiscutablement joué. Contrairement aux élus issus des grandes écoles, les élus lyonnais connaissent l’université, la comprennent et voient l’intérêt de l’investissement local dans les politiques universitaires.

Pour Eric FROMENT, l’intérêt soudain des collectivités pour l’université est lié à la volonté de ramener des jeunes en centre ville et de le revitaliser. Pour lui, c’est un des objectifs premiers du projet de la Manufacture des Tabacs. Ensuite il souligne l’importance de disposer d’une main d’œuvre qualifiée sur un territoire. Les cadres aspirent à trouver sur leur lieu d’emploi des universités performantes pour leurs enfants. Il souligne le caractère très tendu de la situation du début des années 1990 : les flux d’étudiants n’arrivant pas à s’inscrire, la médiatisation du phénomène qui a indiscutablement pesé sur la gestion du dossier. Ensuite il souligne que la crise donne une importance croissante à la qualité de la formation. Sa génération ne s’est en fait jamais vraiment posé le problème de l’emploi. Dans un contexte de crise, il faut ici être beaucoup plus formé. Eric FROMENT souligne ici d’ailleurs la particularité de l’université française qui a su prendre le tournant de la professionnalisation avec la création des DESS en 1975. Les universités étrangères ne disposent pas d’un tel outil.

Les collectivités apparaissent comme fortement demandeuses d’implication : elles disposent à cette époque de fonds importants surtout à la région et au département, moins à la Ville (dont il souligne l’importance de l’investissement dans le projet de la Manufacture des Tabacs). On est ainsi dans une période où l’importance des fonds disponibles permet de satisfaire à moyen terme les intérêts de chacun. Il note le fait que les relations avec les élus locaux ont été antérieures à son mandat (même si Université 2000 a marqué une étape importante). C’est surtout sous la présidence de Michel CUSIN que se sont développées ces relations. Il a été vice-président sous le mandat LUCAS en 1978, pendant la période difficile du secrétariat d’Etat SAUNIER-SEÏTE. Il remarque que, dans cette période, Raymond BARRE a apporté son soutien à Lyon II mais en tant que Premier ministre. La création de la MSH a vu une certain intérêt des collectivités locales (avec Jacques MOULINIER notamment) mais sans vraiment que cela soit décisif. Même la commune de BRON aujourd’hui cherche à mettre de l’argent dans l’Université et dans le CPER parce que ces élus pensent que c’est important pour eux d’afficher le fait que la commune dispose d’un campus.

Eric FROMENT note la qualité de l’entente entre élus qui est importante pour que les projets avancent. Il note que cela n’a pas toujours été le cas. Dans le cadre du CPER 1994-99, des tensions entre le conseil général et la ville de Lyon sur le tramway a complexifié largement la chose. Là encore, Eric FROMENT souligne l’inexpérience des présidents dans la négociation : ils ne percevaient pas toutes les dimensions des problèmes des relations entre élus. Le CPER 1994-99 est largement apparu comme une reprise du plan Université 2000 à la relative surprise des présidents. Là encore les échéanciers, qui avaient été définis, n’ont pas été respectés. Eric FROMENT nous dit « qu’ils ont été collectivement un peu naïfs sur la possibilité de tenir les délais». Faire des constructions universitaires apparaît comme une tache largement nouvelle pour les présidents : peu de choses ont en effet été construites depuis BRON-PARILLY. Ils n’ont ainsi pas l’expérience du concours, des appels d’offres et des difficultés d’avancement des chantiers.

Le fait de déclarer prioritaire la réalisation de la Manufacture des Tabacs est bien perçu comme un risque possible par Eric FROMENT. Tant que les sommes étaient mobilisées sur ce chantier ceux de BRON n’avançaient pas. Mais il souligne là encore l’importance de la confiance régnant entre les présidents. Des choses ont été faites sur le campus de BRON qui a bénéficié de l’opération « CAMPUS 1992 » qui était hors CPER et U2000. La présidence a également cherché à mobiliser les fonds propres de l’université en recherchant « l’argent dormant de certaines unités ». (près selon sa mémoire de 10 millions de francs).

Les acteurs économiques ne sont pas intervenus, pour Eric FROMENT. Les présidents d’université ont bien contacté l’ADERLY qui a déclaré son intérêt sans pour autant s’investir dans les discussions préliminaires à la création du plan.

Sur la maîtrise d’ouvrage, Eric FROMENT remarque que les relations avec le maître d’ouvrage sont plus fréquentes. Pour lui, les collectivités sont demandeuses de l’exercice de la maîtrise d’ouvrage pour en retirer les bénéfices politiques. Le fait de disposer de l’enveloppe financière permet de la « distribuer » au cabinet et aux entreprises. Le pouvoir financier ainsi conféré est important. Il ne sait pas quelle est la raison de la multiplication des financements croisés. Là encore du fait de son expérience, il nous dit qu’il refuserait aujourd’hui des montages aussi complexes en demandant aux collectivités de s’entendre sur une répartition des chantiers en leur demandant de « jouer collectif ». Mais les collectivités « jouent » également des financements croisés. Surtout quand elles s’entendent bien.

L’Etat est bien vu comme l’acteur dominant des politiques universitaires. Les collectivités n’ont cependant pas été obligées à mettre de l’argent dans ces politiques. Elles étaient même très largement demandeuses. Il admet le fait qu’il y avait bien un risque de multiplication des tutelles entre les collectivités locales et l’Etat. Cependant, il précise que devant un front uni d’universitaires, il est très difficile pour les collectivités locales de peser dans les orientations d’enseignement et de recherche des universités. La définition d’un projet d’établissement est également un élément fort d’indépendance des universités.

Il souhaite à terme le transfert du patrimoine immobilier de l’université vers les établissements même si cela comporte des risques importants. Il souhaite même la constitution d’une vraie cellule capable de faire de la maîtrise d’ouvrage des universités. Mais là encore, pour lui, cette structure ne pourra exister que si elle est commune à l’ensemble des établissements lyonnais. Il n’y aurait pas assez de travail pour que chaque université ait son service. L’acteur regrette l’extension du PUL aux autres établissements d’enseignement supérieur lyonnais. Parce que « plus on est nombreux, plus c’est difficile », le PUL aurait dû rester pour lui un pôle regroupant les seuls universitaires.

Les composantes de l’université n’ont pas vraiment été associées aux négociations mais elles avaient participé à la définition du contrat quadriennal. Il revient à la fin de l’entretien sur l’importance de la décision de ne pas constituer une université Lyon IV regroupant essentiellement des médecins. Cette création aurait contribué à une consommation indue de crédits : il aurait fallu à la nouvelle université de nouveaux locaux, une nouvelle administration… On aurait en plus eu une crispation compréhensible de Lyon I qui se sentant en danger aurait été tentée de défendre fermement ses intérêts. Le nombre nuit ainsi à la gouvernabilité de l’ensemble. Cette décision de ne pas constituer Lyon IV apparaît rétrospectivement à Eric FROMENT comme un véritable tournant.