Entretien avec Jean GARAGNON – Directeur de cabinet de Michel NOIR de 1989 à 1990 et assesseur du doyen de la faculté de droit de 1965 à 1968 - 4 février 2003

L’entretien est réalisé à Lyon au domicile de l’interviewé. Il dure une heure. Quand nous l’interrogeons sur le dossier de Lacroix Laval, l’interviewé nous prévient ne se souvenir que partiellement de la gestion du dossier. Déjà parti en Afrique, il n’a pas vécu la scission Lyon II – Lyon III. C’est donc en tant qu’observateur attentif de l’histoire universitaire lyonnaise que nous l’interrogeons.

Je voudrais revenir sur le projet de la Manufacture des Tabacs. L’arrivée de Michel NOIR, c’est une rupture dans le paysage politique lyonnais. Elle est ressentie comment au conseil général et à la région ?

C’est d’abord l’arrivée d’un homme ambitieux, dur, entier qui fait peur aux autres. Il rompait avec la tradition feutrée de négociations et surtout c’est l’arrivée du RPR. Pour la première fois à Lyon, dans un système où la ville, le conseil général, le conseil régional sont aujourd’hui UDF, CDS à l’époque. Le centre droit depuis très longtemps. Les 50 ans d’HERRIOT, c’est du radicalisme de centre, la période PRADEL, COLLOMB, BERAUDIER, tout cela c’est le centre droit, CDS, et le RPR n’était jamais arrivé à s’implanter. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que, tant à gauche qu’à droite, les haines vis à vis des proches sont plus fortes que celles vis-à-vis des adversaires. C’était l’arrivée du RPR avec la panique à bord pour la communauté, le département et la région. Donc, cela a été un choc, cela a été un choc dans ce monde feutré. Un choc qui n’était pas exposé bien sûr, mais tout de même il y avait une inquiétude très grande qui s’est révélée assez justifiée dans les mois qui ont suivi parce que NOIR a eu une attitude, notamment vis à vis du Conseil général, très musclée. Il considérait le département comme un tiroir caisse. En disant : « Marchez ou je présenterai des candidats RPR dans tous les cantons ». Il entendait être le patron de l’agglomération. Au conseil régional, c’était différent. C’était nettement plus difficile pour le conseil régional. Ce n’était pas le premier front d’attaque. Cela a démarré par une volonté de redistribuer des choses. Cela a été un choc. S’il n’avait pas déraillé, je pense qu’il était en place pour longtemps et qu’il aurait amené une colonisation du conseil général. C’est sûr. Le résultat a été contraire : c’est ce que nous avons vu aux précédentes élections : l’UDF a repris la mairie avec BARRE.

Nous n’avons pas évoqué le rôle du préfet dans l’entretien précédent. A la fois contrôleur des actes des collectivités et partenaires. C’est un facteur de faiblesse dans ses relations ?

Un Préfet est toujours en position de faiblesse face à un grand féodal. A un maire qui a une personnalité solide, qui est ministre, ex ou futur. Dans ces cas là, il y va sur la pointe des pieds. Le droit est une notion qui n’intervient qu’en deuxième ou troisième position. Il n’y a jamais eu de déféré préfectoral dans les Alpes Maritimes quand MEDECIN était maire. Il n’y a donc pas de déféré préfectoral y compris dans les endroits les plus scandaleux. Quand les gens sont très forts, cela se règle par des coups de téléphone du Préfet, enfin du secrétaire général qui appelle le secrétaire général de la Ville qui dit : « Monsieur le Préfet est particulièrement ennuyé, cela nous embête, nous allons être obligés de déférer. » Et puis, cela passe ou cela ne passe pas. Avec NOIR, quand on lui disait le Préfet a appelé, il est ennuyé par notre dernière délibération. On avait des « Oh !!! il me fait c… ». Alors on rappelle le préfet enfin le secrétaire général de la préfecture, en lui disant, « est ce qu’on peut faire autrement ? ». C’est sur cette façon là que cela se règle. Alors, quelquefois, cela peut être utile. C’est un moyen de se sortir de promesses que l’on a faite en disant « là, j’aurais bien fait cela mais le Préfet m’a fait savoir que cela n’est pas possible. » Enfin, cela ne se passe pas du tout sur le plan du droit et cela dégénère souvent quand il y a des tiers qui se mettent dans l’affaire. Quand il y a un requérant, un emmerdeur, style TETE qui dit : «non ». Dans un bon nombre de cas, TETE a fait des recours que le Préfet n’avait pas fait. La position des Préfets face à ces grands féodaux, elle est difficile. Ils ont peut être un petit plus de poids quand l’équipe municipale est dans l’opposition mais encore qu’avec les alternances, ils se méfient. D’autant que NOIR appelait parfois JOXE qui était ministre de l’Intérieur. Mais regardez MAUROY, à Lille, il n’a jamais été déféré.

Je voudrais revenir sur le projet de Lacroix Laval…

J’ai quitté Lyon en décembre 1968. J’étais assesseur du doyen de la Faculté de droit de 1965 à 1968 au moment du projet de Lacroix Laval puis en 1968 je suis parti à Abidjan et ce qui s’est passé ensuite, je ne le sais pas. Dans la situation antérieure à 1968, l’Université n’existait pratiquement pas. Les facultés menaient chacune leur vie, il y avait bien une université qui était présidée par le recteur mais qui n’avait que des compétences extrêmement limitées sans intérêt du point de vue de la politique des différentes composantes. La Faculté de droit était très à l’étroit sur le quai Claude Bernard face à la hausse constante des effectifs et à l’allongement des études. Parce qu’entre 1955 et 1968, il y a eu à la fois l’augmentation des effectifs et le passage de trois à quatre ans pour la licence. Donc un besoin de locaux, compte tenu des travaux dirigés, on était face à un manque de places considérable. Et, les sciences avaient obtenu des constructions extrêmement importantes à La Doua. D’abord l’INSA et puis la Faculté des sciences à La Doua. Pour soulager le droit, on avait eu un bâtiment à La Doua qui a d’ailleurs été conservé jusqu’à la réalisation de la Manufacture des Tabacs. En 1961, on a construit ce bâtiment, il y avait deux amphis pour le droit et un amphi pour les lettres avec des salles de travaux dirigés. Je ne sais pas si vous connaissez ce bâtiment. C’était un grand bâtiment qui comprend trois grands amphis et une quinzaine de salles de TD. A ce bâtiment s’est ajouté dans les années suivantes quelques petits bâtiments autour et un amphi. Cette occupation à La Doua a été effective à partir de 1962-1963. Mais c’était mal commode puisque c’était séparé, loin. Ma mission était de construire une nouvelle faculté de droit. Il y a des modes et la mode des années 1960 était au campus à l’extérieur. C’est Nanterre. Ici, on est parti de l’idée que dans Lyon, il n’y avait pas de terrain et qu’il fallait trouver un site à la périphérie. Dans cette recherche, a surgi Lacroix Laval parce que cet immense domaine était disponible, avec un petit château. Et puis en plus, c’était l’ouest, c’était bien, c’était chic, c’était du côté bourgeois de la ville et tout cela correspondait assez bien à l’idéologie de l’époque sur les campus et à la position dominante de la Faculté de droit qui n’était pas vraiment heureuse à La Doua. Déjà, cela ne devait être qu’un dépannage mais enfin tout le premier cycle y était. Le recteur et le ministère se sont laissés convaincre que c’était une bonne solution. Les terrains ont donc été acquis, un projet architectural a été lancé. Un architecte a été désigné, Mr BEAUDOIN, grand prix de Rome. On a beaucoup travaillé avec lui sur ce projet qui paraissait bien avancé et qui était un projet de Faculté de droit. Le dossier était assez complet : il reposait en partie sur la facilité d’accès ferroviaire depuis la gare St Paul, une petite gare était prévue juste au pied du campus. C’était très sympathique. Puis, 1968 est arrivé, Nanterre, et on a dit : « tout cela c’est la faute au campus ». L’une des localisations du départ de mai 1968, c’est quand même Nanterre, c’est l’entassement dans les campus. Ce sont ces cités universitaires. Bref après 1968, deux phénomènes se sont conjugués : la disparition des facultés, la volonté de tuer les facultés et de créer des universités pluridisciplinaires ce qui condamnait déjà les constructions mono-disciplinaires ; le refus des campus et le retour, si possible au centre ville.

A la suite de cela, on a choisi le site de Bron qui est un campus déguisé et qui n’est pas au centre-ville. Mais il correspondait d’une certaine manière à un retour de balancier. Le projet Lacroix Laval semblait concerner avant tout les juristes, Bron a été fait avant tout pour les littéraires surtout que le phénomène, cette volonté de tuer ces bastilles réactionnaires qu’étaient les facultés de droit et de privilégier dans une certaine mesure les littéraires. Moyennant quoi on a fait à toute vitesse dans des conditions de médiocrité remarquable, le campus de Bron. Et on a abandonné le projet de Lacroix Laval en se demandant ce qu’on allait pouvoir faire de cet ensemble. Pendant quelques années, les terrains ont été loués à l’Institut Merieux. En fin de compte, c’est le conseil général qui s’est présenté pour racheter cela, faire un parc et le musée de la poupée. Mais, autant que je sache cet abandon a été fait en deux temps, trois mouvements. On ne voulait plus de Lacroix Laval, on ne voulait plus de gens éloignés et dans un souci aussi d’équilibre urbanistique. Un campus, c’est un équipement important pour l’est lyonnais. Il y avait là-bas effectivement de la place. Mais moi après décembre 1968, je ne sais plus, je suis parti six ans en Afrique. Sans savoir ce qui se passait.

On identifiait la faculté de droit et le projet de Lacroix Laval ?

Ah totalement. Oui, c’était le projet de la Faculté de droit.

La faculté de lettres était associée également, non ?

Sans doute mais dans mon souvenir, c’était vraiment une affaire de la Faculté de droit.

Vous étiez en lien avec les autres universitaires de la Faculté de droit ou de lettres ?

Je ne me souviens pas. Celui qui suivait cela à la Faculté de Lettres c’était LAFERRERE. Le recteur de l’époque c’était le recteur LOUIS. Pierre LOUIS.

Vous étiez en lien avec des fonctionnaires ?

Oui, avec le recteur bien sûr et avec l’ingénieur régional chargé des constructions au Rectorat. Dans le système ancien, le service constructeur, c’était le rectorat. Les Facultés étaient présentes, elles traitaient directement avec le ministère notamment pour les projets de construction pour avoir des crédits au ministère. Il y a sans doute encore des choses à la Faculté de droit. Elle n’a pas déménagé. Les anciennes Facultés n’ont en fait pas totalement disparu et il doit bien rester des archives quelque part. Tout y est, je pense. Sans doute, ils ont été déménagées dans les caves, les plans.

Vous étiez en lien avec le Préfet ?

Le préfet intervient pour le maintien de l’ordre pour les constructions, il n’intervenait pas. Il y avait essentiellement deux ministères qui intervenaient : le ministère de l’Education nationale et l’Equipement avec des crédits qu’on appelait de catégorie A qui étaient entièrement gérés par le ministère. L’intervention des préfets, cela a commencé quelque peu après dans les mouvements de déconcentration qui ont eu lieu à partir de 1975. Après l’échec du référendum sur la décentralisation [régionalisation], les choses ont été reprises parce que cela ne tenait plus ce système centralisé. On a distingué alors les crédits de catégorie 1 qui étaient toujours gérés par l’Etat et les crédits de catégorie 2 qui étaient déconcentrés et qui étaient gérés par le préfet et par la conférence administrative régionale, la CAR. Mais ces crédits universitaires n’ont jamais été déconcentrés. Les interventions locales sont apparues dans les CPER mais c’est toujours le ministère qui a tenu les crédits d’enseignement supérieur. Le secondaire est géré par les collectivités locales mais le supérieur a toujours été quelque chose qui relevait de l’Etat.

Dans ces années 1960, il y avait une concurrence importante entre les disciplines pour s’implanter sur le domaine de Lacroix Laval ?

Je n’en ai pas le souvenir et je dirai même au contraire. Il y avait une concurrence farouche pour rester et il y a eu des débats très vifs dans les conseils de Faculté en droit et en Lettres et il a été très difficile de faire admettre aux juristes que c’était une bonne solution. C’était simple, ou le droit partait à Lacroix Laval et les autres restaient ou c’était l’inverse. Et tout le monde était pour être ceux qui restent. Les juristes se sont décidés parce qu’il s’est trouvé y avoir une majorité pour accepter cela. Le doyen NERSON et moi même, j’étais l’assesseur, étaient pour. Ils nous apparaissaient qu’on continuerait à travailler dans de mauvaises conditions si on restait sur les quais. On restait écartelés entre les quais et La Doua. L’idée d’avoir une Université neuve, construite dans ce coin là était intéressante. Mais enfin, on a eu beaucoup de peine à convaincre et à trouver une majorité et du coup les littéraires étaient fous de joie à l’idée que eux restaient sur Lyon centre. La concurrence n’était pas pour y aller mais pour ne pas y aller. Ils [les juristes] se sont retrouvés sur les quais mais ils ont continué à aller à La Doua jusqu’à la Manufacture des Tabacs.

Cet attrait c’était dû à quoi, le prestige du site ?

Des choses toutes simples. Tout le monde habitait à Ainay, ou dans le 2ème. Personne n’avait envie d’aller à Lacroix Laval. Chaque fois qu’on propose une solution en centre-ville et une solution à l’extérieur, fût ce dans un coin vraiment bien, le projet de Lacroix Laval était un beau projet. Mais en tous les cas la concurrence elle était pour ne pas y aller. Parce que l’intérêt du corps enseignant. Et puis n’oubliez pas qu’à cette époque là, seuls les enseignants avaient voix au chapitre, les conseils de Faculté ne comportaient que les enseignants. Il y avait deux organismes, le conseil et l’assemblée, et le conseil ne comprenait que les professeurs titulaires de rang 1. L’assemblée comprenait aussi des maîtres de conférence mais pas les assistants. L’assemblée, c’était pour les décisions pédagogiques. Mais la décision de s’implanter ou non à Lacroix Laval, cela relevait du conseil et largement du ministère aussi. Les Facultés étaient tout à fait autonomes par rapport à l’Université mais par rapport au ministère, elles ne l’étaient guère. Mais il fallait trouver une solution. Il était clair que la solution de La Doua était une solution temporaire, enfin temporaire. Elle a quand même duré de 1963 jusqu’à 1998. Cela a quand même duré. Il n’y avait pas d’envie marquée d’aller à Lacroix Laval. Il y avait d’autres projets en concurrence, il y avait le site de l’Ecole centrale sur lequel a été construit le Rectorat. Pendant deux ou trois ans, on a pensé qu’il serait possible de s’y implanter. Il y avait tout de même dans ce quartier, l’Ecole centrale de Lyon et l’Ecole de Chimie. Tout cela constituait des masses sur lesquelles la Faculté de droit aurait pu s’implanter. Et puis on y a fait le rectorat de Lyon, l’Inspection d’Académie et tout de même un bâtiment de droit puisque l’Ecole de notariat y a trouvé place. Non, il y a eu des tas de solutions recherchées, il y a eu des constructions à l’intérieur même de la Faculté de droit. On a eu un amphi de construit dans les années 1970. Mais enfin, cela restait trop limité. Cela restait des solutions qui ont seulement permis de tenir à un :moment. Le grand bol d’air, c’était La Doua tout de même. Mais tout le monde trouvait que c’était normal que les scientifiques aillent sur un campus parce qu’il fallait de la place, il fallait des labos. Mais les littéraires et les juristes ont essayé le plus possible de jouer le maintien. Les juristes à un moment donné ont seulement fait preuve de courage ou de témérité en se lançant dans Lacroix Laval.

On sent des vraies rivalités entre les littéraires et les juristes, c’était quelque chose qui étaient déjà sensible avant la crise de mai ?

Oui, oui. Mais vous comprenez on n’avait pas trop de choses à faire ensemble, vous comprenez. C’était des Facultés. Chaque Faculté essayait de faire valoir son point de vue auprès du ministère. Après 1968, avec les universités relativement autonomes, parce qu’il y a quand même eu une période après 1968, d’assez grande autonomie des universités. Quand la loi Faure a été adoptée c’était avec l’idée que les universités pluridisciplinaires allaient se gérer elles mêmes et que l’Etat donnait des masses de poste et des masses de crédits et les université les répartissaient. Par conséquent, les universités pouvaient passer des postes d’une discipline à une autre en fonction d’un axe, d’une politique universitaire. Cela voulait dire qu’on pouvait passer un poste de juristes sur de la science économique ou du grec. Chose qui est complètement impossible maintenant. L’autonomie des universités n’a eu qu’un temps. Le ministère n’a cessé de reprendre le pouvoir. Dans la période post 68, les conseils d’université avec les universitaires de rang B, de rang C, les étudiants avaient un pouvoir extrêmement important et donc la possibilité de privilégier une discipline au profit d’une autre aussi bien dans les locaux que dans le personnel. Et on a imaginé que certaines disciplines allaient être sacrifiées et à ce moment-là les antagonismes entre juristes et littéraires se sont exacerbés. Mais avant, cela n’était pas le cas. Chacun allait traire la vache ministérielle autant que possible et ce n’est que dans des épisodes comme la création de bâtiments que se développaient des antagonismes. C’est vraiment dans les années d’après 1968 et encore plus après 1973 et cette scission où s’est établi un climat de concurrence tout à fait malsain entre les deux universités. Chacune ayant comme objectif principal, au lieu de développer ses secteurs solides, d’aller faire ce que faisait l’autre de façon complètement invraisemblable.

Au moment de la réunion de la Faculté, on a juxtaposé droit et lettres.

En 1968, à Lyon, on a commencé à biaiser avec la pluridisciplinarité puisqu’on a créé Droit et Lettres d’un côté et Sciences et médecine de l’autre, ce qui était déjà un grand pas qui tournait vers la pluridisciplinarité complète. Il est apparu à ce moment là que la collaboration entre scientifiques et médecins était difficile mais qu’ils pouvaient encore se supporter et qu’elle était impossible entre juristes et littéraires dans la mesure où chacun des deux craignaient d’être dépossédés au profit de l’autre. Et en locaux et en postes. Les deux camps se prêtaient des machinations absolument invraisemblables. A partir d’un épisode d’un poste ou de m². Ils ont obtenu de pouvoir se séparer. Mais cette séparation, d’abord elle s’est faite dans de mauvaises conditions, et ensuite comme subsistait cette idée de pluridisciplinarité on a dit : « on veut bien vous séparer mais à condition que vous soyez pluridisciplinaires. » Au lieu de recréer des lettres d’un côté et du droit de l’autre, c’est apparu beaucoup plus compliqué. Et à ce moment-là, on a des choix purement idéologiques, le plus caractéristique étant celui des économistes qui se sont séparés des juristes pour aller dans l’université à dominante littéraire et que les philosophes sont allés avec les juristes. On a alors dit : « voyez cela aura de l’allure, cela va être pluridisciplinaire. Il y aura doit et philo d’un côté et lettres et sciences économiques de l’autre. » Mais comme on a laissé à chacun la possibilité d’aller dans l’université de droite ou dans l’université de gauche, il s’est créé à Lyon III des langues, des lettres et à Lyon II une faculté de droit qui s’est empressée de s’appeler faculté des sciences juridiques. Il s’est développé une vraie concurrence. A chaque fois qu’il s’est développé un diplôme nouveau, une licence d’administration publique, chacun la voulait. Et puis, on la créait dans les deux et il n’y avait personne. Et cela continue. Le dernier épisode c’est une unité de gestion de Lyon II qui passe à Lyon III. L’institut d’études politiques qui s’est créé à Lyon II. Il est heureux que l’affaire de la Manufacture des Tabacs se soit situé dans une période d’accalmie. Les présidents des universités ont agi avec beaucoup de bon sens et de calme. Cette période d’accalmie a été heureuse sans quoi cela aurait pu ne jamais se faire. L’un et l’autre auraient dit : « je veux ou bien je ne veux pas. » Il y a eu là un coup de chance.

La réussite de ce projet, elle réclamait un consensus universitaire ?

Bien sûr.

Après 1968, il apparaît que les littéraires sont très attirés par le projet de Bron. Qu’est ce qui explique cet attrait ?

Je ne sais pas.

C’est l’ouverture des conseils de décision qui explique le changement d’attitude ?

Je ne sais pas. Je crois qu’ils ont vu l’occasion de faire quelque chose de neuf, qui ne soit pas trop loin. Cela, c’était quand même intéressant : il y avait un grand espace, un grand terrain, on peut faire des choses. Ils n’imaginaient certainement pas que cela allait être ce que c’est aujourd’hui. Parce que La Doua, ce n’est pas terrible, mais Bron Parilly, c’est encore pire. Mais je ne sais pas. Je n’ai pas vécu la gestion du dossier. Mais je crois qu’ils se sont rendus compte après coup que c’était moche.

Mais qu’est-ce qui explique qu’on ne se dirige pas vers Lacroix Laval, parce que les terrains appartiennent au ministère ?

Il fallait abandonner les projets du passé, c’était plus près. C’était quand même dans la continuité de médecine, Lacroix Laval est plus inaccessible. C’était les quartiers populaires, aussi.

Il y a cet attrait là aussi ?

Sûrement, oui. Bien sûr. Non, Lacroix Laval, c’était un projet bourgeois, de faculté bourgeoise, dans les banlieues bourgeoises ; Bron ce sont des universitaires de gauche, dans des communes de gauche. Assez manifestement. Mais encore une fois je n’étais pas là. Mais je crois que le consensus était très vite fait pour enterrer Lacroix Laval. Y compris chez ceux qui s’étaient décidés un peu à reculons. Du coup,les juristes restaient là, les littéraires partaient, très bien.