Entretien avec Bruno GELAS – Président de Lyon II de 1996 à 2001 – 17 avril 2003

L’entretien se déroule à Lyon au domicile de l’interviewé. Il dure 1 h 10.

Je vais vous demander de vous présenter.

De 1996 à 2001, j’étais président de l’Université Lyon II. Je suis professeur de littérature et cinq années auparavant, j’étais vice président sous Mr CUSIN. Vers la fin du mandat de Michel CUSIN, c’est à ce moment là qu’il y a eu la décision politique de l’attribution de la Manufacture à Lyon III. Et puis ensuite, le projet a été intégré au CPER puis à U3M ; c’est à cette période là que le projet a reçu des crédits extrêmement importants et cela c’était sous Eric FROMENT. Lui a vraiment suivi le dossier de près. Moi, quand je suis arrivé en 1996, Lyon III a fait un gros déménagement à la fin 1996. Il y avait un accord sur ce sujet mais il avait été établi par Eric FROMENT. Après, il y a eu des besoins sur la fin du contrat de plan mais ce n’était pas grand chose.

Je reviens au moment du lancement du projet. Vous m’avez dit que vous étiez dans l’équipe de Michel CUSIN. Comment il a été ressenti le lancement de ce projet dans l’université Lyon II ?

D’abord, je me rappelle que le jour de l’élection même, NOIR a mis en avant le fait que Lyon était une ville universitaire d’importance. Bon, c’était le premier point qu’il mettait en avant. Cela avait beaucoup marqué. COLLOMB, ce n’était pas le genre. L’attitude de NOIR avait fait une vraie première impression. Il a tout de suite fait des choses pour les écoles, il a mis en place un poste d’adjoint à l’enseignement supérieur. Et cela avait vraiment été bien ressenti. Et on voyait que c’était une municipalité qui s’intéressait à ces questions. Plus précisément sur Lyon II, après la séparation de Lyon III et avec COLLOMB, on avait le sentiment d’être mal aimé. Là il y a vraiment eu un sentiment du fait que les choses s’étaient un petit peu arrangées avec CUSIN et VIALLE qui étaient les deux présidents respectifs de l’époque. Et, il y a eu une grande peur, notamment pour nous qui avions un effectif beaucoup plus important, avec des effectifs qui augmentaient, c’était la politique de l’établissement, il y a eu une grande peur que ces locaux soient attribués à Lyon II. NOIR ne s’est jamais prononcé là dessus mais DUBERNARD, je crois, avait dit que cela serait idéal pour Lyon II. Là il y a eu une crainte folle, pas de CUSIN mais un quand même un peu, qui était de dire : « mais attention, cela va se retourner contre nous, on va être l’université de la périphérie, Lyon III sera au centre ville et Lyon II aura Bron et la Manu. » Il y a eu cette inquiétude mais dans un second temps. A cette époque là on était au 86 rue Pasteur et au 16 quai Claude Bernard mais Lyon III avait encore des locaux à La Doua. Je n’ai pas l’impression que Lyon III avait ces craintes. Mais il faudrait demander à VIALLE. Et puis à CUSIN. CUSIN, il a été un président important pour Lyon II. C’est lui qui a renversé l’image d’une université exclusivement gauchiste. C’est lui qui a relancé notamment l’idée de refaire une rentrée solennelle avec Lyon I et Lyon III. Il fallait vraiment être dans un état de grâce d’un président nouvellement élu pour faire un truc comme cela. C’était has been, une rentrée solennelle. Ce qui a ensuite été un des arguments important, c’était la question de l’organisation des lieux. Mais assez vite cela a été décidé qu’on attribuait à Lyon III. Mais pendant un moment l’attribution des locaux à Lyon II, on en a parlé.

C’était important pour Lyon II de rester en centre-ville ?

Si vous voulez, il faut voir que c’était une espèce de truc un peu symbolique et imaginaire d’être en centre ville, au cœur de la ville. Mais vous le retrouvez partout cela. J’étais allé voir à Montpellier, eh bien c’était pareil, chacun voulait garder les locaux symboliques. Lyon I s’en foutait parce qu’ils étaient partis de toute façon mais par exemple Lyon I a quitté au début du mandat de CUSIN. C’était devenu complètement fou, ils avaient juste l’administration sur le quai et le reste entre La Doua et Rockfeller. Il y avait cette charge symbolico-imaginaire, cet emplacement en centre ville. Dans les relations Lyon II – Lyon III, en plus chacun est attentif. On avait des discours du style : « on va être l’université périphérique etc. » Les conditions de la partition Lyon II – Lyon III ont beaucoup pesé dans les rapports entre les deux universités. Les doyens nous disaient de bien faire attention au fait que si on n’était plus présent en centre ville, on allait plus avoir les bons étudiants, les khâgneux, qui ne sont pas un apport important sur le plan quantitatif mais qualitativement c’est important. Cela s’est fait sans qu’il y ait trop de difficultés, il y avait de l’inquiétude mais elle est tombée assez vite parce que Lyon III s’est décidé assez vite. Ils n’ont pas été effarouché comme Lyon II. Mais Lyon III de toute façon, ils étaient sûrs de garder leur bâtiment sur le quai. Alors que si Lyon II le prenait c’était sûr, on quittait le quai.

Vous avez évoqué les liens avec Jean Michel DUBERNARD. C’est lui qui était votre interlocuteur à la Ville de Lyon ?

Oui, à l’époque de Michel NOIR, il était adjoint chargé de l’enseignement supérieur. NOIR s’en occupait aussi. Mais l’adjoint à l’enseignement supérieur, c’était DUBERNARD, c’était lui qui s’en occupait administrativement. Il s’entendait très bien avec CUSIN. Mais CUSIN c’est un personnage qui a fait une grosse opération de séduction tous azimuts. Ses relations avec DUBERNARD avaient été très bonnes. Bon alors après, il y a eu le sursaut avec l’affaire NOTIN. Par rapport à ce problème là, CUSIN avait joué un rôle important, il avait accepté d’aller au conseil scientifique à Lyon III pour expliquer les positions, que lui avait adoptées dans une affaire similaire. Et, on a craint aussi que l’attribution à Lyon III soit remise en cause. Enfin, dans l’ensemble, à Lyon II, on était plutôt content de ne pas y aller. Bon, après il y a eu un marchandage pied à pied pour savoir quand Lyon III partait, même si on s’est bien entendu avec ROLLAND. Avec le recteur qui intervenait. Moi, ce que j’ai terminé, cela a été le règlement des négociations avec GUYOT, dans le cadre d’U3M et du CPER, pour régler le différentiel qu’il y avait entre Lyon III et Lyon II sur le plan des m². On a récupéré l’autre moitié du bâtiment Clio. Et puis une moitié de l’autre quadrilatère Athéna sachant que le quadrilatère restait sous la juridiction de Lyon III.

Elles ont été difficiles, les négociations avec Lyon III pour la restitution des locaux ?

Elles n’ont pas été difficiles. Moi, j’avais une relation très bonne avec GUYOT. Ce n’était pas ma tasse de thé, GUYOT, mais je n’étais pas la sienne non plus, donc on était différent, et on en plaisantait aussi. J’avais une position avec une certaine légitimité avec les prises de position de Lyon II sur l’affaire MILLON. Et le Recteur m’avait dit que GUYOT avait besoin de moi pour lui donner une certaine respectabilité. Parce qu’il gardait une image un peu… Ensuite, c’était un plus au couteau sur l’appréciation de m² de ceci ou de cela. On avait des réunion chez lui dans son bureau, parce que c’était climatisé, où on se disait : « bon, eh bien, toi as intérêt à cela, moi, j’ai intérêt à cela, c’est parfois contradictoire essayons d’arranger les choses. » Je crois que cela s’est bien passé. Gilbert PUECH, le président actuel, suivait le dossier avec chaque fois des rapports. Mais avec GUYOT, cela s’est bien passé. A partir du moment où on se disait par exemple : «  en aucun cas je ne peux faire passer chez moi le fait que l’ensemble du quadrilatère vous revienne. » Bon, eh bien, on essayait de trouver une autre solution et on se revoyait un mois après. Non, cela n’a pas été du tout tendu. GUYOT, il a vu l’intérêt très tôt de la Manufacture, je crois que très tôt il a voulu y mettre son Institut. GUYOT, il se foutait complètement de garder les quadrilatères. Moi ma position c’était que tout l’ancien périmètre de la Faculté de lettres revienne à Lyon II et cela il en était d’accord. Sur les grandes lignes politiques, on n’a pas eu de problèmes, on était d’accord. Bon, après il y avait des reliquats. Il avait proposé que les anciens locaux de l’IEP leur reviennent. Mais nous on était intéressé par les anciens locaux de St-Joseph. C’est le responsable de la direction des bâtiments de Lyon II qui l’avait dit à PUECH, qui m’en avait parlé en me disant que cette opération elle pouvait être intéressante pour nous. J’avais été voir le recteur qui m’avait dit qu’on ne pourrait jamais l’avoir. Et puis là, j’avais fait un gros truc. J’en avais parlé à BARRE, MILLON et puis MERCIER. BARRE ne trouvait pas le projet idiot. J’en avais parlé à GUYOT. Et les élus locaux étaient sensibles au fait d’avoir la possibilité de créer un lieu de vie, avec un resto U. Alors tout de suite le Recteur a dit : « oui, très bien, on va faire aussi des salles de gym. » Parce qu’il était très gym. Et puis on a eu le soutien du Recteur de la Fac catho parce que cela appartient à l’association des Evêques de France. Alors c’était complexe, il ne fallait pas que les promoteurs mettent la main dessus. En plus, il y avait eu le problème, pour la Fac catho, des locaux dans le centre ville, il y avait eu des problèmes de compétence dans la maîtrise d’ouvrage de la COURLY. MERCIER m’a dit : « si Lyon II ne nous fait pas suer pour que l’on fasse cette opération là, (avec des formules à la MERCIER), je vous soutiendrai. » L’affaire MILLON a beaucoup soudé les universités. Lyon III a par exemple été très solidaire. La Fac catho a été remarquable sur ce sujet. C’est tout le problème du hiatus entre les catholiques et leur hiérarchie. Ensuite, le seul message que j’ai eu de MERCIER, parce que PUECH parlait beaucoup de ce sujet, s’agitait beaucoup sur ce sujet, c’était : « vous le calmez, laissez moi faire, les évêques je m’en occupe. » Cette opportunité développait un petit peu le manque à gagner de Lyon III. Parce que c’est vrai qu’une fois la Manufacture terminée, il y avait un déficit parce que leurs effectifs étudiants avaient augmenté tout de même. GUYOT, à un moment, m’avait dit puisqu’ils ont l’Ecole de notariat rue Chevreul : « vous nous passez toute la façade de la rue Chevreul, cela nous ferait un bel ensemble. » Mais moi j’en avais chez moi qui faisaient la gueule, parce qu’on a la maison de l’Orient dans ce coin là. Et puis ensuite, de toute façon, il y a eu l’incendie de la bibliothèque, donc on a choisi de reconstruire immédiatement une bibliothèque de proximité pour Lyon II. Mais du coup, moi, j’ai soutenu que le bâtiment de Lyon III sur Saint Joseph dans le contrat de plan actuel soit le premier construit pour qu’ils puissent finir de dégager le quadrilatère qu’ils occupent jusqu’à ce qu’ils s’installent là bas.

Finalement, ce que vous me décrivez là, entre présidents d’université c’est une espèce de prise en compte réciproque des intérêts de chacun.

Oui, je crois que c’est très vrai. Y compris sur un mode où on en rigolait. En même temps, je savais qu’il y avait des choses que je ne pouvais pas demander parce que ce n’était pas possible. Il y a des fois où on me disait « ce n’est pas possible » et où je disais que si. Il est malin aussi GUYOT. Mais en même temps, il y a vraiment un … Mais je crois que c’est une conséquence de ce que FROMENT et les autres ont mis en place avec la création du PUL. Cela s’est révélé être un élément de connaissance proche au moins au niveau des présidents. On a eu plein d’occasions de se croiser, de se rencontrer. Il faut voir que celui qui était président en même temps que FROMENT, c’est ROLLAND. Il avait été président à la création de Lyon III. Il m’a dit que lors de son premier mandat il n’avait rencontré qu’une seule fois le président de Lyon II. Ca facilite quand même. Politiquement, cela n’a posé aucun problème, on avait des problèmes tactiques. Même si on était d’accord sur l’essentiel. Mais actuellement à Lyon III, il leur manque plus de m² que nous.

Avec les composantes de Lyon II, comment est ce que cela se passait ? C’était quelque chose de difficile à gérer ?

Pas trop, bon il y avait des discussions. Le conseil d’administration avait des informations. Il y avait le cabinet, les doyens mais comment dire où il y a ensuite des questions c’est sur les projets, sur le suivi des projets. Mais de toute façon tout le dossier, je le suivais très régulièrement mais c’est Gilbert PUECH qui s’en occupait dans les rapports avec les architectes. C’est un boulot fou. Alors il avait un plan où il nous disait : « cette fac, une partie viendra là ». Mais bon de toute façon cela ne cessait d’être modifié. Gilbert PUECH, lui même, c’était son propre plan, mais il l’a reformulé trois ou quatre fois. Alors il y avait des facultés contentes, il y en avait qui faisaient la gueule. Mais là je crois qu’il y a un mélange de fatalisme et de légitimisme. Un peu trop fort souvent. On n’a pas d’opposition quand on est président d’un établissement. Il y a quelques oppositions sur des questions de poste quand on les met ici plutôt que là. Comme il n’y a plus d’autres structures autres qu’institutionnelles, quand il y avait les syndicats, avec leurs défauts mais ils avaient au moins l’avantage d’incarner une certaine opposition. Il y avait des structures oppositionnelles intéressantes avec les IATOS . Mais autrement, au fur et à mesure qu’il y a eu une perte de sentiment d’entité Lyon II, qui était un sentiment très fort au moment de la scission entre Lyon II et Lyon III, mais c’est normal il y a de moins en moins d’anciens combattants, cela a quelque peu disparu. Finalement, on ne peut pas dire que cela soit difficile à gérer. Ils étaient pas très demandeurs en réfection des locaux. Ils y avaient une grosse demande sur la construction de locaux universitaires, ils avaient envie d’inaugurer ce qu’ils avaient commencé. Mais, là par exemple, un des effets de l’entente de fait qu’il y a eu entre les présidents de Lyon II et les présidents de Lyon III, c’est que quand on arrivait dans une réunion avec un accord, bon eh bien, vous êtes déjà fort.

C’est quoi le rôle du recteur dans les relations entre universitaires ?

Il organise toutes les coordinations qui sont liées au plan Etat région notamment. Il fait des propositions aussi. Mais ils n’imposent pas : il sont assez prudents par rapport à cela, ils sont tous universitaires. Ils mettent toujours en avant l’autonomie des universités. Bon, la différence entre les présidents d’université et les directeurs d’école c’est que les directeurs sont nommés par le ministère et donc le ministère peut leur dire : « vous faîtes cela. » Alors ce sont des réunions de coordination, comme c’est à Lyon, on faisait cela en mangeant. Mais en même temps quand on a un problème c’est aussi notre soutien auprès du ministère. Ce sont plutôt des bons rapports. Mais par exemple BANCEL, il était assez séduit par l’idée d’une université Lyon IV. Bon, mais là, les présidents des trois universités ont dit qu’ils étaient contre.

Oui c’est important d’avoir une position commune face au recteur.

Oui.

Le fait de faire la Manufacture des Tabacs, cela a relancé, je le retrouve dans certains entretiens, l’idée de faire une université Lyon IV. IL y avait une opposition forte de Lyon II à ce projet ?

Oui. Cela pouvait se traduire par le départ de la faculté de sciences économiques et puis éventuellement sciences po et la petite faculté de droit. Et donc cela coupait, cela faisait une faculté de sciences économiques mais le droit restait à Lyon III. C’était trop tard pour penser une université Lyon IV. En tous les cas, c’était mal pris, on entendait : « cela va nous démembrer beaucoup plus que Lyon III. » Cela tombait aussi à un moment où le président était économiste. C’est difficile pour un président de dire : « on quitte Lyon II » alors que le président est économiste. Avec GUYOT, on était d’accord, pas sur toutes les filières mais sur l’essentiel. Finalement la concurrence entre Lyon II et Lyon III, c’est rare dans les universités de province, mais ce n’est pas pire qu’à Paris entre les universités parisiennes. Là où cela devenait un peu plus contestable, c’était par exemple en Lettres classique avec des effectifs qui sont très réduits. En arabe. Mais là, par exemple, GUYOT était prêt à les transférer, il était plutôt même content, alors attention pas parce qu’il est raciste, mais parce qu’ils les trouvaient emmerdeurs. On s’était dit : « bon, on met l’arabe à Lyon II. » On était d’accord. Et puis il y a eu un conseiller du ministère qui a… enfin bon. Cela a rebondi au moment de l’inauguration de Normale Sup’ quand le ministre était venu inaugurer. J’avais dit, alors je n’attaquais pas Normale Sup’, que c’était un petit Versailles. Et LANG nous avait reçus très longuement à la suite de cela, et on avait parlé de l’arabe. Il était d’accord puisque nous y étions favorables, et puis cela ne s’est pas fait. Mais Lyon IV, le seul avantage qu’il y aurait eu cela aurait été une clarification disciplinaire. Les lettres à Lyon II, une fac de sciences économiques et de gestion et puis une fac de droit. Sur le papier et psychologiquement, cela aurait été plus simple.

C’est encore le prisme d’appréhension des rapports entre Lyon II et Lyon III. Vous faites souvent référence à la concurrence entre les disciplines, entre…

Oui, elle reste encore un peu présente si vous voulez. Sur les secteurs concurrentiels. Moi, je me rappelle quand GUYOT a eu l’habilitation pour un DEUG de sciences économiques, vous ne pouvez pas imaginer le nombre de gens que j’ai vu défiler dans mon bureau. Alors bon, moi j’avais demandé à GUYOT qu’il prenne l’engagement au moins pendant son mandat qu’il ne demande pas des habilitations pour des niveaux supérieurs. Il y a des petits trucs. En lettres, ils ont décidé tout à coup de ne plus préparer l’agrégation ensemble. Il y a ces petits trucs mais ce n’est plus aussi marqué qu’avant. Il n’y a pas nécessairement de ‘sur-marquage’ politique. Mais des concurrences oui, il y en a. Bon, cela dit, Paris III, Paris IV, c’est pareil. [rires]

Vous avez évoqué les relations avec DUBERNARD, NOIR. C’est quoi les relations qu’on a quand on est universitaire, enfin président d’université avec les élus locaux ?

Quand on compare, on en a de plus en plus. Par exemple, LUCAS, à un moment difficile avait été voir BARRE parce que SAUNIER SEITE d’un trait avait décidé de détruire Lyon II. LUCAS avait été voir BARRE qui était alors député de Lyon. Mais c’était sur des moments précis. Les rapports avec les élus se sont beaucoup développés avec le CPER. Il y a eu la région d’abord. Donc MILLON qui a décidé d’avoir un budget enseignement supérieur et notamment avec les bourses pour partir à l’étranger et puis les contrats d’objectifs qui nous ont beaucoup aidés. C’était des programmes de deux, trois ans et c’était une manne inespérée. Alors, cela n’allait pas à la présidence, cela allait à la fac qui présentait cela, donc cela a créé quelque chose d’assez fort. C’est la région qui a été la première. Les constructions, cela a été le conseil général. La ville n’est vraiment venue qu’avec DUBERNARD et le projet de la Manufacture des Tabacs. BARRE, a rencontré les présidents également, mais là, c’était plus dans le cadre de l’organisation des grandes conférences de Lyon. Avec BARRE, on a aussi beaucoup travaillé sur le projet du technopole lyonnais. C’est monté en puissance beaucoup à l’époque de FROMENT. Mais avant FROMENT, c’était essentiellement la région.

Vous avez participé aux négociations du CPER. Cela se passe comment, ces négociations, on définit les priorités d’abord entre universitaires ?

Oui, il y a une réflexion, le lancement de la réflexion se fait avec le Recteur. A l’intérieur de l’établissement, on essaye déjà de voir quel dossier on va pousser, quelle hiérarchie on peut mettre etc. après il y a des réunions entre les présidents et le recteur. Alors, avec une chose qui est caractéristique, c’est que, pour la recherche, les décisions finales sont beaucoup plus soumises à l’agrément de Paris. Quand j’étais président de la CURA, j’avais par exemple souvent des réunions à Paris. On voyait bien en fait qu’il y avait un lien direct entre la direction de la recherche et budget pour les gros labos. Avec le CNRS aussi. Là il y avait un autre circuit. Mais autrement pour la construction des locaux universitaires en incluant la recherche qui ne nécessite pas des gros équipements comme pour nous, là cela se prépare avec le recteur. Le recteur voit avec le ministère enfin on peaufine sur les projets, on arrête un calendrier. Et à ce moment là, il y a le contact entre le Recteur et la Région, enfin Région et département. Et après, il y a des réunions annuelles où se trouve les représentants des universités, les représentants de la recherche, le rectorat, les collectivités. Mais cela se fait beaucoup là. C’est très Education nationale finalement.

Vous avez parlé d’une période où vous préparez les dossiers en interne en tentant de hiérarchiser les dossiers des UER. C’est un facteur de renforcement de la présidence ?

Oui, oui. Beaucoup parce que il y a deux choses. On sait qu’il y a des choses qui sont prioritaires. Nous, on se trouvait à Lyon II avec un problème de réhabilitation sur le quai et un problème de construction sur Bron. Avec des problèmes de mise en sécurité très importants sur Bron. Et cela coûte beaucoup d’argent. Ah j’ai oublié de vous dire un acteur quand même qui participe aux réunions annuelles c’est le Préfet. Sur le problème de la réhabilitation de Bron, je l’ai su après, mais il y a des gens du cabinet de LANG qui ont appelé certaines personnes qui me connaissaient bien pour savoir si je bluffais ou pas, parce que j’avais dit que je fermais Bron à la rentrée si on n’avait pas de quoi réhabiliter. On a donc eu des réunions de travail au ministère et on a eu de l’argent. Mais sur la réhabilitation c’est une des limites des CPER, je ne parle pas que pour Lyon II là, c’est que ce sont des procédures qui sont beaucoup plus pensées pour de la construction alors même qu’il y a beaucoup d’endroits où la mise aux normes, et ce ne sont pas des normes pointues, ne sont pas respectées. A Lyon I, c’est catastrophique. C’est le gros problème des locaux qui ont été construits dans les années 1970. Ils ont un coût énorme en entretien.

Vous avez évoqué des réunions annuelles tout à l’heure. C’est la période où on définit les opérations qui vont être engagées. Comment on arrive à ‘prioriser’ les opérations ?

Après les réunions, il y a un calendrier global qui est défini généralement à quatre ans. Les projets sont choisis en fonction de cela et de l’avancement des projets. Il y a l’état d’avancement des dossiers qui va déclencher l’engagement du fric. On fait le point de la progression des dossiers. Alors là, où on en est ? Cela suppose par exemple que des crédits d’étude soient versés cette année là. Il y a une gestion qui suit le déroulement des opérations. Parce qu’il y a des opérations dont on pensait qu’elles allaient très vite s’enclencher. Par exemple, l’ex IEP, le concours d’architecte a été arrêté en 2001, je crois, ou début 2002. C’était vraiment un dossier prioritaire. Ce dossier est complètement bouclé. Il pourrait être démarré très rapidement. Mais comme cela va créer une situation très dure parce qu’il faut reloger les gens qui y sont, on s’est dit qu’il fallait faire la destruction le plus tard possible. Il était prêt mais si on détruisait tout de suite, il fallait encore attendre des autorisations pour commencer les travaux. Donc on a choisi de reculer la date au maximum. Du coup ce qui devait être détruit en 2001, le sera en 2003. A ce moment là cela veut dire que l’argent qui était prévu pour 2001, il va être engagé plus tard ou on fait le versement des crédits pour un autre projet. Il y a un espèce de rééquilibrage.

C’est une logique technique qui finalement guide l’affectation des crédits ?

Oui, c’est cela. Il y a certains problèmes qui peuvent apparaître. Il y a des sommes qui sont parfois prévues pour la fin du CPER et qui n’apparaissent pas aussi prioritaires parce que les priorités de l’université ont changé. Et donc il peut y avoir des changements comme cela. Mais cela n’apparaît que sur les dernières années, les deux trois dernières.

Vous avez évoqué la situation politique au sein du Conseil régional, avec l’élection de MILLON à la présidence avec le soutien du FN. C’est quelque chose qui a perturbé les négociations ?

Non, l’histoire de MILLON c’est en 1998-99. On commençait à y réfléchir seulement. Le CPER proprement dit avait commencé après. Ce qu’avait fait la région c’était un peu intermédiaire entre les deux CPER, celui qui suivait l’enseignement supérieur c’était MERIEUX, c’était de mettre une très grosse somme pour l’amélioration du campus. C’était entre les deux. La crise avec le conseil régional c’était en plein dans l’exécution de cela. C’était de l’ordre de, je ne me souviens plus, mais c’était pharaonique. C’était très coûteux. C’était par exemple l’aménagement de la tente. La crise proprement dite était finie quand on a commencé à engager le CPER.

Vous avez évoqué tout à l’heure le fait qu’il y avait un certain désintérêt des élus locaux avant le milieu des années 1980 pour l’université. Qu’est ce qui explique ce retournement ?

Tout d’abord, ce n’est pas spécifique à Lyon. D’abord, le temps avait passé, chez les collectivités locales, de la peur de l’étudiant. Les années 1968, c’est à ce moment-là où on a construit tout en dehors. A Bron, il y a une anecdote avec la passerelle. Ce qui était prévu, c’était de faire une passerelle entre le campus et le parc de Parilly. Et puis, les travaux avaient commencé . Et puis il y a eu une vague d’émotion au conseil général parce qu’il y avait des prostituées qui travaillaient dans le parc, mais la nuit en bagnole. Et donc ils ont dit : « on arrête. » Alors on a mis de la terre autour de ce qui avait déjà été fait, on a planté des trucs. Il y a eu la peur de l’étudiant qui s’est arrêtée. Et puis ils ont découvert tous, l’intérêt de l’université. J’en discutais un jour avec JUPPE qui me disait que toutes les villes regrettaient d’avoir vidé leurs universités du centre ville. Par exemple à Bordeaux, la municipalité a mis des bus gratuits qui font des navettes jusque très tard dans la nuit entre les résidences universitaires et le centre-ville. A ce moment là, ils ont redécouvert, mais pas qu’à Lyon partout, que les étudiants c’est un facteur d’animation, un facteur pour l’activité nocturne etc. Ils regrettent tous cela. A Lyon, l’arrivée de NOIR a été importante. Dans ces premiers discours, on voyait bien que le discours était complètement nouveau. Il y a eu aussi un intérêt très fort des universités pour les entreprises. Il y a eu un mouvement assez général en France qui a été celui de la redécouverte de l’intérêt des étudiants. C’est intéressant d’étudier précisément comment cela s’est passé. Je pense que NOIR a été très déterminant. C’est globalement un mouvement général. Le précurseur cela a été MILLON. Je me rappelle à la conférence des présidents d’université, on discutait de la mobilité des étudiants. Et là mes collègues me disaient qu’en Rhône Alpes on était des privilégiés en France. Bon après MILLON, je ne suis pas sur la même ligne sur tout [rires]. Le premier initiateur cela a été MILLON notamment en terme de relations internationales. Mais après, on a vu des villes s’investir mais cela a été partout pareil. Les villes qui avaient des campus exclus du centre ville, le regrettaient beaucoup.

Et pourtant elles n’ont pas de compétence.

Ici avec les locaux sur le quai, on est dans ceux de la ville de Lyon. Avec l’incendie cela a posé des problèmes. Je crois qu’on est en situation de squat.

Est-ce que pour l’Etat, qui garde tout de même la compétence, ce n’est pas une manière de se décharger de l’exercice d’une de ses compétences ?

Le transfert de la compétence est en débat. Le projet qui est le plus avancé, pour l’Etat qui veut s’en débarrasser, ce serait de donner aux établissements la gestion de leur patrimoine immobilier. En général, les présidents y sont favorables, mais, car il y a un mais, pas dans cet état. On entend aussi qu’on pourrait transférer le patrimoine immobilier aux régions. Mais les régions craignent aussi beaucoup. Mais les présidents y sont favorables : PUECH actuellement y est favorable. Les villes ne pourront pas l’assurer, c’est trop gros. Il faut des budgets plus importants. Mais il y a des présidents qui sont inquiets de cela. Le président ROLAND, par exemple, il n’a jamais voulu aller à la réunion de la CURA ou à une réunion où il y avait la région. Pour lui, l’ université devait dialoguer avec la ville. Autrement, c’était avec l’Etat. Mais il y a effectivement une crainte chez certains mais que nous n’avons jamais éprouvée. Il y a une crainte d’une emprise sur les choix de politique universitaire. Mais l’Etat pourrait le faire aussi. La garantie qui rassure l’imaginaire d’autonomie des universitaires, c’est que l’Etat, il n’est pas franchement capable d’intervenir dans un établissement parce qu’il est débordé. C’est vrai qu’il y a un problème de fond avec la région c’est qu’un jour ils nous disent : « bon ben voilà, vous en lettres, vous faites ceci ou cela ».

Le risque, c’est celui d’une tutelle qui soit plus présente, plus pesante ?

Plus présente et plus impliquée dans des intérêts régionaux. Ou vous avez des gens, comme MILLON, qui disent : « nous avons un intérêt international à avoir des universités fortes. » Il avait une certaine hauteur de vue qu’il n’aurait probablement plus maintenant. Quand il y avait eu les élections municipales, on avait reçu les candidats. Mes collègues m’avaient demandé si on recevait MILLON, moi j’avais dit oui. C’est vrai que là il avait quand même beaucoup changé. Il nous avait dit : « pour qu’on soit plus prestigieux, il faut faire venir une université américaine. » Le président de Normale Sup’ lui avait quand même demandé s’il considérait l’université française fondamentalement inférieure. Non, mais cela peut faire un problème. La région Rhône Alpes, c’est une région qui est de grande dimension qui a des intérêts internationaux. Je ne veux pas dire du mal du Poitou-Charentes, mais ce n’est pas exactement le même problème. Même sur le plan culturel. Moi j’avais un peu vu cela à l’université de St Etienne parce que je suis Stéphanois. Sans pression des élus locaux, les universitaires s’étaient dit : « il faut qu’on trouve un créneau spécifique, on est trop proche de Lyon. » Donc on avait des études de géographie du Forez, sur des choses très locales. C’est suicidaire.

On est aujourd’hui dans une situation où on a une multiplicité de financeurs. C’est pas un avantage pour les universités ?

Entendons nous bien, c’est quand même l’Etat qui, dans une université comme la notre où il n’y a pas de budget recherche particulièrement important comme en science, assure l’essentiel et de très loin sauf sur les budgets d’investissement. Les financements extra-étatiques représentent entre 5 et 10% du budget. Mais c’est le petit truc en plus qui est important. De toute façon sur un budget on a quasiment 80% du budget qui est affecté dès le départ, c’est le chauffage.. Donc sur les 20% qui restent, quand vous avez 10%, de plus c’est important. C’est un avantage mais. Pendant l’affaire avec MILLON, ils avaient dit qu’ils nous enlevaient les fonds régionaux, c’était embêtant, c’était embêtant pour des tas de petits projets. Mais bon, l’essentiel était assuré.

Quand on regarde les projets d’implantations, on a systématiquement des financements croisés. La région met un peu d’argent, la ville met de l’argent, le département met de l’argent. Qu’est ce qui explique cette capacité du système français à produire du financement croisé comme cela ? Il pourrait se répartir les projets.

Cela arrive souvent. Le conseil général par exemple a pris l’IEP. Quand on lance une opération, on a toujours le gros débat, c’est : « qui va être le maître d’ouvrage ? » En général, à ce moment là, les collectivités préfèrent cibler : « moi j’assume ce bâtiment ». Ca dépend des projets. Pour l’IEP, le Conseil général a dit : « moi je prends tout ». Sur l’ensemble des opérations de fait il y a une répartition sinon de fait on aurait un problème financier assez dur. Vous avez un bailleur de fonds principal, et par l’intermédiaire du Préfet, vous avez des versements qui sont faits à ce bailleur de fonds.

Vous venez d’évoquer la question de la maîtrise d’ouvrage. On a l’impression que les collectivités ont envie d’assurer la maîtrise d’ouvrage. Qu’est ce qui explique cette volonté, parce que finalement c’est tout de même relativement risqué parce que si il y a des dépassements, c’est le maître d’ouvrage qui les assume.

Oui, c’est vrai. Mais en même temps cela leur donne une légitimité dans leur action. L’idée c’est de dire : « moi j’ai construit ça, ça et ça ». C’est moins visible quand on ne fait que donner de l’argent. En général, l’argent de l’Etat, c’est pour l’équipement intérieur. Non, mais moi je crois que c’est pour pouvoir afficher. C’est vrai aussi que l’on voit bien que selon le caractère de l’opération, ils sont plus ou moins intéressés. Pour l’IEP, ils ne se sont pas battus mais presque. Pour la reconstruction de la bibliothèque c’était déjà beaucoup moins le cas. C’est sûr qu’il cherche la visibilité. Bon, ils se répartissent les opérations. C’est plus pour cela que pour récupérer la TVA parce que de toute façon ils la remettent ailleurs.

Et puis de toute façon, nous on aime autant, parce que quand c’est l’Etat c’est un circuit très complexe. Il faut que les décisions soient validées par tel et tel bureau.

C’est plus facile avec les collectivités ?

Ah oui. L’Etat, c’est tellement contraignant. Dans les collectivités ils voient cela avec l’ingénieur du rectorat. Quand vous voyez le plan de réhabilitation sur Bron avec le tramway. Pff. On voulait faire un espace de vie étudiant avec des commerces, des cafés et transférer la librairie à cet endroit. Là on m’a dit : « ah non, non ce n’est pas possible. Ce serait des locaux à usage privé » Jamais une collectivité nous aurait ennuyés là-dessus. Bon, cela s’est arrangé, c’est du pur formalisme. C’est un peu fou des fois comme système.

J’en ai terminé avec mes questions. Vous voyez quelque chose à ajouter ?

Non, non.