Entretien avec Gilles GUYOT – Président de Lyon III de 1997 à 2002 et membre de la commission mixte Lyon I/Lyon II à la fin des années 1960 - 6 janvier 2003

L’entretien se déroule dans le bureau de la direction de l’Institut d’Administration des Entreprises à La Manufacture des Tabacs. Il dure une heure.

Je vais tout d’abord vous demander de vous présenter.

Je m’appelle Gilles GUYOT, je suis professeur à l’Université et je suis directeur de l’IAE. De 1997 à 2002, j’ai été président de l’Université et puis, avant, j’étais directeur de l’IAE depuis 1990.

Le projet de la Manufacture des Tabacs a été lancé par Michel NOIR et Jean Michel DUBERNARD en 1989. Vous avez joué quel rôle dans ce projet ?

Alors, à l ‘époque j’étais vice président du Président VIALLE et donc à l’époque il m’avait demandé de suivre le dossier immobilier de l’Université. Depuis l’origine jusqu’à maintenant j’ai donc suivi le projet.

A cette époque quels étaient les services de l’Université qui travaillaient avec vous ?

A cette époque, cela s’appelait la division des affaires techniques et immobilières dirigée par Mr NIOULOU qui suivait au plan technique les opérations de suivi des travaux.

L’attribution des locaux a été laissée par les élus à la charge des présidents d’université et du recteur. A cette époque, cela a été facile de vous entendre entre universitaires sur ce sujet ?

Le souvenir que j’en ai c’est que cela a été paradoxalement assez facile et ce pour plusieurs raisons. Lyon I n’était pas vraiment intéressé à se disperser. Lyon I visait déjà une installation du côté de Gerland, à côté de l’ENS sciences. Cela leur aurait fait encore un site supplémentaire un peu loin de tout sauf de Grange Blanche. Et il n’y avait pas un intérêt réel chez eux. A part peut être les informaticiens qui étaient intéressés, de mémoire, je n’ai pas le souvenir que cela ait intéressé grand monde dans cette université. Lyon II n’était pas intéressé. Le problème de ce site était qu’il ne permettait pas à quelqu’un d’abandonner un site pour ni à Lyon I ni à Lyon II de dire : « on lâche un site complètement et on s’installe à la Manufacture. » Alors que Lyon III, si. Cela permettait de lâcher La Doua et de se rapprocher du quai. Il y avait un autre élément positif. C’est qu’on était dans une situation dans laquelle en chiffre rond Lyon III avait 15 000 m² à La Doua dans l’emprise de Lyon I et 15 000 m² dans le grand quadrilatère des quais plutôt dans l’emprise de Lyon II. Même si on peut penser que Lyon II était dans l’emprise de Lyon III aussi parce qu’on avait plus de m² qu’eux. Il y avait quand même l’idée de restructurer les choses d’une manière cohérente pour des raisons de commodité de gestion. On l’a bien vu quand il y a eu l’incendie de la bibliothèque, on ne peut pas dire que cela ait facilité les choses que l’un soit propriétaire du bâtiment et l’autre des problèmes d’incendie. Dans la première version, il était prévu 15 000 m² ce qui était la surface du site. Et par conséquent cela permettait de donner aux universités… Premièrement Lyon III était très intéressé par le site. Le président VIALLE était très intéressé par ce site. Cela permettait de dire à Lyon III : « vous prenez 15 000 m² et vous en rendez 15 000 à Lyon I et 15 000 à Lyon II ». Cela arrangeait tout le monde. Nous, on avait envisagé la solution que Lyon II prenne la Manu et qu’on récupère les bâtiments de Lyon II sur les quais. Et cela ne marchait pas non plus. Le problème c’était d’arriver à satisfaire les besoins des uns et des autres. Il n’y avait pas assez de surface sur les quais occupée par Lyon II pour que Lyon III puisse récupérer les 15 000m² supplémentaires auxquels il avait droit et les 15 000 à la Doua. C’était un problème de programmation en nombres entiers. Cette solution était la solution la plus simple techniquement. Il avait été envisagé de partager mais, là, tout le monde était contre. Parce que l’objectif était de ne pas partager les campus parce que c’est très compliqué à gérer quand c’est partagé. Même quand les gens s’entendent bien, c’est très compliqué. Je ne veux pas mésestimer l’efficacité dans des négociations de Pierre VIALLE mais je crois effectivement que cela s’est passé plus facilement que lui-même ne le pensait. Nous, on a eu une position par rapport à ce site : la mairie était partie avec l’idée d’un équipement minimum avec une enveloppe de crédits réduite et donc une surface réduite. On a dit oui d’abord, et puis ensuite, on a exprimé nos besoins. Il y a un programme qui a été réalisé, qui a été chiffré et qui représentait deux ou trois fois l’enveloppe. Je me rappelle d’une réunion à la communauté urbaine où le programme a été présenté. DUBERNARD s’est mis à hurler. Evidemment. Et nous, on lui a dit : « nous, tout ce que l’on demande, c’est qu’on fasse des tranches. » La première tranche, on l’a fait avec l’enveloppe. Cela permettait exactement de transférer les enseignements qui étaient faits à La Doua. La première tranche a correspondu à cela. D’où l’idée d’avoir des tranches qui venaient du fait qu’il n’y avait pas assez de financement. Il faut se replacer dans le contexte de l’époque : effectivement c’est une opération spécifique de la ville de Lyon et puis, juste derrière, il y a eu l’opération U 2000 et donc il y a eu des financements pour faire toute l’opération. En réalité, la Manufacture aurait pu être terminée dans le contrat 2000, il y avait assez d’argent sur l’ensemble de ce qui n’était pas utilisé à gauche et à droite. Simplement, comme d’habitude, les lenteurs administratives, les difficultés de programmation ont empêché que cela se fasse.

Vous avez parlé tout à l’heure de la répartition des locaux entre universitaires lyonnais qui s’était faite relativement facilement. Au sein de l’Université cela a été facile de convaincre vos collègues de s’implanter à la Manufacture des Tabacs ?

Oui, parce qu’ils avaient l’impression à La Doua d’être exilés. En fait à La Doua, il n’y avait que les premiers cycles de droit et de gestion. Ce n’était vraiment que les bâtiments pédagogiques, les gens venaient, faisaient leur cours et repartaient. Il n’y avait aucune vie, aucune animation. C’était quand même difficile à l’époque. Pour faire les quais La Doua en bus, il fallait trois quart d’heure. Cela s’est peut être un peu amélioré avec le tramway mais c’était très loin. Aujourd’hui c’est quand même plus urbanisé comme zone. Mais à l’époque c’était vraiment un environnement sinistre. On était tous très contents de quitter La Doua. On est parti de La Doua au moment où cela devenait plus agréable. Cela avait été paysager, les arbres avaient poussé, on avait rasé des vieux préfabriqués, on avait construit un amphithéâtre neuf. Cela commençait à avoir de l’agrément. Aujourd’hui ce n’est pas désagréable, La Doua, c’est devenu sympa. Mais cela a mis longtemps à être agréable.

Il n’y a pas eu plus de résistance chez vos collègues des…

Sur les quais, oui. Il a fallu cependant tordre quelques cous aux gens qui étaient sur les quais pour leur dire qu’il fallait qu’ils viennent jusqu’ici. VIALLE avait imposé l’idée qu’à la Manufacture des Tabacs, on installerait tous les premiers et deuxièmes cycles et toute l’administration universitaire. Donc, cela avait été accepté finalement. Après il y a eu ROLAND et ROLAND ne voulait pas que l’administration aille à la Manufacture. Il avait fait modifier le programme, à la demande des gens de la bibliothèque, qui était, il est vrai, petite. La bibliothèque se résumait dans le projet initial au bâtiment moderne tel qu’il a été construit. C’était cela et rien d’autre. Cela faisait, 5000 m², ce qui, évidemment, ne faisait pas beaucoup pour 15 000 étudiants. On est loin du m² par étudiant et à fortiori du m² et demi. Cette idée que le bâtiment le long de la voie ferrée serait transformé entièrement en bibliothèque est venu pendant le mandat de ROLAND vers 1995-1996. Cela avait du coup changé la nature du projet. Qu’il n’y ait que des premiers et des deuxièmes cycles dans la mesure où il y avait la direction, ce n’était pas un problème. Mais qu’il n’y ait que des premiers et des deuxièmes cycles donc pas les parties les plus nobles, pas la recherche, pas les études doctorales, pas les troisièmes cycles et pas non plus le siège social, le recteur de l’époque avait freiné sur ce projet et avait demandé à ROLAND, c’était juste à la fin de son mandat, qu’on implante au moins deux composantes y compris les troisièmes cycles. En tous les cas au moins une. Moi, à l’époque, pour l’IAE, j’avais postulé en disant que l’IAE était intéressé pour se transférer complètement sur ce site [de la Manufacture des Tabacs]. Cela avait été validé à la fin du mandat de ROLAND. Le projet de l’aménagement de la partie sud a été fait dans ce sens là. C’est à ce moment-là qu’a été décidé l’implantation de tout l’IAE même si cela n’est pas encore complètement terminé parce qu’il y en a encore un petit morceau dans la partie sud et le centre de recherche dans la partie nord. Tout le reste a été réalisé. La réalisation de la partie sud n’a pas pu se faire entièrement parce qu’il y a eu des problèmes de découpage de financements et cela s’est fait en deux tranches. Dans ce qu’on appelait la tranche 2 qui a été l’essentiel de la réhabilitation de la partie sud et puis la tranche 2 bis qui est la réhabilitation du bâtiment le long de la voie ferrée et qui a été lancée. C’est en fait la bibliothèque la tranche 2 bis. Dans la tranche 2, on a réalisé toute la partie sud sauf la bibliothèque. Et puis ensuite on est passé à la tranche 2 bis. Cette tranche 2 bis est l’opération immobilière la plus longue que je n’ai jamais vécu en 20 ans d’expérience. Le choix de l’architecte qui était le même que celui pour les autres tranches a été validé par le conseil régional en novembre 1997. Les travaux commencent ces jours ci. Plus de cinq ans tout de même. Il y a eu des épisodes nombreux et variés. L’épisode, quand même, e plus rocambolesque est que pour faire cette tranche 2bis il fallait signer un avenant au contrat de plan comme toujours. La signature de cet avenant au contrat de plan entre le préfet de région et le président de la région a pris 10 mois. Cela étant, cela s’est fait. Ils ont fait l’avant projet définitif, le permis de construire etc. Cela a pris une année. Et l’appel d’offres s’est révélé infructueux parce que dans l’intervalle, les prix avaient augmenté comme chacun sait. Et qu’en plus la plupart de ceux qui avaient postulé avaient déjà fait la tranche 2 et qu’à l’époque ils avaient soumissionné à une époque où les prix étaient très bas et où ils avaient mangé leur culotte. Et donc ils ont cherché à se rattraper. Donc l’appel a été infructueux fin 2000. A l’époque, j’avais déjà constaté quand même notamment pour l’ouverture de la tranche 2 qui avait ramené ici 4 ou 5 000 étudiants, le bâtiment était plein sauf la bibliothèque, mais pour le reste on tournait à plein régime, on s’est aperçu que cela devenait un truc très lourd à gérer et qu’il n’était pas souhaitable que la direction reste sur les quais. Et donc aux vœux de la région fin 2001, je me rappelle avoir réussi à convaincre la présidente COMPARINI et ses adjoints chargés du dossier de changer le programme. L’appel ayant été infructueux, ils avaient remis au pot à peu près cinq millions de francs. Et donc ils avaient accepté à condition que cela n’entraîne pas de surcoût pour la région qu’on récupère un plateau entier prévu initialement pour la bibliothèque pour installer les services de l’administration et de la présidence. Le programme a donc été modifié ce qui a pris encore une année. L’appel d’offre a eu lieu à l’automne 2002 et heureusement avec l’argent rajouté et l’accalmie sur les prix, l’appel d’offres a été fructueux. On en est là. Et donc normalement cette tranche 2bis devrait être terminée dans un an. Pour l’aménagement des services de la présidence, cela prendra six mois de plus (ce sera la tranche 2 ter mais qui ne se sépare pas en fait de la tranche 2 bis et qui est assumée par l’université). Cela devrait être complètement fini au printemps 2004.

Vous insistez sur les retards, les lourdeurs administratives…

Non, je ne sais pas comment dire, la tranche 1 c’était vraiment très bien passée. Mais c’est vraiment un problème de mécanismes administratifs au sens large. A l’époque c’est un concours conception-construction. Au bout du compte, il y a eu une entreprise générale qui avait été choisie, qui s’est associée à d’autres entreprises et qui a donc réalisé la totalité de l’opération. Et c’était pas trop difficile à gérer. Après on est passé sous des maîtrises d’ouvrage de la région alors qu’on avait avant des maîtrises d’ouvrage communauté urbaine. La communauté urbaine, c’est une maîtrise d’ouvrage qui est très efficace. Avec la région, on est tombé sur une maîtrise d’ouvrage qui était déléguée à SIC. Au début, le type qui s’en occupait était un type bien, efficace et puis après il est parti. Il a été remplacé par un autre qui n’était pas du tout efficace. La tranche 2, cela a été épouvantable. Au fur et à mesure qu’on avance, la procédure se complique et cela prend de plus en plus de temps. Je me rappelle quand même que la première tranche en deux ans, tout était fait. Travaux compris. Pour la deux, cela a pris deux ans et demi et pour la deux bis on est sur un total de six ans. Là, il y a un problème. Et puis, on a eu des tas de problème pour la tranche 2, il a fallu suivre cela le nez dessus. En permanence. C’est vrai, c’était une période difficile parce que c’était une période de reprise de l’économie. Les entreprises avaient pris des chantiers à tour de bras. Et elles n’avaient personne pour les faire. La qualité de travail s’était quand même considérablement dégradé. On a eu des problèmes. L’exemple le plus extraordinaire que j’ai c’est celui des vestiaires de salles de sport. On avait des vestiaires qui n’étaient pas prêts. On n’avait plus de carreaux pour faire les sols. Tous les jours, ils promettaient la livraison et tous les jours, on attendait la livraison. Et on devait être à 4 jours du passage de la commission de sécurité et on me téléphone en me disant : « les carreaux sont arrivés ». Je passe voir le chantier. Un seul ouvrier était là. Il déballait des palettes de carreaux. Je lui ai demandé pourquoi personne ne posait les carreaux. Et il me répond : «  on n’a pas de colle. » Ils avaient attendu les carreaux sans vérifier qu’ils avaient de la colle. La colère m’a pris et j’ai envoyé quelqu’un de chez nous chercher de la colle au Castorama du coin. Pour que tout soit prêt quand les pompiers passeraient. C’est tout comme cela.

Ce serait pas finalement plus facile que ce soit le destinataire des locaux qui assurent le suivi des travaux ?

Le problème, c’est que c’est très compliqué. Des gros chantiers comme cela, on n’a pas le personnel pour. On n’a pas assez de personnel qualifié pour le faire. Classiquement on avait un ingénieur travaux, on vient d’en avoir un deuxième. On a réussi à faire créer un poste. Mais cela fait quand même un peu juste pour suivre des chantiers comme cela. Faire les situations, piloter le contrôle. Mais c’est vrai que les boîtes qui font cela ne sont pas très efficaces. Mais cela se fait quand même. On perd seulement du temps et de l’argent.

Je reviens à la tranche 1. Vous avez évoqué des réunions avec Jean-Michel DUBERNARD. Vous avez été largement associé au montage du projet ?

Oui, oui. A partir du moment où il a été déterminé que ce serait Lyon III qui irait à la Manufacture des Tabacs, nous on a été associé. Je me rappelle une réunion à l’Hôtel de ville où j’avais dit : « on transfère La Doua, donc il nous faut des amphis ». Dans l’esprit de tout le monde, on ne pouvait pas faire des amphis ici parce qu’il y avait des piliers partout. Je crois que c’est largement là dessus que les projets ont été départagés parce que le projet retenu était le seul astucieux. Il constituait à raser les bâtiments d’un seul étage le long de la rue ROLLET qui étaient sans intérêt pour utiliser les 30 mètres qu’il y avait entre la rue et la façade pour faire ces amphis sur trois étages. A l’époque, quand j’avais dit cela, alors on n’y avait pas été avec le dos de la cuillère, on avait demandé 17 amphis. En fait on en a eu 16. 16 amphis en gradins. L’ingénieur en chef du rectorat s’était mis à gueuler et puis je ne sais plus qui de la ville. Et DUBERNARD a dit : « mais de toute façon, vous n’avez pas à porter de jugements sur les besoins de l’université qui exprime ses vrais besoins. » DUBERNARD a joué un rôle absolument déterminant dans cette affaire, absolument déterminant pour vraiment faire sortir le projet. Parce que je ne sais pas si c’est lui qui a vendu l’idée à NOIR ou si c’est NOIR qui a eu l’idée lui même, on dit plutôt que c’est NOIR qui a eu l’idée. Je ne saurai pas vous dire. En revanche ce qui est certain c’est que celui qui a rendu la chose possible c’est DUBERNARD. Il a fallu quand même négocier avec les ministères au départ. Il y avait le ministère de l’Intérieur qui voulait récupérer les locaux, il fallait convaincre le ministère de l’Education nationale, et cela je sais que c’est DUBERNARD qui l’a fait. Et puis c’est DUBERNARD qui a suivi l’opération jusqu’à la fin de la tranche 1. Après c’était sur les rails. Une fois que c’est commencé, il faut tout de même bien que cela aille au bout. Cela prend dix ou vingt ans mais il faut que cela aille au bout. Et il a joué un rôle très important. Ce d’autant que la ville a été soutenue par le département mais la région au début ne s’est pas du tout impliquée. La région s’est impliquée seulement à partir de la tranche 1 bis.

Quelles sont les raisons de l’absence de la région ?

Je ne sais pas. Je vous donne mon sentiment. Cela repose sur des impressions. Cela ne repose sur aucun fait concret. J’ai le sentiment que la région considérait qu’elle avait un certain droit sur les universités en général et cela ne lui plaisait pas que la ville ou le département mettent leur nez là dedans. Donc, ils boudaient. Au début, ils ont boudé. Et puis quand ils ont vu le résultat, ils se sont dits que finalement c’était pas mal et après ils ont suivi. Mais je crois que celui qui a été l’âme du projet côté élus locaux, c’est DUBERNARD. C’est clair. La communauté urbaine a quand même payé avec le département. C’est aussi grâce à MERCIER qui a soutenu le projet depuis le projet jusqu’à la fin.

Vous étiez en lien constant avec ces élus ?

Oui, bien sûr. Il n’y a pas eu de problèmes, pas eu de conflits entre nous. Non, on a simplement été amené à sonner la cloche d’alarme tant pour la tranche 1 que pour la tranche 2 parce que l’équipement ne suivait pas. C’est le problème classique : on fait des bâtiments et puis on ne met rien dedans. Pour la tranche 1, rien n’était prévu pour les câblages réseau. Il a fallu renégocier pour obtenir une rallonge. Pour la tranche 2, il y a eu le même problème. Je ne parle pas de la tranche 1 bis parce qu’elle était petite et qu’en réalité pour faire l’équipement de la tranche 1 bis, ROLAND avait piqué dans les caisses de ce qui était prévu pour la tranche 2. Donc, il n’y a pas eu de problème pour la tranche 1 bis mais pour la tranche 2, pour 20 000 m², il restait sept ou huit millions à tout casser. Donc je suis allé les chercher, j’ai fait les popotes. J’ai finalement obtenu huit millions du conseil général. On avait profité de la tranche 2 pour remettre à niveau l’ensemble des équipements informatiques, audiovisuels etc. Il y avait une ardoise qui était salée. L’équipement de la tranche 2, cela représentait un total d’à peu près 20 millions de francs.

Il y a une bonne réceptivité des élus locaux aux besoins de l’université ?

Oui, moi je trouve. On aurait mauvaise grâce à dire le contraire. Je crois quand même qu’il y a aussi une chose qui a beaucoup joué au niveau de la ville à l’époque de NOIR puis à l’époque de BARRE, c’est que cela ramenait des étudiants en centre ville. Parce que mine de rien, on a quand même ramené de nombreux étudiants de La Doua et comme on libère des locaux pour Lyon II sur les quais, on ramène des étudiants de Bron. Quand on calcule le cumul de tout, cela fait du monde. Je n’ai jamais fait le calcul mais cela doit être quelque chose autour de 10000 étudiants qui reviennent en centre ville sur la ville de Lyon.

Qu’est ce qui explique cette volonté de ramener les étudiants en centre ville ? C’est un sacré retournement de l’histoire tout de même.

Nous, Lyon III, on a toujours cherché à rester implanté en centre ville. Bon, il y avait un attachement sentimental aux vieux bâtiments des quais. Mais il y avait aussi l’idée que l’université, il ne faut pas la mettre au milieu de nulle part mais dans le tissu urbain. Et cela ça a été la politique depuis trente ans, cela a produit des effets. C’est une bonne illustration de ce que donne une politique à long terme. Parce que si l’on cherche à trouver les clivages les plus significatifs du partage Lyon II- Lyon III, je pense que le plus significatif c’est celui là : ceux qui avaient voulu faire Bron et ceux qui voulaient rester sur les quais. Si vous prenez le clivage qui est traditionnellement évoqué, c’est le clivage politique, vous n’expliquez pas l’attitude des philosophes. Les philosophes ne voulaient pas aller à Bron et les philosophes ont choisi Lyon III pour ne pas aller à Bron. Et puis aussi parce qu’ils se disaient : « si on est loin des psychologues et des sociologues, on va garder notre autonomie, alors qu’autrement on risque de la perdre. » Donc, c’est quand même un facteur qui est très ancré dans la mentalité des gens, cette idée. Les présidents successifs ont cherché pendant très longtemps comment s’étendre sur les quais, enfin sur les quais, dans le centre ville sans trouver de solutions. Le problème qui s’est posé, c’est que dans les années 1960, il y avait eu l’idée de faire du centre-ville et tout les terrains des bâtiments du quai avait été réservé. Il y a eu ensuite le projet de Lacroix Laval ; après il y a eu la réalisation de Bron. A partir de 1971-1972, quand Lacroix Laval a été abandonné, il y a eu une commission qui avait siégé et j’en faisais partie et qui s’était dit : « ce serait bien de se réimplanter dans l’environnement du quai Claude Bernard. » Mais tous les terrains avaient été achetés. Cela avait servi à construire le CES CLEMENCEAU, des tas de choses. Des immeubles. Alors que c’était un quartier où on pouvait tout foutre par terre. Il n’y avait rien à garder. C’était vraiment un habitat médiocre. Et donc le problème butait toujours là dessus. Il y avait eu une tentative au moment du départ de l’Ecole de Santé mais la mairie avait considéré que c’était beaucoup trop grand. C’est la Manufacture qui est tombée au bon moment.

Et du côté des élus locaux, vous l’attribuez à quoi cette volonté de ramener l’université en centre ville ?

Moi, je crois que il y avait bien l’idée de dire, j’en ai souvent parlé avec DUBERNARD, que c’est quand même une richesse pour la ville d’avoir des étudiants. Et ils se plaignaient de ne pas les avoir. Alors pourquoi ? Les étudiants participent quand même à la vie culturelle, cela amène de l’animation, ce sont quand même des consommateurs. Il y a eu une prise de conscience. C’est assez curieux d’ailleurs. On s’est rendu compte que la ville de Lyon avait complètement abandonné toute cette population et que c’était intéressant de la récupérer. D’ailleurs, cela avait généré à terme un certain nombre de réactions. Quand par exemple , l’E NSIB avait eu pour projet de déménager à Gerland, cela avait coincé parce que la ville de Villeurbanne s’était opposé en disant : « on en a marre. Tout le monde s’en va. Il ne reste plus personne. » Ce qui n’est pas tout à fait vrai parce qu’entre Lyon I et l’INSA, il y avait quand même du monde. Cela a joué. On a redécouvert l’intérêt de l’étudiant.

On a parlé des relations avec les élus. Vous aviez des relations avec le rectorat ou la préfecture de région ?

La préfecture, non, pas vraiment. Pour le rectorat, oui bien sûr. Puisque l’Etat était représenté par l’ingénieur en chef des travaux du rectorat. C’était JOANAN. Il y avait un ingénieur en chef qui était très bien et qui a été positif et moteur dans l’opération.

Vous aviez des liens avec le ministère ?

Non, non. Cela passait tout par le recteur et l’ingénieur régional. IL ne faut pas oublier qu’à Lyon on a un service de l’ingénieur rectoral important qui fait lui même de la maîtrise d’ouvrage. Ce qui n’était pas le cas à Grenoble par exemple.

C’est un avantage ?

Oui, je pense que ce n’était pas mal. Après, c’est toujours pareil. C’est ce qu’on disait tout à l’heure sur les lenteurs administratives. L’actuel IRCT est quelqu’un qui ne sait pas ce que c’est que le temps. Tout est immobile. Perdre six mois ou un an, ce n’est pas un problème. Vous pouvez interroger tous les anciens présidents de Lyon et de St- Etienne, ils vous diront la même chose. Il y a la procédure et puis il faut suivre. Si on ne sait pas, on attend jusqu’à temps qu’il y en ait un qui se réveille et qui dise : « cela va encore durer longtemps ? ». Quand vous n’avez pas des gens qui poussent, les choses n’avancent pas. Il y a toujours des délais maximum mais cela peut prendre beaucoup plus de temps si on ne fait pas les formalités. Cela dure, cela dure.

Avec la région, cela se passait bien, le suivi du projet ?

La région a délégué la maîtrise d’ouvrage à SIC développement depuis le début. Je pense que cela ne s’est pas mal passé. Cela a souvent traîné. Mais je crois aussi que c’est un peu la culture des collectivités locales c’est qu’il n’y a pas le feu. Ce qui n’était pas le cas de la communauté urbaine qui fait ici figure d’exception. Je le vois avec d’autres opérations avec d’autres collectivités locales, les mois passent sans qu’il ne se passe rien. On téléphone, on écrit. Par exemple, avec d’autres collectivités que la région sur d’autres opérations en cours, il fallait signer toute l’étude dont le programme a été fait. Il avait été décidé qu’il fallait désigner l’architecte entre septembre et octobre de cette année. Mais au mois de juillet, ils ont décidé de refaire une étude de programme. On ne sait pas pourquoi. Il n’y a pas de justifications. Ils sont en train de refaire des plans et des cotes alors que tout cela a déjà été fait. Et payé par l’université, il y a trois ans. Parce qu’évidemment, avant de faire le projet, c’est sur les quais, il fallait avoir des plans exacts. Tout est prévu. A la limite, n’importe quel placard, on sait ce qu’on va mettre dedans. Et on fait comme si on avait aucune idée de ce qui va se produire et on refait tout. C’est fou. Bon alors, c’est leur argent après tout. Mais le temps passe. On a déjà perdu au moins un an. C’est pas grave personne est dehors.

Vous l’attribuez à quoi cette plus grande efficience de la COURLY dans le suivi du projet ?

Je crois qu’il y avait une forte volonté politique parce que la municipalité de NOIR voulait faire le projet et l’inaugurer. Cela aussi c’est important.

Pendant la réalisation des tranches 2 et 2 bis, vous étiez en contact avec les élus régionaux ?

Avec les services, oui. Parce qu’on ne dérange pas les élus toutes les trois minutes non plus. En général, on va voir les élus quand il y a des problèmes avec les services [rires]. C’est comme cela que cela se passe. On passe au dessus. Il faut éviter de le faire parce que cela crée des pressions. Et les pressions créent des frottements et les frottements empêchent d’avancer. [rires]. De temps en temps, cela devient nécessaire, on ne peut pas faire l’économie de la chose.

Ce sont qui vos interlocuteurs ? Les vice présidents ou les présidents directement ?

Cela dépend des collectivités. A la ville, c’était DUBERNARD. Au département, c’était MERCIER et à la région c’était Charles x. (en az – un petit avec une grande moustache. Il est vice président de la région]

Après la tranche 1, les tranches suivantes ont été incluses dans le schéma université 2000 puis dans les contrats de plan. C’est facile pour l’université de peser sur ces négociations ?

Pour la conception oui. Pour les financements, non. On ne nous demande pas vraiment notre avis. Nous, on dit ce que l’on veut, c’est cubé et on dit il faut tant. Après cela se négocie par l’ingénieur régional ou le recteur directement d’ailleurs. C’est le recteur qui traite avec les élus locaux.

Et pas le préfet ?

Non, le préfet n’intervient pas . Le préfet est intervenu une fois à ma demande pour la tranche 2. Pour cette tranche, il a fallu démolir deux petits pavillons le long d’une avenue. Les bâtiments de France avaient donné un avis défavorable à la démolition. Asticotés par des associations de sauvegarde du patrimoine. Et comme je m’étais beaucoup battu du temps de NOIR pour que les deux maisons ne soient pas détruites, j’étais d’autant plus à l’aise pour dire : « bon, on a sauvé les deux grosses maisons. De l’autre côté, on ne peut pas tout garder. » Donc j’ai été voir le préfet avec l’architecte et le préfet a signé le permis de construire. C’est la seule fois où il y a eu une intervention. Il y avait eu une tentative qui n’émanait pas du préfet mais de l’ingénieur en chef actuel, à mon avis, qui arrivait au rectorat mais qui venait de la DDE comme en général et qui avait voulu que ce soit la DDE qui prenne la maîtrise d’ouvrage. Il disait : « Nous on ne l’a prend pas. » Moi, j’avais dit : « demandons à la communauté urbaine ». La communauté urbaine, pas de chance, venait de prendre la maîtrise d’ouvrage de l’ENS [LSH]. Ils ne pouvaient pas prendre les deux. Du coup, c’est la région qui a tranché et qui a décidé de prendre ‘SIC développement’. Pas la DDE. Je pense d’ailleurs que c’était une bonne décision parce que toutes les expériences que l’on a de maîtrise d’ouvrage DDE, c’est que l’utilisateur, tout le monde s’en fout. On m’avait demandé pourquoi je ne voulais pas que ce soit la DDE. J’avais dit : « Parce que toutes les fois qu’il y aura un problème sur la place d’une porte ou le sens dans lequel elle s’ouvre, je n’ai pas envie que cela s’arbitre dans le bureau du préfet. » Parce que cela c’est des trucs à se fâcher avec les gens et on ne peut pas se permettre de se fâcher avec le préfet. C’était très concret comme souhait.

C’est plus facile de faire prendre en compte ces desiderata par les collectivités locales ?

Oui, bien sûr. Je vois la tranche 2 par exemple. On a eu des gros problèmes avec la tranche 2 parce qu’elle avait été un peu lancée comme cela. Or, il y avait eu quand même des modifications de faites. Elle a été lancée avant que je sois élu. On s’est aperçu que la région, c’était la première fois qu’elle prenait la maîtrise d’ouvrage ici, avait fait l’impasse sur une redéfinition exacte du programme. Il n’y avait pas eu d’arbitrages de fait. Je disais tout à l’heure qu’on faisait le programme et qu’on le refaisait dans certains cas, mais là, il n’avait pas été fait du tout. On a fait les arbitrages entre l’APS et l’APD. On les a faits mais le problème, c’est que le dossier technique n’était vraiment pas terrible. On a passé notre temps à rajouter des cloisons, à déplacer des portes. Cela a été affreux. Pour tout le monde. Pour l’architecte qui se tirait des plombs. Pour tout le monde. Je ne dis pas qu’il ne faut pas faire de programme, c’est important. Mais, on a réussi à faire prendre en compte nos demandes.

Quel regard vous portez sur l’investissement des collectivités locales dans le développement universitaire parce que ce n’est pas dans leur compétence propre…

Non, mais heureusement qu’elles se sont investies. Parce que je crois que l’université en France en terme de patrimoine immobilier était arrivée à un stade tel que c’était la catastrophe garantie. Avec la poussée démographique forte, on n’avait pas les bâtiments qu’il fallait en surface, en quantité et encore moins en équipement. Le parc était vieux en mauvais état, pas entretenu . C’était vraiment une catastrophe. Vous savez, il s’est passé la même chose pour les collèges et les lycées. Il était temps que quelqu’un fasse les travaux parce qu’il y en a la moitié qui allait tomber par terre. Eh bien, c’était pareil pour l’université. A fortiori d’ailleurs parce que les crédits de maintenance lourde étaient très faibles. Avec cela, on faisait des bricoles. Je vois même sur les bâtiments du 15 quai Claude Bernard, pourtant Dieu sait qu’on a mis de l’argent dedans, il y a des grosses opérations de maintenance qu’on ne pourrait pas faire. De nombreuses universités ont considéré qu’elles n’avaient pas à mettre un rond dans leurs bâtiments et n’ont pas mis un sou. Après, on s’étonne qu’il y a des bâtiments qui tombent en ruine au sens propre du terme. Mais bon, l’Etat n’a jamais su entretenir son patrimoine, d’ailleurs il ne le connaît pas son patrimoine.

C’est quoi les raisons qui poussent ces collectivités à intervenir ?

Moi, je pense que dans la mentalité de l’élu local, et c’est un vrai problème pour les universités, cela fait bien d’avoir un morceau d’université. C’est valorisant. Cela prouve qu’on investit dans l’intelligence, cela prouve qu’on est ouvert etc. Ils se sont aperçus aussi que cela générait de la consommation. Et c’est comme cela qu’on a vu fleurir, dans toute la France, des antennes universitaires dans des bleds complètement invraisemblables. Vous observerez que, si vous faites une étude sur d’autres villes, le phénomène du retour au centre ville cela s’est fait pratiquement partout. Cela a été au minimum la rénovation des bâtiments universitaires qui avaient été plus ou moins laissés à l’abandon avec la construction des campus extérieurs ou la réutilisation d’autres bâtiments. Dès qu’il y avait une caserne, un hôpital à réaménager ou une Manufacture des Tabacs à réhabiliter, on faisait une université. Et tous ces bâtiments sont dans le centre-ville. Je crois qu’ils y ont vu cet intérêt. Et puis cela coïncide aussi avec l’arrivée à l’université d’une fraction relativement importante de la population jeune. Une proportion forte. Cela touche beaucoup de familles, cela touche beaucoup d ‘électeurs. Il y a toujours cette arrière pensée. Pour des investissements qui ne sont pas énormes. Quand vous comparez cela avec des constructions comme des ponts. Comparez le prix de la Manu et le prix d’un pont. Cela ne fait pas tant de ponts que cela. Des travaux d’infrastructures routières, 30 ou 40 millions, c’est rien. Pas des gros trucs. Là, vous en avez pour 500 millions, de francs j’entends. Plus les équipements. C’est pas énorme.

Est ce que finalement ce n’est pas l’Etat qui est le grand gagnant en gardant la compétence…

L’Etat a fait un coup fumant parce qu’il fait payer les autres et il garde le contrôle du système. Je ne crois pas de toute façon… en fait garder le contrôle du système, je ne vois pas bien ce que cela veut dire. En 20 ans, à peu près, en 20-25 ans, les universités sont devenus des vrais établissements, des vraies institutions qui se gèrent elles-mêmes. C’est cela qui a donné l’autonomie parce qu’avant finalement c’était des lycées.