Entretien avec Gilles GUYOT - Président de Lyon III de 1997 à 2002 et membre de la commission mixte Lyon I/Lyon II à la fin des années 1960 - 12 février 2003 –

L’entretien se déroule dans le bureau du directeur de l’IAE à la Manufacture des Tabacs. Il dure une heure.

Quand on regarde les financements, on remarque que ces opérations, elles sont systématiquement financées par plusieurs collectivités. Est ce qu’il n’y pas là derrière le souhait pour les collectivités d’intervenir dans chaque projet ?

Oui, c’est un peu l’impression que cela donne. Avec toujours la même chose, quand les opérations passent pour des opérations neuves, mais quand il s’agit d’opérations de type restructuration de bâtiments, des opérations qui ne se voient pas donc, eh bien ils ne veulent pas y aller parce qu’il n’y a pas de cordons à couper.

Est ce que finalement transférer les compétences à une collectivité ce ne serait pas plus simple ?

Je me pose quand même une question qui est celle de savoir si une collectivité, en l’espèce la région, est prête à assumer, parce que, pour le moment, cela les arrange bien qu’il y en ait d’autres qui participent. Je n’ai pas fait le compte mais je peux vous le faire sur l’ensemble des tranches mais la région, à mon avis, elle n’a pas payé plus du tiers sur l’ensemble des tranches, et à mon avis, elle a payé moins. Elle a payé moins. Les tranches 1, 2, 2bis il y a un tiers Etat. Il reste 2/3 pour les autres. Sur la 1ère tranche de 180 millions, la région a mis 0 francs. A mon avis, ils ne sont pas à un tiers. Sur la 1bis, ils mettent la quasi-totalité, bon. Sur la 2 ils ne sont pas à plus du tiers. Ils ne dépassent pas le tiers. C’est comme l’Etat quoi, c’est « armons nous et partez ». Je ne sais pas si on sait faire autrement qu’avec des tours de table. C’est un problème de capacité de financement. Mon sentiment c’est que la maîtrise du patrimoine immobilier devrait revenir aux établissements eux mêmes. C’est quelque chose qui est typiquement français et qui correspond au mépris souverain de la haute administration pour les établissements publics en général et pour les universités en particulier. Ils refusent de nous donner les bâtiments comme si on allait les vendre à la sauvette. Il y a qui est politique, pas politique au sens des partis mais politique au sens général. C’est qu’il n’est pas mal qu’il y ait un peu de compétition entre les collectivités parce qu’autrement on a rien. Ils n’ont pas les mêmes objectifs donc cela permet d’avoir plus de diversités sur les projets financés.

Il n’y a pas un risque de multiplication des tutelles ?

Non, c’est comme dans une entreprise, il vaut mieux avoir plusieurs clients. Quand vous n’avez qu’un seul client vous êtes mal, ce n’est plus vous qui commandez, c’est lui. Non, moi je ne pense pas que la formule actuelle soit fondamentalement mauvaise. Mais dans la préparation du CPER, je pense qu’il faudrait qu’il y ait un comité par site, pas nécessairement sur tout Rhône Alpes, qui soit fait avant. Et non des comités de site qui se font après comme cela s’est fait. Il faudrait des comités de site sur le projet avant. Dans la sélection des opérations et surtout dans les enveloppes qui avaient été mises derrière, cela a quand même été très largement fait par le Recteur. Dans l’opération U2000, le Recteur avait largement consulté tout le monde et cela s’était bien passé. Dans l’opération U3M, il a consulté à posteriori les gens et il n’a tenu aucun compte de ce que les gens lui avaient dit. Là c’est une dérive. C’est peut être dû à une personne en particulier. Mais c’est une dérive qui découle aussi du fait que le patrimoine appartient à l’Etat. Si le patrimoine appartenait aux établissements et que les universités venaient défendre leurs projets devant une commission où l’Etat serait représenté au même titre que les autres, et après quoi la liste des projets avec les enveloppes derrière serait arrêtée. Qu’on donne le leadership là dessus à la région plutôt qu’à l’Etat, pff, de toute façon cela ne changerait pas grand chose. Le problème c’est qui est le propriétaire des bâtiments.

Cela donne à l’Etat une position dominante ?

Il propose. Les collectivités discutent. Elles arrivent à fourguer des trucs. Mais sur le fond, dans le futur, on construira de moins en moins, on aura de plus en plus de maintenance lourde, et par conséquent, moi, je pense qu’il vaut mieux que ce soit discuté avec les collectivités. Regardez une opération comme Bron Parilly. Si c’est vu seulement de la région, qu’est ce qu’ils en ont à faire ? Rien. Mais le maire de Bron ou le maire de Villeurbanne pour la Doua, ils ne sont pas du même avis. Ils pèsent de leur poids à travers leurs réseaux et leurs partis pour que les choses soient faites. Alors, que le bon étage de discussion ce soit la région, sans doute. Je pense que oui. Mais il faut quand même qu’il y ait les trois étages. Je ne vois pas l’utilité de faire venir pour discuter le maire d’Ambérieu-en-Bugey mais les maires qui ont des implantations sur le territoire de leur commune, oui. Cela me paraît important. Les conseils généraux doivent par exemple être là. Alors pareil : le conseil général de l’Ardèche, on s’en fout mais celui de l’Ain c’est important à cause de l’antenne de Bourg en Bresse.

Le fait que les financeurs soient plusieurs c’est donc profitables aux universités…

Si c’est la région toute seule, elle va définir une politique comme cela, et puis tant pis pour tout ce qui n’est pas dans l’axe.

Cela allège la tutelle étatique ?

Oui tout à fait. Mais si l’Etat n’était pas propriétaire des bâtiments, l’Etat serait un partenaire comme les autres. Un partenaire puissant mais il n’aurait pas ce droit de proposition qui dans U3M m’a vraiment scandalisé. Je n’étais pas le seul. GELAS était sur la même ligne que moi. Les universités ont été sacrifiées au profit d’officine, bon je ne vais pas en dire du mal. Bon l’Etat décide de transférer l’ENSATT, il paye une tranche de travaux. 30 millions. C’était à l’Etat de payer. Pour que les débordements de l’ENS ne soient pas pris sur le CPER, pour que la mise en sécurité de Bron ne soit pas non plus prise sur le CPER, cela a été épique. Il y a des exemples qui sont très simples. Par rapport aux autres, les universités, c’est un ratio de 1 à 10. Par rapport au nombre d’étudiants, quand on nous donne un franc, aux autres, on leur en donne 10. Quand on donne 50 millions de francs à l’ENSIBB pour construire un bâtiment pour absorber l’Ecole des bibliothécaires qui était à Villeurbanne, bon pourquoi pas. C’était astucieux de regrouper tout le monde. Il y avait 150 élèves et leur bâtiment est à moitié vide et donc ils auraient pu les prendre pour 0 francs. Là, ils ont dépensé 50 millions. Moi, quand je suis allé dire pour aménager les 20 000m² de la tranche : « j’ai 7,5 millions et demi, comment voulez vous que je fasse ? ». On m’a envoyé sur les roses. On m’a envoyé foutre. Il y a deux poids deux mesures dans ce système, et c’est l’Etat qui donne l’exemple. J’ai lu dans une revue de presse il y a 10 secondes, et c’est l’OCDE qui le dit que 30% du budget de fonctionnement de l’enseignement supérieur est affecté aux classes préparatoires et aux grandes écoles alors même qu’elles ne représentent que 3% du nombre d’étudiants. GELAS et moi on participait au comité de pilotage de l’opération ENS pour une raison très simple c’est que la bibliothèque prévue c’était notre bibliothèque. Rapidement, on a été écarté. D’ailleurs, je me rappelle que dans une réunion à laquelle j’étais, le recteur avait dit : « tout cela m’a l’air pas mal. » Et je lui avais dit : « Je manque un peu de repère mais je pense qu’un ratio de 1 à 10 par rapport aux universités est un bon ratio. On est dans la fourchette. » Mais il n’a pas relevé. Pas de problème.

Sur l’opération U3M…

La maîtrise d’ouvrage d’une collectivité pose ensuite des tas de problèmes qui sont liés à la capacité d’une collectivité à assumer la maîtrise. Il y en a qui font cela très bien et il y en a d’autres où c’est difficile.

La région notamment n’a pas de service technique….

Oui, la région n’a pas de service technique. La communauté urbaine en a et elle avait très bien assuré cela pour la tranche 1. La région, je ne veux pas dire que cela fonctionne mal, mais on est complètement à la merci du délégataire de la maîtrise d’ouvrage. Pour le conseil général, pour l’IEP vous pourrez vous renseigner, ils mettent 10 ans là où il ne faut que 10 mois. Et puis comme c’est ceinture et bretelles, et puis le casque léger, le casque lourd etc., vous faites cuber une opération à 10 et ils font 36 000 études que personne ne leur demandait, ils arrivent à 20, et ils vous disent : « on n’a pas assez d’argent. » Mais ce qui est dramatique, c’est qu’ils finissent par les mettre les 20. [rires] Alors d’accord, cela fait travailler le bâtiment mais enfin bon, on paye des impôts cela ne fait pas plaisir. [rires]. Je crois quand même que les avantages sont très supérieurs aux inconvénients.

Le fait que les collectivités deviennent des financeurs, cela ne les pousse pas à intervenir dans le fonctionnement des universités ?

Franchement non. Il y a parfois des effets de manche. Des problèmes ponctuels. Mais elles savent bien qu’elles ne sont pas compétentes. Vous savez, on en revient à ce qu’on disait tout à l’heure, beaucoup de tutelles, cela veut dire 0 tutelle. Parce qu’il y en a qui vous dise non, vous pouvez toujours aller voir l’autre. Il y a des effets induits merveilleux. Quand j’ai eu mes crédits pour l’équipement de la tranche 2 du conseil général, comme il y avait le problème de Bron qui battait son plein, le Recteur a dit au président du conseil général : « vous ne pouvez pas donné de l’argent à une université comme cela. » Il lui a répondu : « chacun ses pauvres.  Adressez vous à la région. » Parce que la région m’avait dit non parce qu’il finançaient déjà une opération à Lyon II au même moment. C’est pas grave tant que ce n’est pas tout pour le même. A partir du moment où chacun arrive à trouver des financeurs, ça va. Mais c’est important pour eux aussi de piloter des opérations.

C’est important en matière de visibilité ?

Oui parce qu’après ce sont eux qui coupent le ruban, c’est eux qui disent c’est grâce à nous que l’université Tartan pion ou l’université lyonnaise s’agrandit. Et les autres sont là, ils ont payé mais ce n’est pas eux qui ont piloté. Il faut juste que cela tourne un peu. Mais le maître d’ouvrage n’est en plus pas celui qui paye le plus. Mais cela c’est une répartition politique qu’ils se font entre eux. Ils décident des financements et puis ils décident ensuite de se répartir les maîtrises d’ouvrage pour que chacun en ait un peu. Moi je trouve cela plutôt sain.

L’université profite de la concurrence entre les collectivités ?

Oui bien sûr. Mais honnêtement s’il n’y avait pas eu les collectivités locales, il n’y aurait plus d’université en France. Elles auraient fini par être fermées pour cause de danger public.

Vous m’avez parlé de la différence dans les négociations dans l’attitude du recteur entre U2000 et U3M…

Ce qui est très marrant, c’est que c’est le même recteur qui a fait les négociations. Il est arrivé juste pour U2000 et il est parti peu après U3M. L’explication qui est avancée communément c’est qu’il est resté trop longtemps au même endroit. Connaissant tout, connaissant tout le monde, il a considéré qu’il était assez grand pour décider tout seul. Mais moi je sais très bien parce que j’ai souvent représenté VIALLE pour U2000 et je le sais aussi parce que mon épouse avait suivi les opérations pour U2000 au cabinet du maire, ils avaient quand même de nombreuses réunions de discussion. Peut être aussi parce que c’était la première fois et qu’il fallait créer un mode d’emploi. Le changement d’attitude ensuite, je ne sais pas pourquoi. Les collectivités sont impliqués plus ou moins sur les opérations, elles ont pu intervenir pour faire évoluer les enveloppes, en plus ou en moins. Elles ont pu intervenir pour faire disparaître quelques opérations en plus ou en moins. Mais à mon avis très peu. En revanche, les grosses opérations soit en montant l’enveloppe soit en la rabaissant, elles ont quand même peser sur le résultat final. Et à l’avantage des universités quand même. Mais à mon avis c’est lié au fait que c’est le patrimoine de l’Etat. Moi j’avais participé à une commission de travail au ministère et j’avais dit que l’Etat avait fait le contraire de ce qu’il fallait faire avec la loi en disant : « je finance un tiers vous financez le reste, vous récupérez la TVA et vous transférez le patrimoine à l’Etat. » Il fallait le garder. L’Etat a voulu garder le patrimoine pour des raisons de volonté de puissance alors même qu’il n’est pas capable de l’entretenir. C’est compréhensible mais c’est injustifiable.

Il y a encore la volonté de l’Etat de garder une main sur ces politiques ?

Il y a une très forte pression de la CPU, j’avais beaucoup poussé là dessus en 2001-2002. Il est clair que la CPU pousse énormément pour le transfert du patrimoine. On avait dit que les universités devaient aller vers un budget global. Qui dit budget global dit maîtrise du patrimoine immobilier et transfert de la propriété des immeubles. D’autant que la position du Conseil d’Etat est de considérer le patrimoine universitaire comme relevant du domaine privé de l’Etat. Donc il peut le transférer à ses établissements publics. Je ne sais pas comment cela va s’arbitrer. Je pense que l’Etat a envie de le lâcher aux régions mais je pense qu’il a très bien compris qu’il ne pouvait pas continuer comme cela. Je ne suis pas sûr que la région ait envie de récupérer. Le problème que cela pose c’est le suivant : « est ce que quelqu’un a une obligation de financement des opérations lourdes ? »

Ce n’est pas un peu contre productif comme système parce que cela pousse à la construction alors même que la bonne gestion d’un patrimoine, c’est justement l’entretien correct et régulier des locaux ?

Le système a des défauts c’est clair. Ce n’est pas toujours optimal.

Vous voyez quelque chose à ajouter sur la Manufacture ?

Non.

Sur le projet de Lacroix Laval, j’ai déjà pu consulter des archives. Comment le projet de Bron a-t-il remplacé celui de Lacroix Laval. Comment on change de projet alors même que les terrains de Lacroix Laval appartiennent à l’Etat ?

Moi, ce que je sais, c’est que Lacroix Laval devait accueillir la faculté de lettres et celle de droit. A l’automne 1968, on a remis en cause le projet de Lacroix Laval au profit de celui de Bron. Les juristes ne se sont pas, semble-t-il battus, de manière efficace. Ils étaient attachés à Lacroix Laval mais ils ne voulaient pas trop non plus lâcher le quai. Les mauvaises langues vous disent : « il y a une faculté qui avait été sage, et une autre beaucoup moins et on a donné raison à la faculté qui n’avait pas été sage contre celle qui l’avait été. » C’est possible. C’est une explication qui en vaut une autre. Mais j’ai toujours entendu dire, et j’ai siégé dans des assemblées quand j’étais étudiant, que c’était un projet qui était clairement porté par les littéraires. Les autres ne voulaient pas y aller. C’est clair. Et l’argent prévu pour Lacroix Laval est parti à Bron, cela, c’est clair aussi. Je pense qu’on était encore sur la logique campus. Les gens étaient mal installés sur les quais. Honnêtement, pour les gens c’était quand même de dire : « on quitte les quais et on part à Bron ». Alors maintenant, ils font des pieds et des mains pour revenir mais maintenant c’est 30 ans après. Les choses ont changé. Mais je pense que cela correspond à une certaine philosophie de l’université. Vous avez vu LAFERRERE.

Oui, je l’ai vu.

Lui, il sait tout mais il ne vous a peut être pas tout dit. Il y a deux personnes qui savaient tout mais l’autre est mort. Oui, LAFERRERE a mal vécu cette période.

L’université Lyon II entre ensuite dans la crise, il se produit la scission. Et au moment de la scission, on reparle de Lacroix Laval.

Mais cela ne recommence pas. Moi, je dirai, qu’à l’époque, le recteur LOUIS décide de créer une commission Lyon I – Lyon II et j’en faisais partie, LAFERRERE aussi d’ailleurs. Des gens qui furent ensuite à Lyon III, il y avait SIMONET qui était le doyen de la Fac de droit mais qui est décédé, il y avait LAFERRERE. De l’actuelle Lyon II il y avait René GIRARD, un professeur d’allemand. Il y avait BERNARDET qui a été ensuite président de Lyon II. Il y avait ensuite trois enseignants de Lyon I, il y avait un biologiste, le directeur de la pharmacie de l’époque et puis un autre, UZAN, qui était physicien. Et moi donc. Cette commission a été mise en place pour proposer un projet pour Lacroix Laval. Quand on a fait le tour de ceux qui voulaient aller à Lacroix Laval alors que les locaux avaient été prévus pour 7 000 étudiants, on devait se balader autour de 20 000. Bon. A ce moment-là, SIMONET a proposé non pas trois mais quatre universités. Une université à Lacroix Laval, une université reprenant les gens de Bron, et une université Lyon centre sur les bâtiments du quai et ensuite les facultés des différentes composantes ont voté. Et donc cela a donné sur le projet de Lyon IV en question en fait les facultés qui ont ensuite constitué Lyon III. C’est à dire le droit, le futur IETL, un bloc d’historien et de géographe, c’était LAFERRERE, un bloc de linguistes et puis c’est tout. Lyon IV c’était Lyon centre. Lyon III c’était les langues appliquées avec GIRARD, les psychologues et les sociologues je crois mais je ne suis pas sûr, les pharmaciens, les biologistes et les physiciens. Cela intéressait les pharmaciens parce que c’était proche de l’Institut MERIEUX. Il était prévu autre chose à Lyon centre c’était quelque chose autour de la médecine légale et de la criminologie mais cela ne s’est pas fait. Au dernier moment les philosophes ont demandé à aller dans le projet final de Lyon III. Mais ce qui était prévu c’était le découpage qui a ensuite fait Lyon III. Je n’en ai jamais parlé avec SIMONET de manière aussi précise parce que la création de Lyon III c’était SIMONET de A à Z. Il était le représentant de l’opposition au sein de Lyon II. Il était le doyen de la Faculté de droit, donc une composante importante de l’université. Et l’ami personnel du ministre FONTANET. Vieux camarade de combat de la résistance, puis son adjoint au M.R.P. FONTANET était secrétaire général, lui était secrétaire général adjoint. Ministres ensemble dans le gouvernement des années 1960-1962. Donc tout cela a fait qu’il a réussi à dire : « l’université Lyon II est d’accord pour ce découpage [signe modérateur de la main]. Elle l’a accepté. Quand cela s’est fait en 1973, le projet de Lacroix-Laval n’avait pas été officiellement abandonné mais quand même ce n’était plus une priorité. Voilà ce que je sais, mais je manque d’éléments. Mais le projet avait été quasiment abandonné.

Qu’est-ce qui a fait que le projet a été abandonné ?

Parce que le ministère a décidé d’abandonner Lacroix Laval. Ce qui est à mon avis une erreur. Parce que les terrains ont été finalement perdu pour les universités.

Quand on consulte les archives, on a sincèrement l’impression que la recomposition de l’université et la question de l’implantation universitaire sont des enjeux qui sont systématiquement liés…

Oui, cela c’est clair. Oui, je crois. Mais je crois aussi qu’à l’époque, la majorité de la communauté de l’ancienne Faculté des lettres était complètement orientée sur Bron et les autres au début sur Lacroix Laval. A la suite de la commission du recteur, à cause d’un retournement stratégique dû à SIMONET, cette idée est apparue de se mettre au centre. Cela a d’autant moins posé question qu’au départ, personne ne voulait des bâtiments du centre. Notamment ceux du quadrilatère Chevreul / Pasteur / Université et le quai. Le grand quadrilatère. Après la création, cela a commencé à bagarrer pour essayer de se partager le quadrilatère. Mais à l’époque l’université du centre-ville n’était pas du tout un concept à la mode. C’est quand même la grande époque où on a construit des campus un peu partout.

Quand on consulte les archives, il y a quand même une commission Lacroix Laval qui est mise en place sous la présidence de Mr MURAT…

Oui, MURAT était président du CTG de la Faculté de droit. C’est à mon avis la période ou cela a basculé. Parce que jusqu’en décembre, c’était l’ancien doyen de la Faculté de droit, Roger NERSON, qui était partie prenante aux négociations de l’automne 1968 où l’affaire a basculé. Il y a eu des élections en décembre 1968 et MURAT a été en fonction jusqu’à la mise en place de Lyon II. Et notamment dans la période de la mise en place de l’assemblée constitutive qui a duré au moins 6 ou 8 mois. C’est à dire une bonne partie de l’année 1969. Fin 1969 il y a eu les élections et puis la mise en place du conseil de l’université avec la saga des élections du président avec LAFERRERE notamment. Elections qui ont tout de même duré 13 tours. MURAT est mort. Mais MURAT avait fait une grande conférence de presse, il y avait MURAT avec sa grande cape sur les terrains de Lacroix Laval. Mais son mandat n’a duré qu’un an.

Qu’est-ce qui explique que les philosophes se soient rapprochés de Lyon III ?

Parce qu’en réalité dans beaucoup de disciplines, les gens ont fonctionné de manière disciplinaire. Il y a eu des éclatements qui étaient clairement politiques : la minorité des juristes qui est partie à Lyon II autour des DEMICHEL, c’était clairement politique. J’en ai parlé encore il y a quinze jours avec Francine DEMICHEL qui est quand même une de mes amies. C’était clairement politique. Il n’y avait pas de doute là dessus. D’ailleurs ils sont arrivés là bas, ils n’avaient quand même rien à faire. C’était un problème pour eux. Par exemple l’éclatement des historiens et des géographes en deux blocs à peu près équilibrés. Pour d’autres cela a été disciplinaire. Par exemple tous les latinistes sont restés à Lyon III. Tous les hellénistes on suivi POUILLOUX, sont partis à Lyon II. Bon, on sait quand même bien quelles sont les idées des gens : la majorité des hellénistes étaient de droite et ils ont été à Lyon II. Parce que là, c’est le réflexe disciplinaire. Le choix de POUILLOUX étant lié au projet de la Maison de l’Orient, à mon avis c’était lié à cela. Les philosophes, l’une des raisons majeures de la définition des blocs résultait de la définition de l’autonomie des composantes au sein de l’université. C’était le facteur majeur. Il y avait une tendance des juristes et c’est quelque chose de très profond, dans la tradition universitaire, le doyen de la faculté de droit, était très puissant. Les composantes n’étaient pas autonomes. Le président de section en droit privé, en économie, en histoire, il distribuait ses cours. Point final. C’était un système très centralisé. Au contraire dans les facultés de lettres, qui étaient gigantesques, il n’y avait pas de communication entre les grandes disciplines c’était les départements qui étaient puissants. Le doyen il administrait un peu l’ensemble. Et cela n’a pas vraiment changé. Donc les lambeaux de la faculté de droit, c’est à dire la fac de droit actuelle et la fac de sciences économiques qui est à Lyon II, de la même manière attention, c’est pour cela que je dis que ce n’est pas un problème politique à ce moment là, on clairement revendiqué un statut de large autonomie. La plupart des départements littéraires étaient bien trop petits pour pouvoir revendiquer un statut de large autonomie. Et en plus sans vouloir être méchant, ce n’est pas dans le domaine dans lequel les gens sont particulièrement bons pour faire de la gestion alors que les juristes sont plutôt bons dans ce domaine. Il y a eu cela. Il y a eu aussi que l’équipe dirigeante de Lyon II, c’était un des facteurs déclenchant de la crise, voulait ouvrir tous les 1er cycles de droit à Bron. Bron a en effet ouvert à la rentrée 1973. La bagarre était fin 1972 début 1973. Maintenant comment les choses se sont passées ensuite ? Une bonne partie de l’équipe majoritaire des littéraires a été voir SIMONET et lui a dit : « on ne peut pas continuer comme cela, il faut que l’on se mette d’accord sur un partage. » SIMONET a dit : « on a un projet qui a déjà été accepté. » Cela a été dit. Il y a une séance en juillet 1973 du conseil d’université qui a voté le partage. Le vote a été acquis à une écrasante majorité. Au moins 70 %. Et NERSON à l’époque a dit, et là c’était le juriste qui parlait un « mutus dissensus ». C’est à dire un divorce par consentement mutuel. La situation des philosophes s’est décanté dans le mois de juillet. On avait dit aux philosophes qu’ils allaient partir à Bron Parilly. Alors DAGOGNET notamment a dit qu’il ne voulait pas aller à Bron parce qu’ils n’avaient pas de voiture mais je crois surtout qu’ils ne voulaient pas aller à Bron pour ne pas se faire absorber par les psychologues et les sociologues. Et cela j’en ai parlé tellement de fois avec lui, que c’est clair comme de l’eau de roche. Il voulait avoir une assez large autonomie. Il voulait gérer sa philosophie sans qu’on vienne l’emmerder. Dans la loi de 1984, le fait qu’il y ait quand même 4 articles 33 sur six composantes est quand même significatif. Et les autres, s’ils n’ont pas ce statut c’est bien parce qu’ils ne l’ont pas voulu. J’ai présidé cette université pendant 5 ans, c’est vrai qu’on la fait fonctionner comme une entreprise qui est organisée en divisions et non pas comme un système qui est centralisé. Cela ne veut pas dire que ce n’est pas efficace. Finalement, elle marche plutôt bien. Il y a aussi depuis l’origine une grande différence entre ces deux universités.