Entretien avec Riwana JAFFRES – Membre de la mission « carte universitaire » de 1991 à 1992 et chef du bureau B2 de la DPD de 1998 à 2003 - 28 mai 2003

L’entretien se déroule dans les locaux de l’EHESS à Paris. Il dure une heure trente. Il est interrompu par un exercice incendie. Nous continuons l’entretien dehors pour le terminer l’alerte passée, dans le bureau de Riwana JAFFRES.

Je vais d’abord vous demander de vous présenter.

Je m’appelle Riwana JAFFRES. J’ai travaillé au Ministère de l’Education nationale où j’étais l’adjointe du chef de la mission Carte universitaire de 1991 à 1992 et là j’ai été amené à suivre le schéma Université 2000. Ensuite j’ai été secrétaire général d’une des universités nouvelles crées par le plan U 2000, l’université du Littoral où là j’ai vu des choses sur le terrain en direct. Ensuite je suis revenue au ministère avec une mission toujours sur l’aménagement du territoire dans le cadre de la DPD la préparation de la dernière génération de contrat de plan et la mise en place du plan U3M ainsi que l’élaboration du schéma de services collectifs d’enseignement supérieur et de la recherche.

Est ce que vous pouvez me décrire en quoi consistait votre travail au sein de la mission carte universitaire et puis ensuite au sein de la DPD ?

Oui. La mission de la carte universitaire avait pour mission de suivre et de coordonner auprès du directeur de la DPDU la mise en place du plan U2000. Ce qui supposait d’organiser l’interface avec les Rectorats qui pilotaient sur le terrain le montage des opérations et leur calendrier et d’assurer la coordination au sein du Ministère avec tous les services gestionnaires qui affectaient les crédits d’Etat. C’est la DPDU qui faisait cela.

Vous étiez en contact avec des acteurs locaux et des acteurs ministériels…

Et la DATAR bien sûr.

C’est quoi la nature des relations avec la DATAR ?

Le plan U2000 a été élaboré alors que les contrats de plan étaient déjà établis. Donc si vous voulez le plan U2000 est venu modifier, disons plutôt enrichir et donner une autre dimension aux contrats de plan existants. Donc les relations avec la DATAR étaient des relations qui étaient très régulières. On était dans une démarche d’avenants alors que pour U3M cela a été concomitant. Là, ma mission au ministère a été de participer à toute l’élaboration du contrat de plan et donc de participer à toutes les phases de la procédure pilotée par la DATAR.

C’est quoi les fonctions de la DATAR dans l’élaboration des contrats de plan ?

Elle a une fonction de pilote de l’élaboration des contrats de plan. Moi, je vous parle de ce que j’ai vécu sur la dernière génération de contrat de plan et dans U3M. La dernière génération de contrat de plan innovait sur un certain nombre de points notamment la durée des contrats. Avec un séquençage du calendrier et une révision du CPER à mi parcours. En région, ce sont les Préfets qui coordonnaient les projets. Pour U3M et les contrats de plan, il y a eu des procédures parallèles qui s’emboîtaient sous l’égide des Préfets au niveau des Préfets et qui se remboîtaient dans la phase de validation au niveau du gouvernement par la remontée de la programmation. U3M a été le fruit d’une concertation au sein de toute l’administration de l’Education nationale y compris au sein des établissements, des laboratoires de recherche, des validations scientifiques du CNRS. Il y a eu un certain nombre d’institutions qui ont proposé des choses et qui ont été coordonnées pour U3M où intervenaient les Recteurs. Ils ont eu un rôle de coordination et de concertation. Il y avait la démarche contrat de plan où les Préfets dans le chapitre enseignement supérieur reprenaient les propositions coordonnées par les Recteurs. Il y avait la validation dans la procédure générale gouvernementale du contrat de plan de la partie U3M qui était la partie enseignement supérieur recherche du contrat de plan.

Ce que vous me décrivez là, c’est une élaboration qui est d’abord Education nationale et où ensuite intervient le Préfet au niveau régional et la DATAR au niveau national…

Oui où intervient le ministère aussi.

Je comprenais cela dans l’Education nationale…

Je pense que de ce point de vue là, l’Education nationale n’a pas une procédure particulière. L’autre grand ministère qui intervient dans les procédures de contrat de plan, c’est le ministère de l’Equipement. Là je pense que les procédures doivent se ressembler. Je ne connais pas le Ministère de l’Equipement de l’intérieur mais à mon avis cela doit se ressembler. Les grandes orientations gouvernementales à travers le ministère de tutelle, une élaboration des propositions concrètes par tous les intervenants du domaine et ensuite des concertations au niveau régional et une validation centrale. Les deux grands domaines des contrats de plan, ce sont tout de même l’Equipement et l’enseignement supérieur et la recherche.

Vous aviez des relations avec la direction de l’enseignement supérieur ?

Oui, très fréquemment. La concertation au sein du ministère impliquait forcement une liaison continue entre la DPDU et la DES notamment à travers la démarche contractuelle entre le ministère et les établissements. Parce que les acteurs de la mise en œuvre du contrat de plan ce sont les établissements. Il y avait un souci de coordination.

Vous m’avez parlé d’une relation privilégiée du rectorat ? C’est eux qui faisaient remonter l’information du niveau local vers le niveau central ?

Oui bien sûr, ils étaient de toute façon dans le schéma de prise de décision, les recteurs avaient une mission de coordination qui était parfaitement identifiée. Il est évident que l’élaboration des projets venait des établissements en relation avec toutes les instances de validation scientifique. Intervenaient beaucoup sur la dimension projet de recherche les D2RT. C’est donc vraiment une concertation à plusieurs niveaux, à plusieurs acteurs. Les Recteurs sont les partenaires officiels des préfets dans les circuits administratifs.

Vous aviez des relations directes avec les présidents d’établissement ?

Oui, on avait des relations avec les présidents d’établissements, à travers la politique contractuelle des établissements. Mais ce n’était pas forcement une concertation systématique.

La genèse des projets se fait au niveau local et est validée au niveau central ?

Oui mais le plan U3M s’est élaboré aussi dans une concertation avec les établissements. La finalisation des projets s’est faite par des mouvements de concertation. Quand il y avait des points à préciser ou des projets à hiérarchiser ou à redimensionner, il y avait des réunions avec les présidents d’établissements d’une même académie. A Paris ou en région. C’est complexe à décrire.

On continue sur les relations. Avec les Préfets ?

C’est essentiellement la DATAR qui assure les relations avec la préfecture. Cela dit tous les représentants des ministères étaient invités aux réunions générales qui avaient lieu à la DATAR. Sur des points ponctuels quand il y avait des précisions à apporter sur un dossier, il m’est arrivé de consulter les SGAR pour stabiliser un dossier. Cela se faisait en amont. A côté dans la gestion quotidienne d’un dossier, on était amené à avoir parfois des relations directes avec les SGAR. Ce n’était pas systématique. Ce n’était pas marginal mais ce n’était pas systématique. Si les projets contrats de plan d’une région ne posaient pas de problème, étaient stabilisés, si la concertation en région correspondaient aux grandes directives d’U3M, il n’y avait pas de problèmes. Le travail était déjà fait. Mais très ponctuellement, sur un dossier on pouvait avoir des choses à préciser, des hiérarchies à élaborer. C’est à ce titre là qu’on intervenait pour modifier les rédactions locales. Il pouvait y avoir des rédactions qui ne nous convenaient pas. En marge du CPER, il y a les opérations ponctuelles pilotées par la DATAR sur des actions d’aménagement du territoire. Le ministère était associé aux réunions et aux concertations menées par la DATAR. Mais d’une manière générale, pour l’enseignement supérieur et la recherche, les contrats de plan épuisaient très largement les crédits d’investissement de l’Etat. D’où l’importance de la démarche contrat de plan.

Dernier acteur qu’on n’a pas évoqué les élus locaux. Il vous arrivait d’avoir des contacts avec eux ou de les recevoir ?

Non. Cela se limitait aux acteurs institutionnels. De l’administration.

Le ministère a changé d’organisation au moment du lancement du Contrat de plan…

Oui la DPDU a été la direction qui a mis en place le programme U2000.

Et cela a changé quoi dans l’action du Ministère la mise en place de la DPDU ?

Je vous le fais de mémoire. Je ne me rappelle plus très bien comment c’était avant. La DPDU regroupait toute la politique contractuelle, les constructions. La DPDU a regroupé la gestion de l’ensemble des moyens. C’est au même moment que la politique contractuelle a été mise en place et développée. Le plan U2000, c’était un plan en investissement fort qui faisait complètement changer la dimension de la participation des collectivités locales à l’enseignement supérieur. Cela a changé d’échelles. On a mis en place de nouvelles procédures de concertation et en même temps il y a eu le développement de la politique contractuelle au niveau des établissements qui organisaient dans un souci d’échanges, la coordination entre la politique du ministère et la politique des établissements. Cela inscrivait les établissements comme acteurs autonomes locaux de la politique d’enseignement supérieur et de recherche. Cela a été une période extrêmement riche dans l’évolution de la gestion de l’enseignement supérieur. Il y a eu avant la DPDU et après la DPDU. [rires]. Non mais vraiment. Le directeur de la DPDU, Armand FREMONT était un universitaire, chercheur, géographe et donc porteur intellectuellement d’U2000. Il était ancien Président d’université, ancien Recteur. C’était vraiment quelqu’un qui incarnait par toutes les responsabilités qu’il avait assumées, il incarnait la synthèse que voulait être le plan U2000 et le développement de la procédure contractuelle avec les établissements. Cela a été une période très riche. Mais il ne faut pas dissocier les innovations qui ont été portées par U2000 de la politique contractuelle qui a associé les établissements et le ministère. C’est un ensemble qui faisait une cohérence.

Cette politique contractuelle était gérée par la DPDU…

Oui. C’est la DPDU qui le faisait. Alors, bien sûr, cela se faisait en concertation très étroite avec la DES et sur l’ensemble du ministère. Mais la DPDU étant la direction qui avait la charge de l’attribution de l’ensemble des moyens aux universités, c’est elle qui pilotait la procédure contractuelle.

Cela n’a pas créé des tensions avec la DES, cette création d’une direction qui gérait la totalité des moyens affectés aux établissements ?

Non, je ne l’ai pas senti. Cela a été une période…mais bon chacun a ses lunettes. Peut être que des collègues qui étaient à la direction de l’enseignement supérieur ont peut être une vision un peu plus nuancée que la mienne. Non, ce sont des périodes, ce sont là des appréciations très subjectives, mais le ministère était mobilisé sur une politique claire, définie. Il y avait des cibles affichées et une mobilisation générale. Et puis, quand vous avez un peu d’expérience dans les ministères vous voyez les organigrammes se faire, se défaire et se recomposer. Les cas de figure ne sont quand même pas infinis. La manière dont cela s’est vécue c’est la juxtaposition de la subjectivité de chacun. Mais pour moi c’est une grande période pour le ministère. Il y avait une cohérence, il y avait une politique annoncée. Une très grande activité. Les collectivités locales étaient très mobilisées. Et puis cela répondait à des besoins prégnants de locaux. Cela a été, je vous le dis, une grande période. Avec des avatars divers, je ne suis pas en train de vous dire que tout marchait merveilleusement.[rires].

La DPDU est ensuite devenue DPD…

Oui, elle est devenu DPD. C’était une autre configuration. La DPD était l’ancienne direction de l’évaluation et de la prospective à laquelle était ajouté tout l’aspect aménagement du territoire. C’était un autre découpage avec une autre logique.

Et les contrats d’établissements ils étaient gérés ?

A la DES. Dans cette configuration, il n’y avait plus une seule direction qui gérait l’ensemble des moyens. Et dans le nouvel organigramme, la direction de l’enseignement supérieur a repris tout l’aspect aménagement du territoire. C’est un peu un profil DPDU mais cela s’appelle direction de l’enseignement supérieur. C’est pour cela que je vous dis les avatars d’organigramme.

Comment est ce que sont fixées les enveloppes ministérielles qui sont confiées au Préfet de région ? La DPDU, elle intervenait sur la fixation des enveloppes régionales ?

Oui, oui. Là, il faudrait aussi interroger les budgétaires. Enfin les budgétaires. A la DPDU, la mission carte universitaire suivait l’élaboration du budget de l’enseignement supérieur. Il y a toujours une référence, c’est ce qu’on faisait sur la période précédente. Ensuite il y a un effort de l’Etat. Avec les ajustements successifs qui permettent d’afficher une enveloppe plausible. Et ensuite il y a la décomposition de cette capacité d’investissement en fonction des besoins de la hiérarchie des priorités. C’est une alchimie extrêmement complexe et de nature diverse. Mais par exemple pour U2000, l’investissement de l’Etat était calibré à environ 16 milliards.. sur les premières hypothèses, on attendait une participation de l’ensemble des collectivités locales à un niveau proche de 8 milliards. Cette contribution a doublé. Il y a eu des ajustements. C’est une illustration de la dynamique des contrats de plan qui permet une mobilisation souvent importante.

Cela a été une surprise au ministère ?

Oui, cela a été très bien reçu. Ce que je viens de vous dire c’était une hypothèse d’école qui se nourrissait de ce qui se faisait déjà dans les contrats de plan. Mais il y a eu une réponse très forte.

Je reviens sur la définition des budgets régionaux. Vous me disiez que la première chose que l’on fait c’est de regarder ce qui avait été fait l’année précédente…

Oui, c’est un des grands classiques de toute démarche budgétaire. La première chose que l’on fait, c’est qu’on regarde ce que l’on a fait avant. Et puis il y a eu les calibrages de besoin. Vous vous intéressez à des projets lyonnais, U2000 répondait à des besoins d’intervention qui était urgents et parfois criants. Et nous forcément, l’inscription de dossier prioritaire dans la hiérarchie des financements. Et puis ensuite ce sont des ajustements successifs. Etant donné que c’est un partenariat avec les collectivités locales, il y a toujours l’idée de dire : « je mets cela à une condition c’est que vous mettiez cela. » Et puis réponse : « oui ok, je mets cela mais il me faut un investissement là, à tel endroit. » même si parfois au niveau de la logique d’investissement d’enseignement supérieur la demande en question n’est pas forcement la priorité des priorités. Bon, donc il y a toutes ces petites négociations qui sont marginales ou moins marginales pour permettre petit à petit de stabiliser un projet. C’est comme quand vous faites la maquette d’une sculpture, vous partez d’une épure et puis petit à petit cela s’ajuste. Quand on regarde les réalisations, il y a quand même une grande cohérence même si on peut critiquer des tas de choses. L’amélioration des conditions de travail et de réalisation de la recherche a été remarquable.

Vous m’avez parlé des négociations avec les collectivités territoriales. Comment est ce que faisait le Ministère avec les demandes qui ne correspondaient pas aux grandes orientations stratégiques qui avaient été définies au préalable ?

C’est de l’ajustement. Le ministère dans ces opérations avaient pour partenaires des collectivités donc des élus. C’est de l’ajustement successif. Il y a toujours les soutiens politiques privilégiés. Quand je vous parle des interventions de nature diverses c’est de cela que je parle. Les collectivités sont aussi porteuses de projets cohérents, elles sont porteuses d’une connaissance du terrain, d’une perception des besoins qui sont des facteurs qui enrichissent le débat. Même si il y a toujours les petits trucs, il faut faire plaisir à Mr Machin. Bon. Quand on vous dit : « le président du conseil régional il lui faut absolument son truc. » Bon et bien il aura son truc. Je caricature mais il y a toujours cette petite dimension. Mais bon là on n’est pas dans le domaine des sciences exactes et la cohérence d’un projet elle se nourrit d’analyse des équilibres, sur des études de sociologie et de géographie. On s’est quand même appuyé sur un certain nombre d’études qui a été mis en forme dans un atlas publié à la documentation française. Il y a eu des études sur les déséquilibres, sur les besoins, les retards qu’on a tenté de combler davantage de moyens à telle ou telle région. C’est le fruit d’un travail collectif et intellectuel. A partir de ces constats, on a essayé de définir une politique mais on n’est pas dans le domaine des sciences dures Alors oui, c’est sûrement plus stratégique de pallier au déficit de capacité d’accueil d’une métropole universitaire qui ne sait plus où mettre ses étudiants que d’aller construire un IUT à un département et demi à Trifouilli-les-trèfonds. Mais bon. Mais d’accord mais en même temps peut être que ce département d’IUT va réussir à catalyser des projets sur une aire locale beaucoup moins lourde. A travers des transferts de technologie, peut être que cela va permettre à un réseau de villes moyennes de ne pas péricliter. Alors c’est bien, c’est pas bien moi je ne sais pas. La priorité s’apprécie toujours à travers ses critères de jugements. Cela permet un enrichissement du débat de discuter avec des élus locaux. Et puis, de toute façon, l’ensemble de la procédure d’investissement du ministère ne peut pas être pensé en dehors de cette concertation depuis les contrats de plan. Parce qu’U2000, U3M et les contrats de plan, c’est la même chose, c’est la démarche contractuelle. Les contrats de plan épuisent les capacités d’investissement. A côté de ces investissements il y a aussi la politique des très gros organismes de recherche qui peut définir des implantations pour des très gros investissements de recherche. Mais cela aussi dans U2000, dans U3M, cela a donné lieu à un certain nombre de réunions. Je me souviens d’un certain nombre de réunions avec des représentants du CNRS qui étaient des réunions toniques. Mais c’est indissociable.

Ces demandes locales, cela passe par qui ?

Cela passe beaucoup par les Recteurs et puis il y a aussi les relations directes des établissements avec leurs collectivités locales et leurs élus qui peuvent être très fortes. Là cela remonte via les établissements. Ce sont les établissements qui vont mettre en œuvre les projets. Rien ne se fait sans eux. Ce sont eux les maître d’œuvre. Il y a des établissements qui ont leur politique. Parfois ils font du lobbying auprès des élus pour faire passer un projet. Les circuits sont d’une complexité infinie.

Cela varie en fonction des contextes locaux ?

Oui complètement. En local, moi je l’ai vécu à l’université du Littoral où on avait crée une université, pas à partir de rien parce qu’il y avait des antennes mais à partir de pas grand chose, la concertation avec les collectivités locales qui payaient beaucoup de choses. Avec l’université lilloise qui était l’université mère, on se trouvait dans un espèce de tricot qui était très actif.

Vous m’avez parlé de l’enrichissement du débat qui intervenait avec les discussions vous associant aux partenaires locaux. Il y a d’autres avantages dans cette concertation ?

La contrainte, c’est qu’il faut tenir compte de ce que dit l’autre [rires]. Le partage est de toute façon enrichissant même si on perd parfois en unité. Mais vous savez les grands projets discutés dans les cabinets ministériels qui ne sont gênés par rien si ce n’est par l’enveloppe financière ce n’est pas forcement la meilleure des choses. Et puis moi je pense que cette démarche de partenariat permet aux partenaires maîtres d’œuvre, les établissements et les collectivités de s’approprier complètement le projet. Il y a des collectivités qui inscrivent les réhabilitations ou les constructions universitaires dans des politiques urbaines. Ne pas les subir comme une directive du ministère. Parce qu’il y a aussi derrière tout cela une politique scientifique des établissements. Il y a une politique d’habilitation, un positionnement de l’offre de formations par rapport aux besoins locaux ou par rapport aux compétences des établissements. Même si les établissements peuvent décider de recruter des gens sur telle ou telle chose. Les contrats de plan se sont des programmes d’investissement mais qui s’appuient d’abord sur des annonces de politiques générales au niveau régional avec un contenu et des activités à privilégier. On est très focalisé sur la traduction financière mais les contrats de plan sont d’abord des projets d’activité que doivent nourrir les établissements parce que derrière il y a une politique de projets, une politique d’établissement avec des recrutements par exemple à laquelle le ministère participe également : par les postes, on met des emplois on n’en met pas etc. C’est un puzzle compliqué.

C’était facile pour le ministère de peser dans les négociations locales ?

Cela passe par les Préfets, les Recteurs et les établissements. Cela passe par la procédure d’élaboration des contrats de plan. U2000 a enrichi un contrat de plan existant et là, c’est de la concertation. Je reviens sur ce que je vous disais au début. Il y a le suivi ensuite. Pour U2000 on faisait régulièrement des réunions avec les recteurs et les responsables d’établissement pour voir où on en était dans la réalisation. Il y a des régions qui vont très vite, d’autres qui vont très lentement par une culture administrative locale qui fait que.

Et en Rhône-Alpes ?

En Rhône-Alpes, il y avait quelques très grosses opérations. C’est une région très lourde qui a des administrations efficaces et des établissements très actifs.

Il y a deux rectorats dans cette région c’est un facteur de difficultés ?

Pour U2000, je ne me souviens plus, pour U3M, c’est évident que ce n’est pas un facteur de facilité, mais bon il n’y a pas eu de problème majeurs. Non, le Préfet et le SGAR ont coordonné les relations entre les deux. Et puis en Rhône Alpes, ils ont mis en place des structures de concertation géographique sur les différents projets à mener. On avait là une gestion très opératoire. Le seul problème en Rhône-Alpes cela a peut être été une certaine sous estimation du coût des opérations. C’est pas une critique il faisait rentrer le maximum de projets sur la liste. Mais bon, quand on fait de la programmation sur 7 ans, il faut être sans illusion. Il y a forcement des projets qui ne se feront pas sur 7 ans et puis des projets qui vont apparaître.

Vous voyez des différences entre la réalisation d’U2000 et d’U3M ? Il y a eu un apprentissage ?

Je pense, oui. Peut-être parce que j’ai eu une documentation plus riche sur U3M puisque j’ai tout suivi depuis le début. Mais il y a un apprentissage à tous les niveaux. La procédure administrative est très efficace au niveau des préfectures, des rectorats, des établissements. A la fin des années 1980, il y a une loi qui permet aux établissement d ‘être maître d’ouvrage, donc là aussi l’apprentissage est fait. U2000 a été le premier exercice, le rodage de la procédure. Aujourd’hui, c’est quelque chose qui tourne très bien. Vous avez aujourd’hui des ingénieurs de l’Equipement qui sont de véritables chefs d’orchestres des constructions universitaires. Maintenant les administrations concernées savent faire.

Vous venez d’évoquer les IRE des rectorats. Ce sont des pièces essentielles dans le suivi du contrat de plan ?

Essentielles. D’abord, ils sont essentiels quand c’est l’Etat qui est maître d’ouvrage. Quand l’Etat est co-financeur d’un projet, ils font partie du tour de table. Ils conseillent parfois beaucoup les établissements. Ils sont des partenaires des SGAR, des collectivités pour la mise oeuvre des opérations.

Il y a beaucoup de collectivités qui prennent des maîtrises d’ouvrage alors même que c’est risqué . Qu’est ce qui explique à votre avis cette volonté de prendre des maîtrises d’ouvrage ?

Ils sont maîtres d’ouvrage quand ils sont les financeurs majoritaires. Là on est dans la logique générale de la décentralisation et de la déconcentration. C’est lié à la préparation de la loi de 1989. Cela correspond à une volonté de décentralisation, et puis cela permet aux collectivités locales de maîtriser le déroulement de l’essentiel du projet. Si vous prenez une ville, elle a un plan d’urbanisme où elle veut intégrer une université. C’est important pour elle d’avoir la maîtrise d’ouvrage. Elle va forcément peser lourdement dans certains choix. Bon c’est l’université qui définit la taille des salles mais pour définir l’architecte, elles sont quasiment libres.

Quand on interroge les représentants des collectivités locales ils nous disent avoir parfois l’impression que l’Etat profite quelque peu de l’argent des collectivités pour faire financer ses projets sans cependant transférer sa compétence. Cela vous semble être un avis lucide ?

C’est le grand débat. On est dans le débat sur la décentralisation et la déconcentration. L’Etat garde la compétence et l’Etat est aussi dans la logique de l’administration et la gestion publique française. L’Etat garantit le niveau scientifique, garantit un certain équilibre territorial de la répartition des moyens. Il n’empêche que pour les collectivités locales, si elles investissent, c’est bien qu’elles se rendent compte à quel point un équipement universitaire est une richesse pour elles. Et si les collectivités locales veulent développer ces équipements c’est aussi parce que ces équipements ont une valeur nationale, garantie au niveau national. A l’université du Littoral, les élus voulaient une université, ils ont eu une université. Mais ils avaient parfois tendance à penser que c’était une université municipale. Je peux vous dire que moi j’ai été amené à faire des réajustements importants avec eux. Mais pour eux une université municipale n’avait aucun intérêt. Donc un équipement universitaire est important et valorisant, c’est un service public mais il est d’autant plus utile, attractif, souhaitable qu’il est validé au niveau national. On est dans cette contradiction mais qui est une contradiction dynamique. Voilà pour l’analyse. Alors maintenant on parle beaucoup de la concurrence entre les établissements

Qu’est ce qui explique que cela soit important pour les collectivités d’avoir une université performante ?

Quand il y avait 20% d’une classe d’âge qui avait le bac et qui ne faisait pas systématiquement de l’enseignement supérieur, cela n’était pas un problème. Aujourd’hui vous avez 80% d’une classe d’âge qui arrive au bac et qui fait souvent ensuite de l’enseignement supérieur, vous avez des exigences de formation qui s’élèvent partout. Il y a l’obligation quantitative d’offrir un accueil à une population étudiante multipliée par 5. On ne va pas mettre tous les étudiants de France au même endroit. Il y a eu le besoin de répartir. Et puis, il y a le souci de dynamiser l’économie. Le grand exemple c’est Grenoble qui a pris une partie de son dynamisme dans son université. Toutes les collectivités rêvent d’être dans la situation de Grenoble. C’est un peu caricatural ce que je vous dis mais il y a de cela quand même. Mais on peut aussi regarder les BTS. On a une vision complètement fausse si on se limite aux enseignements universitaires. Il faut regarder les BTS. On a une dispersion qui est considérable. Vous vous mettez à la place d’un maire d’une ville moyenne ; il y a 50% de la population entre 18 et 25 ans qui est susceptible de partir. Il faut comprendre cela. C’est un vrai problème pour lui. C’est tout cela.

Cela concerne les villes moyennes. Mais pour les métropoles ?

Elles ont des capacités d’accueil mais l’explosion de la population étudiante dans les années 80 et 90 aurait fait exploser les murs. En plus, les constructions universitaires du début des années 1970 n’ont guère résisté. Elles sont en ruine maintenant. Il y avait un besoin avéré. Les grandes métropoles, il y a toutes les activités de la recherche qui sont importantes pour elles. Elles en tirent des bénéfices à des tas de niveaux. Il y a des tas d’études qui montrent bien que les métropoles trouvent des bénéfices à avoir des laboratoires de recherche et des universités performantes. A des tas de niveaux : fixer une population de chercheurs, attirer des entreprises. Toutes les études qui ont pu être menées sur ces aspects le montrent bien.

Quand on regarde les projets ce qui est remarquable, ce sont que les financements sont très souvent croisés. Il n’y a pas de répartition par collectivités…

Cela dépend des régions. Il y a des endroits où un financeur va tout prendre. Mais pour des raisons diverses, cela dépend des régions. Dans le Nord, pour les bibliothèques c’était 100% Etat. D’abord, parce que dans les projets initiaux cela avait été oublié. [Rires]. Et puis parce que les collectivités locales n’allaient pas payer cela en plus et qu’on a pu arracher une rallonge du Ministère pour avoir une bibliothèque au Littoral. C’était indispensable. Mais c’est variable. Et là, l’Etat n’a pas de pratiques particulières. Il y a un partage qui se fait.

Vous m’avez parlé de la définition du schéma de services collectifs. C’est quoi l’objectif de ce schéma c’est de définir des priorités ministérielles pour guider l’action ?

Les schémas de services collectifs, c’était dans la loi sur l’aménagement du territoire. Normalement les schémas de service collectifs devaient être un cadrage à 20 ans de la politique d’aménagement du territoire. Il devait y avoir 9 schémas dont un sur l’enseignement supérieur et la recherche. Ils devaient nourrir les contrats de plan. Ces schémas reprenaient sous une autre forme et dans un autre esprit les schémas pluriannuels de la précédente loi d’aménagement du territoire. On a substitué aux schémas pluriannuels ces schémas de service collectifs. Et donc exercice de prospective à 20 ans qui devait comporter un état des lieux et des grandes orientations en cohérence avec les grandes directives de la loi sur l’aménagement du territoire. Alors dans cette loi, il y avait des choses qui avaient été supprimées par rapport à la précédente loi. C’est une loi qui avait du être votée six fois. D’où notamment les universités thématiques. Ca a sauté cela. C’est un peu désordre ce que je vous raconte mais je n’ai pas révisé. Ces schémas de services collectifs devaient servir de référence pour l’élaboration des contrats de plan. De fait, on a fait les contrats de plan et puis ensuite on a fait les contrats de plan. Et le schéma de service collectif dans ces prospectives c’est énormément nourri des orientations qui avaient été définies dans le contrat de plan. Dans la première partie, il y a quelques éléments qui permettent de réfléchir sur l’évolution de la carte universitaire. On parle beaucoup de l’éclatement des sites universitaires, cela a été un besoin parce que les métropoles ne pouvaient plus accueillir des étudiants. Cela a joué une fonction de trop plein également. Les collectivités se sont appropriés des projets, les antennes universitaires il y a en a qui marchent très mal mais il y en a aussi qui marchent très bien. Mais en fait, il y avait quand même 90% de la population étudiante qui est dans les métropoles. Donc la question de la nécessité de faire des investissements aussi importants est certainement une question qui mérité d’être posée. C’est quand même les grandes villes universitaires qui drainent la majorité des étudiants. On peut se poser la question de la « rentabilité » de cela. Mais là une fois de plus vous n’avez que la lorgnette « accueillir des étudiants » vous allez dire que dépenser autant de sous pour accueillir si peu de population étudiante c’est quelque chose qui n’est pas très intéressant. Mais si vous avez la lorgnette des gens qui ont en charge le maintien d’une activité dans une région, c’est peut être un investissement majeur qui est entièrement justifié. Et puis, l’enseignement universitaire qui s’est diffusé est un enseignement universitaire de premier cycle. Mais on ne parle pas de l’enseignement bac + 2 thématique et là cela s’est fait beaucoup en lien avec le rectorat avec les villes et les enseignants qui voyaient là un développement intéressant de leurs activités. Ce qui est très légitime d’ailleurs. Et puis, cela pose des problèmes de gestion d’orientation des bacheliers.

Je reviens sur les entretiens que j’ai pu avoir avec les élus locaux. Ils insistent sur la position de force qui est celle de l’Etat dans les négociations avec les collectivités. Vous en pensez quoi ?

Pas nécessairement. L’Etat n’est pas nécessairement en position de force. Bon, c’est une vision qui peut être juste à l’échelle d’un projet qui peut avoir été retardé, refusé. L’Etat ne le veut pas, donc mettra de l’argent sur un autre projet. Mettre les crédits sur une autre région, pas forcément. Les enveloppes régionales constituaient aussi des affichages politiques de la part de l’Etat.

Des affichages politiques ?

Par exemple, maintenir le niveau de l’engagement financier de l’Etat dans les régions. Parce que cela n’est pas possible d’afficher une baisse. C’est complètement anecdotique et il ne faut surtout pas donner de l’importance à ces ajustements marginaux mais par exemple en Bretagne. Si vous voulez l’analyse des contrats de plan se fait par département ministériel mais les présentations sont générales : on affiche le niveau global. L’Etat met tant de milliards dans telle région. Alors en Bretagne il y avait une enveloppe. Les plans routiers bretons, on en a fait beaucoup. Il y a de moins en moins de choses à faire sur les routes et de ce fait l’enseignement supérieur et la recherche a récupéré des sous [rires]. Je vous raconte cela de façon triviale mais il y a un peu de cela. C’était très bien d’ailleurs. Alors position de force, oui parce que c’est l’Etat qui est chef d’orchestre de toute cette affaire. S’il n’y avait pas l’Etat il n’y aurait rien qui se ferait dans ce domaine. Mais de dire que l’Etat peut faire du chantage et déshabiller Paul pour habiller Jacques au niveau d’un micro projet oui. L’Etat mettra son argent ailleurs. En même temps, l’Etat a besoin de l’argent des collectivités locales et les contrats de plan affichent ce partenariat consensuel. Consensuel c’est tout de même un consensus qui est parfois laborieusement établi. C’est compliqué la démocratie. C’est très « chronophage », c’est très concertation à tous les niveaux, c’est une vision parfois étourdissante mais également rassurante de voir tous les circuits de fonctionnement de la démocratie. Vous avez des préfets qui sont d’un niveau intellectuel qui maîtrisent complètement leur projet, qui s’approprient les enjeux de leurs régions. C’est fascinant.

Ces représentants de l’Etat ils sont souvent les porte-paroles des intérêts locaux ?

Ils sont tout de même l’Etat en région. Mais ils arrivent parfois à une connaissance très fine des choses. Ils sont souvent conscients des enjeux qui sont souvent des enjeux micro économiques ou micro sociologiques mais qui n’en sont pas moins porteurs de drames, des régions qui meurent. Il y en a qui le font très bien sentir. C’est une très belle procédure.

Vous voyez quelque chose à ajouter ?

Il y aurait certainement beaucoup de choses à dire encore mais non je crois qu’on a fait le tour.