Entretien avec Maurice NIVEAU – Recteur de l’académie de Lyon de 1980 à 1991 – 25 mars 2002

L’entretien se déroule dans un café dans le 7ème arrondissement lyonnais. Le recteur se montre particulièrement intéressé par le sujet de la thèse. Il nous parle très librement de son rôle dans le projet de la Manufacture des Tabacs et plus généralement de l’évolution du « métier » de recteur d’académie.

Est ce que vous pouvez vous présenter ?

Je m’appelle Maurice NIVEAU. Je suis à la retraite. J’étais professeur de sciences économiques à l’Université de Poitiers J’ai été nommé Recteur en 1966 et j’ai été Recteur pendant 25 ans. Dix ans à Grenoble, deux ans et demi à Lille et pendant deux ans j’ai été directeur de cabinet du ministre de 1978 à 1980. Et en avril 1980, j’ai été nommé Recteur à Lyon et j’y ai terminé ma carrière de Recteur en avril 1991. J’ai quitté mes fonctions de Recteur pour des raisons d’âge révolu. Pendant trois ans, mais là c’est volontaire, j’ai été professeur à Lyon II jusqu’en 1994. J’ai été Recteur donc au moment du lancement de la Manufacture des Tabacs. Michel NOIR a été élu en 1989. Lui et Jean Michel DUBERNARD que je connaissais bien d’ailleurs m’ont annoncé ce projet avant de l’annoncer publiquement. Ils voulaient donner la Manufacture des Tabacs à l’Etat pour qu’on y aménage une université. Et puis ensuite cela a été intégré dans les contrats de plan. Le financement a été largement fait par les collectivités locales ce qui fait que les collectivités locales étaient au lancement de cette histoire. Mais l’idée initiale c’est NOIR et DUBERNARD.

Le lancement du projet il a été accueilli comment au Rectorat ?

IL a été reçu de façon très sympathique, très positive. La seule chose qui m’inquiétait c’est le montant de la facture. Avec Michel NOIR on parle on doit être en 1990. Il me dit qu’il a fait faire une évaluation par un architecte ou un bureau d’études et il arrive à la conclusion que cela allait coûter 130 millions. J’ai dit tout de suite au maire : « Monsieur le Maire, je vous donne la somme sans bureau d’études et sans que vous me payiez : 450 millions de francs au moins sinon 500 millions. » Cela fait combien au final ?

Autour de 500 millions.

Ah vous voyez. Mais j’ai une assez grande expérience de constructeur en tant que Recteur. Avant la décentralisation, avant 1985 parce que la mise en œuvre de la décentralisation c’était 1985, les Recteurs étaient les maîtres d’ouvrage. Ils étaient ordonnateurs secondaires non seulement pour les constructions universitaires mais aussi pour les collèges et les lycées. Les écoles primaires c’étaient les communes. En 20 ans j’avais une expérience importante de bâtisseur notamment à Grenoble. J’ai eu cette expérience de maître d’ouvrage. Cela m’intéressait d’ailleurs beaucoup plus que la pédagogie puisque j’étais prof d’économie à la base. Cette évaluation elle arrangeait certainement l’image que l’on pouvait donner à l’opinion du projet. Si on avait annoncé 400 ou 500 millions à l’époque peut-être que les gens n’auraient pas été favorables. Ou alors est ce que c’est cette lâcheté des hommes politiques qui prennent leurs désirs pour des réalités. Je ne sais pas. Cela a été ma première stupéfaction. Ma deuxième stupéfaction cela a été quand Michel NOIR nous réunit avec le président de Lyon III. Au cours du déjeuner, on discute ? Nous étions avant Noël. Il nous dit : « il faut que tout soit fini pour la rentrée prochaine » C’est merveilleux. Ce n’est pas une critique vis-à-vis de Michel NOIR que j’aime bien, qui, s’il n’avait pas fait de conneries, aurait été maire de Lyon pour le restant de ses jours. J’ai beaucoup d’affection pour cet homme. Mais voilà c’est comme cela que fonctionne les politiques. C’est comme cela qu’ils se cassent la gueule. Mon premier point d’interrogation c’était celui là. La seconde chose qui me préoccupait c’était la forêt de piliers porteurs, on ne les voit plus maintenant parce que c’est aménagé. Mais il y avait une forêt de piliers porteurs. Je me demandais comment ils allaient faire. Mais ils ont pris un très bon architecte, CONSTANTIN, que je connais bien, est un homme qui a beaucoup de talents. Mais c’était un vrai handicap technique pour faire des amphis, pour faire des salles de classe. L’opération du point de vue architectural est très réussie.

Donc vous avez été averti très tôt de leur souhait d’investir dans la Manufacture des Tabacs ?

Oui, oui, bien sûr. Je connaissais NOIR, je connaissais DUBERNARD. Il y avait une confiance totale.

Quelles ont été les réactions au ministère de l’Education nationale ?

Je vais vous dire quelque chose qui va vous étonner. Et qui m’a beaucoup étonné moi-même au début de ma carrière. Je l’ai découvert moi-même par expérience. Le ministère, quand on fait bien son métier de Recteur, il vous suit. A moins que vous fassiez des conneries, et que vous alliez dans une impasse. Si vous allez dans le mur, il s’en aperçoit. Mais si vous dites au ministère : « voilà, on va faire cela », il vous suit. J’ai informé le cabinet du Ministre, à l’époque c’était JOSPIN qui était Ministre, il n’y a eu aucun problème, aucune opposition. Et comme en plus la stratégie de l’Etat était de faire financer les collectivités locales. Cela n’a pas changé que ce soit la gauche ou la droite. Ils y trouvaient leur intérêt. C’est sûr. Enfin pour le contribuable je ne suis pas sûr qu’il trouve son intérêt mais en France le contribuable ne sait pas qu’il paye des impôts et qu’il y a un rapport direct entre les dépenses publiques, collectivités locales comprises et les impôts qu’on paye. On n’est pas anglo-américain là dessus. Les Français n’ont pas la tête économique. J’espère que vous faites un peu d’économie tout de même.

J’en ai fait.

Ah bon, bon alors vous savez cela.

La mairie n’est pas intervenue dans le choix de l’université qui allait recevoir les locaux. La décision s’est prise entre les présidents d’université et le Recteur…

Là je me souviens de deux choses. Je me souviens que j’ai mené une concertation avec les présidents d’université mais je ne sais plus pourquoi c’est tombé tout de suite sur Lyon III. Michel CUSIN était président de Lyon II, un homme remarquable avec qui je me suis lié d’amitié. Cela compte beaucoup les relations d’amitié entre les personnes, dans le public comme dans le privé je suppose. Le président de Lyon III c’était VIAL, un personnage un peu plus compliqué. De grande convivialité mais je n’avais pas l’intimité de relations que je pouvais avoir avec CUSIN. Lyon II et Lyon III était en bagarre à propos du partage des locaux sur le quai. On n’est arrivé très rapidement, enfin les présidents d’université sont arrivés très rapidement à la décision. On s’est concerté et Lyon II a accepté de prendre les locaux que Lyon III avait ici. Et en échange Lyon I recevait plusieurs amphis et Lyon III la Manufacture des Tabacs. Lyon II récupérait la quasi totalité du quai. La concertation s’est passée sans aucune difficulté. Je pense que ce que vous a dit Michel CUSIN ne doit pas aller à l’encontre de ce discours.

C’est quoi le rôle du Recteur dans ces réunions ?

Juste une parenthèse sur les conséquences de la décentralisation sur les fonctions du Recteur. Avant l’ensemble législatif de la décentralisation donc 1982, 1983 et 1985 qui ont fait des collectivités ce qu’elles sont aujourd’hui, le Recteur avait la responsabilité de la maîtrise d’ouvrage. C’était donc l’ordonnateur secondaire pour les lycées, les collèges et les établissements d’enseignement supérieur. Il était maître d’ouvrage et n’avait de compte à rendre qu’à Paris. Au cabinet du ministre et aux directeurs de l’Equipement, qui à l’époque avait une importante direction de l’Equipement avec des Polytechniciens. On pouvait avoir des conseils ici. De fait de cette compétence d’attribution, le Recteur avait une autorité incontestable sur les universités pour la construction. Ceci dit j’ai construit beaucoup dans ma carrière et je ne me suis jamais substitué aux laboratoires de Faculté. Mon dernier chantier ici à Lyon était l’Ecole Normale Supérieure n°1 [Sciences]. Le rectorat était maître d’ouvrage. Le premier travail que j’ai fait c’est de faire une réunion avec les mathématiciens, les physiciens et les biologistes de Lyon, Grenoble et Chambéry, St Etienne. C’est avec eux que l’architecte a travaillé. J’ai toujours travaillé avec les utilisateurs mais c’est le recteur qui était institutionnellement responsable, le patron des opérations. Il avait une importance très grande. A partir de 1985, les Recteurs ont perdu cette compétence au profit du Préfet. Le Recteur agit pour la gestion des chantiers mais plus comme ordonnateur secondaire des dépenses. C’est par délégation du Préfet. Par voie de conséquence, comme les maîtres d’ouvrage sont les collectivités locales parce qu’elles financent plus de 60%, cela peut échapper complètement au Recteur. Même si le Recteur peut intervenir avec les ingénieurs de l’Equipement qu’il a dans son équipe, c’est vraiment un rôle secondaire. Cela n’est plus le leader. Moi, à l’époque, j’étais encore dans le cadre de mes attributions et donc le leader le responsable vis à vis des investissements des universités quelque soit les bailleurs de fonds. Le rôle du recteur alors. C’est un rappel juridique que je fais. Si on opère une lecture de sociologie politique qui vous intéresse peut être plus, je crois que si on veut réussir dans le métier de Recteur, la chose essentielle c’est la médiation. C’est la médiation et la négociation. Exceptionnellement l’arbitrage en cas de conflit. Voilà. Mais je n’en ai pas fait beaucoup des arbitrages dans ma longue carrière.

Médiation entre les universitaires ?

Médiation entre tout le monde. Je reviens dans le passé. J’étais encore à Grenoble, au moment où le Recteur avait des compétences extrêmement importante, il était encore maître d’ouvrage, il y a eu un plan d’urgence. C’était dans les années 1976 peut importante. Il y a un plan d’urgence pour une relance économique de la France. On balance aux Recteurs une enveloppe financière en nous donnant pour chaque académie des millions pour faire une construction universitaire. J’avais toujours quand j’étais Recteur des projets de construction. La vie m’a appris que quand on vous dit qu’il y a de l’argent qui va être débloqué, il faut avoir des projets. Moi, j’avais un projet de lycée hôtelier. J’avais tout bouclé. C’était négocié avec la ville. J’ai téléphoné au maire en arrivant. Il me dit : « oui c’est intéressant on le fait. » On a mis tout le monde autour de la table au Rectorat. On a convoqué le TPG, la préfecture, le maire, tous mes services et on a pratiquement réduit de moitié le temps de lancement du chantier. Le projet s’est terminé sans moi, j’étais nommé à Lille. Voilà comme on peut quand on négocie comme médiateur. Quand on a envie de foncer, on ne se limite pas à l’examen des textes. Si vous n’allez pas dans le mur, si vous réfléchissez à votre opération. Voilà. Là c’était une négociation : on a négocié avec tous les partenaires potentiels du projet. Mais si chacun avait attendu que le dossier arrive chez lui, on perdait un an. Un an. Cela m’a passionné dans mon métier. J’ai toujours dit : « je ne suis qu’un avocat ». Le métier de recteur c’est celui d’un avocat qui présente des dossiers à Paris à l’époque. Maintenant cela a changé. Maintenant c’est à la région. On peut accompagner les dossiers même si on n’en est pas l’auteur. J’ai connu la période avant 1985, où en était l’acteur, l’auteur. J’ai été nommé ici en 1980, ma mission était de construire l’ENS. SAUNIER SEITE, que je connaissais, c’était une amie elle avait été Recteur, m’avait dit : « tu vas à Lyon et il faut que tu construises l’ENS. » Là les choses ont changé profondément. Le Recteur plus que négociateur, dans l’état actuel de la loi et de la règle, il est surtout le médiateur, l’ambassadeur du ministre auprès des établissements d’enseignement supérieur. Les établissements d’enseignement supérieur ont finalement très peu besoin du Recteur pour faire ce qu’ils ont à faire. Alors, il n’y aura sûrement que très peu de Recteur qui vous diront ce que je vous dis. Je ne dis pas parce que je suis retiré. Pendant mon activité, je le vivais de la même façon. IL ne faut pas dire : « c’est moi, c’est moi qui ai fait telle chose quand ce n’est pas moi. » Le rôle de médiation c’est fonction du coefficient personnel des gens. C’est fonction de l’idée qu’ils se font de leur fonction et d’eux mêmes. C’est toujours pareil : si on veut mettre en avant sa personne, on n’y arrive pas bien. Si au contraire, on fait un jeu d’équipe, on y arrive beaucoup mieux.

C’est de la mise en réseau finalement ?

Oui, tout à fait. Et oui. Je connaissais bien DUBERNARD, cela facilite les contacts avec le maire de Lyon. Ceci étant j’avais quand même l’habitude d’aller me présenter. Quand vous avez certaines fonctions, les gens ne viennent pas nécessairement à vous mais il faut aller les voir. Un recteur qui en prenant son poste doit aller voir le Préfet, le Procureur général, le premier magistrat de la cour d’appel, les maires des principales villes. Quand je suis arrivé à Lyon, j’ai été voir les maires des principales villes. Je me rappelle à St Etienne, c’était un maire communiste. Je vais le voir un samedi matin pour me présenter à lui. Il me dit : « qu’est ce que vous voulez. » Et je lui dit : « Mais Mr le Maire, je ne vous veux rien. Je viens simplement par courtoisie, me présenter à vous. » C’est bien normal que le Recteur d’académie qui à autorité sur les établissements du 1er et du 2nd degré viennent vous voir pour se présenter. Et au début de ma carrière, j’avais même été me présenter à Paris à tous les directeurs. Parce que je ne connaissais personne. J’avais été voir le contrôleur financier. Maintenant ce serait inutile, les collectivités locales ayant pris le relais, on a moins besoin du contrôleur financier. Mais cette relation m’a beaucoup servi pour la construction du Rectorat de Grenoble. Bien sûr, je lui téléphonais pour lui demander des renseignements. Je lui disais : « Mr le contrôleur, je n’y connais rien, vous savez toutes les erreurs qu’un ordonnateur secondaire peut faire. » Il me disait : « oui d’accord. » Il était sympa mais brutal, faussement brutal. Il était surtout ravi qu’un Recteur aille voir le contrôleur financier parce que les Recteurs n’allaient pas voir le contrôleur financier. C’est comme cela qu’on y arrive. C’est cela la médiation, la négociation. Dès que vous aviez fait connaissance, vous pouviez aller à Paris si vous aviez un problème avec un dossier. J’ai toujours fait cela tout au long de ma carrière aussi bien vers le haut que vers les régions. Voilà. Les relations personnelles c’est très important. J’avais reçu à Lille un groupe d’administrateur civil en stage sortant de l’ENA qui allait être affecté à l’Education nationale. Je fais mon baratin puis on discute pendant une matinée. A la fin il y en a un qui me pose une question, il me dit : « Monsieur, si on suit tous vos conseils et qu’on ne soit pas nommé dans votre académie, qu’est ce qui se passe ? » Je lui ai dit : « Alors là ». Le type avait tout compris. Mais cela c’est vrai de toutes les fonctions. Mais là on s’écarte de notre propos. C’est un mémoire ou un DEA ?

Une thèse.

N’oubliez pas la loi de la décentralisation. Elle est importante. Parce que si vous allez voir les Recteurs en place, ce n’est pas une critique vis-à-vis de mes collègues, mais ils n’aiment pas dire ce que je viens de vous dire. Je leur ai dit souvent quand j’étais encore en poste. Je voyais bien comment les choses allaient se passer. Ce n’est pas vrai, il ne faut pas dire : «  Je suis le patron quand on est plus le patron ». En plus, on n’a jamais été les patrons. Nous sommes des universitaires, c’est pour cela qu’on a été nommé Recteur. Ceux qui jouaient au patron d’universités, ils se cassaient la figure. Il faut leur rendre service. C’est un sujet très important. Cela transforme les rapports entre le Recteur et le Préfet ? Entre le Recteur et le Préfet, cela n’est pas simple, mais cela ne l’a jamais été d’ailleurs. J’avais cinq préfets au début de ma carrière puisqu’il y a cinq départements dans l’académie de Grenoble, et donc en 10 ans, j’en ai connu beaucoup. J’en ai deux avec qui j’ai eu quelques problèmes et encore. Mais avec mon humour à l’anglo-saxonne, tout passe. Je dis cela parce que j’ai été formé à Londres. J’y suis resté sept ans à la London School of Economic. Mais sinon avec les autres c’était bien. Avec les préfets de régions c’était parfait. A Lille, pareil. J’en ai connu des préfets puisque je suis le seul Recteur avoir été nommé sous De GAULLE et avoir fini sous MITTERRAND. J’ai une grande liberté d’esprit vous savez. Cela donne beaucoup d’expérience humaine. Les malheureux dans cette histoire c’est ceux qui sont militants à leur niveau. Je disais cela au chef d’établissement. Et oui parce que si vous êtes militant, vous aurez des sentiments politiques forts, de militants. Quand vos amis politiques sont au pouvoir, vous allez être content, vous allez être heureux. Ceux qui ne sont pas de votre avis politique, ils se méfient de vous. Si vous n’êtes pas militant, vous allez faire votre métier avec le plus grand professionnalisme, vous n’allez pas vous mettre les gens à dos et vous ne serez pas malheureux. Ce sont deux attitudes psychologiques très différentes. Le militantisme et moi cela fait deux. Après mon départ, j’ai honte de moi dans une élection municipale d’avoir essayé. J’ai honte, je vous assure. On n’est militant où on ne l’est pas. C’est psychologique et intellectuel à la fois. Mais l’évolution des fonctions du Recteur c’est un point intéressant de votre thèse. Il est évident que quand on a commencé dans les années 1960 à construire les campus les choses étaient différentes. Quand je suis arrivé dans les années 1960 à Grenoble, le Recteur était un homme charmant mais il avait « disparu » Pour le campus de Grenoble, qui a acquis les terrains ? Qui a mené les négociations ? Le doyen de la Faculté des sciences. Le doyen qui est mort depuis longtemps, un doyen à forte personnalité. C’est lui qui a tout négocié, c’était le Recteur de l’enseignement supérieur. Parce qu’ils se trouvent que pour des raisons personnelles, le Recteur en place l’avait laissé faire. En revanche à Lille, le Recteur DEBERRE a tout fait. Le Recteur personnalité locale très connue, un homme d’autorité. Il a négocié les terrains, il a décidé qu’il y allait avoir deux campus à Lille. IL en avait parfaitement le pouvoir et la compétence. Il y a des situations intermédiaires. Mais c’est toujours intéressant de comparer la compétence d’attribution avec la façon dont les gens se servent de cette compétence. Un étudiant était venu me voir à Grenoble pour un sujet sur les Recteurs et je lui avais dit : « Vos profs, ils connaissent les textes beaucoup mieux que moi. Moi j’applique des textes, que je ne connais pas. » Moi la seule chose qui m’intéressait, c’était de respecter la procédure finances publiques. Parce que quand on engage des fonds, j’en ai quand même engagé beaucoup, là, il faut respecter la procédure.

Finalement, la décentralisation en autonomisant les collectivités locales par rapport à l’Etat a conduit à une perte d’importance du Recteur ?

Oui, en première approche, on peut parler d’une perte d’importance. Mais cela ne veut pas dire que son influence a baissé. Tout dépend de la façon dont il va faire son métier. Et là vous allez retrouver les réseaux. Mais là les réseaux ce n’est pas uniquement les réseaux institutionnels, mais les réseaux amicaux. Cela joue dans les institutions. Quand CHIRAC engueule les chefs d’Etat des pays de l’Est, ce n’est peut être pas la meilleure façon d’arranger les choses. Un coup de gueule, cela peut avoir des conséquences importantes que l’on soit en haut ou que l’on soit en bas. Ce que je dis pour un Recteur, on doit pouvoir le dire pour un Préfet même si son rôle est infiniment plus large. Là encore compétence d’attribution. Si un préfet veut s’occuper de l’ensemble des compétences qui lui sont attribuées, il ne dormira pas. S’il ne dort pas, il n’y arrivera de toute façon pas. Donc, il faut qu’il se repose sur toutes ses directeurs de service. Dans un Rectorat c’est pareil, même si c’est plus limité pace que les fonctions sont beaucoup plus limitées mais c’est sur un même territoire que le Préfet de région. Sauf en Rhône-Alpes où il y a deux rectorats. Je ne peux pas ne pas insister sur la personnalisation des fonctions parce que pour moi c’est 25 ans d’expérience. La vie tous les jours ne m’a appris que cela. Moi, je suis un macro économiste, je n’ai jamais fait d’économie d’entreprise ou de management. Mais quand je suis tombé dans cette fonction de Recteur, je ne savais rien. J’ai tout appris sur le tas.

Cette mise en relation, cette mise en réseau du Recteur, cela a un rôle plus important dans les années 1960 ou alors c’est tout à fait comparable ?

C’est comparable. Je ne vois pas pourquoi cela aurait évolué. C’est peut être plus complexe aujourd’hui dans la mesure où quand on ne dépendait que de l’Etat, parce que c’est l’Etat qui finançait tous les investissements, c’était une relation verticale. Vis-à-vis des élus locaux, vous pouviez au moins avoir deux attitudes. LA mauvaise, c’était de suivre strictement les recommandations de l’Etat c’est-à-dire ne rien dire, ne pas laisser entrevoir les programmes qui pouvaient être faits quand on les connaissait. On posait avoir une seconde attitude qui a été la mienne : dire que ce n’est pas moi qui décidait et de présenter l’état d’avancement des dossiers. C’était une façon de pacifier les gens. Vous avez un jeu très compliqué. C’était l’époque où les collèges pour le financement dépendait des communes. Puis quelques années après, c’était nationalisé donc sur le budget de l’Etat. Tous les maires étaient désireux d’être nationalisés. Comment est ce que cela se passait ? Il y avait une liste annuelle. C’était le Recteur qui arrêtait la liste. Si vous arrêtiez la liste sans vous concerter avec les maires, avec les élus avec la préfecture, vous alliez au pire conflit. Dans l’académie de Grenoble, il y avait 12 collèges nationalisés par an. Alors quand vous aviez un collège avant le douzième, vous étiez sûr qu’il allait passer. Mais vous aviez des maires qui voulaient faire de la contestation radicale. Le maire de St Martin d’Hères notamment. De temps en temps, on mettait en grève le week-end pour obtenir la nationalisation du collège. J’avais envoyé une lettre au maire en lui disant que son collège allait être nationalisé l’année suivante pour la bonne et simple raison qu’il était en troisième position sur la liste annuelle. Et je lui ai rajouté par écrit : « je ne doute pas que le moment venu quand vous aurez la réponse, vous direz publiquement que c’est grâce à votre action que le collège a été nationalisé. » Lettre datée et signée. Trois mois après, le maire de St Martin d’Hères, fait une grande déclaration : « Grâce à notre action, le collège… ». Le surlendemain, la lettre était publiée dans le journal. Mais je l’aimais bien ce maire, pas toujours un grand sens de l’humour mais bon. Je savais quand faisant cela j’allais l’ennuyer. Mais j’étais l’Etat, j’étais l’intérêt général. Je travaillais ni pour lui, ni pour le PC, je travaillais pour l’Education nationale. C’est cela la médiation. De ne pas jouer le truc, « je suis Colonel, il est général, je le salue. » Non cela jamais. Donc maintenant c’est plus compliqué parce qu’ils ont le préfet, ils ont l’Etat, ils ont les élus locaux. Le Recteur de Lyon, il a la COURLY. A Lyon, en plus, le Recteur il faut vraiment qu’il slalome. La réponse à votre question, c’est donc qu’en effet c’est plus compliqué. Votre thèse m’intéressera. Le moment venu je serai ravi de la lire.

Dans les entretiens, on me parle aussi souvent au moment du lancement de la Manufacture des Tabacs, sur le lancement d’une université Lyon IV…

Oui, là j’ai une responsabilité. Personnellement, j’avais adhéré à l’idée d’une quatrième université à Lyon. Dans mon esprit, c’était plus tactique que stratégique d’ailleurs. La preuve est faite que trois universités, cela suffit. La preuve est faite que trois universités de médecine cela en fait sans doute trois de trop au moins deux de trop. Mais avant de revenir à une seul Faculté de médecine, il faut supprimer deux ou trois doyens. Ce n’est pas toujours facile. Je dis cela parce que cela a été en discussion.

Le projet de Lyon IV concernait essentiellement les médecins ?

Oui, oui. L’idée a été évoquée. Mais c’était au moment de mon départ. L’affaire est tombée immédiatement après mon départ. On n’est pas dans le cadre de la rationalité là. Trois universités cela fait beaucoup d’étudiants. Lyon I doit en être à 40 000. ce sont des ensembles absolument considérables. Je n’ai pas d’avis là dessus.

Ce projet d’une quatrième université, il a été ressenti comment par les universitaires lyonnais ?

Un certain nombre d’entre eux le ressentait bien. Je crois que Michel CUSIN notamment le ressentait bien. C’était surtout avec lui que je parlais. On était voisin. Mais ceci étant dit, pour moi, j’ai « tangenté » cette histoire.

Le début des années 1990 c’est une période d’apaisement dans les relations entre Lyon II et Lyon III. Cela a facilité l’avancement du projet ?

La personnalité de Michel CUSIN a facilité la tenue de la négociation. La personnalité également de Pierre VIAL. Avec son prédécesseur cela aurait été plus difficile. C’est peu dire. Les relations sont bien meilleures mais bon cela a commencé depuis longtemps. Quand je suis arrivé en 1980, les relations étaient encore vives mais enfin il y avait une volonté réciproque des deux universités. C’est comme cela que je l’ai ressenti. Mais il y a eu l’affaire NOTTIN. Michel NOIR avait protesté en menaçant de ne plus attribuer les locaux à l’université Lyon III. Les mauvaises langues vous diront : « cela c’est son fond de commerce. ». Parenthèse. Il déclare publiquement : « si Lyon III ne vire pas NOTIN, je ne donne pas la Manufacture des Tabacs à Lyon III. » Ce qui était outrageant, illégal, hors la loi à tous les coups. Pour la bonne et simple raison que aucune administration n’a le droit de virer un fonctionnaire, si le fonctionnaire ne passe pas devant un conseil de discipline. Et ce n’est pas NOIR qui allait convoquer le conseil de discipline de Lyon III s’il y ait lieu d’en faire un. A l’époque, j’ai réuni les présidents, ils ont publié un texte de protestation contre la prise de position du maire. J’ai proposé aux présidents de signer avec eux. Mais Michel CUSIN m’a dit : « Ne faites pas cela, vous êtes Recteur. » Mais c’était tellement insolent de la part du maire de Lyon que c’était inacceptable. Bien sûr que j’étais Recteur mais c’est tellement insupportable ! Ce qu’a dit Michel NOIR était inacceptable. On devait respecter la loi et le statut de la fonction publique. CUSIN m’a dit : « non. » Très aimablement. Mais j’étais prêt à signer. Je n’aurai pas eu d’histoire, j’en suis sûr. Mais c’est pour vous dire à quel point j’avais été choqué par cette histoire. Puis l’affaire s’est ensuite calmée, il n’y a pas eu de conséquence. Avant l’histoire NOTIN, les négationnistes à Lyon s’était manifesté à Lyon II, FORISSON. J’étais directeur de cabinet à l’époque sous SAUNIER SEITE qui était ministre des universités. Elle m’avait demandé de régler le problème. Parce que FORISSON ne pouvait plus faire cours à Lyon II, le ministère ne savait plus quoi faire contre lui parce qu’effectivement il fallait respecter le statut de la fonction publique. Les gens du ministère ont voulu le nommer au CNED. On l’a nommé là. Il a été payé jusqu’à sa retraite en ne faisant rien. Jamais personne n’a fait d’histoire à Lyon II. Deuxième cas d’espèce PLANTIN. Presque plus grave. IL avait écrit un truc scandaleux et le professeur de DEA qui était dans le jury qui n’était pas un professeur de Lyon III mais bien de Lyon II avait oublié de lire le mémoire. Mais il s’agissait de savoir si on allait ennuyer Lyon II qui compte 700 professeurs pour une demi douzaines de négationnistes. Pourquoi la France continue t elle à faire le procès de cette université qui est aussi bonne qu’une autre ? Qui est bien classée. Pourquoi toujours le procès de Lyon III et pas de Lyon II ? Ca, ce n’est pas parce que je suis de droite ou de gauche. Mais marqué par les anglo-saxons, je me sens plus proche de TOCQUEVILLE que de l’anti-libéralisme français. Enfin pauvre NOTIN, un malheureux jeune. Le plus extraordinaire c’est que s’est publié dans les publications de l’ISEA. Dont F. PERROUX était directeur. Cette revue n’a jamais été marquée à droite. Je note quand même que bien qu’étant plus proche de Lyon II, je n’aime pas le procès qui ai fait à Lyon III.

Vous avez joué quel rôle dans cette affaire ?

Ah alors là, j’ai joué un rôle de médiateur. VIAL a refusé de convoquer son conseil de discipline. Il l’a refusé dans des conditions extrême. Lionel JOSPIN l’avait convoqué à Paris. Il m’avait demandé de venir avec le président à Paris. Lionel JOSPIN a essayé de convaincre VIAL de traduire NOTIN, pour des raisons d’opportunité évidente. Le ministre n’a pas été du tout cassant ; il négociait avec un président d’université. Et VIAL lui a répondu : « Monsieur le Ministre, je comprends tout mais je ne serai pas le premier président d’université à sanctionner un collègue pour délit d’opinion. » Et JOSPIN a dit finalement que ce serait le Recteur qui réglerait l’affaire. Puisqu’en cas de défaillance de l’institution, c’est dans les textes de loi, le Recteur doit pouvoir se substituer à l’institution défaillante. J’ai essayé de persuader VIAL dans le train en rentrant sur Lyon. Il m’a dit : « non, je ne le ferai pas. » Alors je lui ai demandé de réunir son conseil en sa présence parce que je ne voulais pas me substituer au conseil. Je voulais leur dire combien je trouvais désolant que ce soit le Recteur qui se substitue à l’Université pour prendre la décision. L’autorité ce n’est pas seulement celle du président mais c’était celle du conseil. Donc, VIAL réunit son conseil. Et je leur dit : « Mesdames et Messieurs, chers Collègues, dans cette affaire on ne vous a pas entendu. Vous ne vous êtes pas exprimé sur ce que vous pensiez de l’affaire NOTIN. C’est dommage. Les médias ont un rôle important. Deuxièmement, si vous ne convoquez pas le conseil de discipline, qui sera de toute façon libre de sa décision, c’est moi qui le convoquera. Parce que la loi m’en fait obligation et bien entendu, je le ferai. C’est mon devoir. Mais j’en serai désolé parce que je suis aussi profondément universitaire, autant que vous. En tant qu’universitaire je prendrait cela comme infamant de substituer le Recteur au pouvoir du conseil d’université. Vous êtes élu par vos collègues, indépendants, autonomes, je vous en prie. Ce n’est pas parce que je ne veux pas le faire, parce que je le ferai avec beaucoup de rigueur. Mais en tant que collègue, je trouvais que ce serait une défaillance de votre part. Demandez à votre président de convoquer le conseil. » J’avais fait ma plaidoirie. Je suis parti, je les ai laissé délibérer. Il y a eu une majorité pour convoquer le conseil de discipline. Et NOTIN a été condamné à un demi traitement. C’est la règle. Autrement si j’avais simplement dit: « Oui, jawohl [rires] mon Führer, enfin mon Ministre. » je provoquais des catastrophes. Là c’est de la négociation, de la médiation. Mon rôle d’arbitre je l’aurai joué mais je faisais en même temps celui de négociateur.

Vous insistez sur le fait que vous êtes vous même universitaire. C’est important dans la relation que le Recteur a avec les universités ?

Ah oui. Je suis leur collègue, un des leurs. Ni plus ni moins. Je suis nommé en conseil des ministres mais en réalité je suis leur collègue. J’ai le même attachement à l’université. La même passion, la philosophie, la même indépendance. GOUDET par exemple. C’était l’indépendantiste total. GOUDET ne voulait pas avoir à faire au Recteur. Je lui disais toujours : « en matière d’indépendance croyez moi je n’ai rien à craindre et je crois que je vous dépasse encore. » Je lui en ai apporté la preuve très souvent d’ailleurs. Je connais l’université, je n’essayais pas d’être le patron. C’est sûr qu’un énarque qui serait Recteur ou président d’université, quelqu’un qui n’appartiendrait pas au corps, cela ne serait pas possible. Mais n’oubliez pas que la France est le seul pays dans le monde libre, non totalitaire, à avoir des Recteurs qui soient nommés par l’Etat. C’est un héritage napoléonien. Les vrais Recteurs en France ce sont les présidents d’universités. On garde le titre de Chancelier mais si vous analysé les fonctions juridiques du Recteur, il est avant tout le directeur régional de l’Education nationale supérieur hiérarchique du 1er et du 2nd degré avec des préfets départementaux qui sont les inspecteurs d’académie. C’est cela le métier de recteur. Mais vis-à-vis de l’université, il ne peut être que l’ambassadeur des universités. La France est en décalage total. J’expliquais cela à mes collègues en réunion peu avant mon départ, je n’avais pas été bien reçu d’ailleurs. Il y en avait un qui m’avait répondu qu’il avait reçu des collègues chinois en réunion et qu’ils avaient le même système que nous. Je lui ai répondu que je lui avais précisé que nous étions le seul pays dans le monde libre à avoir ce système mais dans le monde libre ! La Chine ce n’est pas un pays démocratique tout de même. Je pense qu’un jour il faudra redéfinir l’institution par rapport à l’enseignement supérieur. Parce que pour avoir un Chancelier qui soit efficace pour seconder les universités, il faudrait que ce soit un Chancelier à temps plein. Il y a une fonction à inventer. Mais pour l’instant on est en porte-à-faux.

Assez rapidement, le montage financier est défini. C’est une collaboration entre la COURLY, le département.

Moi, je n’ai pas participé à cela. C’est BANCEL qui l’a fait. Mais là aussi c’est avant tout comme médiateur qu’il intervenait. Quoiqu’il en dise. Enfin je ne sais pas ce qu’il vous a dit. Je crois d’ailleurs que ses rapports avec le Préfet BERNARD n’ont pas toujours été très simple. Dans le contrat Etat- région, qui est compétent exclusivement ? Le Préfet. Si le préfet s’appuie sur le Recteur, c’est parce que cela simplifie. Mais je suis sûr que le préfet avait des contacts avec les présidents, comme d’ailleurs la région. En direct. Là le recteur est en porte à faux.

C’est important d’être juridiquement reconnu comme l’interlocuteur ?

Oui, c’est important. Dans le cas des attributions du Recteur en matière d’enseignement supérieur, on est dans une institution qui est en voie d’évolution. Cela glisse. Si vous vous promeniez en France, vous verriez que la nature des rapports entre le Préfet, les élus et le Recteur, est très différente selon les personnes en cause. Il y a des Recteurs qui vont vous parler de cela comme s’ils étaient encore les meneurs de jeu ce qui n’est pas vrai. Cela ne peut pas être vrai. IL y a des préfets qui délèguent complètement au Recteur ses compétences, mais il ne déléguera pas sa responsabilité. Il n’y a pas d’harmonie entre les fonctions effectives du Recteur en matière d’enseignement supérieur et les textes en vigueur. Bon, il y a la décentralisation n°2 qui est en train de se faire. Il y a déjà des élus régionaux qui se prennent déjà pour des présidents d’université, je crois qu’il va y avoir du tangage. Moi en tant qu’universitaire, si je reprends la robe, je ne regarde pas d’un œil favorable l’intervention des élus locaux dans l’université. Que les universités soient très attentives à l’intérêt régional, c’est important. Qu’elles aillent pas à l’encontre de cet intérêt que les élus sont les premiers à définir bien sûr. Que les élus disent aux universités, ce qu’elles doivent faire, ce qu’elles doivent enseigner, cela non. L’autonomie des universités ne doit pas être bloquée par des potentats locaux. Je n’ai pas une vue péjorative des technocrates. Je suis élève de l’ENA. On leur en met trop sur le dos. Tout le monde peut être un gouverneur, un Recteur peut être un gouverneur, un directeur départemental peut être un gouverneur. Mais enfin les intérêts électoraux sont terribles.

Les haut fonctionnaires incarnent finalement plus que les élus l’intérêt général ?

C’est comme cela que j’ai été formé J’ai fait aussi des études de droit avant de faire de l’économie. Un fonctionnaire de l’Etat, il a pour responsabilité de défendre l’intérêt général. C’est tout l’intérêt de sa mission. Le service public c’est le service de tous. Pas le service d’un syndicat, pas le service d’une collectivité. Ceci dit quand vous êtes un fonctionnaire territorial, il est bien évident que vous défendez l’intérêt de la collectivité. Mais la collectivité ce n’est pas nécessairement l’intérêt de tels députés ou de tels sénateurs. C’est absolument pas confidentiel ce que je vous ai dit ce matin. Avec cette liberté que j’aime et dont je profite.

Les élus sont plus proches des intérêts électoraux ?

Vous savez il ne faut pas leur en demander trop aux élus. C’est la démocratie. Certains hommes d’Etat ont été certainement été plus attentifs à l’intérêt général que d’autres. Quand on est collé l’œil sur le rétroviseur des intérêts électoraux, c’est-à-dire l’hypothèse que l’on fait du souhait des électeurs, ce n’est pas forcement conforme à l’intérêt général. Mais il ne faut pas non plus avoir un jugement trop sévère. Ce sont des gens qui travaillent beaucoup. Ils n’ont pas de loisirs. La vie de famille est difficile, souvent elle explose. Ils n’ont pas de week-end. Le week-end c’est pompiers et majorettes. Ils ne font pas 35 heures. Il m’est arrivé qu’un élu local et non des moindres m’invite à déjeuner pour faire un lycée. Il voulait faire un lycée mais la commune ne devait pas en recevoir un. Il voulait faire un lycée alors même que cela allait à l’encontre de l’intérêt des enfants qui n’auraient pas pu avoir la totalité de la palette des orientations possibles. Les parents qui ne pouvaient pas payer les frais de déplacement, ils allaient mettre leurs enfants dans des filières qui étaient les plus proches. Ce n’était pas bien. Je ne lui ai pas fait plaisir. A la fin je lui sors ce truc qu’il a mal pris : « ici ce n’est pas un lycée que je vais vous faire, c’est une Faculté de médecine. » Alors, on lui a fait son lycée quand je suis parti. Avant la décentralisation, voilà le genre de chose que l’on pouvait rencontrer. Un fonctionnaire pouvait faire cela. Un autre exemple où un recteur négocie et fait de la médiation : en 1981, Lyon I ne réussit pas à élire son président. Douze, quatorze tours de scrutin et ils n’arrivent pas à avoir 60% des inscrits pour que le président soit élu. Il y a un Monsieur qui arrive en tête à tous les coups : DUPUY. Je ne le connaissais pas. Et pas de changement malgré les 14 tours de scrutin. On vient voir le Recteur parce que là il y a bien défaillance de l’institution. Alors comme je suis un démocrate, je nomme DUPUY qui est arrivé en tête à tous les coups. DUPUY est un personnage haut en couleurs, follement bavard comme je le suis d’ailleurs avec vous. Alors, le téléphone sonne. Les amis politiques de DUPUY qui était socialiste : tel prof de Grenoble me dit : « mais tu vas pas nommer DUPUY ! ». Je lui dis : « Pourquoi ? » Il me dit : « mais tu ne le connais pas. » Alors le cabinet du ministre m’appelle et je lui dit que je vais nommer DUPUY parce qu’il arrive en tête et que je suis démocrate. Pourquoi en cherchait un autre ? J’aurais eu l’université contre moi. J’ai dit au cabinet : « laissez moi nommer DUPUY et puis si cela ne va pas, le Ministre me désavoue et puis s’est terminé. » J’ai pris toutes mes responsabilités. Mais je ne le connaissais pas DUPUY. Tout le monde me disait qu’il était horrible. Il a été pendant cinq ans administrateur provisoire et tout a été très bien. La seule chose qu’on pouvait lui reprocher c’est qu’il appelait les gens à 7 heures du soir. Mais la suite de l’histoire c’est qu’il s’est très bien entendu avec les médecins. Le président de la coordination des médecins c’était Roger MORNEIX. Un excellent professeur. Il s’entendait bien avec DUPUY. UN jour SAVARY qui vient à Lyon et il m’a demandé : « comment faites vous pour que les médecins et scientifiques arrivent à s’entendre à Lyon ». Je lui ai répondu : « Monsieur le ministre je n’ai nul mérite. C’est mon administrateur provisoire et les représentants des médecins qui s’entendent très bien. » J’ai peut être joué un rôle au départ mais c’est tout. A Toulouse, c’était une guerre de tranchée. Là encore négociation, médiation.

On a évoqué le rôle des élus locaux. Est ce qu’il n’y a pas un risque que les politiques universitaires en étant financées par les collectivités ne soient pas instrumentalisées quelque part pour servir des intérêts locaux ?

La réponse est positive. Pour les lycées, un fonctionnaire régional qui n‘est plus à la région d’ailleurs me disait que dans les lycées, on a un grand nombre de places en excédent. Des milliers de place. Parce qu’ils construisent des lycées pas nécessairement là où on en a besoin, et trop vite et trop grand. Sans s’occuper comme l’Etat d’un calcul rationnel rigoureux pour répondre à la demande. Bien sûr qu’il faut anticiper l’avenir. C’est évident qu’un élu local a envie d’avoir un lycée à sa porte. Et comme la pression sociale est grande, parce qu’il y a aussi la pression sociale, les Français demandent tout et son contraire et très vite. Les syndicats d’enseignants ce n’est pas rien, les parents d’élèves ce n’est pas rien. Ce n’est pas la rationalité qui les guide pas plus que les élus voire encore moins. Leurs idéologies, leurs objectifs politiques les guident. Cela peut conduire à une exagération des besoins. Oui, est ce qu’il y aura des systèmes auto régulateurs ? Sûrement. La pression fiscale. Ils regardent cela aussi sur leurs indicateurs. LA conséquence première de la décentralisation nouvelle vague ce sera certainement une hausse de la pression fiscale locale. L’Etat ne transférera pas la totalité des ressources.  D’autant plus que même s’il transfère les élus en rajoutent. Il risque d’y avoir des sur investissements ici, des sous investissements là. Cela dépendra des majorités. Ils s’entendent plus ou moins bien mais il y a plus de coordination que de guerre civile entre les élus locaux. On l’a bien vu dans les malversations. A Grenoble comme à Paris tout le monde émargeait. L’opposition en avait moins que la majorité mais elle en avait quand même.

Ce qui est remarquable dans ce que j’ai observé c’est qu’autant les élus locaux peuvent s’intéresser aux universités dans les années 1990 autant ils s’en désintéressent complètement dans les années 1960.

Oui bien sûr. Vous dites cela en fonction de l’expérience de Lyon. Avant l’arrivée de Michel NOIR, les élus n’ont jamais profité de l’enseignement supérieur. Ils n’y connaissait rien, ils ne connaissaient personne. Et réciproquement d’ailleurs. Michel NOIR a changé cela. Mais il y avait déjà une réputation médiatisée qui voulait que Lyon ne se soit jamais occupée de son université. C’est une ville qui a un potentiel sur le plan universitaire qui est considérable. Il faudrait que Lyon sache valoriser cela, là je pense aux élus, aussi bien que Grenoble. J’ai vécu plusieurs années de part et d’autres. Avec Michel NOIR, il y a eu un basculement. Il y avait une pression sociale qui venait de certains universitaires, de certains élus. Michel NOIR faisait partie de la jeune génération et il a décidé de s’occuper de l’Université. Avant lui, l’université du quai était noir comme le charbon, sans mauvais jeu de mots. C’était absolument dégueulasse. Aujourd’hui cela a une autre gueule, c’était quand même un signal fort. Et puis la classe politique a pris conscience de l’importance de l’université. Les contrats de plan aidant ensuite cela a continué. On a eu des forces convergentes, venant d’horizons différents et partant d’un constat de défaillance, d’ignorance réciproque de l’enseignement supérieur et des élus locaux. Depuis MILLON, la région a affiché des investissements de recherche dans la mesure où la recherche peut aider au développement économique de la région. C’est avec cet argument que j’ai obtenu un fond de concours de 16 millions de francs pour l’ENS sciences. Médiation et négociation là encore. C’est l’Etat qui a financé la première délocalisation de l’ENS de Lyon. Coût total : 280 millions de francs. A côté du demi milliard de la seconde. J’étais parti avec une enveloppe de 230 millions de francs au départ. Et puis, j’ai eu une discussion avec un directeur à Paris ou avec quelqu’un du cabinet, je ne sais plus qui me disait qu’un fond de concours serait finalement le bienvenu. Je décroche mon téléphone. J’appelle BERAUDIER et je lui dit qu’il faut que le vois parce que j’avais de l’argent à lui demander. Et j’oublie le préfet. Avec BERAUDIER en 10 minutes j’ai eu 15 millions. Et puis BERAUDIER me dit : « on a oublié le Préfet. On va faire un déjeuner avec lui. » BERAUDIER c’était un homme politique remarquable. Il avait des problèmes endocriniens, il était un peu handicapé physiquement. Mais c’était un homme remarquable. Un des meilleurs politiques que j’ai jamais rencontré. L’essentiel des problèmes se réglait en trois minutes. Fin de l’histoire, on déjeune avec le Préfet et lui glisse habilement qu’on avait pensé que la Région pourrait donner 15 millions de francs pour l’ENS. Et le Préfet lui dit : « Pour moi, vous allez bien donner un million de plus. » Et voilà 16 millions. Alors ensuite il a fallu inviter le directeur de l’enseignement supérieur, le directeur de cabinet parce que c’était de leur compétence. Je les ai fait venir à Lyon. BERAUDIER me dit : « Ne vous inquiétez pas Monsieur le Recteur, on va faire une réunion, je vais les inviter dans un bon restaurant et ils vont repartir ravis. »C’est ce qu’il a fait. Tout était bouclé. Tout le monde est reparti content. Voyez l’importance de la bonne entente entre les personnes, la médiation, les réseaux. Sinon, cela aurait pu être toute une affaire. Le Préfet aurait pu dire : « Quoi le Recteur a négocié tout seul, il n’a pas prévenu le Préfet de région ! ». Et la ville a payé l’amphithéâtre. C’est plusieurs dizaines de millions. On avait pas l’argent suffisant dans l’enveloppe pour le construire. Là encore BERAUDIER m’a aidé. La réputation de BERAUDIER c’était que c’est lui qui tirait les ficelles à la mairie. Donc on va voir Francisque [COLLOMB]. Il me dit : « on va aller voir Francis. S’il vient chez moi, il ne sera pas content. » On est allé voir le maire et BERAUDIER lui dit : « Francis cet amphi il va servir à la Ville ». Il a fallu garder le même architecte. EN deux coups de cuillère à pot c’était fait.

Vous me parlez de négociation avec la Ville, avec la Région et avec le Conseil général ?

J’avais de bons rapports avec MERCIER mais on n’avait moins de contact. C’est un homme charmant MERCIER . Pas de problème à régler avec eux. Dans les lycées, c’est les régions mais celui qui a voulu ce lycée, c’est Francisque. On a fait des études de marché pour savoir si il y avait de la demande pour un lycée international à Lyon. IL y en avait déjà un, un peu plus loin. Les résultats sont arrivés et il y avait une demande pour deux lycées dès le départ. Le projet c’était une école primaire, un collège et un lycée. Trois compétences : la ville, l’école primaire, le département pour le collège et la région pour le lycée. D’où une nouvelle réunion chez Francisque avec PALLUY et BERAUDIER. Me voilà avec ces trois élus. La question qui se posait c’était de savoir si on faisait ce lycée avec l’argent des collectivités ou avec celui de l’Etat ce qui était possible du fait de la présence de sections internationales dans le lycée. Je leur ai dit que si on donnait l’opération à l’Etat, on aurait moins d’argent et que cela irait moins vite. Si ils prenaient tous les trois, la responsabilité cela irait plus vite. Ils ont accepté et cela a été réglé en 10 minutes. Paris a entériné. On est parti sur le site de Gerland. Mais ce lycée est une connerie architecturale et pédagogique monumentale. On ne peut pas vivre confortablement dedans parce qu’il n’est pas climatisé, parce qu’il est tout en verre. Pourquoi ? Parce que le maître d’ouvrage c’était la région. Et pas la COURLY qui a la meilleure équipe d’ingénieur. J’avais bien pris soin de faire nommer un Proviseur par Paris au moins deux ans avant la construction. Le Proviseur il n’avait pas l’expérience que moi j’avais. Avec le Recteur suivant c’était difficile, parce que c’était mon successeur et que le successeur considère toujours que le précédent Recteur est un con. Le prédécesseur pense toujours que le suivant est un usurpateur. Ce n’est pas méchant ce que je dis mais c’est vrai. Le proviseur comme moi c’était moi qui l’avait nommé, il n’a pas eu l’appui que je lui aurais donné. La région a choisi le projet, la maquette était superbe. Mais c’est un non sens pédagogique : l’endroit où les élèves travaillent quand ils n’ont pas cours c’est une double cloche en béton. Si un pédagogue avait regardé cela, il aurait vu tout de suite les dysfonctionnements. Mais la fonction enseignante a été absente du projet. Les élus sont excusables, ils ne savent pas. C’est ce qui m’inquiète. Pour l’Ecole Normale Supérieure comment aurais je pu traiter les questions des laboratoires de chimie, de biologie, de physique. Cela m’était impossible en tant que Recteur. Ce qui m’inquiète dans la participation des élus au programme universitaire, c’est qu’ils vont avoir la charge de ces programmes avec la maîtrise d’ouvrage. IL faut faire appel aux utilisateurs de demain. Dans ce lycée international, ce n’est pas l’architecte qui est en cause mais c’est au contraire le maître d’ouvrage. Votre sujet me passionne. N’hésitez pas à me demander. Je suis passionné par les éventuelles dérives de pilotage. Parce que les éventuelles dérives coûtent en terme de finances publiques.

Quand on regarde l’attribution de la maîtrise d’ouvrage, les collectivités prennent de nombreuses maîtrises d’ouvrage alors même que c’est risqué. Qu’est ce qui explique ce paradoxe ?

D’abord et avant tout la récupération de la TVA. Il y aura un moindre coût pour les collectivités qui prennent la maîtrise d’ouvrage à condition qu’ils prennent plus de 66% de l’investissement. Deuxième position, l’intérêt collectif tout de même. En troisième vous aurez leur intérêt particulier. Si ils veulent être réélus, il faut bien qu’ils fassent des choses. Ils ont un facteur de motivation pour travailler davantage. La responsabilité des techniciens c’est de mettre en place des correcteurs de parcours pour que quand ils se trompent, il y ait des mécanismes de réajustements. Pour reprendre l’exemple du lycée, cela n’aurait jamais du se passer.

Là encore, la maîtrise d’ouvrage c’était le rectorat qui l’exerçait avant. Ce n’est pas encore une perte d’influence pour le Recteur ?

Considérable.

Cela ressemble à une perte de contrôle des projets ?

L’idée de contrôle ne me plaît guère. Je laisse cela aux comptables. Eux oui doivent contrôler et le plus rigoureusement du monde quand il s’agit des finances publiques. Mais dans un projet ce n’est pas de se dire c’est moi qui contrôle qui est intéressant mais de se dire est ce que ce que je fais va répondre aux besoins, éviter les conflits, répondre aux besoins. Autrement dit les finalités doivent l’emporter. Quand on parle de réforme de l’administration en France, c’est cela qu’il faudrait avoir en mémoire, alors qu’on a souvent en tête les petits conflits d’attribution. Si on passe qu’après la décentralisation, c’est qu’on ait substitué le pouvoir du juge pour les élus à la tutelle du Préfet. Les élus en sont mortifiés parce que le juge a découvert des trucs qu’il n’aurait pas du découvrir et puis ils se sont laissés aller. Avec un préfet il n’aurait pas pu faire tout cela. On aurait pas connu autant de dérives. Quand je parle du juge je parle de la cour régionale des comptes. Les anglo-saxons y sont très habitués.

Vous évoquez les problèmes juridiques, les collectivités n’ont pas de compétence ?

Jusqu’à présent non, elles n’en ont pas. Elles peuvent intervenir comme elles le font par fond de concours mais la compétence n’est pas arrivée jusqu’à elles. Ce sera difficile d’y arriver : comment on fera entre la région Limousin, pauvre, et la région riche comme Rhône-Alpes par exemple ? La France est un pays d’égalité et le conseil constitutionnel veille au grain. Il doit assurer l’égalité des citoyens devant la loi et devant la répartition des finances publiques. C’est là où il sera peut être difficile d’y arriver.

Quand on les interroge, les collectivités nous disent que tant qu’on ne leur reconnaît pas la compétence, c’est l’Etat qui garde la main…

C’est exact. Jusqu’à présent oui. C’est une contradiction. Le législateur décidera, enfin ceux qui travaillent pour lui. IL faudra trouver une harmonie entre l’indépendance et l’autonomie des universités et la responsabilité financière des élus. C’est là où les universités reprendront le dessus. Encore une fois la négociation pour l’Etat est importante. L’Etat ne décide pas seul.

Mais il y a une contradiction pour l’instant c’est sûr.

Les universités avec la multiplication des partenaires est ce qu’elles ne sont pas face à une multiplication des tutelles ? Les collectivités intervenant dans leurs locaux ?

Sûrement, il y a un risque. Le fait d’avoir à négocier avec les collectivités ne me paraît pas mauvais en soi. Les proviseurs les plus avisés, ne m’attendaient pas pour aller négocier avec la région. Mais ils avaient mille fois raison. Les gens qui n’ont pas de problème de communication, je suis sûr qu’ils ont leurs contacts téléphoniques et personnels. Les présidents de région réunissent les proviseurs. Voilà de très bonne communication qui se met en place et donc transformation du rôle du Recteur. Diminution mais transformation du rôle du Recteur. Et ce n’est pas mal parce que ces proviseurs apprennent peu à peu le métier de maître d’ouvrage. La maîtrise d’ouvrage même avant la décentralisation il savait l’utiliser. Moi il m’est arrivé de faire des déjeuners avec les proviseurs et les chefs d’entreprise. La convivialité est génératrice de profit au meilleur sens du terme.

La négociation entre les différents partenaires, elle permet une meilleure prise en compte des intérêts de chacun, une meilleure connaissance des dossiers ?

La négociation dans la transparence est toujours profitable. La concertation dans la transparence cela veut dire le libre débat avec des techniciens, qui disposent des connaissances. Concertation et négociation ne peuvent avoir d’effets négatifs. Il y a de vrais plus. Certainement. Les décisions solitaires par compétence à partir de dossiers techniques n’ont pas toutes les chances de réussir. Je vois mal agir comme cela avec les possibilités qui se développent, avec les médias qui donnent des possibilités d’informations gigantesques. Et moi, je ne le vis pas en terme politique. Le fait que les acteurs de l’Education nationale soient sortis d’un moule hiérarchique où les crétins sont ceux d’en dessus. Je le disais souvent à Paris. Quand j’avais été élu doyen de la faculté de droit de Poitiers, j’avais été frappé du fait qu’en assemblée générale, j’entendais toujours le même refrain de la part de mes éminents collègues, tous les cons étaient à Paris. Cela m’avait beaucoup frappé. Je savais qu’il fallait demander 5 postes quand on en avait besoin que de la moitié d’un, 10 000 francs quand on en a besoin que de 3 000 au chef de service parisien. Je viens me présenter au responsable parisien, je lui ai dit : « Est ce qu’on pourrait passer un contrat ? A Poitiers on m’explique que tous les cons sont à Paris. Et tous les gens intelligents sont à Poitiers. Je n’y crois absolument pas. Mais en Assemblée de Faculté, quand on obtient pas quelque chose c’est parce que tous Paris ne comprend rien. »  Alors je lui ai demandé de ne pas avoir à demander 5 postes pour en avoir un. Il a été tout à fait d’accord. Transparence, négociation, un brin d’humour. J’ai connu à Paris également la dépersonnalisation totale des rapports humains. Mais moi je me rendais bien compte qu’il fallait connaître les gens pour obtenir des choses du Ministère. Je téléphonais donc aux secrétaires. En étant aimable, j’arrivais toujours à avoir mes rendez vous. De fil en aiguille avec les chefs de service avec les chefs de bureaux les portes s’ouvraient. La République pouvait être humanisée. La personnalisation des rapports avec cette administration centrale que j’imaginais d’après mes livres, la loi, les décrets, les circulaires. On était là pour obéir. Et bien non cela n’est pas vrai. Et comme Recteur j’ai fait la même découverte. Je pensais qu’on était là pour appliquer la loi, pour appliquer les ordres. Pas du tout. Pas du tout. Chacun dans son rôle est un avocat. Quand on n’est pas décideur, on est avocat. Si on est décideur, on a devant soi des avocats. C’est comme cela que je vois le monde. Si l’avocat n’est pas avocat, il y a un manque à gagner. Si le décideur n’écoute pas l’avocat, il y a un manque à gagner.

Le Recteur il porte les intérêts locaux à Paris ?

Bien entendu, bien entendu. IL ne ferait pas son métier sinon. Mais il ne peut pas oublier non plus qu’il est le garant de l’intérêt général, le représentant de l’Etat et de la loi. Mais c’est sûr. Enfin je me suis rendu compte en faisant mon métier et je n’ai pas dû le faire trop mal puisque que je détiens le record de longévité dans ce poste, celui qui a enjambé le plus d’alternance. Je me suis demandé pourquoi d’ailleurs. Moi qui ne suis pas sociologue, vous avez vu que mon approche est très sociologique. Quand j’entendais parler mes collègues et mes collaborateurs de certains dossiers, je trouvais absolument formidable ce qu’ils savaient. Je me disais que je ne devais pas être à la hauteur. A la fin je me suis dit que cela n’allait pas trop mal. Je pilotais mais il y a 36 façons de piloter. IL faut connaître les dossiers. IL faut connaître ce qu’un Recteur doit connaître. Il ne faut pas faire de bruit comme dise les informaticiens. J’ai vécu avec un souci d’économies de moyen.

Quand on regarde les financements on s’aperçoit qu’il y a des financements croisés qui sont systématiques. Qu’est ce qui explique cette capacité à produire du financement croisé ?

Je vois deux choses. La première c’est la contrainte financière. Compte tenu des sommes mobilisées, une collectivité ne peut pas mobiliser seule une part aussi importante de son budget. Le deuxième facteur c’est parce que il y a à la fois un intérêt personnel et général à ce qu’une collectivité finance un projet universitaire. Je crois qu’il y a une convergence, elle n’est pas néfaste. Elle est néfaste quand les instruments de pilotage ne sont pas suffisants. Sur le lycée international, il y a vraiment une réflexion à faire sur les raisons de l’échec. Comment l’absence d’indicateurs a conduit à cet échec ? Si les élus avaient entendu ce que je viens de vous dire, ils auraient réussi. Ce sont là des indicateurs de pilotage qu’il faut avoir. Il faut des instruments de pilotage pour assurer l’intérêt de tous. Il faut que les décideurs n’aient pas trop d’informations mais les bonnes.

Vous voyez quelque chose à ajouter ?

Non on a beaucoup discuté. C’est une expérience. J’ai réfléchi avec vous sur le sujet. Mais si il y a éventuellement dans votre travail des chapitres que vous souhaitez me faire lire le moment venu j’aurais grand plaisir à le faire.