Entretien avec Michel NOIR - Maire de Lyon et président du Grand Lyon de 1989 à 1995 - 29 novembre 2002

L’entretien se déroule au siège de la société de Michel Noir, SBT Happy Neurones. Il dure 40 minutes.

C’est vous qui avez lancé le projet de la Manufacture des Tabacs avec Jean-Michel DUBERNARD. Rapidement le financement a associé le ministère de l’Education nationale et le Conseil général du Rhône. Cela a été facile de convaincre ces partenaires ?

C’est un peu plus difficile que cela. Puisque quand nous savons que la SEITA ferme cet immense site et décide comme une entité autonome d’en faire un projet offert au secteur privé. On se dit que c’est quand même dommage et on souhaite exercer une préemption. A l’époque, on est concurrent avec le ministère de l’Intérieur qui lui a envie de faire l’Ecole de Police. Il a l’envie mais il n’en a pas l’argent. Et nous on savait que s’agissant de l’Ecole de Police, se serait un horizon assez lointain, on risque de perdre sur tous les tableaux et le ministère vu le statut public de la SEITA n’arrivera pas à faire attendre la SEITA qui dépend du ministère des Finances, qui plus est. Je rencontre les gens de la SEITA et je dis : « tout cela nous intéresse ». Et on commence à visiter. On est là en juin 1989. Après être monté sur les toits de ces bâtiments extraordinaires. On prend attache tout de suite avec le ministère de l’Enseignement supérieur. La réponse c’est : « de quoi vous vous mêlez ? » ALLEGRE dans sa délicatesse verbale habituelle dit : « de quoi vous vous mêlez ? » Dans le même temps, il disait : « on va lancer un plan Université 2000, on vous mettra à contribution et ce n’est pas à vous de décider si ce sera la Manufacture des Tabacs ou autre chose. » Et en intra-gouvernemental, il nous dit que le ministère de l’Intérieur souhaiterait de toute façon y faire l’Ecole de Police. Donc le paradoxe, c’est qu’il faut déjà se battre contre l’Etat. Et c’est pourquoi j’ai déjà bouclé mon affaire moi avec le conseil général, en totale autonomie, puisque il n’y avait pas au départ un centime de la part de l’Etat. On avait mis, nous, l’essentiel [la totalité même] pour acheter. Ce qui laissait le temps pour une première tranche de travaux que le conseil général puisse ouvrir une ligne budgétaire interne et puisse prendre un relais un an plus tard. Il y avait un recteur NIVEAU qui était bien sûr très demandeur puisque cela débordait de toute part et qui était un petit peu gêné par rapport à son ministère et qui temporisait. Jusqu’à un moment où en octobre je vais trouver JOSPIN et ALLEGRE pour leur dire : « bon maintenant, on discute. » Et là on a débloqué un petit peu la situation . Il faut dire que dans le même temps on signait un contrat d’objectifs sur les écoles primaires avec JOSPIN et il y avait un dialogue qui était beaucoup plus centré sur le contenu, sur sans doute une crédibilité d’action et où on était capable de dépasser les arrières-pensées politiques. JOSPIN acceptant de se faire houspiller par ses camarades socialistes qui lui disaient qu’il signait avec un horrible maire de droite, moi-même acceptant de me faire voler dans les plumes au bureau politique du RPR parce que j’étais le seul maire de droite qui signait un contrat d’objectif dans le domaine de l’Education nationale. On est là en octobre. Donc nous on a signé tout de suite avec… On a trouvé un homme qui a joué un grand rôle qui était le directeur de l’époque de la SEITA. On a pu passer plusieurs mois à se soutenir mutuellement, la direction de la SEITA et nous, pour contrer les pressions qui étaient faites par les cabinets de l’Intérieur. Dans le même temps, on a fait une contre-proposition pour le ministère de l’Intérieur sur le site qu’on avait rue du Dauphiné. Le paradoxe c’est qu’il a fallu qu’on s’oppose. Pour un travail de thèse, c’est intéressant de faire la double lecture, l’événementiel et puis l’analyse de structures, de fonctionnement des organisations publiques. L’analyse montre que dès l’instant où il y a multi-pouvoirs, il y a toujours une séquence une qui consiste à contrer le pouvoir de l’autre. Comme facilitateur de la gestion de sa décision, de la préparation de sa décision ou de son incapacité à décider tout de suite. Cette lecture de sociologie des organisations me paraît être un deuxième niveau de lecture indispensable dans un travail de thèse. Cette première bataille, il reste qu’on a signé et qu’on a acquis la Manu pour 35 millions. Et on a ensuite eu à livrer une deuxième bataille sur le front universitaire. La situation était complexe : il y avait des localisations différentes. Chacun débordait, chacun avait besoin de m². Il y avait des attachements que l’on peut comprendre à certains sites, les Quais notamment. Bref c’était pas simple. Dans un premier temps, avec le recteur NIVEAU, on s’était dit qu’il fallait que les présidents d’université se mettent d’accord. Ils ne se mettaient pas d’accord parce que là encore le pouvoir. Il a fallu que j’organise un déjeuner avec le recteur NIVEAU en décidant qu’on ne sortirait pas de la salle de déjeuner avant qu’une décision définitive ne soit prise. Et là des gamins, incapacité à saisir cette opportunité. Ils n’arrivaient pas à trancher. Alors NIVEAU s’est fâché. Et moi aussi au cours du déjeuner. Je me souviens, c’était à la gare des Brotteaux, un bon déjeuner. On avait essayé de faire cela à la lyonnaise avec un bon repas. Et puis finalement cela s’est tranché.

Le grand absent de cette première tranche de travaux et de l’achat de la Manu, c’est la région Rhône-Alpes. Vous avez été en contact avec eux ?

D’abord il y avait un problème de capacité à décider rapidement. Et puis, à l’époque , ils étaient tellement absorbé par le budget lycée. Et à l’époque, il y avait une majorité à la région pour essayer de favoriser, ce qui n’est pas idiot, des sous pôles issus des universités mères : Chambéry, d’autres sites. La ligne budgétaire, à ma souvenance, était faible sur le plan universitaire par rapport au monstre budgétaire qui était les lycées. Et le deuxième élément dont j’ai le souvenir, c’est qu’il y avait déjà ouvert la négociation sur le plan Université 2000. On était là sur une opération annexe qui devait s’inscrire directement. Et c’est là qu’on rattraperait le plan général et que d’autres financeurs interviendraient. C’est comme cela que je m’en souviens. Là, on a entamé une négociation du plan U2000 qui était, là , du grand cocasse parce que l’Etat nous disait : «  c’est nous qui décidons et c’est vous qui financez. » Cela est un grand classique des services de l’Etat. C’est comme le conservatoire national de musique : pour 5% du budget, ils décident de tous les programmes et de la direction.

Pourquoi ne vous êtes vous pas tout de suite intégrés dans le plan Université 2000 ?

On ne souhaitait pas que l’on risque de rater cette opération et que la SEITA dise : « vous n’êtes pas capable de décider. C’est ma liberté en tant qu’établissement public autonome de vendre à un promoteur ». Et puis, en plus, cela avait du sens parce que on était sur une ligne de métro. On allait ouvrir le métro quasiment un an plus tard.

Vous m’avez parlé des rivalités qui existaient entre universitaires lyonnais. La Manufacture des Tabacs a été attribuée à Lyon III. C ‘est facile de travailler avec cette université ?

Dans le cas particulier, NIVEAU a été pilote. Moi je n’avais pas à m’en mêler. Je ne connais pas le sujet. Je disais au recteur NIVEAU que c’était à lui de décider. Le résultat a été celui là. Dans votre question il y a sans doute autre chose qui n’est pas du tout lié à cela. Puisque cela a été la décision régulée, arbitrée par le recteur NIVEAU dans laquelle nous n’avons pas voulu intervenir sur le fond parce que ce n’est pas parce que je mets à disposition une ligne budgétaire de 23 millions de francs sur la réussite scolaire dans l’enseignement primaire que je vais me mêler des projets pédagogiques du ministère de l’Education nationale. Ce n’est pas ma conception. Il y a une fonction d’autonomie quelque soient les compétences que je peux avoir dans ce domaine de l’éducation. Je crois qu’il faut respecter le rôle de chacun. C’est autre chose que le sujet Université Lyon III. Vous faites peut être référence au discours du 8 mai 1990 où avait éclaté l’affaire NOTIN, moi pour des raisons familiales évidentes, et dans cette ville qui plus est, je ne pouvais pas admettre que le Sieur NOTIN ne soit pas, selon d’ailleurs l’article 19 de la loi SAVARY vous trouverez cela mieux que moi, il y a ujn article qui explique que le conseil de l’université peut siéger en session disciplinaire pour prononcer des sanctions contre l’un de ses pairs. Je dis de la façon la plus courtoise à Pierre VIALLE qui plus est que je connaissais bien politiquement depuis un certain nombre d’années, je souhaite que vous traitiez cette affaire dans cette ville capitale de la Résistance. Alors, en plus quelqu’un qui tient un discours négationniste en plus sur un sujet qui est ma cicatrice vivante, à savoir l’histoire des chambres à gaz, je lui dis, vous avez le moyen légal faites le. Il me dit ; « je n’aurais pas de majorité ». Jamais des pairs traitent de l’opinion. C’est la liberté de recherche, la liberté d’opinion. Je lui ait tout de même rappelé que le négationnisme n’était pas une opinion. J’ai argumenté. Je l’ai vu deux ou trois fois et je lui ai dit : « Pierre ou Monsieur le Président cela dépendait des moments, je ne pourrai pas ne pas prendre la parole en public sur ce sujet. Il n’y a pas un résistant qui comprendrait qu’un fils de déporté à Mathausen soit silencieux sur cette affaire. J’ai effectivement dit que tant que l’Université n’aurait pas traité ce cas NOTIN, il n’y aurait pas de Manufacture des Tabacs. Cela a été un tollé général. On a crié au chantage. Moi je disais que ce n’était pas un chantage mais l’exigence d’une éthique forte de la décision et une capacité à prendre une décision. D’autant que la loi Savary prévoit ce cas de figure. La majorité de l’époque du conseil d’administration et des magistrats a été très choquée par cette prise de position. Il faut dire que dans cette ville on jamais très bien su assumer cette histoire aux deux écritures. Quelques minoritaires qui ont écrit la page de la Résistance et puis l’immense majorité qui soit s’est tu soit été gaillardemment collaborationniste, soit a fourni le garde des sceaux en juin 1944 au gouvernement de Pétain.

Vous avez parlé du lancement du schéma université 2000. Est-ce que le Grand Lyon a eu sa place dans les négociations ?

J’ai fait voter une délibération, une ligne budgétaire de 100 millions de francs. Dans le cadre d’un article conditionnel. On est là dans les complexités du droit public. Le droit public nous dit que dans le cadre de la loi sur les communautés urbaines, nous avons un certain nombre de compétences. Dans ce cadre là, je fais voter une subvention pour la réhabilitation de l’Opéra de Lyon. Le docteur Chicano de service, déferre au tribunal administratif qui nous dit : « cela n’est pas la vocation de la communauté urbaine de Lyon que de soutenir le financement des équipements structurants d’agglomération donc on est recalé. Comme je trouve cela complètement aberrant, je vois avec le ministre de l’Intérieur de l’époque qui était Marchand ou son prédécesseur, et nous amendons ce fameux article 53 en disant que les communautés urbaines pourront intervenir pour des équipements structurants d’agglomération sans secteur limitatif. A la faveur de cet article, dont je vous passe les péripéties de l’adoption parce que les députés de la gauche étaient furieux contre leur gouvernement. Sauf que cela arrangeait aussi le gouvernement puisqu’il y avait un arrêt du conseil d’Etat « Communauté urbaine de Cherbourg » qui avait le même problème. Il y avait un problème général posé et Mauroy dans la présidence tournante des communautés urbaines, on s’est mis d’accord pour amender parce que cela n’avait pas de sens. Après ceci, j’ai fait voter une délibération et j’ai fait un « package » pour que ce soit acceptable pour que ce soit voté par la majorité moins la voix de Tête qui votait contre tout. Il y avait 100 millions pour le programme universitaire, les hôpitaux, et il y avait divers établissements culturels plus 10 millions pour l’Astroballe [la salle de basket-ball de Villeurbanne] pour bien montrer qu’équipements structurels d’agglomération ce n’était pas seulement l’Opéra de Lyon, mais aussi la salle de basket que l’on soutiendrait et qui avait vocation à être à Villeurbanne ou les hôpitaux avec déjà l’idée qu’on aurait un schéma tri polaire parce qu’on commençait déjà à y réfléchir et le plan universitaire. Voilà la genèse de cette intervention de la communauté urbaine qui était donc postérieure. La datation exacte je ne me rappelle plus. C’est une loi de 1992. Vous retrouverez cela. On avait cosigné cet amendement avec RIGOUD et puis je ne sais plus qui.

Le schéma Université 2000 associait prioritairement l’Etat et la région. Vous arriviez tout de même à peser sur les décisions qui étaient prises dans ce cadre ?

Oui, il y avait des réunions pour lesquelles on était associés. Moi, j’ai tenu des réunions, une fois à la ville. Moi j’avais mis en place en juillet 1989 un comité d’agglomération qui était une structure complètement originale qui était destinée à faire en sorte que se trouvent autour d’une table le préfet de région, le président du conseil général et le préfet de région. Ces domaines là comme le développement universitaire, ils n’étaient pas du domaine de l’un ou de l’autre. Il y avait bien sur un intérêt général et il fallait que tous les décideurs soient là et c’est d’ailleurs au cours d’un de ces comités d’agglomération du 13 juillet 1989 qu’on a fait le constat que jamais l’Etat ne pourrait financer le bouclage du périphérique. C’est là qu’on a dit qu’on serait obligé de recourir à un système de concession. Cela s’est décidé en conseil d’agglomération. Je dis cela parce que certains disent que c’est NOIR tout seul qui a fait le périphérique, c’est faux. Le 13 juillet, on a appris du Préfet de région qu’on n’aurait même pas d’AP [autorisation de programme], le préfet avait vérifié auprès de la direction des routes, alors on parle même pas de crédits de paiement. On n’aurait pas d’AP avant quatre ou cinq ans. Ce qui fait que le 20 juillet, avec Charles HERNU, on a pris un hélico et on a vu le parcours. Parce qu’il était important que le maire socialiste de Villeurbanne voie le parcours, cela ne pouvait être qu’une décision majoritaire. C’est là qu’on a décidé du tracé et qu’on a lancé l’opération.

Sur la tranche 1, c’est le Grand Lyon qui assure la maîtrise d’ouvrage. C’est important pour une collectivité de prendre une maîtrise d’ouvrage d’une opération comme la Manufacture des Tabacs ?

Dans le cas particulier, cela n’a pas beaucoup d’importance. Comme nous avions décidé que c’est nous qui commencerions à aligner des dépenses budgétaires et que c’est la communauté urbaine qui avait acquis l’opération. C’est là qu’est la réponse.

C’était quoi vos objectifs quand vous avez décidé de l’implication du Grand Lyon dans le projet de la Manufacture des Tabacs ?

C’était de répartir les charges budgétaires et de dire le pôle universitaire lyonnais concerne l’ensemble de la région et de l’agglomération. C’était complètement logique.

C’ est pas un objectif de développement économique ou de rayonnement international ?

Non, non, l’objectif c’est de faire des m². Le rayonnement c’est les publications universitaires. Le rayonnement de l’université, ce n’est pas des m², c’est l’appartenance à des réseaux internationaux dans le domaine de la recherche. Donc, il y n’y a pas du tout de confusion entre le contenant et le contenu.

L’enseignement supérieur reste tout de même une compétence de l’Etat. Est ce qu’elle ne paye pas un peu à la place de l’Etat. Oui mais cela, c’est tout le problème de la décentralisation dans la conception de l’Etat. C’est pour cela que c’est toujours un jeu à somme non nulle. Regardez la manière qui est proprement scandaleuse dont l’Etat met aux enchères la décentralisation des organismes. C’est complètement scandaleux. Chaque collectivité rentre dans ce jeu parce que les acteurs locaux disent : « telle opération nous permettrait d’atteindre telle stratégie et tel niveau de pôle d’excellence. » On est bien obligé d’être sensible à cet argument là. Mais je vois que depuis qu’on a réalisé ENS Lettres, je ne l’aurai jamais fait d’ailleurs. Parce que quinze ans plus tard, on a encore la moitié des profs ENS sciences qui sont des « profs-turbo ». Aujourd’hui les profs de l’ENS Lyon, ce sont des « profs turbo ». Parce que la rue d’Ulm, c’est la rue d’Ulm. Il y a des institutions comme cela. C’est comme si on disait demain on met l’académie française au Cap d’Agde. On met cela à l’encan et il y a telle commune pour telle raison grâce aux subventions d’un milliardaire saoudien réussit à avoir de l’argent et à faire en sorte que l’Académie française soit délocalisé à Lacanau. Mais cela fait partie de cette manière très malsaine que l’Etat a d’aller chercher de l’argent. C’est pour cela que l’inscription de l’autonomie financière des collectivités locales dans la Constitution est importante. Après on pourra dire : « désolé mais vous ne pouvez pas transférer une charge sans transférer les ressources qui vont avec. » Ce qu’ a toujours fait l’Etat.

C’est pas un jeu de dupes qui…

On ne va pas passer d’un système ultra centralisé à un système américain ultra libéralisé. Entre les deux, il y a quelque chose qui n’existe pas en France et qui existe là bas c’est le bac. C’est la collation des grades, des diplômes pardon et c’est la détermination des programmes qui sont de la compétence des Etats membres des pays de l’Union. Il y a déjà des précédents. Tout ce qui est du domaine de l’enseignement artistique supérieur, les conservatoires de Région ou les écoles de musique municipales sont financées par les collectivités locales et les directeurs sont nommés par les services de l’Etat. Même chose pour toute une série de structures. C’est un système qui est hybride. On ne va pas passer demain au système américain mais si on pouvait en tous les cas décentraliser pour introduire de la concurrence dans le sens scientifique du terme. Les universitaires eux même s’en plaignent. Le mal français c’est la disciplinarisation du système éducatif qui rend très difficile l’interdisciplinarité. En l’occurrence tout directeur général du CNRS qui dit : « je veux affecter une partie de mon budget à de l’interdisciplinarité pour que ce ne soit pas seulement la section 29 du CNRS qui coopte ces personnels mais que les choses soient plus reliées avec les autres disciplines. Il n’y a pas de mystère la capillarité est une donnée essentielle dans la plupart des domaines scientifiques, il se heurte à des menaces de grèves générales, à des difficultés, à des corporatismes, de la même manière que quand on veut faire en sorte que des masters professionnels fassent travailler ensemble des disciplines voisines. Pour les masters il y a énormément de difficultés parce que chacun défend sa chapelle. Or si on veut que les masters soient une réussite dans l’optique européenne, cela veut dire qu’il faudra plusieurs disciplines. La jeune docteur que je viens d’engager ici [à SBT Happyneuronne l’entreprise de Michel Noir] elle doit savoir faire autre chose que son sujet de thèse si elle veut intéresser les entreprises. Ici heureusement elle fait autre chose. Si pendant quatre ans elle avait pu avoir des sujets un plus élargis… C’est beaucoup plus difficile d’avoir des sujets qui soient interdisciplinaires. Aux Etats Unis, c’est comme cela. Dans les systèmes anglo-saxons, on a de la fertilisation croisée. Vous avez une interdisciplinarité forte alors qu’en France on a de l’hyper spécialisation. Quand on parle de pathologie de la disciplinarisation comme première pathologie du système éducatif français, on a raison. C’est beaucoup plus difficile parce que cela exige des degrés de connaissance et de culture beaucoup plus importants. Cela supposerait des corpus beaucoup plus ouverts. Et au niveau des masters, cela supposerait des disciplines beaucoup plus larges.

Les constructions universitaires sont financées par des financements croisés.

Tout d’abord parce qu’il y a une complexité des structures. Sur un même territoire vous avez quatre niveaux de compétence voire cinq : communes, communauté urbaine, conseil général, région et Etat. Vous êtes en plein dans la maladie française pour laquelle on devrait avoir un prix Nobel c’est à dire la maladie Schadock. On ne sait pas simplifier parce que partout on analyse les choses en terme de pouvoirs : le comité d’agglomération dont je vous parlais tout à l’heure, ce bidule qui n’avait aucune espèce d’existence, c’était une manière pour moi de simplifier et de faire en sorte que les cinq soient autour d’une table pour négocier et pour prendre des décisions. Cela ne simplifiait pas ensuite les choses parce qu’ensuite il allait falloir se taper le document où on allait être cinq signataires. Mais si les gens commencent à faire en sorte qu’on partage ensemble la préparation de la décision, voire la décision elle même, on fait un progrès énorme parce qu’on attaque par le haut, par où il faut attaquer c’est à dire par la notion de pouvoir et de fonction du pouvoir c’est à dire prendre des décisions. Le pouvoir cela sert à générer une action. Ensuite que l’intendance suive n’empêchera pas que les procédures resteront ultra complexe. Qu’est ce qui fait que quelqu’un nous fait perdre trois ans sur les équipements structurels d’agglomération ? Et encore, je ne raconte pas tout. Parce que quand le préfet construit, c’est des gags je vous assure, deux exemples. Lui et moi on aurait pu être au pénal mais je vous autorise à les citer. Le préfet construit l’amphi Cassin sur le campus de Bron. Il a des consignes d’aller vite parce qu’il y a des besoins pour septembre. Il construit. Ils vont tellement vite qu’ils oublient de déposer un permis de construire. Autre exemple : il construit un projet pour Vénissieux, démocratie je ne sais plus quoi. Il oublie de passer un appel d’offre dans les règles de l’art. Et il me demande moi de faire une avance pour qu’il ait le temps de régulariser parce que lui il ne peut pas payer. On le fait parce que l’intérêt public est là et parce que la loi de l’action veut qu’on le fasse. Mais n’importe quel docteur Chicano aurait vu cela, il nous aurait traîner devant les tribunaux. Et il aurait gagné. On se serait trouvé dans la pire des situations. C’est comme les emplois fictifs : quand le procureur de la République vient me voir en 1992 en me disant : « Monsieur le Maire, on me demande de mettre en place les maisons de Justice et je n’ai pas les moyens. Est ce que vous pouvez me donner des m² et des personnels ? » Mais on est complètement hors compétence de la ville de Lyon. Je lui dis : « oui mais on est hors compétence et vous pourriez me traîner devant les tribunaux, ou un citoyen pourrait me traîner devant les tribunaux. Vous me demandez de mettre des personnels et des m² à votre disposition sous l’autorité de quelqu’un d’autre c’est à dire le juge. » On l’a fait. J’ai sorti cela un jour à MONTGOLFIER sur un plateau de télévision. Quand une collectivité fait cela avec des fonctionnaires dans le cadre d’un parti politique alors que les partis politiques sont essentiels à la vie démocratique , JUPPE se retrouve mis en examen. Quand le procureur nous demande de mettre deux fonctionnaires dans des maisons de Justice, là il n’y a pas emplois fictifs. C’est l’intérêt public. J’ose même dire que les partis politiques sont plus importants. On est dans un système incohérent sur le plan de l’intendance. Ce qui compte c’est quand même que la capacité de décider soit préservée, le pragmatisme des hommes et le dépassement des blocages structurels.